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31/05/2024 | FRANCE | N°21/02946

France | France, Tribunal judiciaire de Pontoise, Troisième chambre civile, 31 mai 2024, 21/02946


TROISIEME CHAMBRE CIVILE

31 Mai 2024

N° RG 21/02946 - N° Portalis DB3U-W-B7F-MB4Z

Code NAC : 35F

[W], [L] [U]

C/

S.C.I. JTO
[Y] [N]

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PONTOISE
La Troisième Chambre Civile du Tribunal judiciaire de Pontoise, statuant publiquement, par décision contradictoire et en premier ressort assistée de Océane UTRERA, Greffier a rendu le 31 mai 2024, par mise à disposition au greffe, le jugement dont la teneur suit et dont ont délibéré :

Madame LEAUTIER, Première Vice-présidente
Madame CHOU, Magistrat à ti

tre temporaire
Madame QUENTIN, Juge placée

Sans opposition des parties l'affaire a été plaidée le 22 Mars 2024 devant...

TROISIEME CHAMBRE CIVILE

31 Mai 2024

N° RG 21/02946 - N° Portalis DB3U-W-B7F-MB4Z

Code NAC : 35F

[W], [L] [U]

C/

S.C.I. JTO
[Y] [N]

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PONTOISE
La Troisième Chambre Civile du Tribunal judiciaire de Pontoise, statuant publiquement, par décision contradictoire et en premier ressort assistée de Océane UTRERA, Greffier a rendu le 31 mai 2024, par mise à disposition au greffe, le jugement dont la teneur suit et dont ont délibéré :

Madame LEAUTIER, Première Vice-présidente
Madame CHOU, Magistrat à titre temporaire
Madame QUENTIN, Juge placée

Sans opposition des parties l'affaire a été plaidée le 22 Mars 2024 devant Coline QUENTIN, siégeant en qualité de Juge Rapporteur qui a été entendu en son rapport par les membres de la Chambre en délibéré.

Jugement rédigé par : Coline QUENTIN

--==o0§0o==--

DEMANDEUR

Monsieur [W], [L] [U], né le [Date naissance 1] 1970 à [Localité 9], demeurant [Adresse 2], représenté par Me Clément LODY, avocat au barreau de PARIS, plaidant, et Me Fanny COUTURIER, avocate au barreau du VAL D’OISE, postulante

DÉFENDERESSES

S.C.I. JTO, dont le siège social est sis [Adresse 2], représentée par Me Véronique FAUQUANT, avocat au barreau du VAL D’OISE

Madame [Y] [N], née le [Date naissance 3] 1972 à [Localité 7], demeurant [Adresse 6], représentée par Me Véronique FAUQUANT, avocat au barreau de VAL D’OISE

--==o0§0o==--

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Monsieur [W] [U] et Madame [Y] [N] [K] se sont mariés le [Date mariage 5] 2007 devant l’officier d’état civil de [Localité 8], sans avoir fait précéder leur union d’un contrat de mariage.

En 2004, antérieurement à leur mariage, Monsieur [U] et Madame [N] [K] avaient constitué ensemble la SCI JTO, société civile immobilière au capital de 215 000 euros, dont le siège social est situé [Adresse 2], immatriculée au RCS de Pontoise sous le numéro 452 453 434, afin d’acquérir le domicile conjugal établi à la même adresse. Madame [N] a été nommée gérante de ladite société suivant statuts constitutifs en date du 20 février 2004. Madame [N] et Monsieur [U] sont les deux seuls associés de la société, à parts égales.

Le divorce de Monsieur [U] et de Madame [N] a été prononcé, aux torts exclusifs de Monsieur [U], par jugement du tribunal de grande instance de Pontoise en date du 27 juin 2019. Par un arrêt du 2 février 2023, la cour d’appel de Versailles, statuant sur l’appel interjeté par Madame [N] s’agissant des conséquences patrimoniales du divorce, a condamné Monsieur [U] à verser à Madame [N] la somme de 10.000 euros de dommages et intérêts, de 70.000 euros à titre de prestation compensatoire et de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles.

Suivant acte notarié reçu par Maître [T] [B] le 2 juillet 2019, la SCI JTO a cédé le bien immobilier sis [Adresse 2], seul actif de la société, pour un prix net de commissions de 395.000 euros.

Par courrier recommandé en date du 28 janvier 2021, Monsieur [U] a mis en demeure Madame [N], en sa qualité de gérante de la SCI JTO, de lui communiquer :
- l’intégralité des décisions collectives intervenues depuis le 1er janvier 2018, notamment celles relatives à la décision de vendre le seul bien immobilier,
- l’intégralité des décisions de la gérance intervenues depuis le 1er janvier 2018,
- la justification de toutes les sommes payées (commission d’agence, frais, impôts etc…) par la société consécutivement à la vente du bien immobilier,
- le relevé du compte bancaire de la société au 31 janvier 2021,
et d’avoir à procéder à la répartition du produit de cession du bien vendu et à la dissolution de la société.

Par exploit introductif d’instance en date du 21 mai 2021, Monsieur [U] a fait assigner la SCI JTO et Madame [N] devant le présent tribunal aux fins de dissolution judiciaire et de liquidation de la SCI JTO et, subsidiairement, aux fins de révocation de Madame [N] en qualité de gérante de la SCI JTO.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 14 septembre 2022, Monsieur [U] a fait sommation à Madame [N] de lui communiquer, outre la documentation sociale déjà sollicitée :
- l’ensemble des comptes annuels correspondant aux exercices clos de la SCI JTO depuis sa constitution,
- la justification de la ventilation du compte 455000 entre chacun des associés de la société.
Aux termes du même courrier, il a également sollicité le remboursement immédiat de son compte courant d’associé, pour un montant de 27.220 euros.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Aux termes de ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 18 décembre 2023, Monsieur [U] demande au tribunal, au visa des articles 1844-7 et suivants, 1848 et suivants, 1855 et suivants et 1869 du code civil, 73, 74, 789, 791, 138 et suivants du code de procédure civile, de :
“ A titre liminaire :
- DECLARER IRRECEVABLE la demande de sursis à statuer formée par Madame [Y] [N],
Avant dire droit :
- ORDONNER à Madame [Y] [N] de produire, sous une astreinte de 500 € par jour de retard, dans le cadre de la présente procédure et dans un délai de 5 jours à compter de la décision en ce sens du Tribunal de céans :
- l’intégralité des décisions collectives de la société JTO intervenues depuis le 1er janvier 2018,
- l’intégralité des décisions de la gérance de ladite société intervenues depuis le 1er janvier 2018,
- la justification de toutes les sommes payées (commission d’agence, frais, impôts etc…) par la société JTO consécutivement à la vente du bien immobilier,
- les comptes sociaux détaillés et le grand livre au 31 décembre 2022,
- le détail des comptes courants d’associés de la SCI, et notamment du compte 455000.
A titre principal :
- DIRE que la SCI JTO souffre d’une paralysie de fonctionnement consécutive à la mésentente des associés égalitaires ;
En conséquence :
- PRONONCER la dissolution judiciaire de la SCI JTO à la date du jugement à intervenir ;
- ORDONNER la liquidation consécutive de la SCI JTO ;
- DESIGNER tel liquidateur qu’il plaira au Tribunal afin de procéder aux opérations de liquidation de la SCI JTO et à leur clôture sous un délai de 6 mois ;
A titre subsidiaire :
- AUTORISER le retrait de Monsieur [W] [U] de la SCI JTO pour justes motifs ;
En conséquence :
- ORDONNER le remboursement de la valeur des droits sociaux de Monsieur [W] [U] ;
A titre infiniment subsidiaire :
- PRONONCER la révocation judiciaire de Madame [Y] [N] en qualité de gérante de la SCI JTO à raison des fautes de gestion répétées dont elle est à l’origine ;
En conséquence :
- DESIGNER tel administrateur judiciaire qu’il plaira au Tribunal afin de diriger la SCI JTO ;
En tout état de cause :
- ORDONNER le remboursement intégral du compte-courant d’associé de Monsieur [W] [U] soit la somme 27 220 euros apparaissant dans les comptes au 31.12.2021 à compléter du compte-courant réel à reconstituer depuis la date de constitution de la société en 2004,
- CONDAMNER Madame [Y] [N] à rembourser à la SCI JTO la somme de 24 100 euros correspondant au prêt d’argent qu’elle s’est accordé sans autorisation de la collectivité des associés,
- ENJOINDRE à Madame [Y] [N], en qualité de gérante de la SCI JTO, de justifier des sommes engagées par la SCI JTO à hauteur de 79 571,30 € et des bénéficiaires de ces paiements,
- CONDAMNER Madame [Y] [N], en qualité de gérante de la SCI JTO, à verser à Monsieur [W] [U] la somme de 6 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
- CONDAMNER Madame [Y] [N], en qualité de gérante de la SCI JTO, aux entiers dépens,
- DIRE n’y avoir pas lieu à écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir”.

Il fait notamment valoir :
- que la demande de sursis à statuer formulée par Madame [N] est irrecevable dès lors que cette exception de procédure n’a pas été soulevée in limine litis et n’est pas adressée au juge de la mise en état ; que cette demande n’est en tout état de cause pas fondée dès lors qu’elle ne repose sur aucun élément nouveau susceptible d’avoir une incidence sur l’issue du litige, aucun notaire n’ayant été désigné amiablement pour procéder aux opérations de liquidation et partage du régime matrimonial ;
- qu’il sollicite avant dire droit et sous astreinte la production de la documentation sociale déjà sollicitée par courriers du 28 janvier 2021 et du 14 septembre 2022 pour les besoins de la procédure ;
- A titre principal et au soutien de sa demande de dissolution et de liquidation de la société JTO, que la mésentente des associés paralyse le fonctionnement de la société, notamment en ce que Madame [N] s’abstient de convoquer conformément à la loi et aux statuts les assemblées générales annuelles depuis plusieurs années ; il ajoute qu’en tout état de cause les difficultés de communication entre les associés égalitaires aboutiraient nécessairement à des désaccords systématiques ;
- A titre subsidiaire, sur le retrait de Monsieur [U] de la SCI JTO, que la perte de l’affectio societatis résultant de la séparation du couple constitue un juste motif de retrait ; que ce retrait doit entrainer en conséquence le remboursement de la valeur de ses droits sociaux ;
- A titre infiniment subsidiaire, sur la demande de révocation de la gérante et la désignation d’un administrateur judiciaire, Monsieur [U] fait valoir que Madame [N] a commis plusieurs fautes de gestion en manquant aux obligations légales et statutaires inhérentes à sa fonction de gérante ;
- En tout état de cause, Monsieur [U] sollicite le règlement de la situation des comptes courants d’associés, indiquant d’une part que Madame [N] s’est consenti un prêt d’argent par la SCI JTO sans autorisation de la collectivité des associés et, d’autre part, qu’il est en droit de solliciter à tout moment le remboursement de son propre compte courant d’associé.

Dans leurs dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 8 novembre 2023, Madame [N] et la SCI JTO demandent au tribunal de :
“A titre principal
- SURSEOIR à statuer dans l’attente du partage de la communauté des Epoux [N] [K] – [U]
A titre subsidiaire
- DEBOUTER Monsieur [W] [U] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions.
A titre plus subsidiaire, et si par impossible le Tribunal estimait devoir révoquer Madame [Y] [N] – [K] et désigner un administrateur judiciaire
- JUGER que l’administrateur ne pourra procéder à aucun partage ni aucune répartition des fonds détenus par la SCI JTO avant la liquidation définitive du régime matrimonial des Epoux [N]-[K] – [U].
- JUGER qu’il n’y a lieu à exécution provisoire.
- CONDAMNER Monsieur [W] [U] à verser à Madame [Y] [N] –[K] une somme de 5.000,00 € sur le fondement de l’article 700 du CPC ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance”.

Elle expose notamment que :
- Sur la demande avant dire droit de Monsieur [U] visant à la production sous astreinte de la documentation sociale, Madame [N] fait valoir que cette demande est sans objet dès lors qu’aucune décision collective ni décision de la gérance n’est intervenue concernant la question des comptes depuis l’origine de la société, que la délibération de l’assemblée générale en vue de la vente du domicile conjugal a été produite, de même que l’ensemble des comptes annuels correspondant aux exercices clos de la SCI JTO depuis sa constitution et la documentation concernant les comptes courants d’associés ;
- Au soutien de sa demande de sursis à statuer, elle fait valoir que des comptes sont à faire entre les parties dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, raison pour laquelle elle s’oppose à ce que son ex-époux puisse percevoir quelque somme que ce soit provenant du produit de la vente de leur domicile avant qu’un partage soit intervenu ;
- Pour s’opposer à la demande de Monsieur [U] visant à la dissolution de la société JTO, Madame [N] soutient que, si elle est bien le gérant de droit de la SCI JTO, Monsieur [U] en était le gérant de fait ; qu’elle ne s’est toutefois jamais affranchie des obligations qui sont les siennes en sa qualité de gérante ; que depuis la vente du domicile conjugal le fonctionnement de la société est résiduel, de sorte que la mésentente des associés, qu’elle ne conteste pas, n’est pas de nature à bloquer le fonctionnement de la société. Elle ajoute qu’il est impératif que les actifs de la société ne soient pas partagés avant que les droits de chacun ne soient déterminés dans le cadre de la liquidation du régime matrimonial, le train de vie dispendieux de Monsieur [U] laissant craindre qu’il ne dilapide les fonds ;
- Sur la demande subsidiaire de Monsieur [U] visant à son retrait de la SCI JTO, Madame [N] admet que la perte de l’affectio societatis est un juste motif de retrait mais soutient que la motivation du demandeur est d’obtenir le partage des fonds détenus par la SCI. Elle estime dès lors qu’il existe un intérêt légitime à rejeter sa demande tant que les droits des parties dans le cadre des opérations de liquidation de la communauté n’auront pas été déterminés ;
- Sur la demande de révocation de ses fonctions de gérante, Madame [N] soutient qu’elle n’a commis aucune faute de gestion, qu’elle justifie de l’ensemble des dépenses engagées et qu’elle a été contrainte d’emprunter de l’argent via son compte courant d’associé de la SCI JTO mais n’a eu aucune volonté de détourner ces fonds au préjudice de Monsieur [U] ;
- Sur la demande de règlement de la situation des comptes courants d’associés, Madame [N] expose ne pas être en mesure de rembourser son compte courant débiteur.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs moyens respectifs.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 18 janvier 2024. A l’issue de l’audience de plaidoiries du 22 mars 2024, la décision a été mise en délibéré au 31 mai 2024.

MOTIFS

Il sera préliminairement rappelé qu’au sens de l’article 4 du code de procédure civile, les demandes des parties tendant à une constatation ou à un donner acte ou à voir dire et juger ne constituent pas des prétentions auxquelles il appartient à cette juridiction de répondre.

I - Sur la demande de sursis à statuer formée par Madame [N] et la SCI JTO

Aux termes de l’article 73 du code de procédure civile, constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours. En application de l’article 74 du même code, les exceptions de procédure doivent, à peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.

La décision de sursis à statuer, prévue à l’article 378 du même code, suspend le cours de l’instance pour le temps ou jusqu’à la survenance de l’événement qu’elle détermine. Ainsi, en application des articles 73 et 74 du code de procédure civile, la demande de sursis à statuer est une exception de procédure qui doit être présentée in limine litis, à peine d’irrecevabilité.

Par ailleurs, il résulte des dispositions de l’article 789 du code de procédure civile que, lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent pour statuer sur les exceptions de procédure. Les parties ne sont plus recevables à soulever ces exceptions ultérieurement, à moins qu’elles ne surviennent ou soient révélées postérieurement au dessaisissement du juge de la mise en état.

Le juge de la mise en état est saisi, conformément aux dispositions de l’article 791 du code de procédure civile, par des conclusions qui lui sont spécialement adressées distinctes des conclusions au sens de l’article 768.

En l’espèce, Madame [N] et la SCI JTO forment, dans leurs dernières conclusions, une demande de sursis à statuer dans l’attente du partage de la communauté des époux [N] [K] - [U].

Or, il convient de relever d’une part que cette demande intervient au terme du troisième jeu de conclusions des défenderesses, et alors que des moyens de défense au fond avaient déjà été soulevés par ces dernières. D’autre part, force est de constater qu’il ne ressort pas de la procédure que cette demande ait été soulevée devant le juge de la mise en état par des conclusions qui lui auraient été spécialement adressées, alors que le juge de la mise en état est seul compétent pour statuer sur les exceptions de procédure et que les défenderesses n’allèguent aucun élément nouveau survenu postérieurement à son dessaisissement.

Dans ces conditions, la demande de sursis à statuer présentée par Madame [N] et la SCI JTO est irrecevable.

II - Sur la demande avant dire droit de production de pièces sous astreinte formée par Monsieur [U]

En application de l’article 138 du code de procédure civile, si, dans le cours d’une instance, une partie entend faire état d’une pièce détenue par un tiers, elle peut demander au juge saisi de l’affaire d’ordonner la production de ladite pièce. L’article 139 prévoit que le juge peut ordonner la production de la pièce dans les conditions et sous les garanties qu’il fixe, au besoin à peine d’astreinte.

Aux termes de l’article 142 du même code, les demandes de production des éléments de preuve détenus par les parties sont faites, et leur production a lieu, conformément aux dispositions des articles 138 et 139.

Il résulte cependant des articles 788 et 791 du code de procédure civile que le juge de la mise en état exerce tous les pouvoirs nécessaires à la communication, à l’obtention et à la production des pièces et que ce dernier doit être saisi en ce sens par des conclusions qui lui sont spécialement adressées distinctes des conclusions au sens de l’article 768 du même code.

En l’espèce, dans ses conclusions au fond, Monsieur [U] sollicite avant dire droit que soit ordonné à Madame [N] de produire dans un délai de 5 jours et sous astreinte de 500 euros par jour de retard :
- l’intégralité des décisions collectives de la société JTO intervenues depuis le 1er janvier 2018 ;
- l’intégralité des décisions de la gérance de ladite société intervenues depuis le 1er janvier 2018 ;
- la justification de toutes les sommes payées par la société JTO consécutivement à la vente du bien immobilier ;
- les comptes sociaux détaillés et le grand livre au 31 décembre 2022 ;
- le détail des comptes courants d’associés de la SCI, et notamment du compte 455000.

Il appartenait cependant à Monsieur [U] de saisir le juge de la mise en état de cette demande par des conclusions spécialement adressées. A défaut, cette demande est irrecevable devant le présent tribunal.

III - Sur la demande principale en dissolution de la SCI JTO

Aux termes de l’article 1844-7 5°) du code civil, la société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé, ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.

Si l’associé à l’origine de la mésentente est mal-fondé à solliciter la dissolution de la société, tel n’est pas le cas lorsque cette mésentente ne peut être imputée à un associé en particulier.

En application de l’article 1844-8 du même code, la dissolution de la société entraîne sa liquidation, hormis les cas prévus à l’article 1844-4 et au troisième alinéa de l’article 1844-5. Elle n’a d’effet à l’égard des tiers qu’après sa publication.

En l’espèce, il résulte des pièces versées au dossier et des écritures des parties elles-mêmes qu’il existe une mésentente manifeste entre Monsieur [U] et Madame [N], associés égalitaires de la SCI JTO, et ce depuis l’introduction de leur procédure de divorce courant 2018. Au-delà de leurs désaccords personnels et des griefs exposés dans le cadre du divorce, qui n’intéressent pas la présente procédure, force est de constater que cette mésentente s’est traduite par une situation de blocage dans la gestion courante de la société. Il est en effet admis par les deux parties qu’aucune assemblée générale n’a été convoquée par Madame [N] entre la date de la vente du bien immobilier et le 21 juillet 2021. Il ressort par ailleurs du procès-verbal de cette assemblée générale que Monsieur [U] ne s’est pas présenté, ce dernier indiquant seulement par un courrier du 19 juillet 2021 qu’il ne s’estimait pas suffisamment éclairé pour approuver les comptes de la société et qu’il ne serait “naturellement pas en mesure de se déplacer” pour cette assemblée. L’ensemble des résolutions soumises aux délibérations de l’assemblée ont ainsi été rejetées, le quorum n’étant pas atteint. Il est également constant qu’aucune autre assemblée générale n’a été convoquée par Madame [N] depuis lors, de sorte que les comptes n’ont pas été approuvés depuis 2018 et que le siège social de la SCI JTO se trouve toujours fixé à l’adresse du bien vendu en 2019.

Force est par ailleurs de constater que, même à supposer que des assemblées générales soient convoquées, il est manifeste que la mésentente entre Monsieur [U] et Madame [N] est telle qu’aucune décision collective ne pourrait être prise, les associés égalitaires s’opposant radicalement sur la question des comptes, de la gestion de la société et de son avenir.

Il est également manifeste que les associés ont perdu toute confiance mutuelle, Monsieur [U] reprochant, entre autres, à Madame [N] de gérer la SCI JTO de manière opaque et dans son seul intérêt personnel, tandis que cette dernière l’accuse de dissimuler ses revenus et de détourner l’actif de la communauté. S’il n’appartient pas au présent tribunal de se prononcer sur le bien fondé de ces allégations, il n’est pas contestable que les rapports particulièrement conflictuels entretenus par les parties empêchent toute décision collective dans l’intérêt de la société et paralysent, de fait, son fonctionnement, même résiduel.

Il y a donc lieu de constater que la disparition de l’affectio societatis et la mésentente grave et persistante entre les associés, qui ne peut être imputée exclusivement à l’un ou à l’autre, et qui se traduit par la paralysie du fonctionnement normal de l’activité de la société, caractérisent de justes motifs autorisant la dissolution judiciaire de la SCI JTO.

Compte tenu de la discorde entre les parties, il conviendra de désigner au dispositif du présent jugement un liquidateur judiciaire.

Les demandes présentées par Monsieur [U] à titre subsidiaire et infiniment subsidiaire sont dès lors sans objet.

IV - Sur les demandes de remboursement des comptes courants d’associés

Si aucune disposition légale n’interdit aux sociétés civiles immobilières de consentir un prêt d’argent à leurs associés et dirigeants, il est en revanche constant que ce prêt doit être autorisé par la collectivité des associés.

Il est par ailleurs de jurisprudence constante qu’en l’absence de convention particulière ou statutaire le régissant, la caractéristique essentielle du compte courant d’associé est d’être remboursable à tout moment.

En l’espèce, Monsieur [U] sollicite le remboursement par Madame [N] de son compte courant d’associé débiteur à hauteur de 24.100 euros, exposant que cet emprunt réalisé auprès de la SCI JTO n’a pas été autorisé par la collectivité des associés.
Il sollicite par ailleurs le remboursement de son propre compte courant d’associé créditeur à hauteur de 27.220 euros.

Madame [N] expose qu’elle n’est pas en mesure de rembourser son compte courant débiteur, ne disposant pas de trésorerie.

Il n’est cependant pas contesté que Madame [N] s’est consenti un prêt d’argent de 25.000 euros par le biais de son compte courant d’associée au sein de la SCI JTO, et ce sans obtenir l’accord de la collectivité des associés. Il ressort ainsi du bilan actif détaillé de la SCI JTO au 31 décembre 2022 que son compte courant d’associé est débiteur à hauteur de 24.100 euros, ce qu’elle admet. Nonobstant sa situation financière personnelle, dans la mesure où aucune décision collective n’a autorisé cet emprunt, il y a lieu de condamner Madame [N] à rembourser à la SCI JTO la somme de 24.100 euros.

Il ressort par ailleurs du bilan passif détaillé de la SCI JTO au 31 décembre 2022 que le compte courant d’associé de Monsieur [U] est créditeur à hauteur de 27.220 euros. Le demandeur a sollicité le remboursement immédiat de son compte courant d’associé par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 14 septembre 2022, en vain. Conformément à la demande de ce dernier, la SCI JTO sera donc condamnée à lui rembourser la somme de 27.220 euros.

V - Sur les demandes relatives aux frais du procès

En vertu de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. En l’espèce, compte tenu de la nature du litige et des comportements respectifs des deux associés qui ont chacun contribué à la survenance du litige, les dépens seront supportés par moitié par chacun de ces derniers.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a lieu à condamnation. En l’espèce, au regard de la nature du litige, de l’économie générale du dossier mais également de la situation financière de Madame [N], dont elle justifie, il sera dit n’y avoir lieu à condamnation en application de l’article 700.

En application de l'article 514-1 du code de procédure civile, il y a lieu d’écarter l’exécution provisoire de droit dès lors que, le présent jugement prononçant la dissolution de la SCI JTO, l’exécution provisoire apparaît incompatible avec la nature de l’affaire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal,

DECLARE IRRECEVABLE la demande de sursis à statuer présentée par Madame [Y] [N] [K] et la SCI J.T.O. ;

DECLARE IRRECEVABLE la demande avant dire droit présentée par Monsieur [W] [U] tendant à la production de pièces sous astreinte ;

PRONONCE la dissolution judiciaire de la SCI J.T.O., société civile immobilière au capital de 215 000 euros, dont le siège social est situé [Adresse 2], immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Pontoise sous le numéro 452 453 434 ;

DIT que cette dissolution judiciaire entraîne la liquidation de la SCI J.T.O ;

DIT que la liquidation de la SCI J.T.O n'aura d'effet à l'égard des tiers qu'après sa publication, que la personnalité morale de la société subsistera pour les besoins de la liquidation jusqu'à la publication de la clôture de celle-ci, que la nomination du liquidateur sera publiée conformément aux dispositions réglementaires, que le liquidateur aura tous pouvoirs pour terminer les affaires en cours lors de la survenance de la dissolution, réaliser les éléments d'actif, en bloc ou par éléments, à l'amiable aux enchères, recevoir le prix, donner quittance, régler le passif, transiger, compromettre, agir en justice, acquiescer, et généralement faire ce qui est nécessaire pour mener à bonne fin les opérations de liquidation ;

DIT qu'après extinction du passif, le liquidateur constatera la clôture des opérations de liquidation qui feront l'objet d'une publication et que l'actif net subsistant sera réparti entre les associés par moitié entre eux, le liquidateur disposant de tous pouvoirs à l'effet d'opérer les répartitions nécessaires ;

DESIGNE en qualité de liquidateur de cette société la SELARL MMJ, prise en la personne de Maître [I] [C] - [Adresse 4] avec la mission ci-dessus précisée ;

DIT que la rémunération du liquidateur sera prise en charge directement par la SCI J.T.O ;

CONDAMNE Madame [Y] [N] [K] à rembourser à la SCI J.T.O. la somme de 24.100 euros correspondant au montant débiteur de son compte courant d’associé ;

CONDAMNE la SCI J.T.O. à rembourser à Monsieur [W] [U] la somme de 27.220 euros correspondant au montant figurant au crédit de son compte courant d’associé ;

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

DIT n’y avoir lieu à condamnation au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

DIT que les dépens seront supportés par moitié par Monsieur [W] [U] et Madame [Y] [N] [K] ;

ECARTE l’exécution provisoire de droit du présent jugement.

Fait à Pontoise le 31 mai 2024

LE GREFFIERLE PRESIDENT

Madame UTRERA Madame LEAUTIER


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Pontoise
Formation : Troisième chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/02946
Date de la décision : 31/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 16/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-31;21.02946 ?
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