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16/07/1997 | LUXEMBOURG | N°10129

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 juillet 1997, 10129


N° 10129 du rôle Inscrit le 10 juillet 1997 Audience publique du 16 juillet 1997

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Recours formé par Monsieur … Enrique MUNOZ CLARO contre le ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 1997 par Maître Jacqueline GEISEN-JACQUES, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assistée de Maître Yvette NGONO-YAH, avocat inscrit à

la liste II dudit tableau, au nom de Monsieur … Enrique MUNOZ CLARO, de nationalité chil...

N° 10129 du rôle Inscrit le 10 juillet 1997 Audience publique du 16 juillet 1997

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Recours formé par Monsieur … Enrique MUNOZ CLARO contre le ministre de la Justice en matière de mise à la disposition du gouvernement

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Vu la requête déposée au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 1997 par Maître Jacqueline GEISEN-JACQUES, avocat inscrit à la liste I du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assistée de Maître Yvette NGONO-YAH, avocat inscrit à la liste II dudit tableau, au nom de Monsieur … Enrique MUNOZ CLARO, de nationalité chilienne, sans état connu, actuellement détenu au Centre Pénitentiaire de Luxembourg, tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 11 juin 1997 instituant une mesure de placement à son égard;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal le 11 juillet 1997;

Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Yvette NGONO-YAH et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 11 juin 1997 Monsieur … Enrique MUNOZ CLARO, de nationalité chilienne, fit l’objet d’un contrôle par la gendarmerie de Luxembourg et une mesure de rétention fut ordonnée par le parquet de Luxembourg sur base d’un défaut de pièces d’identité et de moyens d’existence personnels suffisants.

Par décision du ministre de la Justice du même jour, il a été placé, pour une durée maximum d’un mois, au Centre pénitentiaire, en attendant son éloignement du territoire luxembourgeois.

La décision de placement du 11 juin 1997 est fondée sur les considérations et motifs suivants: « Considérant que l’intéressé a été contrôlé en date du 11 juin 1997 par la gendarmerie de Luxembourg alors qu’il se trouvait en situation irrégulière au Grand-Duché;

- qu’il ne dispose pas de moyens d’existence personnels et suffisants;

- que son éloignement immédiat n’est pas possible;

1 Considérant que des raisons tenant à un risque de fuite nécessitent que l’intéressé soit placé au Centre Pénitentiaire de Luxembourg en attendant son rapatriement. » Par requête déposée le 10 juillet 1997, Monsieur MUNOZ CLARO a introduit un recours en réformation et subsidiairement en annulation contre ladite décision ministérielle de placement.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il posséderait des moyens d’existence personnels suffisants pour être autorisé à séjourner au Luxembourg et que le danger de fuite sur lequel est basée la décision de placement ne serait pas justifié, étant donné qu’il vit au Luxembourg avec la mère de ses deux enfants, qui sont nés au Luxembourg.

Dans ce contexte, il invoque la violation de l’article 8 de la Convention Européenne des droits de l’Homme conférant le droit au respect de la vie privée et familiale et expose encore qu’il n’a pas troublé l’ordre public; qu’il dispose de moyens d’existence et du soutien financier d’amis à Luxembourg et que sa famille vit à Luxembourg. Il ajoute qu’il s’oppose formellement à un retour forcé vers le Chili.

Le délégué du gouvernement oppose l’irrecevabilité du recours en annulation, la loi prévoyant en la matière un recours de pleine juridiction.

Concernant le recours en réformation, il soulève qu’il serait devenu sans objet, du moins dans la mesure où la mise en liberté est demandée, puisque l’arrêté de placement critiqué ne serait valable que pour une durée maximum d’un mois et qu’il aurait perdu ses effets.

Au fond, le représentant étatique expose que Monsieur MUNOZ CLARO est arrivé au Luxembourg le 23 février 1994; que le 26 juillet 1994, il a demandé la prolongation de son séjour touristique pour un mois; que le 23 octobre 1994, soit après l’expiration de son visa, il a fait l’objet d’un contrôle lorsqu’il circulait avec un motocycle rue Joseph Junck et que le même jour il a été refoulé vers l’Allemagne; qu’il est revenu à Luxembourg à une date inconnue et a séjourné irrégulièrement sur le territoire luxembourgeois; que le 8 février 1995 un procès verbal du chef de vol à l’étalage a été dressé à son encontre; qu’il s’est fait rejoindre par une compatriote avec laquelle il habitait auprès d’un ami, rue Laurent Menager; qu’après avoir perdu leurs traces, l’administration a découvert, le 8 février 1996, qu’ils habitaient rue de Strasbourg et que la compagne avait mis au monde un garçon; qu’une demande en autorisation de séjour a été rejetée le 21 mai 1996; qu’après avoir à nouveau perdu leur trace, ils furent localisés à Eischen le 10 février 1997; que la police a constaté le 26 mars 1997, qu’ils n’étaient plus en possession de leurs passeports chiliens, refusaient de retourner au Chili et que la compagne attendait un deuxième enfant et que cet enfant est né le 9 mai 1997; que le rapatriement a été décidé, étant donné que le demandeur n’essayait plus de régulariser sa situation illégale, qu’il n’avait pas de moyens d’existence et qu’il refusait le retour volontaire dans son pays; que le 11 juin 1997 il a été contrôlé à 00.45 rue du Commerce à Luxembourg; qu’il s’est 2 immédiatement enfui et jeta au cours de la fuite une écharpe dans laquelle trois pochettes de haschisch ont été trouvées; que le placement a été décidé le même jour.

Concernant le moyen tiré de la non-justification de la mesure de placement en l’absence d’un danger de fuite, le délégué soulève qu’un séjour irrégulier depuis 3 années, le refus de quitter le territoire volontairement, la disparition du passeport, les infractions commises en l’absence de moyens d’existence et la fuite lors du dernier contrôle en date seraient de nature à justifier le danger de fuite et partant la mesure de placement.

Quant à la violation de l’article 8 de la Convention Européenne des droits de l’Homme, le représentant étatique estime que l’ingérence de l’autorité publique serait prévue par la loi et que le comportement du demandeur justifierait ladite ingérence.

S’il est vrai que ni la réformation, ni l’annulation de la décision de placement prise à l’égard du demandeur ne sauraient désormais avoir un effet concret, la décision ministérielle du 11 juin 1997 ayant de toute manière cessé de produire ses effets un mois à partir de sa notification, intervenue en date du 11 juin 1997, - étant précisé que, conformément aux informations reçues à l’audience de la part du délégué de gouvernement, le demandeur reste actuellement toujours en placement au Centre Pénitentiaire, sur base d’un nouvel arrêté pris le 9 juillet 1997 et prorogeant la décision de placement - le demandeur garde néanmoins un intérêt à obtenir une décision relativement à la légalité de la mesure initiale, de la part de la juridiction administrative, puisqu’en vertu d’une jurisprudence constante des tribunaux judiciaires, respectivement la réformation ou l’annulation des décisions administratives individuelles constitue une condition nécessaire pour la mise en oeuvre de la responsabilité des pouvoirs publics du chef du préjudice causé aux particuliers par les décisions en question.

L’article 15, al. 9 de la loi modifiée du 28 mars 1972 concernant 1. l’entrée et le séjour des étrangers, 2. le contrôle médical des étrangers, 3. l’emploi de la main-

d’oeuvre étrangère, instituant en la matière un recours de pleine juridiction, la demande en réformation est recevable pour avoir été introduite par ailleurs dans les formes et délai de la loi. Il est indifférent, à cet égard, que la réformation éventuelle de la décision ne puisse plus avoir d’effet concret, étant donné, comme il vient d’être exposé ci-avant, que le demandeur garde un intérêt juridique à voir réformer la décision qualifiée d’illégale.

L’article 15 précité dispose encore que « lorsque l’exécution d’une mesure d’expulsion ou de refoulement en application des articles 9 ou 12 [de ladite loi] est impossible en raison des circonstances de fait, l’étranger peut, sur décision du ministre de la Justice, être placé dans un établissement approprié à cet effet pour une durée d’un mois ».

Il en découle qu’une décision de placement au sens de la disposition précitée présuppose une mesure d’expulsion ou de refoulement légalement prise ainsi que l’impossibilité d’exécuter cette mesure.

3 Il se dégage du dossier et des renseignements dont dispose le tribunal que l’éloignement de Monsieur MUNOZ CLARO est basé sur une mesure de refoulement qui, en vertu de l’article 12 de la loi modifiée du 28 mars 1972, précitée, peut être prise, «sans autre forme de procédure que la simple constatation du fait par un procès-verbal », à l’égard d’étrangers non autorisés à résidence, … «2) qui ne disposent pas de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour; (…) 4) qui ne sont pas en possession des papiers de légitimation prescrits et de visa si celui-ci est requis; (…) ».

Il convient donc en premier lieu de vérifier la légalité de la mesure de refoulement, condition préalable à la légalité de toute décision de placement.

Il ressort du procès-verbal dressé le 11 juin 1997 par la brigade de Luxembourg de la gendarmerie grand-ducale que Monsieur MUNOZ CLARO a fait l’objet d’un contrôle à ladite date et que les brigadiers ont constaté qu’il n’était pas en possession de papiers de légitimation valables.

La carence de papiers de légitimation valables et du visa requis cumulée avec une décision ministérielle du 21 mai 1996 - qui n’a pas fait l’objet d’un recours par l’intéressé - refusant l’octroi d’une autorisation de séjour est un motif légal justifiant une mesure de refoulement, sans qu’il y ait besoin de vérifier la légalité du motif tiré de l’absence de moyens personnels suffisants pour supporter les frais de voyage et de séjour.

Il se dégage des considérations qui précèdent que Monsieur MUNOZ CLARO est sous le coup d’une décision de refoulement légalement prise et justifiée, qui constitue une base légale de la décision de placement.

La mesure de placement attaquée n’est cependant légalement admissible que si l’expulsion ne peut être mise à exécution en raison d’une circonstance de fait.

Or, comme le demandeur n’était pas en possession d’un passeport valable, son rapatriement était matériellement impossible dans l’immédiat sans l’accomplissement de formalités supplémentaires auprès des autorités chiliennes en vue de l’obtention d’un laissez-passer, de sorte qu’il a valablement pu être estimé qu’une circonstance de fait a rendu impossible l’exécution de la mesure d’éloignement.

Une mesure de placement, surtout au Centre Pénitentiaire, ne se justifie cependant qu’au cas où il existe encore, dans le chef de la personne qui se trouve sous le coup d’une décision d’éloignement, un danger réel qu’elle essaie de se soustraire à la mesure de rapatriement ultérieur.

En l’espèce, il échet de relever qu’il ressort du dossier que le demandeur a séjourné au pays depuis plusieurs années, sans être en possession d’une autorisation de séjour valable et en changeant à différentes reprises ses lieux de résidence.

Il ressort également du dossier et notamment des termes mêmes de la requête introductive d’instance qu’il s’oppose formellement à son rapatriement au Chili.

4 Il ressort finalement du procès-verbal de la brigade de Luxembourg de la gendarmerie grand-ducale, établi en date du 11 juin 1997, que le demandeur a essayé de se soustraire au contrôle par la gendarmerie en prenant immédiatement la fuite.

Il existe partant, dans le chef du demandeur, un risque de fuite de nature à compromettre ultérieurement la mesure de rapatriement.

Cette conclusion ne saurait être énervée par les explications du demandeur concernant sa situation personnelle et familiale.

Il est vrai qu’aux termes de l’article 8, al. 1er de la Convention européenne des Droits de l’Homme du 4 novembre 1950, approuvée par une loi du 29 août 1953, « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance et qu’il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

L’article 8, en tant que tel, ne confère cependant pas à un étranger le droit à ne pas être expulsé ou refoulé d’un pays où résident les membres de sa famille.

Il n’en reste pas moins que les décisions de refus d’accès et d’établissement, de même que les décisions d’éloignement, risquent de compromettre la vie familiale.

Pour qu’il y ait ingérence au sens de l’article 8, § 1er, de la Convention précitée, il faut: 1. l’existence d’une vie familiale effective et 2. impossibilité pour les intéressés de s’installer et mener une vie familiale normale dans un autre pays.

Si la première condition est remplie en l’espèce, étant donné qu’une vie familiale effective existe entre les deux parents et leurs enfants communs, il est précisé que la notion de « vie familiale » est dotée d’un contenu propre à la Convention et ne présuppose pas nécessairement le mariage, de sorte qu’elle englobe la relation des parents avec leur enfant naturel.

Les demandeurs restent cependant en défaut d’établir, voire d’alléguer, en quoi il leur serait impossible de s’installer et de mener leur vie commune dans un autre pays, notamment au Chili, pays d’origine tant du demandeur que de sa compagne. Au contraire, le mandataire du demandeur a déclaré à l’audience que la compagne et les deux enfants désireraient accompagner Monsieur MUNOZ CLARO s’il est effectivement rapatrié au Chili. Le fait que la famille ne disposerait actuellement pas des moyens nécessaires pour supporter les frais de voyage, ne saurait être constitutif d’une impossibilité au sens de l’article 8, § 1er.

Il résulte des considérations qui précèdent qu’il n’y a pas ingérence au sens de l’article 8, § 1er, de la Convention européenne des Droits de l’Homme et le moyen tiré de la violation dudit article est à abjuger comme n’étant pas fondé.

5 Il convient de relever à titre surabondant que les faits ressortant du dossier à charge du demandeur caractérisent le comportement d’un étranger susceptible de compromettre à nouveau la sécurité, la tranquillité, l’ordre et la santé publics et justifient dans les circonstances de l’espèce l’ingérence de l’autorité publique dans le droit de cette personne au respect de sa vie privée et familiale.

La loi prévoyant en la matière un recours de pleine juridiction, le recours en annulation, introduit à titre subsidiaire, est irrecevable.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, rapporteur, Mme. Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 16 juillet 1997, par le vice-président, en présence du greffier.

Schmit Schockweiler greffier assumé.

vice-président 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 10129
Date de la décision : 16/07/1997

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;1997-07-16;10129 ?

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