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27/05/2024 | FRANCE | N°21/02574

France | France, Tribunal judiciaire de Pontoise, Deuxième chambre civile, 27 mai 2024, 21/02574


DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

27 Mai 2024

N° RG 21/02574 - N° Portalis DB3U-W-B7F-MA4B
Code NAC : 50G

SA FREY
C/
SCI AGOSTINI


TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PONTOISE

La Deuxième Chambre Civile du Tribunal judiciaire de Pontoise, statuant publiquement, par décision contradictoire et en premier ressort assistée de Emmanuelle MAGDALOU, greffier a rendu le 27 mai 2024, par mise à disposition au greffe, le jugement dont la teneur suit et dont ont délibéré :

Madame CITRAY, vice-présidente
Madame ROCOFFORT, vice-présidente
Madame DARNAUD, m

agistrate honoraire

Sans opposition des parties l'affaire a été plaidée le 18 Mars 2024 devant Anita DARNAUD, s...

DEUXIEME CHAMBRE CIVILE

27 Mai 2024

N° RG 21/02574 - N° Portalis DB3U-W-B7F-MA4B
Code NAC : 50G

SA FREY
C/
SCI AGOSTINI

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PONTOISE

La Deuxième Chambre Civile du Tribunal judiciaire de Pontoise, statuant publiquement, par décision contradictoire et en premier ressort assistée de Emmanuelle MAGDALOU, greffier a rendu le 27 mai 2024, par mise à disposition au greffe, le jugement dont la teneur suit et dont ont délibéré :

Madame CITRAY, vice-présidente
Madame ROCOFFORT, vice-présidente
Madame DARNAUD, magistrate honoraire

Sans opposition des parties l'affaire a été plaidée le 18 Mars 2024 devant Anita DARNAUD, siégeant en qualité de Juge Rapporteur qui a été entendu en son rapport par les membres de la Chambre en délibéré. L’affaire a été mise en délibéré au 23 mai 2024, lequel a été prorogé à ce jour. Le jugement a été rédigé par [E] [F].

--==o0§0o==--

DEMANDERESSE

SA FREY, immatriculée au RCS de Reims sous le numéro398 248 591 dont le siège social est sis [Adresse 1]

représentée par Me Jean-Christophe LEROUX, avocat au barreau du Val d’Oise et assistée de Me Dominique ROUSSEL, avocat plaidant au barreau de Reims

DÉFENDERESSE

SCI AGOSTINI, immatriculée au RCS Pontoise sous le numéro 485 264 147 dont le siège social est sis [Adresse 2]

représentée par Me Pascal PIBAULT, avocat au barreau du Val d’Oise et assistée de Me Nelly VILA BERRADA, avocat plaidant au barreau de Paris

--==o0§0o==--
FAITS ET PROCEDURE

Suivant promesse unilatérale de vente en date du 12 février 2019, reçue par Maître [U] [D], notaire à Deuil la Barre, la SCI Agostini a promis de vendre à la société Frey des parcelles cadastrées section AV n° [Cadastre 7], [Cadastre 3], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 6], 994, 995, 997, 998 et 1001, situées sur le territoire de la commune d’Herblay (Val d’Oise), moyennant le prix de 8.000.000 € HT , soit 9.600.000 € TTC.

La promesse a été consentie pour une durée expirant le 1er juillet 2020 à 16 heures, sous diverses conditions suspensives et notamment l’obtention d’un/des permis de construire exprès, valant permis de démolir, et tenant lieu d’autorisation d’exploitation commerciale, ayant un caractère définitif, les conditions suspensives devant être réalisées au plus tard le 1er mai 2020, avec possibilité de prorogation de 6 mois du délai de leur réalisation.

Une indemnité d’immobilisation de 800.000 € était prévue dans la promesse, assortie d’un versement de 400.000 € par la société Frey au moment de la signature de promesse.

Suivant arrêté du 12 novembre 2020, le permis de construire sollicité était délivré par le Maire d’[Localité 8].

Par courrier recommandé en date du 26 novembre 2020, la société Frey demandait à la SCI Agostini de bien vouloir procéder au remboursement de l’indemnité d’immobilisation en faisant valoir que la condition suspensive prévue à la promesse n’avait pas été réalisée, l’arrêté de permis de construire délivré par le Maire d’Herblay comportant des prescriptions de nature à majorer le coût de la construction et à remettre en cause l’équilibre de l’opération.

Par courrier recommandé en date du 20 janvier 2021, elle réitérait sa demande de remboursement de l’indemnité d’immobilisation en invoquant la caducité de la promesse en raison d’un recours formé à l’encontre du permis de construire devant la cour administrative d’appel de Versailles.

Par courrier recommandé en date du 16 mars 2021, la SCI Agostini contestait la résiliation invoquée en considérant notamment que les permis de construire et de démolir avaient été accordés et mettait en demeure la société Frey de donner instruction au notaire de libérer la somme de 400.000 € et de leur verser le solde de l’indemnité d’immobilisation d’un montant de 400.000 € prévu dans la promesse de vente.

Par exploit en date du 30 avril 2021, la société Frey a fait assigner la SCI Agostini devant le tribunal judiciaire de Pontoise aux fins de la voir condamner lui restituer la somme de 400.000 €, actuellement séquestrée, outre des dommages et intérêts pour résistance abusive.

Dans ses dernières conclusions signifiées le 18 janvier 2024, elle demande au tribunal de :
- juger que les conditions suspensives insérées à la promesse unilatérale de vente ont objectivement défailli ;
- que la promesse unilatérale de vente du 12 février 2019 est caduque ;
- condamner la SCI Agostini à lui restituer la somme de 400.000 € , à ce jour séquestrée entre les mains de Maître [U] [D], notaire ;
- juger en conséquence que Maître [U] [D], notaire, sera tenu de lui restituer la somme de 400.000 € sur présentation du titre exécutoire ;
- débouter la SCI Agostini de l’ensemble de ses demandes ;
- condamner la SCI Agostini à lui verser la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive et celle de 12.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir :
que la promesse de vente qui expirait le 1er juillet 2020 et pouvait être prorogée sans que le délai de prorogation puisse excéder un délai de 6 mois, était en tout état de cause expirée au 31 décembre 2020 et donc caduque ; que la SCI Agostini n’a jamais émis le souhait de proroger la promesse par le biais d’un avenant ; que l’ensemble des conditions suspensives devait avoir été réalisé au plus tard le 1er mai 2020 à 18 heures avec un délai de prorogation de 6 mois, soit jusqu’au 31 octobre 2020 ;

que plusieurs de ces conditions ont défailli : qu’un recours a été formé à l’encontre de l’avis favorable de la commission départementale d’aménagement commercial (CDAC) du Val d’Oise ; que l’arrêté de permis de construire du 12 novembre 2020 a été obtenu au-delà du délai de réalisation des conditions suspensives et de validité de la promesse et contient des prescriptions entraînant des surcoûts de nature à remettre en cause l’équilibre économique du projet ; que ce permis de construire a fait l’objet d’un recours ; que la promesse conclue avec la SCI Agostini est indissociable de celle conclue avec les autres promesses.
Dans ses dernières conclusions signifiées le 13 février 2024, la SCI Agostini demande au tribunal de :
Juger que la société Frey a rompu de manière illicite les termes de la promesse de vente du 12 février 2019 ;Condamner la société Frey à lui verser l’intégralité de l’indemnité d’immobilisation d’un montant de 800.000 € prévue aux termes de la promesse de vente, assorti d’intérêts au taux légal à compter du 16 mars 2021 ;Autoriser Maître [U] [D], notaire, à lui restituer la somme de 400.000 € versée par la société Frey à titre d’indemnité d’immobilisation lors de la signature de la promesse de vente du 12 février 2019 ;Dire que la société Frey sera tenue de présenter un exemplaire du jugement à l’étude de Maître [U] [D] ;Condamner la société Frey au paiement du surplus de l’indemnité d’immobilisation d’un montant de 400.000 € ;Condamner la société Frey au paiement de la somme de 3.000.000 € à titre de dommages et intérêts pour perte de chance, assortie d’intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir,Débouter la société Frey de ses demandes,Condamner la société Frey à lui payer la somme de 10.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle expose que la promesse de vente pouvait valablement être prorogée sans aucun formalisme et que cette prorogation a été automatiquement réalisée lorsqu’un recours a été formée contre l’avis de la CDAC ; que les conditions suspensives ont été progressivement levées ; que le permis de construire a été délivré le 12 novembre 2020 ; que les motifs invoqués par la société Frey dans sa lettre du 26 novembre 2020 relatifs au coût du financement ne sont pas légitimes et sont exempts de bonne foi ; que la société Frey était informée depuis l’année 2018 des avancées du projet de construction du rond-point des copistes et elle était destinataire du coût de réalisation de ce rond-point ; qu’il n’existe aucune imprévisibilité au coût du rond-point connu depuis longtemps ; que la société Frey ne démontre pas la remise en cause de l’équilibre économique de son projet ; que de recours contre le permis de construire, invoqué après la période de réalisation des conditions suspensives prévues à la promesse, ne peut constituer un motif valable ; qu’en tout état de cause le recours a été abandonné, la cour administrative d’appel ayant mis fin à la procédure par ordonnance du 23 février 2022.

Elle souligne le comportement déloyal de la société Frey qui a envoyé sa lettre de résiliation le 26 novembre 2020, de nombreux mois après avoir été informée de l’ensemble des travaux et en la laissant réaliser des démarches durant un an et demi sans l’avertir alors que celle-ci devait au minimum faire jouer la clause de rencontre prévue à la promesse.

Pour plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, le tribunal renvoie aux conclusions susvisées.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 29 février 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la caducité de la promesse de vente

La promesse de vente unilatérale consentie au profit de la société Frey s’inscrit dans le cadre d’un projet de création d’un ensemble commercial à Herblay consistant en la réalisation d’un programme de construction d’un parc d’activités commerciales de deux niveaux avec parkings de 220 places minimum, l’assiette foncière du projet de construction, d’une superficie d’environ 9.010 m2, nécessitant la réunion de dix-huit parcelles dont celle de la SCI Agostini.

La promesse de vente du 12 février 2019 consentie par la SCI Agostini au profit de la société Frey stipule :
- que la promesse est consentie pour une durée expirant le 1er juillet 2020 à seize heures, sauf prorogations de délai prévues aux présentes et/ou le cas échéant convenues entre les parties après application de la clause de rencontre ; que le délai pourra être prorogé notamment en cas de recours contre l’avis de la Commission Départementale d’Aménagement commercial (CDAC) ou de recours contre le permis de construire [...] sans pouvoir excéder un délai de 6 mois de la durée ci-dessus fixée ;
- comme condition préalable et déterminante que le bénéficiaire de la promesse puisse régulariser des promesses avec l’ensemble des propriétaires des parcelles de l’assiette foncière du projet de construction, soit outre la présente promesse 1, les promesses 2, 3, 4, 5 ;
- que la promesse a été consentie sous la condition suspensive de l’obtention par le bénéficiaire, ou toute personne qu’il désignera, sur l’assiette foncière du projet de construction, d’un/des permis de construire exprès, valant permis de démolir, ayant un caractère définitif, c’est à dire purgé(s) de tout recours, retrait et déféré préfectoral, valant permis de démolir tenant lieu d’autorisation d’exploitation commercial conformément à l’article L.425-4 du code de l’urbanisme [...];
- une CLAUSE DE RENCONTRE énumérant une dizaine d’évènements parmi lesquels un recours contre l’avis de la CDAC ou un recours contre le permis de construire, de nature à entraîner l’organisation d’une concertation entre les parties sur les suites à donner à la promesse.

L’article relatif à la condition suspensive d’obtention du permis de construire comprend plusieurs stipulations et conditions particulières venant compléter ou préciser la condition d’obtention du permis et notamment un paragraphe ci-dessous repris:
“ Le(s) PcvAEG et PD ainsi obtenu(s) ne devra/ont pas comporter de prescription de (i) travaux entraînant des surcoûts de nature à remettre en cause l’équilibre économique du projet de construction ou (ii) PEPE, et plus généralement ne pas comporter de prescription ayant pour effet de majorer de quelque façon que ce soit les taxes, redevances, et/ou participations quelles qu’elles soient.

Il est constant que la société Frey a pu régulariser des promesses de vente avec l’ensemble des propriétaires des parcelles de l’assiette foncière du projet.

Dans un courrier du 26 novembre 2020, soit vingt mois environ après la signature de la promesse du 12 février 2019, la société Frey a demandé le remboursement de l’indemnité d’immobilisation en invoquant la caducité de la promesse au motif l’arrêté de permis de construire du 12 novembre 2020 qui lui a été délivré le Maire de la Commune d’[Localité 8], était assorti de diverses prescriptions de nature à remettre en cause l’équilibre de l’opération et à entraîner la non réalisation de la condition suspensive de permis de construire, celle-ci étant assortie d’une clause stipulant que le(s) PcvAEG et PD obtenu(s) ne devront pas comporter de prescription de travaux entraînant des surcoûts de nature à remettre en cause l’équilibre économique du projet de construction.

Dans un courrier ultérieur du 20 janvier 2021, la société Frey a réitéré sa demandé le remboursement de l’indemnité d’immobilisation en invoquant la caducité de la promesse pour un autre motif tiré du recours formé devant la Cour administrative d’appel à l’encontre du permis de construire du 12 novembre 2020.

Outre les motifs de caducité invoqués dans les courriers précités la société Frey soutient également, dans le cadre de cette instance, que la promesse est caduque pour expiration des délais prévus, aucun avenant de prorogation n’ayant été signé et la SCI Agostini n’ayant jamais émis le souhait de proroger la promesse par le biais d’un avenant.

Sur la caducité de la promesse pour expiration des délais

La promesse de vente, consentie pour un délai expirant le 1er juillet 2020 à 16 heures, prévoyait divers cas de prorogation énumérés de façon non limitative.

Une prorogation peut être expresse ou tacite dès lors que la convention ne l’exclut pas. En tout état de cause, elle doit être non équivoque.

En l’espèce, le recours formé, le 20 février 2020, contre l’avis favorable de la CDAC du Val d’Oise, constitue un cas de prorogation expressément prévue dans la promesse de vente.

L’acte du 12 juillet 2019 ne stipule aucunement qu’un avenant de prorogation devait alors être signé entre les parties. La société Frey ne peut donc soutenir que la promesse est caduque au motif qu’aucun avenant n’a pu être régularisé après l’envoi de son courrier du 23 avril 2020 par lequel elle informait la SCI Agostini du recours formé à l’encontre de l’avis de la CDAC, et proposait un report des délais, compte-tenu de ce recours et de la période d’urgence sanitaire entraînant la suspension des délais d’instruction applicables en matière d’urbanisme.

Or, la durée de la promesse a manifestement été tacitement prolongée puisque par mail du 4 septembre 2020, le directeur général de la société Frey adressait à Maître [U] [D], notaire rédacteur de la promesse, un détail chronologique des raisons du décalage du planning eu égard aux conséquences administratives du COVID et au recours formé à l’encontre de l’avis de la CDAC, manifestant de manière non équivoque l’existence d’une propagation tacite des délais, voulue par les parties.

Cette prorogation tacite résulte également de l’attestation du 7 septembre 2020, établie par Maître [U] [D] dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière diligentée à l’encontre de la SCI Agostini, attestation dans laquelle le notaire fait état de l’acceptation tacite du nouveau calendrier, proposé par le Groupe Frey en raison de la période d’urgence sanitaire lié au COVID, et d’un report de la date de signature de l’acte de vente.

Il sera également observé que dans les courriers susvisés du 26 novembre 2020 et du 20 janvier 2021, la société Frey ne s’est aucunement prévalue de la caducité de la promesse pour absence de prorogation, ce qui montre qu’elle savait pertinemment que celle-ci avait été tacitement prorogée. Elle ne peut aujourd’hui se prévaloir de la lettre du 16 mars 2021 de la SCI Agostini, écrite quatre mois après son courrier du 26 novembre 2020 visant à obtenir le remboursement de l’indemnité d’immobilisation, pour soutenir que cette dernière n’a jamais entendu proroger la durée de la promesse.

Il n’a donc pas lieu de dire que la promesse de vente était expirée au 1er juillet 2020 à seize heures et qu’elle est devenue caduque pour n’avoir pas été prorogée tacitement.

Cette prorogation tacite de la promesse est intervenue dans les termes prévus à l’acte du 12 février 2019, soit un délai de prorogation tacite jusqu’au 31 décembre 2020.

Sur la défaillance des conditions suspensives

La société Frey expose que l’ensemble des conditions suspensives n’a pas été réalisé dans le délai fixé dans la promesse, à savoir le 1er mai 2020 à 18 heures avec un délai de prorogation de 6 mois, soit jusqu’au 31 octobre 2020. Elle soulève en outre la défaillance des conditions suspensives suivantes ;
celle relative à l’autorisation d’exploitation, un recours ayant été formé à l’encontre de l’avis favorable de la CDAC du Val d’Oise ; celle relative au permis de construire, l’arrêté du 12 novembre 2020 contenant des prescriptions entraînant des surcoûts de nature à remettre en cause l’équilibre économique du projet et ayant en outre a fait l’objet d’un recours.
Mais il ressort des éléments déjà examinés ci-dessus que les délais prévus dans la promesse ont été tacitement prorogés, notamment en raison de la situation sanitaire liée au COVID entraînant la suspension des délais d’instruction applicables en matière d’urbanisme, la société Frey qui n’a pas invoqué une défaillance des conditions suspensives pour expiration des délais avant sa lettre du 26 novembre 2020 et a au contraire poursuivi ses démarches pour obtenir un avis favorable de la Commission nationale d’Aménagement Commercial (CNAC) et un permis de construire, démontrant ainsi qu’elle savait que les délais étaient tacitement prorogés, ne peut donc valablement invoquer leur dépassement pour se prévaloir de la défaillance de la condition suspensive.

En ce qui concerne la défaillance liée au recours à l’encontre de l’avis favorable de la CDAC, il convient de constater que ce recours a été rejeté par avis du 11 juin 2020 de la CNAC qui a également émis un avis favorable au projet. Cette condition n’a donc pas défailli.

En ce qui concerne la condition suspensive relative au permis de construire, la société Frey, malgré l’obtention de ce permis par arrêté du 12 novembre 2020, soutient que ladite condition a défailli en invoquant la clause insérée à la promesse stipulant que le(s) PcvAEG et PD obtenu(s) ne devront pas comporter de prescription de travaux entraînant des surcoûts de nature à remettre en cause l’équilibre économique du projet de construction.

Elle expose dans son courrier du 26 novembre 2020 que l’arrêté comporte des prescriptions de nature à majorer le coût du projet de construction et à remettre en cause son équilibre économique en précisant que « contrairement à ce qui est indiqué dans l’avis de la Direction des Routes du Département du 22/04/2020 […], les modalités de réalisation, le coût et le financement du giratoire prescrit par la Direction des Routes n’ont jamais été arrêtés ».

Mais la condition suspensive d’obtention d’un permis de construire, complétée par une clause relative à des surcoûts de nature à remettre en cause l’équilibre économique du projet de construction, présente un caractère potestatif qui la rend nulle en application de l’article 1304-2 du code civil. En effet, sa réalisation dépend de la volonté de la société Frey, celle-ci pouvant se prévaloir de la condition suspensive, nonobstant l’autorisation de construire donnée, dès lors qu’elle considère que les prescriptions mentionnées sur l’arrêté lui accordant le permis de construire sont de nature à remettre en cause l’équilibre économique de son projet.

Il sera observé à cet égard que la promesse de vente ne contient aucune donnée objective précisant les montants considérés comme de nature à remettre en cause l’équilibre invoqué, tant en valeur absolue que relative ou en pourcentage, par rapport au coût total de l’opération de construction qui n’est pas non plus connu, et qu’il est donc impossible pour le promettant de vérifier la réalité du déséquilibre allégué qui dépend de la seule appréciation de la société Frey.

Il convient de considérer que cette condition relative à l’équilibre économique du projet de construction stipulée à la promesse de vente présente un caractère potestatif qui la rend nulle, en application de l’article 1304-2 du code civil. Elle ne pouvait donc être valablement invoquée par la société Frey à l’appui de sa demande en restitution de l’indemnité versée pour caducité de la promesse.

Ce refus de lever l’option en raison d’une condition non valablement stipulée présente un caractère fautif et rend la société Frey redevable de l’indemnité d’immobilisation envers la SCI Agostini.

Il sera également observé que la société Frey, société foncière spécialisée dans les grandes opérations de renouvellement urbain ainsi que dans le développement et l’exploitation de centres commerciaux, disposant d’un capital conséquent de 47.104.162,50 € au moment de la signature de l’acte (61.508.157,50 € au moment de l’assignation), professionnelle habituée à ces opérations de création de grands parcs d’activité commerciale, ne pouvait ignorer que ce type de programme de construction de grande ampleur était, de façon courante, soumis à des obligations d’aménagements et d’accès des voies publiques de nature à engendrer des surcoûts, en contrepartie de l’obtention d’un permis de construire.

Il ressort également des débats et des pièces produites (lettres annexées à son courrier du 26 novembre 2020, courrier du 22 avril 2020 du département du Val d’Oise) que de nombreuses discussions suivies d’engagements sont intervenues bien antérieurement à l’arrêté de permis de construire visant à parvenir à un accord financier relatif à la réalisation d’un rond-point qui devait être, en tout état de cause, partagé avec d’autres sociétés ; que la société Frey a continué son projet et poursuivi la procédure de vente définitive, ce qui montre que l’obligation de participer au financement de ce type de travaux ne présentait pas pour elle un caractère exceptionnel ou imprévu.

Il apparaît ainsi que la société Frey, spécialisée dans les opérations de développement de centres commerciaux, a manqué à ses obligations d’information et de loyauté vis à vis de son cocontractant, la SCI Agostini, lors de la signature de la promesse assortie d’un ensemble de conditions suspensives aboutissant, sous couvert de celles-ci, à la décharger du versement de toute indemnité en contrepartie de l’avantage obtenu portant sur l’exclusivité de la vente du bien durant dix-huit mois (en réalité plus de vingt mois à la date où le problème lié à la remise de l’équilibre économique de l’opération a été soulevé). Il sera observé à cet égard que c’est au pétitionnaire d’un projet de cette envergure de s’assurer en amont de l’équilibre économique de l’opération qu’il envisage. Ce manquement fautif est également de nature à justifier la non-restitution de la somme séquestrée à titre d’indemnité.

Il sera également relevé que la société Frey qui était informée depuis plusieurs mois du surcoût prévisible lié aux prescriptions de travaux, a préféré attendre le 26 novembre 2020 pour invoquer une caducité de la promesse pour non-réalisation de la condition suspensive relative au permis de construire plutôt que de tenter de trouver un accord avec la SCI Agostini qui avait immobilisé son bien à son seul bénéfice depuis plus de vingt mois et était manifestement ouverte à la négociation sur une baisse de prix, compte-tenu de sa situation économique et judiciaire connue du groupe Frey, ainsi qu’il résulte de l’échange de courriels ultérieurs entre les notaires.

Il sera relevé, à cet égard, que la société Frey ne justifie pas avoir mis en œuvre les clauses prévues par la promesse de vente et notamment de la clause de rencontre prévue pour permettre aux parties de se concerter.

Ainsi, son comportement dans l’exécution de ses obligations de bénéficiaire de la promesse unilatérale de vente apparaît fautif.

Les motifs de caducité invoqués dans la lettre du 26 novembre 2020 seront rejetés comme non valables. La résiliation de la promesse unilatérale de vente est donc imputable à la société Frey.

La société Frey ne pouvait ultérieurement, par courrier du 20 janvier 2021, se prévaloir d’un autre motif de caducité (recours contre le permis de construire) alors qu’à la date de ce recours, elle s’était déjà désengagée de la promesse et avait décidé de ne pas lever l’option, la durée de la promesse étant alors expirée.

Sur l’indemnité forfaitaire d’immobilisation

La promesse unilatérale de vente du 12 février 2019 stipule : « en considération de la promesse faite au bénéficiaire par le promettant et en contrepartie du préjudice qui pourrait en résulter pour ce dernier, en cas de non-signature de la vente par le seul fait du bénéficiaire, le promettant n’étant pas lui-même en défaut, dans le délai ci-dessus fixé, le cas échéant prorogé par les parties après application de la clause de rencontre prévue aux présentes, et notamment par suite de la perte que le promettant éprouverait du fait de l’obligation de trouver un nouvel acquéreur, les parties conviennent de fixer la montant de l’indemnité d’immobilisation à 10 % du prix de vente total hors taxes, soit la somme de 800.000 € ».

Pour les motifs ci-dessus examinés, la société Frey est redevable envers la SCI Agostini de l’indemnité d’immobilisation d’un montant de 800.000 € prévue aux termes de la promesse de vente, assorti d’intérêts au taux légal à compter du 16 mars 2021, date de la mise en demeure de payer.

En conséquence, Maître [U] [D], notaire, sera autorisé à remettre à la SCI Agostini la somme de 400.000 € séquestrée sur présentation du présent jugement par l’une ou l’autre des parties. La société Frey sera condamnée au paiement du surplus de l’indemnité d’immobilisation d’un montant de 400.000 €, augmentés des intérêts au taux légal sur la somme de 800.000 € à compter du 16 mars 2021.

Sur les dommages et intérêts

La société Frey qui succombe dans ses prétentions ne pourra qu’être déboutée de se demande de dommages et intérêts.

La SCI Agostini demande la somme de 3.000.000 € à titre de dommages et intérêts pour perte de chance en faisant valoir que la défaillance de la société Frey l’a obligée à vendre son bien dans la précipitation au prix de 5.000.000 €.

Mais la promesse de vente prévoyait une indemnité d’immobilisation de 800.000 € correspondant au prix de l’exclusivité accordé au bénéficiaire de la promesse. Cette indemnité forfaitaire était destinée à indemniser le promettant du préjudice qui pourrait résulter pour ce dernier de la non-signature de la vente par le seul fait du bénéficiaire.

Il n’y a pas lieu d’allouer en sus de cette indemnité des dommages et intérêts pour une perte de chance, au demeurant liée à la situation personnelle du promettant, laquelle n’est pas rentrée dans le champ d’application du contrat.

La demande de la SCI Agostini aux fins de voir condamner la société Frey au paiement de la somme de 3.000.000 € à titre de dommages et intérêts pour perte de chance sera rejetée.

Sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile, les dépens et l’exécution provisoire

L’équité justifie que la société Frey qui succombe dans ses prétentions soit condamnée à payer à la SCI Agostini la somme de 8.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’au paiement des dépens.

L’exécution provisoire de la présente décision est de droit, il n’y a pas lieu de l’écarter.

PAR CES MOTIFS

Dit que la société Frey est redevable envers la SCI Agostini d’une indemnité d’immobilisation d’un montant de 800.000 €, avec intérêts au taux légal à compter du 16 mars 2021,

Dit Maître [U] [D], notaire, sera autorisé à remettre à la SCI Agostini la somme de 400.000 € séquestrée,

Condamne la société Frey à payer à la SCI Agostini le surplus de l’indemnité d’immobilisation d’un montant de 400.000 € augmentés des intérêts au taux légal sur la somme de 800.000 €, à compter du 16 mars 2021,

Condamne la société Frey à payer à la SCI Agostini la somme de 8.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

Condamne la société Frey aux dépens,

Rappelle que l’exécution provisoire du présent jugement est de droit.

Ainsi jugé le 27 mai 2024, et signé par le président et le greffier.

Le greffierLe président

Emmanuelle MAGDALOUStéphanie CITRAY


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Pontoise
Formation : Deuxième chambre civile
Numéro d'arrêt : 21/02574
Date de la décision : 27/05/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-27;21.02574 ?
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