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28/05/2024 | FRANCE | N°21/03836

France | France, Tribunal judiciaire de Pontoise, Première chambre, 28 mai 2024, 21/03836


PREMIERE CHAMBRE

28 Mai 2024

N° RG 21/03836 - N° Portalis DB3U-W-B7F-MEIH
63B

[A] [S] épouse [V]

C/

[T] [P]


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PONTOISE

La Première Chambre du Tribunal judiciaire de Pontoise, statuant publiquement, par décision contradictoire et en premier ressort, assistée de Cécile DESOMBRE, Greffier a rendu par mise à dispostion au greffe le 28 mai 2024, le jugement dont la teneur suit et dont ont délibéré :

Monsieur Didier FORTON, Premier Vice-Président
Madame Anne COTTY, Première Vice-Présidente Adjointe


Madame Aude BELLAN, Vice-Présidente

Jugement rédigé par Didier FORTON, Premier Vice-Président

Date des débats : 02 ...

PREMIERE CHAMBRE

28 Mai 2024

N° RG 21/03836 - N° Portalis DB3U-W-B7F-MEIH
63B

[A] [S] épouse [V]

C/

[T] [P]

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PONTOISE

La Première Chambre du Tribunal judiciaire de Pontoise, statuant publiquement, par décision contradictoire et en premier ressort, assistée de Cécile DESOMBRE, Greffier a rendu par mise à dispostion au greffe le 28 mai 2024, le jugement dont la teneur suit et dont ont délibéré :

Monsieur Didier FORTON, Premier Vice-Président
Madame Anne COTTY, Première Vice-Présidente Adjointe
Madame Aude BELLAN, Vice-Présidente

Jugement rédigé par Didier FORTON, Premier Vice-Président

Date des débats : 02 avril 2024, audience collégiale

--==o0§0o==--

DEMANDERESSE

Madame [A] [S] épouse [V], demeurant [Adresse 1]

représentée par Me Loredana FABBIANI, avocat postulant au barreau du Val d’Oise, et assistée de Me Dina COHEN SABBAN, avocat plaidant au barreau de Paris

DÉFENDERESSE

Madame [T] [P], demeurant [Adresse 2]

représentée par Me Michel RONZEAU, avocat au barreau du Val d’Oise

--==o0§0o==--

Aux termes de son testament reçu en la forme authentique par Maître [E] [P] le 4 mars 2011, Madame [U] [O] a institué pour légataires universels Monsieur [B] [R] et Madame [A] [S] épouse [V]. Cette dernière était employée au titre d'un contrat indéterminé par Madame [O] depuis 2010.

A compter du 13 décembre 2010 et jusqu'à son décès le 7 mai 2019, Madame [U] [O] a séjourné au sein de la [Adresse 3].

Maître [T] [P], qui était chargée du règlement de la succession, a indiqué à Madame [S] qu'en sa qualité de dame de compagnie, elle était frappée d'une incapacité de recevoir au regard de la loi du 28 décembre 2015 et que, en ce sens, elle ne pouvait bénéficier des sommes de la succession de Madame [O]. Cette incapacité a été mentionnée dans l'acte de notoriété en date du 18 octobre 2019 ainsi que dans l'attestation du Notaire du règlement de la succession en date du 21 octobre 2019.

Madame [S] était également écartée du bénéfice des contrats d'assurance-vie souscrits par la de cujus en raison de cette incapacité soulevée dans l'acte de notoriété.

Par jugement du 23 novembre 2021, le tribunal judiciaire de Pontoise a déclaré que Madame [V] ne pouvait être frappée d'une incapacité de recevoir et devait bénéficier du contrat d'assurance-vie n° 38010066 souscrit en 2022 avec GENERALI par la de cujus pour une somme de 49 571,26 €.

Par courrier en date du 8 avril 2021, le Conseil de Madame [S] a demandé à Maître [P] de procéder à une déclaration de sinistre auprès de son assurance de responsabilité civile professionnelle et a sollicité la transmission de la déclaration de succession de l'acte liquidatif. Le 19 avril 2021, Maître [T] [P], en réponse, a déclaré transmettre la déclaration à la Chambre interdépartementale des Notaires de Versailles tout en précisant ne pas être d'accord avec l'analyse du Conseil de Madame [S] sur la succession.

Par assignation du 31 mai 2021, Madame [A] [S] épouse [V] a attrait Maître [T] [P] devant le tribunal judiciaire de Pontoise aux fins de sa condamnation en versement de dommages et intérêts.

Par ordonnance en date du 7 février 2023, le juge de la mise en état a débouté Madame [S] de sa demande de sommation de communiquer la réponse de l'Administration fiscale suite à la consultation par le Notaire du fichier des contrats d'assurance-vie.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 06 juin 2023, Madame [A] [S] épouse [V] demande au tribunal judiciaire de Pontoise de condamner Maître [T] [P] à lui verser la somme de 200 000 € à titre de dommages et intérêts ( à titre subsidiaire, 6 949 €) outre 3 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.

A titre liminaire, la demanderesse indique, en réponse à l'argumentaire de la défense sur ce point, que la responsabilité du notaire peut être engagée sans contestation de la succession préalable. Au soutien de sa prétention principale, Madame [S] affirme, au visa des articles 1 et 2 du code civil, que l'article L116-4 du Code de l'action sociale et des familles invoquées en défense pour rejeter la capacité de recevoir de la demanderesse n'est pas applicable à son cas d'espèce. En outre, Madame [S] soutient, au visa de l'article 1240 du code civil, que le notaire a manqué à ses obligations en affirmant que la demanderesse n'avait pas de capacité à recevoir sans avoir effectué les diligences nécessaires pour se renseigner et en établissant, selon elle, un acte mensonger de déclaration de sa part, ce qui lui a, de facto, causé un préjudice en l'écartant de la succession.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 20 septembre 2023, Maître [T] [P] demande au tribunal judiciaire de Pontoise de :
- dire et juger Madame [S] irrecevable et mal fondée en ses demandes ;
- Débouter Madame [S] de l'intégralité de ses demandes ;
- Condamner Madame [S] à lui verser la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens.

A titre liminaire, la défenderesse invoque l'irrecevabilité des demandes de Madame [S] en responsabilité du notaire en ce qu'elle ne justifie pas d'une remise en cause de la succession. Au soutien de sa prétention principale, elle affirme que Madame [S] était présente à l'acte et a signé en parfaite connaissance de cause. En tout état de cause, Maître [T] [P] estime que Madame [S] ne justifie d'aucun préjudice indemnisable en lien de causalité avec les griefs qu'elle formule à son encontre. Par ailleurs, la défenderesse rappelle que, selon elle, elle ne pouvait transmettre l'acte sollicité sans violer le secret professionnel et que, en outre, la demanderesse avait la possibilité d'en solliciter la communication au visa de l'article 23 de la loi du 25 Ventôse AN XI, ce qu'elle n'a pas fait.

L'ordonnance de clôture du 25 janvier a fixé les plaidoiries au 04 avril 2024. La décision a été mise en délibéré au 28 mai 2024.

MOTIFS

Préalablement, sur l'argument de la défense relativement à la non remise en cause de la succession par la demanderesse, il convient de préciser à ce stade que l'engagement de la responsabilité du notaire n'est nullement conditionné à une remise en cause de la succession mais peut être engagée dès lors qu'un manquement professionnel ayant entraîné un préjudice est caractérisé.

Sur la responsabilité du notaire

En vertu de l'article 1240 du code civil, " tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ".

Les agissements du notaire en sa qualité d'officier ministériel constituent un bloc soumis à la responsabilité extracontractuelle. Les notaires doivent procéder à la vérification des conditions nécessaires pour assurer l'utilité et l'efficacité des actes. Ils ont ainsi une obligation d'information et de conseil à l'égard de leurs clients.

En l'espèce, Maître [T] [P] a rédigé un acte en date du 18 octobre 2019 ainsi qu'une attestation en date du 21 octobre 2019 déclarant l'incapacité de Madame [S] à percevoir les libéralités en faisant application de l'article L116-4 code action sociale des familles.

Toutefois, il ressort du jugement du 23 novembre 2021 du tribunal judiciaire de Pontoise que Madame [V] ne pouvait être frappée d'une telle incapacité de recevoir en ce qu'elle était employée d'un particulier et non d'un établissement d'accueil des personnes âgées et qu'elle devait alors percevoir les sommes du contrat d'assurance-vie de l'espèce souscrit avec GENERALI.

En tout état de cause, même si Madame [S] avait consenti à cette incapacité comme l'argue la défense, il reste que cette incapacité n'est pas régulière et qu'il était de la responsabilité du Notaire, en sa qualité de professionnel, de le relever.

Dès lors, le notaire a commis une faute professionnelle en déclarant Madame [S] frappée d'une incapacité de recevoir dans le cadre du testament de Madame [O].

Ainsi, Madame [S] a subi un préjudice financier découlant directement de ce manquement, à savoir le fait de ne pas avoir pu être destinataire des sommes dues dans le cadre dudit testament.

La responsabilité de Maître [T] [P] est donc pleinement engagée et celle-ci devra réparation à la demanderesse.

Sur le montant du préjudice

En raison de la déclaration initiale d'incapacité à recevoir de Madame [S], cette dernière n'a pas été en mesure de percevoir les sommes qui lui étaient dues en vertu du testament.

En effet, il ressort des éléments du dossier que Madame [S] était la seule légataire universelle de Madame [O] avec Monsieur [R]. En outre, la demanderesse était bénéficiaire de plusieurs contrats d'assurance-vie souscrit par la de cujus sans connaître le montant exact de ses sommes.

Néanmoins, le juge de la mise en état, par ordonnance en date du 7 février 2023, a débouté Madame [S] de sa demande de communication de la réponse de l'Administration fiscale relative à la consultation du FICOVIE. Dès lors, le Notaire n'avait pas à transmettre ces informations à la demanderesse et n'a donc pas commis de faute en ce sens.

En l'espèce, il ressort de la déclaration de succession de Madame [O] que Monsieur [R], l'autre légataire de la de cujus, est bénéficiaire de la somme de de 13 898 €, avec des droits de succession à hauteur de 7 382 €.

Madame [S] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe relativement au chiffrage de ses préjudices financiers autre que cette déclaration de succession.

En ce sens, le seul préjudice matériel indemnisable qu'il serait possible d'accorder à Madame [S], en l'absence de toute demande fondée sur le préjudice moral, sera celui-ci correspondant à sa demande subsidiaire en application de la déclaration de succession, à savoir la somme de 6 949 €.

Par conséquent, Maître [T] [P] sera condamnée à verser à Madame [S] la somme de 6 949 € de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier.

Sur les frais du procès et l'exécution provisoire

Aux termes de l'article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.

Succombant, Maître [T] [P] sera condamnée aux dépens.

Aux termes de l'article 700 du Code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

En l'espèce, l'équité commande d'allouer à Madame [A] [S] épouse [V] la somme de 3 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

L’exécution provisoire est de droit.

PAR CES MOTIFS

CONDAMNE Maître [T] [P] à verser à Madame [A] [S] épouse [V] les sommes suivantes :
- 6 949 € de dommages et intérêts au titre de son préjudice financier ;
- 3 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE Maître [T] [P] de l'intégralité de ses demandes ;

CONDAMNE Maître [T] [P] aux entiers dépens ;

Rappelle que l’exécution provisoire est de droit.

Ainsi fait et jugé à Pontoise, le 28 mai 2024.

Le Greffier, Le Président,
Madame DESOMBRE Monsieur FORTON


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Pontoise
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 21/03836
Date de la décision : 28/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-28;21.03836 ?
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