N° 10285 du rôle Inscrit le 12 septembre 1997 Audience publique du 10 octobre 1997
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Recours formé par Madame … XHULI-XHIMANI contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 10285 et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 septembre 1997 par Maître François MOYSE, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … XHULI-XHIMANI, demeurant à …, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 13 août 1997, par laquelle sa demande en obtention du statut de réfugié politique a été déclarée manifestement infondée;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal le 3 octobre 1997;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 8 octobre 1997 par Maître François MOYSE;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ralph DEISCHTER en remplacement de Maître François MOYSE, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.
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En date du 24 mars 1997, Madame … XHULI-XHIMANI, de nationalité albanaise, sollicita oralement la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-
après dénommé « la Convention de Genève ».
Madame XHULI-XHIMANI a été entendue en date des 25 et 27 mars 1997 par un agent du ministère de la Justice, sur les motifs à la base de sa demande.
Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 17 juillet 1997, le ministre de la Justice l’a informée, par lettre du 13 août 1997, notifiée le 25 août 1997, que 1 sa demande était rejetée aux motifs suivants: « (…) vous restez en défaut d’établir une crainte justifiée par une persécution au sens de la Convention de Genève.
Dès lors, votre demande doit être déclarée manifestement infondée au sens de l’article 3 du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 sur la procédure de la demande d’asile. » Par requête déposée le 12 septembre 1997, Madame XHULI-XHIMANI a formé un recours en réformation sinon en annulation contre la décision ministérielle du 13 août 1997.
Lors de son audition, telle qu’elle a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, la demanderesse a exposé qu’elle avait quitté son pays avec son mari et leur fils mineur commun Elvis en date du 16 mars 1997; qu’à Durres, la police avait arrêté son mari, tandis qu’elle avait réussi à s’enfuir avec leur fils. Elle a indiqué que son mari, lors de l’arrestation, portait les documents d’identité de la famille sur lui, de sorte que lors de son arrivée à Luxembourg elle était démunie de tout document d’identité; qu’elle ignorait où son mari se trouve actuellement mais qu’elle craignait qu’il avait été enfermé par la police; qu’arrivée à Luxembourg, elle avait immédiatement présenté une demande d’asile pour elle et son fils Elvis.
Interrogée sur les motifs à la base de sa demande d’asile au Luxembourg, elle a indiqué qu’elle avait travaillé depuis 1980 pour le ministère de la Défense où elle s’était occupée des uniformes destinés aux officiers; qu’au dépôt où elle avait travaillé, des armes avaient également été entreposées; qu’en février 1997, des voleurs avaient pénétré au dépôt pour tout enlever, y compris les armes qui s’y trouvaient; qu’elle avait été vue par les voleurs et qu’elle avait eu peur que cela pourrait avoir des conséquences. Elle a déclaré cependant qu’elle n’avait reconnu aucun des pilleurs et que personne ne l’avait connue. Elle a encore affirmé avoir participé à des manifestations qui s’étaient déroulées avant son départ, mais qu’elle n’avait pas été membre d’un parti politique. Elle a soutenu finalement qu’elle avait peur de rentrer dans son pays, étant donné qu’elle l’avait quitté illégalement et qu’elle avait abandonné son poste de travail. A la fin de l’audition, elle a tenu à ajouter qu’elle était partie à cause de son fils, qui ne pouvait plus fréquenter l’école, étant donné que celle-ci avait été fermée par les terroristes.
La demanderesse reproche d’abord au ministre de la Justice d’avoir violé l’article 3 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, dans la mesure où l’avis émis par la commission consultative pour les réfugiés, prévu par l’article 10 de la loi du 3 avril 1996 précitée, n’indique pas les noms des membres ayant assisté à la délibération du 17 juillet 1997. La demanderesse conclut par conséquent à la nullité de la décision ayant rejeté la demande en obtention du statut de réfugié, au motif que celle-ci a été prise sur base de l’avis précité pris en violation de l’article 3 de la loi du 3 avril 1996. Dans ce même ordre d’idées, elle relève l’absence de signature du prédit avis par les membres de la commission.
Elle reproche encore au ministre de la Justice de ne pas avoir respecté l’article 10 de la loi précitée, en ce que les demandes manifestement infondées doivent être évacuées par l’administration dans les deux mois à partir de la date de leur introduction. En l’espèce, la décision était intervenue 5 mois après l’introduction de la demande en obtention du statut de réfugié politique, de sorte que la procédure serait également viciée sur ce point.
La demanderesse critique finalement la décision ministérielle pour avoir violé l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes ainsi que l’article 1A-2 de la Convention de Genève. A ce 2 titre, elle soulève que le ministre de la Justice a fait une mauvaise appréciation des faits gisant à la base de sa demande d’asile en déclarant que celle-ci était manifestement infondée, au motif qu’elle n’avait pas fait état de persécutions ou de craintes de persécutions au sens de la Convention de Genève et au motif que la commission consultative avait indiqué dans son avis que son identité n’avait pas été établie. Elle considère d’une part qu’elle a fourni les documents nécessaires pour établir son identité et d’autre part, qu’elle remplirait les conditions en vue de l’obtention du statut de réfugié du fait du pillage du dépôt d’armes. Elle estime que la crainte existe avec raison que les pilleurs pourront s’en prendre à elle ou à sa famille de sorte qu’elle a établi qu’elle est susceptible de faire l’objet de persécutions en cas de retour dans son pays. La décision ministérielle serait dès lors basée sur une motivation erronée.
Dans son mémoire en réplique, elle fait état d’un avis de recherche délivré par le commissariat de police de Tirana, qui lui serait parvenu après l’introduction de sa demande d’asile et qui documenterait la réalité de ses affirmations, en l’espèce qu’elle ferait aussi l’objet de poursuites pénales pour abandon d’un poste « sensible » au sein du ministère de la Défense.
Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité du recours en réformation, un tel recours n’étant pas prévu à l’encontre des décisions déclarant une demande d’asile comme étant manifestement infondée.
En ce qui concerne l’irrégularité formelle de l’avis de la commission consultative, il fait valoir que l’avis qu’il a versé et qui fait partie du dossier administratif à disposition du tribunal, renseigne sur la composition de la commission consultative pour les réfugiés, de même qu’il porte la signature du président de la commission. Il estime en outre que l’absence éventuelle de signature ne saurait valoir comme moyen d’annulation, étant donné qu’il ne s’agit pas d’une formalité substantielle prévue par la loi du 3 avril 1996 précitée. Lors des débats à l’audience, il a ajouté que les noms des membres de la commission ne sont pas indiqués dans l’avis communiqué aux intéressés pour des raisons de sécurité.
Il fait encore valoir que l’article 10 de la loi du 3 avril 1996 n’est pas sanctionné par un délai de forclusion. Selon le représentant étatique, le non-respect de ce délai ne saurait d’ailleurs entraîner l’annulation de la décision critiquée, étant donné que le demandeur d’asile ne subit aucun préjudice de ce fait. Il estime, au contraire, que pendant le délai d’instruction de sa demande, l’intéressée est logée et soutenue financièrement par l’Etat, de sorte qu’elle n’a aucun intérêt à invoquer ce moyen.
En ce qui concerne la violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité et de l’article 1 A-2 de la Convention de Genève, il rétorque qu’au moment de l’instruction de la demande d’asile, et tout au long de cette procédure jusqu’à la décision de refus, l’identité de la demanderesse n’était pas établie. Il considère ensuite qu’il est étonnant que la demanderesse, qui affirme avoir fait l’objet de persécutions en Albanie, ait pris contact avec les autorités albanaises à Tirana, et que celles-ci lui aient délivré sans problèmes des certificats d’état civil. Le délégué du gouvernement estime encore que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a déclaré la demande en obtention du statut de réfugié politique de la demanderesse manifestement infondée, au motif qu’elle n’avait pas fait état d’une persécution au sens de la Convention de Genève. Il ajoute que même si les faits invoqués par la demanderesse étaient établis, ils ne justifieraient pas l’octroi du statut de réfugié politique, étant donné que les craintes de la demanderesse ne trouveraient pas leur fondement dans sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un groupe social ou ses opinions politiques.
3 L’article 10 de la loi du 3 avril 1996 prévoyant un recours en annulation contre les décisions déclarant une demande d’asile manifestement infondée, le recours en réformation introduit à titre principal est irrecevable.
Le recours en annulation introduit à titre subsidiaire est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.
Quant au moyen tiré de la violation de l’article 3 de la loi du 3 avril 1996 et donc implicitement de l’article 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application du prédit article 3, en ce que l’avis du 17 juillet 1997 ne contient ni les noms des trois membres effectifs composant la commission consultative ni une signature, le tribunal constate que la demanderesse a, en réalité, entendu invoquer la violation de l’article 4 du règlement grand-
ducal du 8 juin 1979 précité, qui énonce les règles relatives à la régularité formelle des avis des organismes consultatifs, en exigeant notamment en son alinéa 2 que les noms des membres ayant assisté à la délibération soient indiqués dans l’avis lui-même.
Il ressort des renseignements fournis par la demanderesse et des pièces versées par elle, que la copie de l’avis de la commission, annexée à la décision critiquée, ne contenait pas les noms des membres ayant assisté à la délibération. La copie de l’avis en question du 17 juillet 1997 de la commission consultative, figurant dans le dossier administratif versé par le délégué du gouvernement au tribunal administratif le 3 octobre 1997, indique néanmoins les noms des membres de la commission qui ont assisté à ladite séance avec voix délibérative et porte la signature du président de cette commission. Etant donné que cette pièce, versée par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif, a été librement discutée par les parties et que la demanderesse a donc pu avoir connaissance des noms des membres ayant assisté à la séance de la commission consultative ayant rendu l’avis dans son dossier, ce moyen, tiré d’une irrégularité formelle de la décision ministérielle critiquée, tenant au contenu de l’avis de la commission consultative pour les réfugiés, n’est pas justifié et est partant à rejeter.
Quant au moyen tiré du non respect des délais inscrits à l’article 10 de la loi du 3 avril 1996, qui dispose que « la décision dans les cas visés aux articles 8 et 9 (cas des demandes qui sont irrecevables ou manifestement infondées) sera prise au plus tard dans un délai de deux mois à partir de l’introduction de la demande. Toutefois, aucune décision ne sera prise avant que le demandeur n’ait été entendu. », le tribunal relève que le respect du prédit délai n’est pas prévu à peine de nullité et que la demanderesse ne subit aucun préjudice. Au contraire, un délai plus long que celui prévu par la loi permet une meilleure instruction de la demande d’asile et garantit ainsi une plus grande protection des droits de la défense. Ce moyen est partant à écarter.
Concernant le reproche formulé par la demanderesse à l’encontre de la décision critiquée, tiré de ce que le ministre aurait fait une fausse appréciation des faits invoqués par elle à l’appui de sa demande d’asile, et que partant la motivation de la décision litigieuse ne serait pas fondée, il convient de rappeler que la légalité d’une décision administrative s’apprécie en considération de la situation de droit et de fait existant au jour où elle a été prise.
Aux termes de l’article 9 de la loi du 3 avril 1996, précitée, « une demande d’asile peut être considérée comme manifestement infondée lorsqu’elle ne répond à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et le Protocole de New-York, si la crainte du 4 demandeur d’asile d’être persécuté dans son propre pays est manifestement dénuée de fondement… ».
En vertu de l’article 3 alinéa 1er du règlement grand-ducal du 22 avril 1996 portant application des articles 8 et 9 de la loi du 3 avril 1996 précitée « une demande d’asile pourra être considérée comme manifestement infondée lorsqu’un demandeur n’invoque pas de crainte de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques comme motif de sa demande ».
Lors de ses auditions des 25 et 27 mars 1997, la demanderesse n’a pas fait état de motifs de persécution, tels que prévus par l’article 1er, section A, 2) de la Convention de Genève. En effet, lors de ces auditions, elle a basé sa demande en obtention du statut de réfugié politique exclusivement sur des motifs de crainte de poursuite d’ordre pénal du fait de l’abandon de son poste au sein du ministère de la Défense et du fait qu’elle craignait être poursuivie par les terroristes qui avaient volé les armes au dépôt. Ces faits ne peuvent cependant pas être considérés comme constituant une persécution ou une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève. A la fin de son audition, elle a encore tenu d’ajouter qu’elle a quitté son pays à cause de son fils, qui ne pouvait plus fréquenter l’école, étant donné que les « terroristes » les avaient fermées.
Etant donné que la demanderesse n’a pas fait état de persécutions ou de craintes de persécutions au sens de la Convention de Genève, c’est à bon droit que le ministre a décidé que la demande formulée par la demanderesse devait être considérée comme étant manifestement infondée.
Il suit des considérations qui précèdent, que le recours est à rejeter comme non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
se déclare incompétent pour connaître du recours en réformation;
reçoit le recours en annulation en la forme;
au fond le déclare non justifié et en déboute;
condamne la demanderesse aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge, rapporteur et lu à l’audience publique du 10 octobre 1997 par le vice-président, en présence du greffier.
s. Legille s. Schockweiler greffier assumé vice-président 5