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06/10/1997 | LUXEMBOURG | N°10036

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 octobre 1997, 10036


1 N° 10036 du rôle Inscrit le 29 mai 1997 Audience publique du 6 octobre 1997

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Recours formé par Monsieur … NONOU contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête déposée le 29 mai 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … NONOU, ressortissant du Liberia, résidant actuellement à …, tendant à l

a réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 21 avril 1997, p...

1 N° 10036 du rôle Inscrit le 29 mai 1997 Audience publique du 6 octobre 1997

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Recours formé par Monsieur … NONOU contre le ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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Vu la requête déposée le 29 mai 1997 au greffe du tribunal administratif par Maître François MOYSE, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … NONOU, ressortissant du Liberia, résidant actuellement à …, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 21 avril 1997, par laquelle le statut de réfugié politique lui a été refusé;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 juin 1997;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître François MOYSE et Madame le délégué du gouvernement Claudine KONSBRUCK en leurs plaidoiries respectives.

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Monsieur … NONOU, qui déclare être ressortissant du Liberia, a introduit le 26 août 1996 une demande en obtention du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention ».

Monsieur NONOU a été entendu en date du 30 août 1996 par un agent du ministère de la Justice, sur les motifs à la base de sa demande.

Sur avis défavorable de la commission consultative pour les réfugiés du 26 mars 1997, le ministre de la Justice l’a informé, par lettre du 21 avril 1997, notifiée en date du 30 avril 1997, que sa demande était rejetée aux motifs suivants: « (…) votre demande n’est pas fondée au sens de l’article 12 de la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile.

2 Vous déclarez avoir quitté le Liberia après l’assassinat de votre père pour la Côte d’Ivoire d’où vous auriez embarqué sur un bateau pour arriver clandestinement en Europe. Une personne inconnue vous aurait amené du port d’où vous auriez débarqué jusqu’au Luxembourg.

Il existe cependant un certain nombre d’incohérences entre vos déclarations et les pièces que vous avez déposées.

Ainsi le certificat de naissance que vous avez déposé renseigne comme nom de votre mère Mme Patricia Victoria Einlt.

Or, vous déclarez qu’il s’agit là de votre belle-mère et que votre mère s’appelait Antwi Becker.

Ce même certificat porte l’empreinte digitale de votre père qui, d’après vos déclarations, était imprimeur….

Ensuite vous indiquez ne pas très bien parler la langue du pays Nimba, d’où vous prétendez cependant être originaire.

Et l’ambassade du Libéria, contactée par notre agent et au personnel de laquelle vous avez pu parler en anglais au téléphone, affirme que l’anglais que vous utilisez n’est pas celui du Libéria.

Finalement vos déclarations relatives à votre voyage, en particulier l’affirmation que vous ne savez pas où vous avez séjourné à Abidjan, que vous ignorez le nom du bateau et l’identité des personnes qui vous ont servi de passeurs.

Vous prétendez être arrivé en bateau à Bruxelles, mais affirmez en même temps avoir fait le chemin de Luxembourg à Anvers pour récupérer de l’argent que quelqu’un vous devait.

Vous êtes pourtant resté en défaut de faire état, de façon suffisamment crédible, de persécutions vécues ou de craintes qui seraient telles que la vie vous serait, à raison, intolérable dans votre pays.

Dans ces circonstances, une crainte justifiée de persécution en raison de vos opinions politiques, de votre race, religion, nationalité ou appartenance à un groupe social n’est pas établie. » Par requête du 29 mai 1997, Monsieur NONOU a introduit un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision du 21 avril 1997.

Le demandeur fait exposer dans son recours qu’« il est originaire du Liberia, qu’il est né à Monrovia et qu’il appartient à la tribu originaire du Nimba county, région du Liberia. » Lors de son audition par un agent du ministère de la Justice, telle que celle-ci a été relatée dans le compte-rendu figurant au dossier, le demandeur a déclaré que son père aurait été tué le 2 mai 1996 par les « Catata people ». Il impute la mort de son père au fait que ce dernier était imprimeur et qu’il imprimait régulièrement 3 des textes dirigés contre les « Catata people », étant donné qu’il appartenait à la tribu des Nimba. Il ajoute qu’il aurait aidé son père dans son imprimerie et qu’il devrait dès lors également craindre d’être tué par les meurtriers de son père. Il aurait immédiatement quitté le pays et qu’au départ, il aurait pris un sac avec quelques affaires personnelles, les documents d’identité et 200 dollars.

Au sujet de son voyage, il indique qu’il se serait rendu en Côte d’Ivoire dans une ville avec un port qui serait situé près d’Abidjan; qu’il serait allé dans une église où il aurait dormi, le prêtre de cette église l’ayant alors recueilli; qu’il aurait quitté la Côte d’Ivoire le 7 août 1996; qu’un homme qu’il aurait rencontré dans l’église l’aurait aidé à trouver un bateau et lui aurait encore donné 100 dollars; qu’il ignorerait le nom du bateau ainsi que le nom de la personne qui lui aurait fourni la nourriture pendant le voyage; que le voyage aurait duré 2 semaines et lorsqu’il serait descendu du bateau, il aurait rencontré « une jeune personne libérienne inconnue » à qui il aurait donné 200 dollars et que cette personne devrait garder l’argent pour lui; qu’un homme blanc l’aurait amené au Luxembourg. Il affirme qu’il voulait venir au Luxembourg parce qu’il savait que c’est un pays tranquille sans problèmes et « plus froid » et qu’il connaissait le pays à travers les cours de géographie qu’il aurait suivi à l’école. Il ajoute qu’ « il n’a jamais été nulle part ailleurs. » Il indique encore qu’il ne connaît que la capitale Monrovia du Liberia, étant donné que de 1990-1994 il se trouvait « à Libia à cause de la guerre » et qu’il parle assez bien l’anglais, mais qu’il ne sait pas parler la langue du pays, le Nimba. Il a encore fourni des indications sur sa famille, son éducation et sa formation professionnelle.

Le demandeur reproche à la décision critiquée de violer l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l'Etat et des communes, ainsi que l’article 2 de la Convention.

A ce titre il fait valoir que le ministre aurait basé sa décision de refus uniquement sur les incohérences de ses déclarations, pour en conclure qu’il ne justifierait pas d’une crainte raisonnable de persécution. Le ministre aurait dès lors mélangé des moyens de preuve et de fond pour aboutir à une motivation non conforme à la Convention et contraire à l’obligation de juste motivation des actes administratifs.

Il ajoute que si ses déclarations semblaient peu crédibles aux yeux du ministre, il aurait appartenu à l’administration d’effectuer des recherches plus approfondies, surtout en ce qui concerne la situation au Liberia.

Il allègue que le fait de téléphoner à l’ambassade du Liberia pour obtenir certains renseignements ne saurait satisfaire à la carence dans l’instruction du dossier, d’autant plus qu’il aurait fui ce pays et ne pourrait plus se réclamer de la protection de ce dernier. Il estime qu’en tout état de cause, il n’existerait pas de contrariétés ou d’incohérences dans son récit.

Le demandeur relève encore que ce serait le défaut de crédibilité de ses déclarations qui aurait conduit le ministre à lui refuser le statut de réfugié. Un tel raisonnement serait manifestement faux, étant donné que le manque de crédibilité de 4 ses déclarations aurait dû amener le ministre à suivre la procédure de la demande manifestement infondée. Cependant le ministre n’aurait pas suivi la procédure instituée à cet effet, ni n’aurait-il pris en considération, dans le cadre de l’examen du bien fondé de sa demande, les craintes de persécutions qu’il avait invoquées. Il conclut qu’un examen approfondi de sa demande aurait relevé que sa situation personnelle correspondrait aux exigences en vue d’obtenir le statut de réfugié, étant donné, qu’il aurait, à la suite de l’assassinat de son père, une crainte que les meurtiers le poursuivraient et donc le persécuteraient.

Le délégué du gouvernement rétorque que le ministre aurait correctement motivé sa décision en se référant expressément à l’absence de motifs de persécution au sens de la Convention et que cette motivation serait plus amplement développée dans l’avis de la commission consultative, avis qui était annexé à la décision litigieuse et qui en ferait donc partie intégrante.

Il fait valoir qu’il n’incomberait pas au ministre de procéder aux vérifications nécessaires, mais qu’il appartiendrait au demandeur d’asile de prouver qu’il remplit les conditions en vue de l’obtention du statut de réfugié. En l’espèce, le ministre aurait tenté de contrôler une des seules données vérifiables, à savoir la nationalité du demandeur, en téléphonant à l’ambassade de son pays. Il souligne que le fait de s’adresser à l’ambassade du pays de provenance du demandeur d’asile ne saurait avoir une incidence sur la situation de la personne concernée, étant donné que ni son identité, ni son statut de demandeur d’asile seraient révélés à ces autorités, mais qu’un tel entretien permettrait de déterminer si le demandeur était originaire du même pays en vérifiant les connaissances linguistiques et en posant des questions générales sur la situation du pays.

En dernier lieu, il relève que la loi du 3 avril 1996 portant création d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ne prévoirait pas que la qualification de demande manifestement infondée primerait sur une décision portant sur le bien-fondé de la demande. Il souligne que la commission consultative a préféré aviser le bien-fondé de la demande tout en relevant qu’elle aurait aussi bien pu être déclarée manifestement infondée.

Le recours en réformation est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Concernant le moyen tiré d’une motivation erronée de la décision critiquée, il y a lieu de constater que le ministre, dans sa décision de refus, reprend le récit du demandeur, tout en relevant les éléments contradictoires qui en ressortent. Il conclut ensuite que le demandeur est resté en défaut de faire état, de façon crédible, de persécutions vécues ou de craintes qui seraient telles que la vie lui serait intolérable dans son pays. Le ministre s’est donc basé sur les critères retenus par l’article premier, section A, paragraphe 2 de la Convention pour motiver sa décision de refus, de sorte que ce moyen est à abjuger.

Concernant le moyen tiré de ce que le ministre aurait dû utiliser la procédure prévue pour les demandes manifestement infondées, il convient de relever que le ministre, sur base des éléments du dossier, est libre d’examiner le bien fondé de la 5 demande ou le cas échéant de déclarer la demande manifestement infondée. En l’espèce, il a considéré que la demande d’asile n’était pas manifestement infondée et il a dès lors utilisé la procédure instituée par les articles 12 et suivant de la loi du 3 avril 1996 précitée. Cette procédure accorde par ailleurs une protection plus étendue au demandeur, notamment du fait qu’elle prévoit, à l’inverse des demandes manifestement infondées, un recours en réformation. Il est dès lors sans incidence que le ministre mettait en doute la crédibilité des déclarations du demandeur, étant donné qu’il a par ailleurs examiné le bien-fondé de la demande en concluant que le demandeur n’a pas établi qu’il possède des motifs de persécution tels que prévus par l’article 1er, section A, paragraphe 2 de la Convention.

En ce qui concerne la crédibilité des informations et documents fournis par le demandeur à l’appui de sa demande, le tribunal retient, de manière exemplative, pour établir le caractère incohérent et invraisemblable de son récit, que le demandeur déclare n’avoir jamais quitté son pays avant de débarquer en Europe et qu’il précise ensuite avoir débarqué en bateau à Bruxelles. Malgré l’ignorance des lieux, ne connaissant rien de la Belgique, il a cependant, le jour même où il a introduit sa demande d’asile, disparu pour quelques jours, en fournissant ultérieurement comme explication qu’il devait récupérer de l’argent auprès d’une personne qui se trouve à Anvers.

Le tribunal relève ensuite que l’agent du ministère de la Justice retient dans son rapport portant sur la demande en obtention du statut de réfugié que: « On a laissé parler l’intéressé au personnel de l’ambassade du Liberia, après un entretien, la personne contactée a dit que l’intéressé parlait un autre anglais que celui parlé au Liberia. » En outre, le demandeur a déclaré lui même, lors de son audition, qu’il ne savait pas parler la langue de son pays, le Nimba. Il est encore précisé dans le prédit rapport que le personnel de l’ambassade avait affirmé qu’il ne s’agissait pas d’un ressortissant Libérien, étant donné qu’il ne pouvait pas répondre à des questions élémentaires auxquelles tout Libérien aurait pu répondre. L’agent indique encore que:

« l’intéressé n’avait donné au début que des informations précaires, c’est seulement après des questions précises que son passé s’est construit, après beaucoup de contradictions, qui furent éliminées par des reprises de l’intéressé même, qui remarquait qu’il avait donné des informations erronées. » Il ressort en outre d’un rapport établi par le service de police judiciaire concernant les papiers d’identité présentés par le demandeur: « Was die Identitätsfeststellung von NONOU anbelangt, so erweist sich diese als sehr schwierig. Die von ihm vorgelegte Geburtsurkunde sowie die Urkunde aus dem liberianischen Zivilstandsregister sind zweifelsfrei Farbkopien. Es handelt sich nicht um Originaldokumente. » Les explications fournies par le demandeur, ensemble avec son récit, sont à qualifier d’incohérentes, vagues et contradictoires. Le délégué du gouvernement a relevé à juste titre qu’il n’appartenait pas au ministère de la Justice de compléter le récit et d’effectuer des recherches pour aboutir éventuellement à un récit plus cohérent, étant donné qu’il appartient au demandeur d’établir avec la précision requise, qu’il remplit les conditions prévues par la Convention en vue d’obtenir le statut de réfugié.

En l’espèce, les déclarations du demandeur sont si vagues et invraisemblables, qu’elles ne permettent aucun contrôle. D’ailleurs, comme indiqué ci-dessus, même la 6 nationalité du demandeur donne lieu à des doutes. Le ministre, sur base des explications fournies par le demandeur, et sans qu’il ait été nécessaire de recueillir de plus amples informations, a légalement pu retenir que le demandeur n’a pas fait état, de façon crédible, de persécutions vécues ou de craintes qui seraient telles que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays.

Indépendamment des incohérences retenues par le tribunal, le demandeur reste en défaut d’établir qu’il risque d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques conformément à l’article 1er, section A, paragraphe 2 de la Convention.

En effet, concernant sa situation particulière, le demandeur invoque une crainte de persécution en raison de son appartenance à un groupe ethnique, à savoir la tribu « du Nimba County ». Il soutient que son père aurait été tué du fait qu’il appartenait à cette tribu et du fait qu’il imprimait des textes dirigés contre une autre tribu appelée « les Catata ».

Il reste cependant en défaut de produire le moindre élément de preuve objectif concernant ces faits. De même, il ne fait pas état de persécutions qu’il aurait vécues personnellement, ni avant ni après la mort de son père, de sorte que l’assassinat de son père, à le supposer établi, n’est pas de nature à justifier dans son chef une crainte de persécution au sens de la Convention.

Il ressort des considérations qui précèdent, que l’administration a fait une saine appréciation des faits en estimant que le demandeur n’a pas fait valoir de raisons personnelles de nature à justifier, dans son chef, la crainte d’être persécuté pour une des raisons énoncées dans la disposition précitée de la Convention.

Le recours en réformation est donc à rejeter comme non fondé.

Le recours en annulation, introduit à titre subsidiaire, est à déclarer irrecevable, la loi prévoyant un recours de pleine juridiction en la matière.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne le demandeur aux frais.

7 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 6 octobre 1997, à laquelle assistaient:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, rapporteur, M. Legille, greffier assumé.

s. Legille s.Schockweiler


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10036
Date de la décision : 06/10/1997

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1997-10-06;10036 ?

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