Minute n°
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
LOYERS COMMERCIAUX
JUGEMENT DU 21 MARS 2024
N° RG 23/05977 - N° Portalis DB22-W-B7H-RVAI
Code NAC : 30C
DEMANDERESSE
LA CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE ILE DE FRANCE, banque coopérative, société anonyme à directoire et à conseil d’orientation et de surveillance régie par les articles L.512-85 et suivants du Code monétaire et financier immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 382 900 942 dont le siège social est situé [Adresse 1], agissant poursuite et diligence de son Président demeurant en cette qualité audit siège,
représentée par Maître Dan ZERHAT de l’AARPI OHANA ZERHAT, avocat postulant au barreau de VERSAILLES et par Maître Jean-Pierre DUGAL, avocat plaidant au barreau de PARIS.
DÉFENDERESSE
La société LE CHAT QUI PECHE, société civile immobilière immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VERSAILLES sous le numéro
517 541 454 dont le siège social est situé [Adresse 7], prise en la personne de son représentant légal demeurant en cette qualité audit siège,
représentée par Maître Margaret BENITAH, avocat postulant au barreau de VERSAILLES et par Maître Chantal TEBOUL ASTRUC de ASTRUC AVOCATS SAS, avocat plaidant au barreau de PARIS.
DÉBATS
Madame GARDE, Juge, siégeant par délégation de Monsieur le Président du Tribunal Judiciaire de VERSAILLES, et statuant en matière de loyers commerciaux, conformément aux dispositions de l’article R. 145-23 du Code de Commerce, assistée de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier.
Après avoir entendu, lors de l’audience du 01 Février 2024, les avocats des parties en leurs plaidoiries, l’affaire a été mise en délibéré pour que le jugement soit rendu ce jour.
* * * * * *
EXPOSE DU LITIGE
Aux termes d’un acte dressé en la forme authentique le 29 octobre 2010, la SCI le Chat qui pêche a donné à bail à la Caisse d’épargne et de prévoyance Île-de-France (CEIDF) des locaux sis [Adresse 5] à [Localité 4] (78), pour une durée de neuf années à compter du 1er avril 2011, à destination de banque, caisse d’épargne et de prévoyance, assurances, crédit, change et organismes financiers, moyennant un loyer annuel de 50.000 €.
Le 8 mars 2019, la SCI le Chat qui pêche a fait délivrer à la CEIDF un congé avec offre de renouvellement à compter du 1er avril 2020, moyennant un loyer annuel de 54.112 €.
Puis, faisant suite à un mémoire préalable notifié à la SCI le Chat qui pêche le 22 février 2022, la CEIDF l’a fait assigner, par exploit introductif d’instance en date du 7 juin 2022, devant le juge des loyers commerciaux de Versailles aux fins de fixation du montant du loyer du bail renouvelé à la somme de 26.000 € par an, hors taxes et hors charges, correspondant, selon elle, à la valeur locative des locaux. L’affaire a été enrôlée sous le RG n° 22/03272.
Aux termes d’un jugement rendu le 23 novembre 2022, le juge des loyers commerciaux a notamment :
- Constaté le renouvellement au 1er avril 2020 du bail commercial liant les parties et portant sur divers locaux dépendant d’un immeuble sis [Adresse 5] à [Localité 4] (78) ;
- Dit que le montant du loyer du bail renouvelé devait être fixé à la valeur locative des locaux, déterminée par référence aux dispositions des articles
R. 145-11 et R. 145-7, alinéas 2 et 3, du code de commerce ;
- Ordonné une expertise et commis Madame [J] [F] pour y procéder.
L’expert judiciaire a déposé son rapport le 10 octobre 2023. Elle conclut à une valeur locative, au 1er avril 2020, de 26.500 € par an, hors charges et hors taxes.
C’est dans ces conditions que l’affaire a été rétablie au rôle, en application
de l’article R. 145-31 du code de commerce, le 30 octobre 2023, sous le
RG n° 23/05977.
Aux termes de son dernière mémoire, notifié à la SCI le Chat qui pêche par lettre recommandé dont le pli n’a pas été réclamé, la Caisse d’épargne et de prévoyance Île-de-France demande au juge des loyers commerciaux de :
- Fixer le loyer à la somme de 22.550 € en principal et hors charges par an,
- Fixer le point de départ du bail renouvelé au 1er avril 2020,
- Dire et juger que le loyer ne portera pas intérêts au taux de droit à compter du point de départ du bail renouvelé, par application des dispositions des articles 1231, 1231-1 à 1231-7 du code civil, et que de même les intérêts ne porteront pas eux-mêmes intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil,
- Condamner le bailleur à lui régler la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à assurer la charge des dépens, en ce compris la totalité des frais d’expertise,
- Ordonner l’exécution provisoire.
Les locaux étant à usage d’activités bancaires et de bureaux, la Caisse d’épargne et de prévoyance Île-de-France soutient que les dispositions de l’article L. 145-36 du code de commerce doivent s’appliquer et que le prix du loyer du bail renouvelé doit être fixé à la valeur locative.
Elle explique que la ville de [Localité 4] est une petite commune résidentielle, pavillonnaire et rurale située entre [Localité 3] et [Localité 8]. Elle observe qu’elle est correctement desservie par les transports en commun bien qu’assez éloignée des axes routiers du secteur. Elle indique que, si ses locaux ont un emplacement central, au coeur d’un quartier où sont implantés des commerces de proximité, la zone considérée comprend également des agences bancaires concurrentes.
Elle relève que les locaux se développent sur un rez-de-chaussée et deux étages, reliés par un escalier intérieur, avec un linéaire de façade de
11 mètres. Elle retient, sur la base du rapport d’expertise amiable établi
le 14 décembre 2020 par la société Veron Expertise & Associés, une surface réelle de 203 m2 et une surface pondérée de 87,62 m2p.
Elle formule plusieurs observations sur la surface pondérée retenue par l’expert judiciaire. S’agissant du rez-de-chaussée, elle explique que la Charte de l’expertise préconise l’application du coefficient 0,90 pour les zones de vente à partir de 5 mètres de profondeur de la vitrine. Elle relève néanmoins que la deuxième zone considérée ne comprend qu’un palier d’accès au
1er étage, l’emprise de l’escalier et un local de reprographie. Elle demande, par conséquent, l’application d’un coefficient maximal de 0,40.
Elle indique, par ailleurs, que la cour, inutilisée et inutilisable, ne doit pas être prise en compte dans la surface utile des locaux.
S’agissant du palier vers le 2ème étage, elle souligne que le coefficient 0,20 est surévalué, le palier n’ayant pas vocation à être emprunté par les clients. Elle demande donc l’application d’un coefficient 0,15.
Elle sollicite, enfin, un coefficient de 0,20 pour les locaux annexes du
1er étage.
S’agissant du troisième étage, elle s’accorde avec l’expert judiciaire sur un coefficient 0,15, tout en relevant la question de la capacité de portance des planchers. Elle aboutit, in fine, à une pondération de 81,03 m2p arrondie à
81 m2p.
Elle souscrit à l’analyse de l’expert judiciaire quant à l’évaluation du prix unitaire à hauteur de 300 € / m2p.
Elle conteste l’idée selon laquelle la faculté qui lui a été donnée de réaliser des travaux d’adaptation de ses locaux constituerait un avantage particulier, la SCI le Chat qui pêche étant tenue de lui délivrer des locaux conformes à leur destination contractuelle. Elle rétorque, en parallèle, que la faculté de cession de son droit au bail à un successeur dans son commerce est une prévision légale, édictée à l’article L. 145-16 du code de commerce. Elle considère, en revanche, que la refacturation de l’impôt foncier est une charge exorbitante du droit commun, ce qui justifie un abattement au réel sur la valeur locative.
Elle conclut ainsi à une valeur locative inférieure au montant du plafond indiciaire, de 22.550 € par an.
Aux termes de son dernier mémoire, notifié à la Caisse d’épargne et de prévoyance Île-de-France par lettre recommandée dont l’accusé de réception a été signé le 22 janvier 2024, la SCI le Chat qui pêche demande au juge des loyers commerciaux de :
- Fixer le loyer renouvelé à la valeur locative à compter du 1er avril 2020,
- Fixer cette valeur locative à la somme de 54.964 euros par an en principal, hors charges et hors taxes à compter du 1er avril 2020, toutes autres clauses du bail restant inchangées sauf les effets de la loi Pinel,
- Condamner la société Caisse d’épargne et de prévoyance Île-de-France au paiement des rappels de loyer dus avec intérêts de retard au taux légal à compter de chaque échéance trimestrielle et contractuelle jusqu’à parfait paiement, avec capitalisation annuelle des intérêts, conformément aux articles 1231-6 et 1343-2 du code civil,
- Condamner la société Caisse d’épargne et de prévoyance Île-de-France au paiement d’une somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
- La condamner aux entiers dépens,
- Débouter en tout état de cause la société Caisse d’épargne et de prévoyance Île-de-France de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- Ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant appel et sans caution.
La SCI le Chat qui pêche expose que [Localité 4] est une commune résidentielle et pavillonnaire desservie par voie routière (autoroutes n° 13 et 14) et transports en communs (bus, ligne de transilien N). Elle indique que les locaux sont situés sur l’axe commerçant du centre-ville, à proximité d’une place accueillant des emplacements de stationnement et un marché de plein air tous les samedis.
Elle insiste sur l’adaptation des locaux à l’activité exercée, ces derniers bénéficiant du charme ancien de l’immeuble, d’un accès aisé, d’un éclairement direct, d’un important linéaire de façade et d’une superficie recherchée.
Elle souscrit à la pondération effectuée par l’expert judiciaire, pour un total de 94,07 m2p. Elle explique que le coefficient de pondération appliqué à la
2ème zone du rez-de-chaussée est adapté au regard de la visite effectuée et que la cour, dont le coefficient de pondération est faible, fait partie intégrante de l’assiette du bail.
Elle fait grief à Madame [F] d’avoir fait référence à la population des communes citées pour apprécier la commercialité des termes de comparaison. Elle explique, au visa d’un rapport de Madame [V] [S], qu’une telle approche n’est pas pertinente si elle n’est pas accompagnée d’une étude de la concurrence et de l’indication du revenu moyen de la population.
Elle considère que la seule référence située à [Localité 4] porte sur une activité de bar/brasserie dont le taux d’effort est plus faible que celui d’une agence bancaire, ce qui ne permet pas de l’exploiter utilement. Elle ajoute que
la tendance baissière du marché locatif commercial francilien depuis
2018 / 2019 est moins marquée dans les bons emplacements, comme celui de l’espèce. Elle rappelle que, dans son rapport amiable, Monsieur [Z] avait retenu un prix unitaire de 500 € / m2p. Elle conclut ainsi à une valeur locative de 47.035 € par an.
Elle propose deux majorations à hauteur de 10 %, l’une au titre de l’autorisation dont dispose le preneur pour modifier les caractéristiques des locaux (structure de l’immeuble), et l’autre pour la libre cession du droit au bail, la commune ayant instauré un quota pour l’implantation de nouveaux établissements bancaires.
Elle ne conteste pas la déduction du montant de l’impôt foncier, à hauteur de 1.747 €.
MOTIFS
Sur la compétence restreinte du juge des loyers commerciaux
En vertu de l’article R. 145-23 du code de commerce, les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Il est statué sur mémoire.
Les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes mentionnées à l’alinéa précédent.
Le juge des loyers commerciaux est tenu de vérifier sa propre compétence.
En l’espèce, il n’appartient pas à la présente juridiction de statuer sur les clauses et conditions du bail renouvelé à l’exception du montant de son loyer. Il ne lui appartient pas davantage de prononcer de condamnation au paiement d’éventuels rappels de loyers.
Les demandes formées en ce sens seront, par conséquent, déclarées irrecevables.
Sur la fixation judiciaire du montant du loyer du bail renouvelé
En application de l’article L.145-33 du code de commerce, le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative. A défaut d’accord, cette valeur est déterminée d’après :
1° les caractéristiques du local considéré ;
2° la destination des lieux ;
3° les obligations respectives des parties ;
4° les facteurs locaux de commercialité ;
5° les prix couramment pratiqués dans le voisinage.
Selon l’article L. 145-36 du code de commerce, les éléments permettant de déterminer le prix des baux des terrains, des locaux construits en vue d'une seule utilisation et des locaux à usage exclusif de bureaux sont fixés par décret en Conseil d'Etat.
En vertu de l’article R. 145-11 du code de commerce, le prix du bail des locaux à usage exclusif de bureaux est fixé par référence aux prix pratiqués pour des locaux équivalents, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence.
Les dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article R. 145-7 sont en ce cas applicables.
En l’espèce, et conformément aux termes du jugement mixte rendu le
23 novembre 2022, le montant du loyer du bail renouvelé doit être fixé
à la valeur locative, déterminée par référence aux dispositions de l’article
R. 145-11 et R. 145-7, alinéas 2 et 3, du code de commerce.
Sur la valeur locative des locaux à la date d’effet du renouvellement
Sur les facteurs locaux de commercialité
En application de l’article R. 145-6 du code de commerce, les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l'intérêt que présente, pour le commerce considéré, l'importance de la ville, du quartier ou de la rue où il est situé, du lieu de son implantation, de la répartition des diverses activités dans le voisinage, des moyens de transport, de l'attrait particulier ou des sujétions que peut présenter l'emplacement pour l'activité considérée et des modifications que ces éléments subissent d'une manière durable ou provisoire.
Dans son rapport, l’expert judiciaire indique que les locaux sont implantés à [Localité 4], une commune résidentielle, pavillonnaire et rurale de 5.949 habitants au 1er janvier 2020. Elle explique que le territoire communal est traversé du nord au sud par la route départementale n° 191, un axe majeur qui relie [Localité 2] à [Localité 6] et permet de transiter de l’A13 au nord à la route nationale 12 au sud. Elle souligne que l’agence bancaire est située sur la [Adresse 5], en centre-ville, un triangle bordé de commerces de proximité avec, en son centre, un parking qui se transforme en place du marché le samedi. Elle précise que le n° 21 est situé en fin de place, sur un tronçon surélevé. Elle conclut à un bon emplacement en centre-ville, dans un secteur peu desservi par les transports en commun mais avec un stationnement aisé.
S’il est établi que les locaux bénéficient d’un bon emplacement, au coeur du centre-ville de [Localité 4], à proximité immédiate de commerces de proximité, d’emplacements de stationnement et d’un marché de plein air hebdomadaire, la commercialité du secteur n’en reste pas moins résidentielle (absence d’enseignes nationales, éloignement géographique de la gare communale).
Sur la destination des lieux
En vertu de l’article R. 145-5 du code de commerce, la destination des lieux est celle autorisée par le bail et ses avenants ou par le tribunal dans les cas prévus aux articles L. 145-47 à L. 145-55 et L. 642-7.
Les locaux ont été donnés à bail à usage exclusif de commerce de banque, caisse d’épargne et de prévoyance, assurances, crédit, change et organismes financiers et toutes activités statutaires.
Sur les caractéristiques du local considéré
Selon l’article R. 145-3 du code de commerce, les caractéristiques propres au local s’apprécient en considération de sa situation dans l’immeuble où il se trouve, de sa surface et de son volume, de la commodité de son accès pour le public ; de l’importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l’exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux ; de ses dimensions, de la conformation de chaque partie et de son adaptation à la forme d’activité qui y est exercée ; de l’état d’entretien, de vétusté ou de salubrité et de la conformité aux normes exigées par la législation du travail ; de la nature et de l’état des équipements et des moyens d’exploitation mis à la disposition du locataire.
Dans son rapport, l’expert judiciaire indique que les locaux dépendent d’un immeuble de type R+2, avec courette à l’arrière, façades enduites, couverture tuiles plates anciennes à l’avant et tuiles mécaniques à l’arrière. Elle observe que le linéaire de façade (équipé d’un distributeur automatique de billets) mesure environ 11,50 mètres, dont 1,64 mètres de porte vitrée, 1,96 mètres de vitrine et 1 mètre de vitrine sur le bureau.
Elle explique que la configuration des locaux est classique avec :
- au rez-de-chaussée (accessible aux personnes à mobilité réduite) : un accueil avec guichet, un bureau, une aire de libre-service ; puis à l’arrière, non accessible à la clientèle, une enceinte technique sécurisée avec sas convoyeurs, un escalier et un local de reprographie ; et au bout d’un couloir relativement étroit, une cour arrière, pavée ;
- au premier étage (accessible par un escalier en bois de 1,25 mètres de large) : un palier, un dégagement / couloir, deux bureaux sur la place, un local social donnant sur la place, des sanitaires et un placard technique ;
- au deuxième étage (accessible par un palier auquel la clientèle n’a pas accès) : un ancien appartement dont la surface est inutilisable en l’état, hors locaux techniques (présence de la climatisation).
L’expert souligne que les locaux sont sécurisés, bénéficient d’un double vitrage (sauf au 2ème étage) et sont chauffés (climatisation réversible au
rez-de-chaussée et convecteurs électriques individuels au 1er étage).
Elle conclut à un immeuble de bonne facture avec un beau linéaire en façade de place. Elle considère que la configuration est correcte pour une agence bancaire, même si le 2ème étage est en médiocre état.
La configuration des locaux est ainsi adaptée à l’activité exercée, avec un immeuble en bon état d’usage et d’entretien, une visibilité renforcée depuis la voie publique et de bons équipements. Cela étant, seul le rez-de-chaussée est susceptible d’accueillir les personnes à mobilité réduite (avec un seul bureau). De plus, le deuxième étage est hors d’usage.
Sur la pondération
La pondération est immobilière, elle est effectuée à partir des surfaces utiles brutes ou, si le bail le précise, la surface de plancher.
La Charte de l’expertise en évaluation immobilière pour les boutiques en centre-ville jusqu’à 600 m2 préconise, selon la nature des surfaces pondérées (zone de vente, annexes, etc.) et le niveau concerné (sous-sol, rez-de-chaussée, premier étage et deuxième étage), divers coefficients de pondération.
En l’espèce, l’expert judiciaire a retenu un coefficient de pondération de 0,90 pour la deuxième zone de vente qui, d’après les schémas versés aux débats, correspond à l’enceinte technique sécurisée avec sas convoyeurs, le palier pour l’escalier d’accès au 1er étage et le local de reprographie. Toutefois, cet espace ne peut être valablement assimilé à une surface de vente (y compris s’il bénéficie d’un éclairage naturel), raison pour laquelle le coefficient de pondération sera limité à 0,40.
S’agissant de la courette située à l’arrière des locaux loués, l’expert judiciaire a appliqué un coefficient de pondération particulièrement faible de 0,05. L’application d’un tel coefficient, qui acte l’inclusion de la courette dans l’assiette du bail tout en jaugeant de son utilité objective, est adaptée au cas d’espèce et sera entérinée.
Le palier d’accès vers le 2ème étage n’est pas accessible à la clientèle. Une pondération de 0,15 est, dès lors, suffisante.
En ce qui concerne les locaux annexes du 1er étage, la Charte de l’expertise préconise un coefficient de pondération de 0,20, lequel sera retenu.
La pondération des locaux s’élève, par conséquent, à hauteur de 82,88 m2p, selon le calcul suivant :
Rez-de-chaussée :
1ère zone / 36,40 m2 / coefficient 1 / 36,40 m2p
2ème zone / 19,87 m2 / coefficient 0,40 / 7,95 m2p
Locaux techniques / 12,19 m2 / coefficient 0,40 / 4,88 m2p
Cour et accès / 37 m2 / coefficient 0,05 / 1,85 m2p
Sous-total : 51,08 m2p
Premier étage :
Partie publique / 41,45 m2 / 0,40 / 16,58 m2p
Palier vers 2ème étage / 5,93 m2 / 0,15 / 0,89 m2p
Locaux annexes / 19,16 m2 / 0,20 / 3.83 m2p
Sous-total : 21,3 m2p
Deuxième étage :
Total / 70 m2 / 0,15 / 10,50 m2p
Sous-total : 10,50 m2p
Sur les obligations respectives des parties
L’article R. 145-8 du code de commerce indique que du point de vue des obligations respectives des parties, les restrictions à la jouissance des lieux et les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative. Il en est de même des obligations imposées au locataire au-delà de celles qui découlent de la loi ou des usages. Les améliorations apportées aux lieux loués au cours du bail à renouveler ne sont prises en considération que si, directement ou indirectement, notamment par l'acceptation d'un loyer réduit, le bailleur en a assumé la charge.
Les obligations découlant de la loi et génératrices de charges pour l'une ou l'autre partie depuis la dernière fixation du prix peuvent être invoquées par celui qui est tenu de les assumer.
Il est aussi tenu compte des modalités selon lesquelles le prix antérieurement applicable a été originairement fixé.
* Sur la taxe foncière
Le paiement de la taxe foncière incombe en principe au propriétaire du bien immobilier même si celui-ci peut, en application de l’article R. 145-35, 3°, du code de commerce, en répercuter le coût sur le preneur.
Si le transfert à la charge du preneur du paiement de la taxe foncière demeure une charge exorbitante du droit commun, que cette pratique soit ou non usuelle dans les termes de comparaison cités, la minoration qu’elle implique au sens de l’article R. 145-8 du code de commerce peut soit résulter du choix d’un prix unitaire minoré tenant compte des modalités de fixation du prix des baux de référence, soit de l’application - a posteriori - d’un abattement.
En l’espèce, les termes de comparaison versés aux débats ne comportent aucune indication relative au transfert à la charge du preneur du paiement de la taxe foncière.
Dans ces conditions, la somme de 1.747 € (sur laquelle les parties s’accordent) sera déduite de la valeur locative ultérieurement déterminée.
* Sur les transformations et réparations rendues nécessaires par l’activité
Le contrat de bail stipule que “le preneur aura à sa charge exclusive toutes les transformations et réparations nécessitées par l’exercice de son activité. Ces transformations ne pourront être faites qu’après avis favorable et sous le contrôle de l’architecte du bailleur, dont les honoraires et vacations seront à la charge du preneur.” Il prévoit aussi que “le preneur ne pourra faire dans les locaux, sans le consentement exprès et par écrit du bailleur, aucune démolition, aucun percement de murs ou de cloisons, ni aucun changement de distribution. En cas d’autorisation, ces travaux seront exécutés sous le contrôle de l’architecte du bailleur comme il a été dit ci-dessus”.
Lors de la conclusion du contrat de bail, le bailleur a expressément autorisé le preneur à réaliser, à ses frais, tous les travaux nécessaires à la création d’une agence bancaire et à l’exercice de son activité. Une liste non-exhaustive desdits travaux a été dressée.
Or, l’autorisation donnée par le bailleur, dès la conclusion du bail, pour la réalisation de divers travaux diffère de l’hypothèse dans laquelle le preneur peut effectuer tous travaux sans autorisation ni supervision du bailleur. Si la dernière est exorbitante du droit commun, la première ne l’est pas.
La demande de majoration de la valeur locative de 10 % sera, en conséquence, rejetée.
* Sur la clause de cession du droit au bail
Il s’infère des dispositions de l’article L. 145-16 du code de commerce que, si le bailleur ne peut interdire à son preneur de céder son droit au bail à l’acquéreur de son fonds de commerce, il peut s’opposer à toute autre cession.
Le contrat de bail liant les parties stipule que “le preneur pourra, sans avoir besoin [du consentement exprès et par écrit du bailleur], consentir une cession du bail à son successeur dans le commerce. Le preneur ou ses éventuels successeurs pourra (sic) également céder son droit au bail au profit d’une personne physique ou morale exerçant une ou plusieurs activités visées ci-dessus, même à un non-successeur, ainsi que faire apport dudit droit au bail par voie de fusion ou de scission au profit des Caisses d’Epargne, ou de change, établissements bancaires ou financiers, de crédit ou d’assurances, étant entendu que cette opération ne pourra avoir pour effet d’entraîner une modification quelconque des activités autorisées (...)”.
Si la cession du droit au bail à l’acquéreur du fonds de commerce relève, effectivement, des prévisions légales de l’article L. 145-16 du code de commerce, la clause litigieuse est plus large puisqu’elle permet une cession libre à toute autre cessionnaire pourvu que ce dernier exerce une ou plusieurs activités conformes à la destination contractuelle (même s’il n’acquiert pas le fonds de commerce existant). Il s’agit donc bien d’une clause exorbitante du droit commun.
Pour autant, la clause de destination du bail, à laquelle la cession est subordonnée, est particulièrement restreinte. Seule une majoration de 1 % de la valeur locative sera, par conséquent, octroyée.
Sur les prix couramment pratiqués dans le voisinage
En vertu de l’article R. 145-11 du code de commerce, le prix du bail des locaux à usage exclusif de bureaux est fixé par référence aux prix pratiqués pour des locaux équivalents, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence.
Les dispositions des deuxième et troisième alinéas de l'article R. 145-7 sont en ce cas applicables.
Dans son rapport, l’expert judiciaire vise une vingtaine de termes de comparaison portant sur des agences bancaires (à l’exception d’une seule), avec un panachage entre nouvelles locations, renouvellements amiables et fixations judiciaires. La seule référence située à [Localité 4] porte sur des locaux de 108 m2p, à destination de bar-brasserie, dont le prix unitaire a été fixé, au 1er septembre 2019, à hauteur de 278 € (renouvellement amiable). Les autres références portent sur des locaux situés dans d’autres communes, à la population bien plus importante. Les différences existant entre les locaux référencés et les locaux litigieux ne sont pas précisées, sauf pour quatre termes de comparaison pour lesquels l’expert fait état d’une belle situation d’angle, d’emplacements de stationnement attachés au bail ou d’une activité différente. L’expert indique “qu’un certain nombre [de références] sont mieux placées en termes de commercialité”. Elle conclut à un prix unitaire de
300 € / m2p.
Si la SCI le Chat qui pêche se prévaut d’une prétendue corrélation entre le revenu moyen de la population et le niveau de loyer, les éléments fournis par l’expert en réponse à son dire infirment cette analyse. En tout état de cause, la détermination du prix unitaire ne peut valablement se fonder sur une corrélation et il appartenait au bailleur, s’il l’estimait opportun, de verser aux débats des éléments complémentaires susceptibles d’établir une meilleure commercialité des locaux litigieux par rapport à ceux référencés.
Enfin, il convient de rappeler que les offres locatives ne constituent pas des prix “pratiqués” au sens de l’article R. 145-11 du code de commerce.
Ainsi, en tenant compte :
- des facteurs locaux de commercialité (un bon emplacement, au coeur du centre-ville de [Localité 4], à proximité immédiate de commerces de proximité et d’un marché de plein air hebdomadaire, avec une commercialité résidentielle),
- de la destination des lieux (banque, caisse d’épargne et de prévoyance, assurances, crédit, change et organismes financiers et toutes activités statutaires),
- des caractéristiques du local considéré (adaptées à l’activité exercée, avec un immeuble en bon état d’usage et d’entretien, une visibilité renforcée depuis la voie publique et de bons équipements ; mais avec un accès PMR limité au rez-de-chaussée et un 2ème étage hors d’usage),
- de la surface pondérée (82,88 m2),
- des obligations respectives des parties (abattement au réel de la taxe foncière, majoration de 1 % pour la clause de cession),
- des prix couramment pratiqués dans le voisinage au cours du bail expiré (références produites, corrections à apporter en considération des communes concernées et de l’activité exercée),
- de l’ensemble des développements précédents,
Le prix unitaire des locaux sera fixé à hauteur de 300 € / m2 (auquel le preneur acquiesce) pour une valeur locative annuelle de 24.864 € hors charges et hors taxes, avec application :
- d’une majoration de 1 % pour la clause de cession du bail,
- un abattement au réel du montant de la taxe foncière, de 1.747 €,
Pour une valeur locative annuelle de 23.365,64 €, hors charges et hors taxes, au 1er avril 2020. La valeur locative étant inférieure au montant du loyer provisionnel acquitté, la demande d’intérêts sur le rappel de loyers formée par la SCI le Chat qui pêche est sans objet.
Sur les autres demandes
Sur les dépens
Conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
Dans la mesure où chacune des parties a intérêt à la fixation du loyer en renouvellement, les dépens de l’instance, en ce compris les frais d’expertise, seront partagés entre elles par moitié.
Sur les frais irrépétibles
Aux termes de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à ces condamnations.
En l’espèce, chaque partie conservera à sa charge les frais irrépétibles qu’elle a exposés pour faire valoir ses droits.
Sur l’exécution provisoire
En application de l’article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la décision rendue n’en dispose autrement.
PAR CES MOTIFS
Le Juge des loyers commerciaux, statuant publiquement, par jugement contradictoire rendu en premier ressort :
DECLARE irrecevables les demandes tendant à statuer sur les clauses et conditions du bail renouvelé, à l’exception du montant du loyer, et à prononcer une condamnation en paiement sur les éventuels rappels de loyer,
FIXE, à compter du 1er avril 2020, le montant du loyer du bail renouvelé liant la SCI le Chat qui pêche à la Caisse d’épargne et de prévoyance
Île-de-France pour les locaux situés [Adresse 5] à
[Localité 4] (78) à la valeur locative de 23.365,64 €, hors charges et hors taxes,
RAPPELLE que la présente décision est un titre exécutoire qui permet au créancier d’agir à ses risques et péril en exécution forcée pour recouvrer le trop-perçu de loyer sous réserve du recours au droit d’option prévu par l’article L. 145-57 du code de commerce,
PARTAGE par moitié entre les parties les dépens de l’instance, en ce compris les frais de l’expertise judiciaire,
DIT que chaque partie conservera à sa charge les frais irrépétibles qu’elle a exposés pour la défense de ses droits,
RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.
Ainsi fait, jugé et prononcé par mise à disposition au greffe le 21 MARS 2024, par Madame GARDE, Juge des Loyers Commerciaux, assistée de Madame LOPES DOS SANTOS, Greffier, lesquelles ont signé la minute du présent jugement.
LE GREFFIERLE JUGE DES LOYERS COMMERCIAUX
Carla LOPES DOS SANTOS Angéline GARDE