TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Copie conforme délivrée
le :
à :
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me Olivier TOMAS
Me Paul-gabriel CHAUMANET
Pôle civil de proximité
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PCP JCP fond
N° RG 24/02813 - N° Portalis 352J-W-B7H-C4I4C
N° MINUTE :
3 JCP
JUGEMENT
rendu le vendredi 30 août 2024
DEMANDERESSE
Madame [S] [D], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Olivier TOMAS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #G0125
DÉFENDERESSE
Association FREHA, dont le siège social est sis [Adresse 3]
représentée par Me Paul-gabriel CHAUMANET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #R101
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Romain BRIEC, Juge, juge des contentieux de la protection
assisté de Audrey BELTOU, Greffier,
DATE DES DÉBATS
Audience publique du 18 juin 2024
JUGEMENT
contradictoire, en premier ressort, prononcé par mise à disposition le 30 août 2024 par Romain BRIEC, Juge assisté de Aline CAZEAUX, Greffier
Décision du 30 août 2024
PCP JCP fond - N° RG 24/02813 - N° Portalis 352J-W-B7H-C4I4C
EXPOSE DU LITIGE
Par contrat sous seing privé en date du 27 février 2009, L’association FREHA a donné à bail à Madame [S] [D] un appartement à usage d'habitation de type « T3 » situé [Adresse 2] moyennant un loyer mensuel de 381,63 euros et 119,50 euros de provisions sur charges.
Se plaignant de l’indécence de son logement, et par acte de commissaire de justice du 23 octobre 2023, Madame [S] [D] a fait assigner l’association FREHA devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris aux fins d’obtenir, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, sa condamnation en paiement de :
12204 euros en restitution des loyers pour la période de février 2020 à février 2023,7200 euros en réparation de ses préjudices de jouissance, moraux et médicaux,2500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens, en ce compris les frais de constat de commissaire de justice.
L'affaire a été appelée et retenue à l'audience du 18 juin 2024.
A l'audience, Madame [S] [D] a été représentée par son conseil et a fait viser des conclusions soutenues oralement. Elle a porté sa demande en restitution des loyers à la somme de 16272 euros et celle en dommages et intérêts à la somme de 9600 euros, et elle a maintenu ses autres demandes.
L’association FREHA a été représentée à l’audience utile et a fait viser des écritures développées oralement, par lesquelles elle a sollicité le rejet des prétentions de Madame [S] [D], sa condamnation à lui payer 339,50 euros d’arriéré de loyers et charges, échéance de mai 2024 incluse, et sa condamnation à lui verser 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.
La décision a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 30 août 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le manquement à l'obligation de délivrance du bailleur
Aux termes de l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989, le bailleur est tenu de mettre à disposition un logement et ses équipements dans leurs consistance et aux conditions prévues au contrat et de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé, exempt de toute infestation d'espèces nuisibles et parasites, répondant à un critère de performance énergétique minimale et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation.
Le décret n°2202-120 du 30 janvier 2002 vient préciser qu'un logement décent doit assurer le clos et le couvert et que le gros œuvre du logement et de ses accès doit être en bon état d'entretien et de solidité et protéger les locaux contre les eaux de ruissellement et les remontées d'eau.
Ce même décret indique également que le logement doit permettre une aération suffisante et que les dispositifs d'ouverture et les éventuels dispositifs de ventilation des logements soient en bon état et permettent un renouvellement de l'air et une évacuation de l'humidité adaptés aux besoins d'une occupation normale du logement et au fonctionnement des équipements. Une ventilation insuffisante peut générer une humidité importante et engager la responsabilité du propriétaire (CA Versailles, 1re ch., 2e sect., 30 nov. 2010, n° 09/09539 ; CA Aix-en-Provence, 11e ch. B, 7 mai 2013, n° 2013/240).
Le bailleur est également obligé de délivrer au locataire le logement en bon état d'usage et de réparation ainsi que les équipements mentionnés au contrat de location en bon état de fonctionnement.
Ces obligations forment plus généralement l'obligation de délivrance du bail. De telles obligations sont des obligations de résultat et ne nécessitent pas de rapporter la preuve d'une faute du bailleur ou d'un défaut de diligences.
En l'espèce, il ressort d’un courrier avec AR de l’association FREHA de 2021, versé aux débats en demande (pièce n°7, p.3), que le bailleur fait référence à un diagnostic de l’immeuble effectué le 2 février 2021 dont il ressort que « les lacunes liées à l’isolation thermique et à la ventilation ont été confirmées ». Ce même courrier renvoie aussi à un rapport d’inspection des canalisations du 22 mars 2021 qui a relevé « un état localisé de la dégradation des canalisations, de fuites et d’obstructions ». Le bailleur y reconnaît dès lors « des désordres » touchant l’appartement de Madame [S] [D], à savoir des « infiltrations d’eau, importante humidité et absence de chauffage provoquée par un dysfonctionnement du convecteur, la fenêtre ». Dans le même sens, l’inspecteur de salubrité de la Ville de [Localité 4], met en exergue dans son rapport du 13 mai 2022, que « des infiltrations d’eau se manifestent dans le soubassement du mur » au sein du logement litigieux et que « des moisissures sont présentes sur les parois chambres », ceci « malgré la présence de grilles de ventilation ». Le constat de commissaire de justice du 7 décembre 2022 relève, photographies à l’appui, « des traces importantes de moisissures » dans chacune des pièces : cuisine, chambres, salle d’eau, toilettes et salon. Il est en outre constaté un « vitrage brisé ». Au final, le relevé d’humidité indique « une valeur affichée de 999 », de telle sorte que « le mot WET apparaît et le testeur clignote rouge » dans la plupart des pièces de l’appartement.
En conséquence, il est établi que le logement est indécent.
Madame [S] [D] est ainsi bien fondée en son principe à solliciter une indemnisation de son préjudice en raison des manquements de son bailleur.
Sur la demande en réduction des loyers et restitution
En matière d'indécence en particulier, l'article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989 prévoit deux sanctions. La première consiste pour le locataire à demander au bailleur ou à exiger judiciairement de lui une mise en conformité des locaux lorsque le logement loué ne satisfait pas aux normes de décence fixées par les textes. La deuxième lui reconnaît le droit, à défaut de mise en conformité, d'obtenir du juge une réduction du loyer. En revanche, le locataire ne peut pas profiter d'une indécence pour suspendre le paiement de son loyer, sauf s'il est dans l'impossibilité d'utiliser les lieux (CA Amiens, 1re ch., 21 oct. 2010, n° 09/02465).
La réduction du loyer est ainsi présentée comme une sanction subsidiaire par l'article 20-1 de la loi de 1989, si bien qu’il est admis qu'en principe le locataire ne peut pas agir à titre principal en réduction de loyers (CA Toulouse, 3e ch., 7 juin 2005 : Juris-Data n° 2005-278696) : la réduction n'est possible qu'après que le juge ait prescrit des travaux qui n'auraient pas été accomplis. Par extension, elle est aussi ouverte en cas de mise en conformité techniquement impossible ou bien en cas de mise en conformité refusée par le bailleur (CA Douai, 3e ch., 7 nov. 2002 : Juris-Data n° 2002-201362).
En l’espèce, Madame [S] [D] n’effectue aucune demande de travaux à titre principal. En outre, il ressort des débats que l’association FREHA a procédé aux travaux nécessaires pour mettre un terme aux désordres en plusieurs période courant de 2021 à mars 2024. Le constat du 11 mars 2024 montre que les différents travaux ont remédié aux désordres constatés. L’impossibilité d’habiter les lieux, qu’allègue Madame [S] [D] dans ses écritures, n’est pas non plus caractérisée sur la période d’indécence.
En conséquence, la demande de Madame [S] [D] en réduction de loyer et par là en restitution, sera rejetée.
Sur la demande en dommages et intérêts
En cas de méconnaissance par le bailleur de son obligation de délivrance, le locataire peut demander l'indemnisation des préjudices subis tels que la restriction d'usage ou le préjudice d'agrément.
En l’espèce, il sera relevé d’une part que les désordres établis dans l’appartement sont d’ampleur et se sont prolongés, puisqu’ils ont provoqué d’importantes moisissures sur la plupart des murs, ce que démontre le constat de commissaire de justice du 7 décembre 2022. Dans ce contexte, Madame [S] [D] justifie que l’humidité a aggravé les symptômes générés par « une maladie héréditaire à expression sévère » chez ses enfants, comme il ressort des éléments d’information figurant dans les certificats médicaux des 14 février 2020 et 30 janvier 2023. Le moyen invoqué en défense d’une sur occupation du bien n’est pas opérant, sans autre élément pour étayer de l’allégation selon laquelle Madame [S] [D] aurait contribué au mauvais état du logement et à son propre trouble de jouissance du bien.
D’autre part, sur la durée durant laquelle l’indécence du bien peut être caractérisée, il sera relevé que le bailleur reconnaît les désordres dans son courrier de 2021 dans lequel il répond à une pétition des locataires de l’immeuble du 15 avril 2021. Aucune autre pièce versée aux débats ne fait remonter le début des désordres à une date antérieure. Sur la fin de la période, l’association FREHA justifie que les convecteurs de l’appartement pris à bail par Madame [S] [D] ont été changés en mars 2022 et que d’importants travaux de ravalement des façades ont été effectués sur l’immeuble en octobre 2022, sans pour autant mettre un terme aux désordres, au vu du constat du 7 décembre 2022. Pour l’expliquer, l’association FREHA renvoie à une fuite d’eau détectée dans l’appartement occupé par Madame [S] [D] et justifie qu’elle n’a pu la faire réparer sur la période du 30 septembre 2022 au 27 janvier 2023 faute pour Madame [S] [D] de permettre l’accès à son appartement. Pour autant cette négligence de locataire est insuffisante à expliquer la persistance des désordres parce que le constat de commissaire de justice du 11 janvier 2024 relève toujours « des traces d’humidité » dans l’appartement et les photographies versées témoignent de la persistance de moisissures. En revanche, le constat du 11 mars 2024, effectué après des travaux d’isolation intérieure de l’appartement objet du litige, présente des photographies qui attestent qu’il a été remédié aux désordres. Ce sont donc ces travaux d’isolation intérieure qui paraissent avoir mis un terme aux désordres. En conséquence, il sera considéré que les désordres ont duré du 15 avril 2021 au 11 mars 2024, soit trois années.
En ces conditions, une indemnisation sera allouée à Madame [S] [D], mais revue à de plus justes proportions compte tenu des diligences accomplies par le bailleur. L’association FREHA sera ainsi condamnée à verser à Madame [S] [D] la somme de 5000 euros de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement.
Sur la demande reconventionnelle en paiement
Le preneur est redevable des loyers impayés en application de l'article 1103 du code civil et du contrat de bail.
En l’espèce, l’association FREHA produit, un décompte au 13 juin 2024 faisant état d’un arriéré de loyers et de charges de 339,59 euros, échéance de mai 2024 incluse. Madame [S] [D] n’apporte aucun élément pour en contester le principe ni le montant.
En conséquence, elle sera condamnée au paiement de cette somme.
Sur les mesures accessoires
L’association FREHA, qui succombe sur le principe des demandes, supportera la charge des dépens en application de l'article 696 du code de procédure civile, en ce compris le coût du constat de commissaire de justice du 7 décembre 2022.
Il sera alloué à Madame [S] [D] la somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Il sera rappelé que la présente décision est exécutoire à titre provisoire, conformément à l'article 514 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le juge des contentieux de la protection statuant publiquement, après débats en audience publique, par jugement mis à disposition au greffe contradictoire et en premier ressort,
CONDAMNE L’association FREHA à verser à Madame [S] [D] la somme de 5000 euros de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement ;
CONDAMNE Madame [S] [D] à payer à l’association FREHA la somme de 339,59 euros d’arriéré et loyers et charges, échéance de mai 2024 incluse ;
CONDAMNE l’association FREHA à verser à Madame [S] [D] la somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE le surplus des demandes ;
CONDAMNE l’association FREHA aux dépens, en ce compris le coût du constat de commissaire de justice du 7 décembre 2022 ;
RAPPELLE que le présent jugement est exécutoire de plein droit à titre provisoire.
Le greffier Le juge des contentieux de la protection