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04/07/2024 | FRANCE | N°23/00566

France | France, Tribunal judiciaire de Saint-Denis de La Réunion, Chambre des référés, 04 juillet 2024, 23/00566


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE ST DENIS


MINUTE N°

CHAMBRE DES REFERES
AFFAIRE N° RG 23/00566 - N° Portalis DB3Z-W-B7H-GRYT
NAC : 97Z

JUGEMENT STATUANT SELON
LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE AU FOND

AUDIENCE DU 04 Juillet 2024






















DEMANDERESSE


S.A.S. EASY CLEAN
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Rep/assistant : Me Doriane DOMITILE, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION


DEF

ENDERESSE


LA CAISSE D’ALLOCATIONS FAMILIALES DE LA REUNION
[Adresse 1]
[Localité 3]
Rep/assistant : Me Chafi AKHOUN, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION


COMPOSITION DE LA JURIDICTION


LO...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE ST DENIS

MINUTE N°

CHAMBRE DES REFERES
AFFAIRE N° RG 23/00566 - N° Portalis DB3Z-W-B7H-GRYT
NAC : 97Z

JUGEMENT STATUANT SELON
LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE AU FOND

AUDIENCE DU 04 Juillet 2024

DEMANDERESSE

S.A.S. EASY CLEAN
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Rep/assistant : Me Doriane DOMITILE, avocat au barreau de SAINT-PIERRE-DE-LA-REUNION

DEFENDERESSE

LA CAISSE D’ALLOCATIONS FAMILIALES DE LA REUNION
[Adresse 1]
[Localité 3]
Rep/assistant : Me Chafi AKHOUN, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

LORS DES DÉBATS :

Président : Sophie PARAT
Greffier : Marina GARCIA 
Audience Publique du : 27 Juin 2024

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Jugement prononcé le 04 Juillet 2024, par décision contradictoire en dernier ressort, et par mise à disposition au greffe de la juridiction par Madame Sophie PARAT, Vice-présidente, assistée de Madame Marina GARCIA, Greffier 

Copie exécutoire à Maître AKHOUN délivrée le :
Copie certifiée conforme à Maître DOMITILE délivrée le :

EXPOSE DU LITIGE

Le 25 août 2023, la Caisse d’allocations familiales (ci-après, CAF) de la REUNION a publié un avis d’appel public à la concurrence en vue de l’attribution d’un marché public de services de nettoyage pour ses locaux. Cet appel d’offre portait sur un marché alloti, chaque lot correspondant à un secteur géographique de l’île (Lot n°1 : secteur Nord, Lot n°2 : secteur Est, Lot n°3 : secteur Ouest, Lot n°4 : secteur Sud).

La date limite de réception des offres était fixée au 21 septembre 2023 à 12h00.

La société EASY CLEAN, actuel prestataire de services de nettoyage pour le secteur Sud, a déposé des offres pour l’ensemble des lots.

Par courrier du 18 octobre 2023, la société EASY CLEAN était informée du rejet de son offre pour le lot n°1 au motif du caractère irrégulier de son offre. La société EASY CLEAN n’a pas contesté ce rejet.

Concernant les lots n°2, n°3 et n°4, il lui était adressé une demande de précisions en vue de la régularisation de ses offres pour ces lots, suspectées d’être anormalement basses et, en outre, irrégulières.

La société EASY CLEAN n’a apporté aucune réponse à ces demandes de précisions.

Par courrier du 5 décembre 2023, la CAF de la REUNION adressait à la Société EASY CLEAN un courrier de notification de rejet de ses offres pour les lots n°2, n°3 et n°4.

Par acte de commissaire de justice en date du 13 décembre 2023, la SAS EASY CLEAN a assigné la Caisse d’Allocations Familiales devant la présidente du tribunal judiciaire de Saint-Denis, dans le cadre d’un référé précontractuel.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées électroniquement le 24 avril 2024, elle demande à la juridiction de :
ANNULER la procédure de passation du lot n°4 - Nettoyage des locaux situés dans le SUD,ANNULER la décision du 5 décembre 2023 par laquelle l’offre qu’elle a présentée pour le lot n°4 a été rejetée,ANNULER la décision portant attribution du marché,CONDAMNER la CAF de La Réunion à verser à la société EASY CLEAN une somme de 3.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la SAS EASY CLEAN fait valoir que l’offre de la société attributaire du lot n°4 est irrégulière, dès lors qu’elle ne respecte pas l’obligation de reprise du personnel prévue par la convention collective applicable. Elle précise qu’en vertu de la convention collective applicable, trois de ses salariés remplissent les conditions rendant obligatoire la reprise de leur contrat de travail par le nouvel attributaire du marché. Elle estime que la société attributaire ne s’est pas conformée à son obligation de reprise du personnel, et que la carence du pouvoir adjudicateur est sans incidence sur l’irrégularité de l’offre. Elle fait en outre valoir que l’absence d’identité des marchés est inopérante, l’article 7 de la convention collective ne prévoyant nullement cette condition pour appliquer l’obligation de reprise du personnel. Elle précise enfin que, la convention collective exigeant seulement que le changement de prestataire résulte de la cessation d’un marché public, la circonstance que le précédent contrat ait été conclu sans mise en concurrence, est inopérante, dès lors que ce contrat est bien un marché public tel que défini par l’article L. 1111-1 du code de la commande publique. Elle rajoute que seuls les salariés peuvent invoquer le principe selon lequel le transfert d’un contrat de travail est soumis à leur accord.
En réponse à la CAF, elle soutient que depuis l’arrêt Clean Building du Conseil d’Etat, il est devenu possible à un concurrent évincé dont l’offre était irrégulière de se prévaloir de l’irrégularité de l’offre de l’attributaire. Elle prétend qu’en pareil cas, le concurrent évincé n’a pas à justifier d’un intérêt lésé. Elle précise encore que la jurisprudence n’exige aucune identité de motifs entre les irrégularités de l’offre du concurrent évincé et celles de l’offre de l’attributaire.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées électroniquement le 12 avril 2024, la CAF demande à la juridiction de:
IN LIMINE LITIS, ET A TITRE PRINCIPAL, REJETER comme irrecevables les demandes de la société EASY CLEAN ; A TITRE SUBSIDIAIRE, REJETER les demandes de la société EASY CLEAN ; CONDAMNER la société EASY CLEAN à payer à la CAF de LA REUNION la somme de 5 000 en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
En défense, la CAF fait valoir à titre principal, que les prétentions de la SAS EASY CLEAN sont fondées sur des moyens inopérants, en ce que la jurisprudence exige toujours que le requérant justifie d’un intérêt lésé, et en ce qu’elle exige également une identité de motifs entre l’irrégularité de l’offre du candidat évincé et l’irrégularité potentielle de l’offre de l’attributaire. Elle fait également valoir que la preuve d’une absence de reprise du personnel par l’attributaire n’est nullement démontrée. Elle invoque l’article 6.1.3 du CCAP qui renvoie à l’article 6 du CCAG-FCS, imposant au titulaire, une fois le CCAP devenu contractuel à la signature du contrat, de respecter notamment les obligations prévues par les conventions collectives concernant la protection de la main d’œuvre.
A titre subsidiaire, elle soutient que les demandes de la SAS EASY CLEAN sont infondées, arguant notamment que les marchés conclu précédemment avec ESAY CLEAN et nouvellement attribué ne sont pas strictement identiques, et qu’il n’est pas démontré que les salariés éligibles à la reprise de leur contrat de travail l’accepteraient.

Pour le surplus, il convient de se référer aux écritures des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

A l’issue de l’audience du 27 juin 2024, les parties ont été informées par la juridiction que la décision était mise en délibéré et serait rendue par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le moyen tiré de l’irrégularité de l’offre de l’attributaire :

Aux termes de l’article 2 de l’ordonnance n°2009-515 du 7 mai 2009 relative aux procédures de recours applicables aux contrats de la commande publique : “En cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par des pouvoirs adjudicateurs des contrats de droit privé ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, les personnes ayant intérêt à conclure l'un de ces contrats et susceptibles d'être lésées par ce manquement peuvent saisir le juge avant la conclusion du contrat.
La demande est portée devant la juridiction judiciaire.”

Il revient au juge du référé précontractuel de « rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente » (CE, sect., 3 oct. 2008, n° 305420, SMIRGEOMES).

En dernier lieu, il a été jugé que « la circonstance que l'offre du concurrent évincé, auteur du référé contractuel, soit irrégulière ne fait pas obstacle à ce qu'il puisse se prévaloir de l'irrégularité de l'offre de la société attributaire du contrat en litige » (CE, 7ème – 2ème chambres réunies, 27 mai 2020, n° 435982, CLEAN BUILDING).

En l’état du droit actuel, le moyen tiré de l’irrégularité de l’offre de l’attributaire est opérant, même pour un candidat dont l’offre était irrégulière. Il s’agit bien là d’une question d’opérance du moyen, et non d’une question d’intérêt à agir comme le soutenait la CAF.

Aux termes de l’article L. 2152-2 code de la commande publique : « Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. »

En l’espèce, l’offre de la SAS EASY CLEAN a été rejetée par la CAF comme irrégulière aux motifs qu’elle n’avait pas apporté de réponse au courrier du 18 octobre 2023 par lequel il lui avait été demandé de justifier des prix proposés dans son offre et de régulariser son offre.

La SAS EASY CLEAN invoque l’irrégularité de l’offre de la société attributaire en ce qu’elle ne respecterait pas l’obligation de reprise des personnels prévue par la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011. L’article 7.1 de ladite convention stipule que « Les présentes dispositions s'appliquent aux employeurs et aux salariés des entreprises ou établissements exerçant une activité relevant des activités classées sous le numéro de code APE 81.2, qui sont appelés à se succéder lors d'un changement de prestataire pour des travaux effectués dans les mêmes locaux, à la suite de la cessation du contrat commercial ou du marché public. ». L’article 7.2 de la même convention collective stipule que « le transfert des contrats de travail s'effectue de plein droit par l'effet du présent dispositif et s'impose donc au salarié dans les conditions prévues ci-dessous. (…) Le maintien de l'emploi entraînera la poursuite du contrat de travail au sein de l'entreprise entrante ; le contrat à durée indéterminée se poursuivant sans limitation de durée ; le contrat à durée déterminée se poursuivant jusqu'au terme prévu par celui-ci. »

En l’espèce, la société requérante, qui ne dispose pas de l’offre de la société attributaire, se contente d’invoquer, comme seul élément de preuve au soutien de l’irrégularité de l’offre de l’attributaire, sa pièce 11, dont elle déduit que la CAF a considéré qu’aucune obligation de reprise du personnel n’existait sur ce lot n°4 et qu’elle n’a pas transmis aux candidats les éléments permettant d’adapter leur prix à l’obligation de reprise du personnel. Or, la pièce 11 n’est nullement un courrier électronique émanant de la CAF, en réponse à la société EASY CLEAN. Il s’agit de courriers électroniques de la société EASY CLEAN adressés à la CAF, le 16 septembre 2023, dans lesquels la société s’étonne de ne pas voir apparaître, dans le tableau de reprise du personnel, d’éléments pour l’antenne de [Localité 5]. Si, dans son message, la société a inséré’ ce qui est présenté comme une réponse de la CAF rédigée comme suit : « Bonjour, il n’y a pas de reprise du personnel pour l’antenne de [Localité 5]. Cordialement. », l’adresse de l’auteur de ce message n’apparaît nulle part, de sorte qu’il n’est pas possible d’être certain que la CAF en soit l’auteur. En outre, la société EASY CLEAN ne verse pas aux débats le tableau litigieux relatif à la reprise du personnel, dans lequel elle prétend qu’il manquerait les éléments d’information relatifs à l’antenne de [Localité 5]. Enfin, et surtout, la société EASY CLEAN ne craint pas de se contredire en affirmant dans ses écritures qu’ « aucune liste sur les salariés bénéficiant de cette reprise n’a été sollicitée à ce titre par le pouvoir adjudicateur » (page 28), alors que figure au bas de sa pièce 11 un mail du service marchés de la CAF en date du 20 mars 2023, demandant à la société EASY CLEAN de lui communiquer les effectifs qui réalisent les prestations prévues au cahier des charges du contrat relatif au nettoyage CAF SUD en cours, les éléments salariaux et tout élément d’information que la société jugerait utile à la reprise des personnels dans le cadre du nouveau marché.

Au surplus, comme le fait valoir la CAF, l’article 6.1.3 du cahier des clauses administratives particulières du marché litigieux renvoie à l’article 6 du cahier des clauses administratives générales – FCS, en vertu duquel les obligations prévues par les lois, règlements et conventions collectives relatifs à la protection de la main d’œuvre s’imposent au titulaire. Il est donc bien contractuellement prévu que l’obligation de reprise du personnel s’imposera, lorsque le contrat sera signé.

En l’état de ces éléments, alors qu’il n’est démontré ni que la CAF n’aurait pas respecté, dans la procédure de d’attribution du contrat, les obligations de mise en concurrence en s’affranchissant de fournir aux candidats les informations concrètes et chiffrées relatives à la reprise du personnel, ni que l’offre de l’attributaire serait irrégulière pour ne pas respecter cette obligation conventionnelle de reprise du personnel, les demandes de la société EASY CLEAN seront rejetées.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La demanderesse, qui succombe, sera condamnée aux dépens, ainsi qu’à verser la somme de 2 000 euros à la défenderesse.

PAR CES MOTIFS

La présidente, statuant selon la procédure accélérée au fond,

REJETTE l’ensemble des demandes de la SAS EASY CLEAN ;

CONDAMNE la SAS EASY CLEAN aux entiers dépens de l’instance,

CONDAMNE la SAS EASY CLEAN à payer à la Caisse d’Allocations Familiales de La RÉUNION, la somme de 2 000 (deux mille) euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

RAPPELLE que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire,

LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Saint-Denis de La Réunion
Formation : Chambre des référés
Numéro d'arrêt : 23/00566
Date de la décision : 04/07/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 10/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-04;23.00566 ?
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