30 Août 2024
RG N° 24/02920 - N° Portalis DB3U-W-B7I-NZZW
Code Nac : 5AD Baux d’habitation - Demande du locataire ou de l’ancien locataire tendant au maintien dans les lieux
Madame [C] [E]
Monsieur [O] [L]
C/
Monsieur [M] [P]
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PONTOISE
JUGE DE L’EXÉCUTION
---===ooo§ooo===---
JUGEMENT
ENTRE
PARTIE DEMANDERESSE
Madame [C] [E]
domiciliée : chez Maître Emilie VAN HEULE - CABINET EVODROIT
[Adresse 2]
[Localité 4]
Monsieur [O] [L]
domicilié : chez Maître Emilie VAN HEULE - CABINET EVODROIT
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Maître Emilie VAN HEULE de la SCP EVODROIT, avocat au barreau du VAL D’OISE
ET
PARTIE DÉFENDERESSE
Monsieur [M] [P]
[Adresse 1]
[Localité 5]
représenté par Me Edith COGNY, avocat au barreau de VERSAILLES
COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DE L’AUDIENCE
Président : Madame CHLOUP, Vice-Présidente
Assistée de : Madame MARETTE, Greffier
COMPOSITION DU TRIBUNAL LORS DE LA MISE A DISPOSITION
Président : Madame CHLOUP, Vice-Présidente
Assistée de : Madame CADRAN, Greffier
DÉBATS
A l'audience publique tenue le 28 Juin 2024 en conformité du code des procédures civiles d’exécution et de l’article L213-6 du code de l’organisation judiciaire, l’affaire a été évoquée et mise en délibéré, par mise à disposition au greffe, au 30 Août 2024.
La présente décision a été rédigée par [R] [N], juriste assistante, sous le contrôle du Juge de l’exécution.
EXPOSE DU LITIGE
Par assignation du 21 mai 2024, le Juge de l'Exécution du Tribunal judiciaire de PONTOISE a été saisi par Mme [C] [E] et M. [O] [L], sur le fondement des articles L.412-3 et suivants du code des procédures civiles d’exécution, d'une demande tendant à l'octroi de délais avant l'expulsion du logement sis [Adresse 3] à [Localité 6], à la suite du commandement de quitter les lieux délivré le 19 mai 2024 à la requête de M. [M] [P].
L’affaire a été appelée à l’audience du 28 juin 2024.
A l’audience, Mme [C] [E] et M. [O] [L], représentés par leur conseil qui plaide sur son assignation, demandent un délai de 12 mois pour quitter les lieux, en faisant état de leurs difficultés financières, la perte de leur emploi et de leurs recherches de logement qui n'ont pas encore abouti. Ils soutiennent que la procédure d’expulsion n’est pas régulière et que les délais sont suspendus car il n’est pas justifié de la saisine concomitante du représentant de l’Etat à la délivrance du commandement de quitter les lieux. Ils font valoir que Mme [C] [E] est en contrat d’intérim depuis 3 mois et que M. [L] a créé une société de consulting récemment mais qu’il n’est pas rémunéré et ne perçoit pour l'instant aucun bénéfice. Ils précisent qu’ils ont déposé une demande de logement social et un dossier DALO, indiquent que leur famille se trouve à l’étranger et qu’ils n’ont pas de solution de relogement ou d’hébergement.
M. [M] [P], représentée par son conseil qui plaide sur ses conclusions visées à l’audience, s'oppose à l'octroi de délais. Il actualise la dette à la somme de 18.751,36 euros et réclame 2 .000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Il fait valoir qu’il est retraité et que le loyer représente pour lui un complément de revenus. Il soutient que les demandeurs disposent de plus de 4.500 euros de revenus et devraient être en capacité de régler les 1.000 euros de loyer.
Le jugement sera rendu contradictoirement.
La décision a été mise en délibéré au 30 août 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la régularité de la procédure d’expulsion et la suspension du délai avant expulsion
L’article L412-5 du code de procédure civile d’exécution dispose « dès le commandement d'avoir à libérer les locaux, l'huissier de justice chargé de l'exécution de la mesure d'expulsion en saisit le représentant de l'Etat dans le département afin que celui-ci en informe la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives prévue à l'article 7-2 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, et qu'il informe le ménage locataire de la possibilité de saisir la commission de médiation en vue d'une demande de relogement au titre du droit au logement opposable. A défaut de saisine du représentant de l'Etat dans le département par l'huissier, le délai avant l'expiration duquel l'expulsion ne peut avoir lieu est suspendu.
La saisine du représentant de l'Etat dans le département par l'huissier et l'information de la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives par le représentant de l'Etat dans le département s'effectuent par voie électronique par l'intermédiaire du système d'information prévu au dernier alinéa du même article 7-2. »
En outre, l’article R412-2 précise « lorsque l'expulsion porte sur un lieu habité par la personne expulsée ou par tout occupant de son chef, le juge qui ordonne l'expulsion ou qui, avant la délivrance du commandement d'avoir à libérer les locaux mentionné à l'article L. 411-1, statue sur une demande de délais présentée sur le fondement des articles L. 412-3 et L. 412-4 peut, même d'office, décider que l'ordonnance ou le jugement sera transmis, par les soins du greffe, au préfet du département, en vue de la prise en compte de la demande de relogement de l'occupant dans le cadre du plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées prévu par la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement.
Pour l'application de l'article L. 412-5, l'huissier de justice envoie au préfet du département du lieu de situation de l'immeuble, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par voie électronique, copie du commandement d'avoir à libérer les locaux.
Dans toute la mesure du possible, il communique tous renseignements relatifs à l'occupant dont l'expulsion est poursuivie ainsi qu'aux personnes vivant habituellement avec lui. »
Le demandeur soutient qu’il est n’est pas justifié au commandement de quitter les lieux de la saisine concomitante du représentant de l’Etat.
Or, il ressort des pièces produites par le défendeur que le commandement de quitter les lieux a été délivré le 19 mars 2024 et que la préfecture du val d’Oise a été saisie par voie électronique le 22 mars 2024.
En conséquence, la procédure d’expulsion est régulière et le délai avant l’expiration duquel l’expulsion ne peut avoir lieu n’est pas suspendu.
La demande sera donc rejetée.
Sur la demande de délais avant expulsion
Aux termes de l'article L.412-3 du code des procédures civiles d’exécution dans sa rédaction issue de la loi du 27 juillet 2023 entrée en vigueur le 29 juillet suivant, « le juge de l'exécution du lieu de situation de l'immeuble peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou à usage professionnel, dont l'expulsion aura été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne pourra avoir lieu dans des conditions normales.
Le juge qui ordonne l'expulsion peut accorder les mêmes délais dans les mêmes conditions.
Cette disposition n'est pas applicable en cas d'exercice par le propriétaire de son droit de reprise dans les conditions de l'article 19 de la loi n°48-1360 du 1er septembre 1948 (…), lorsque la procédure de relogement effectuée en application de l'article L442-4-1 du code de la construction et de l'habitation n'a pas été suivie d'effet du fait du locataire ou lorsque ce dernier est de mauvaise foi.
Les deux premiers alinéas du présent article ne s 'appliquent pas lorsque les occupants dont l'expulsion a été ordonnée sont entrés dans les locaux à l'aide de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte ».
L'article L 412-4 précise que “la durée des délais prévus à l'article L. 412-3 ne peut, en aucun cas, être inférieure à un mois ni supérieure à un an. Pour la fixation de ces délais, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l'occupant dans l'exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l'occupant, notamment en ce qui concerne l'âge, l'état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d'eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l'occupant justifie avoir faites en vue de son relogement. Il est également tenu compte du droit à un logement décent et indépendant, des délais liés aux recours engagés selon les modalités prévues aux articles L. 441-2-3 et L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation et du délai prévisible de relogement des intéressés.”
Il appartient donc au juge de respecter un juste équilibre entre deux revendications contraires en veillant à ce que l'atteinte au droit du propriétaire soit proportionnée et justifiée par la sauvegarde des droits du locataire, dès lors que ces derniers apparaissent légitimes.
Dans le cas où la juridiction préalablement saisie, a d’ores et déjà statué sur une demande de délais pour rester dans les lieux, des délais ne peuvent être accordés par le juge de l’exécution que sur la justification d’éléments nouveaux.
En l'espèce, l'expulsion est poursuivie en vertu d’un jugement rendu le 22 février 2024 par la chambre de proximité du tribunal judiciaire de PONTOISE, réputé contradictoire, qui a notamment :
- constaté la résiliation du bail et autorisé l'expulsion de Mme [C] [E] et M. [O] [L],
- condamné solidairement Mme [C] [E] et M. [O] [L] à payer la somme de 8.230,10 euros au titre des loyers et charges impayés, outre une indemnité d'occupation égale au montant des loyers et charges, ainsi que 300 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Cette décision a été signifiée le 19 mars 2024 et un commandement de quitter les lieux a été délivré le même jour.
Il convient de rechercher si la situation personnelle de Mme [C] [E] et M. [O] [L] leur permet de bénéficier de délais avant son expulsion.
Il résulte des débats et des pièces produites, les éléments suivants :
Mme [C] [E] et M. [O] [L] disposent de revenus mensuels de 4373 euros, soit 2406 euros d’allocations retour à l’emploi et 1967 euros de salaire. Le couple a deux enfants mineurs à charge, lesquels sont scolarisés dans une école privée. M. [O] [L] justifie être l’unique associé d’une société spécialisée dans le consulting et ne pas percevoir de rémunération. Mme [C] [E] produit quant à elle une attestation de son employeur indiquant qu’il envisage de l’embaucher en qualité de responsable projet comptable dans le cadre d’un CDI après une mission d’intérim de 3 mois.
Ils justifient également de leurs charges mensuelles, notamment les frais de scolarité de leurs enfants (409€ +308€ sur 9 mois), leur facture d’énergie (131,44€), les assurances et la mutuelle (30,96€ + 209,77€ +189€ +128,99€), soit un total de 1438,12 euros. Ils ont également souscrit trois crédits à la consommation (échéances de 451,09€ +276,27€ +162,38€) soit un total de 889,74 euros.
Au vu du décompte produit arrêté au 29 mai 2024, la dette locative s’élève à 18.751,36 euros. La dette est en augmentation et l'indemnité d'occupation courante de 1046,02 euros n'est pas réglée. A la lecture du décompte, il apparait que le dernier règlement, d’un montant de 1.368,16 euros, est intervenu le 1er août 2023 et qu’aucune somme n’a été versée depuis.
Ainsi, au regard des revenus mensuels dont disposent les demandeurs, de leurs charges et de l’absence constatée de règlement depuis plus d’un an, Mme [C] [E] et M. [O] [L], qui sont responsables de leurs choix de vie, n’ont réalisé aucun effort de paiement et n'apparaissent pas de bonne foi envers leur bailleur.
M. [M] [P] mentionne les difficultés générées par cette situation. Il signale qu’une précédente procédure avait été engagée en 2019, qu’un jugement rendu le 11 juin 2020 avait déjà prononcé la résiliation du bail mais que les consort [E] et [L] avaient respecté l’échéancier ainsi que les délais accordés jusqu’en octobre 2022. Il rappelle qu’il est retraité, qu’il est privé depuis plusieurs mois de ce revenu et qu’il doit assumer financièrement les charges locatives afférentes au logement occupé par les demandeurs, ces derniers étant défaillants.
Mme [C] [E] et M. [O] [L] justifient avoir réalisé des démarches en vue de leur relogement. En effet, ils ont déposé une demande de logement social le 10 avril 2024, soit postérieurement à la délivrance du commandement de quitter les lieux. Ils produisent également un formulaire CERFA n° 15036*01 de recours amiable devant la commission départementale de médiation en vue d’une offre de logement complété et daté au 21 juin 2024 mais ne prouvent pas l’avoir déposé. Toutefois, ils n’ont réalisé aucune recherche dans le parc privé et leurs démarches dans le parc social s’avèrent toutes récentes. Ainsi, ils ne démontrent pas que leur relogement ne peut intervenir dans des conditions normales.
En outre, ils ont déjà bénéficié de délais de fait, puisque le commandement de payer a été délivré le 16 janvier 2023 et le jugement d’expulsion prononcé le 22 février 2024. Enfin, Mme [C] [E] et M. [O] [L] n’ont réalisé aucun effort de paiement puisque l’indemnité d’occupation courante n’est pas réglée, même partiellement, alors que leurs ressources le leur permettaient.
La situation personnelle de Mme [C] [E] et M. [O] [L] ne saurait donc justifier leur maintien dans les lieux sans limite de temps et sans contrepartie financière, au détriment du propriétaire légitime. Il ne peut en effet être imposé au bailleur l'aggravation de la dette locative qu'il subit du fait de l'absence de règlement des indemnités d’occupation mettant en péril sa propre situation.
Eu égard à l'ensemble de ces éléments et à la situation respective des parties, il n'y a pas lieu d'accorder les délais sollicités.
En conséquence, la demande sera rejetée.
Mme [C] [E] et M. [O] [L], partie perdante, supporteront les dépens et devront participer aux frais de procédure hors dépens exposés par M. [M] [P] au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LE JUGE DE L'EXÉCUTION,
Statuant par jugement en premier ressort et contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe ;
Déclare régulière la procédure d’expulsion ;
Rejette la demande de délais d'expulsion présentée par Mme [C] [E] et M. [O] [L] pour le logement qu'ils occupent au [Adresse 3] à [Localité 6] ;
Condamne Mme [C] [E] et M. [O] [L] à payer à M. [M] [P] la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Mme [C] [E] et M. [O] [L] aux dépens ;
Dit que la présente décision sera adressée par le secrétariat-greffe, par lettre simple, au Préfet du VAL D'OISE - Service des Expulsions ;
Rappelle que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de droit,
Fait à Pontoise, le 30 Août 2024
Le Greffier, Le Juge de l'Exécution,