TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Copie conforme délivrée
le :
à : Maître LE FOYER DE COSTIL
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Maître VACONSIN
Madame et Monsieur
[W]
Pôle civil de proximité
■
PCP JCP fond
N° RG 23/07738 - N° Portalis 352J-W-B7H-C25SK
N° MINUTE :
7 JCP
JUGEMENT
rendu le jeudi 29 août 2024
DEMANDERESSE
Madame [H] [B],
demeurant [Adresse 4] - [Localité 3]
représentée par Maître LE FOYER DE COSTIL, avocat au barreau de Paris, vestiaire #B507
DÉFENDEURS
Madame [I] [S] [Z],
demeurant [Adresse 1] - [Localité 8]
représentée par Maître VACONSIN, avocat au barreau de Paris, vestiaire #B0417
Monsieur [P] [W],
demeurant [Adresse 2] - [Localité 7]
non comparant, ni représenté
Madame [U] [W],
demeurant [Adresse 5] - [Localité 6] ITALIE
non comparante, ni représentée
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Lucie BUREAU, Vice-présidente, juge des contentieux de la protection
assistée de Laura JOBERT, Greffier,
DATE DES DÉBATS
Audience publique du 28 mai 2024
JUGEMENT
réputé contradictoire, en premier ressort, prononcé par mise à disposition le 29 août 2024 par Lucie BUREAU, Vice-présidente assistée de Laura JOBERT, Greffier
Décision du 29 août 2024
PCP JCP fond - N° RG 23/07738 - N° Portalis 352J-W-B7H-C25SK
EXPOSE DU LITIGE
Aux termes d’un acte sous seing privé en date du 1er octobre 1999, Mme [C] [J] a consenti à M. [M] [W] un contrat de location portant sur un logement situé [Adresse 1] à [Localité 8], pour une durée de trois années à compter du 1er octobre 1999, et pour un loyer de 830,85 euros, outre une provision sur charges mensuelle de 152,47 euros.
M. [M] [W] est décédé le 14 décembre 2022.
Par actes de commissaire de justice délivrés les 3, 4 et 10 juillet 2022, Mme [H] [B], venant aux droits de Mme [C] [J], a fait assigner Mme [I] [S] [Z], M. [P] [W] et Mme [U] [W] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de PARIS en demandant, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, de :
- constater la validité du congé délivré le 6 avril 2023 avec effet au 14 avril 2023 ;
- juger l’expiration du bail consenti le 1er avril 1999 au jour du décès de l’unique locataire, M. [M] [W], le 14 décembre 2022 ;
- en conséquence, déchoir Mme [I] [S] [Z] de tout titre d’occupation des locaux loués à compter du 14 décembre 2022 et la déclarer occupante sans droit ni titre des lieux à compter de cette date ;
- ordonner son expulsion et celle de tous occupants de son chef avec si besoin est, l'assistance de la force publique et d'un serrurier, suivant la signification du commandement d’avoir à quitter les lieux, conformément aux dispositions des articles L.412-1 et suivants du Code des procédures civiles d’exécution aux frais et sous la responsabilité des héritiers, M. [P] [W] et Mme [U] [W] ;
-condamner solidairement Mme [I] [S] [Z], M. [P] [W] et Mme [U] [W] au paiement de la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu’aux dépens.
A l’appui de ses prétentions, la requérante fait valoir que s’il apparaît que M. [M] [W] ait hébergé Mme [I] [S] [Z], aucune modification du bail n’est intervenue pour la faire apparaître comme locataire, sans que ne soit établi un concubinage ; que M. [M] [W] n’a jamais déclaré sa présence à la bailleresse ; que rapidement après le décès de M. [W] le 14 décembre 2022, Mme [I] [S] [Z] a réglé en deux fois la totalité du loyer jusque septembre 2023 ; que les héritiers l’ont toutefois contactée pour se plaindre du fait que ces règlements étaient intervenus depuis le compte de leur père après son décès et l’ont astreinte à rembourser ces fonds ; que le congé délivré est valable et a emporté résiliation du bail sur le fondement de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989 ; que selon la clause stipulée au bail, le transfert du bail est automatique au profit des héritiers, soit M. [P] [W] et Mme [U] [W] ; qu’en outre l’agence immobilière a constaté lors d’une visite de l’appartement que celui-ci était totalement encombré ; que ceci crée un risque d’infestation de nuisibles et de nuisances olfactives ; que le ménage n’était pas fait ; que l’expulsion de Mme [I] [S] [Z] doit donc être ordonnée aux frais et sous la responsabilité de M. [P] [W] et Mme [U] [W].
Après renvoi à la demande des parties, l'affaire a été appelée et examinée à l'audience du 28 mai 2024.
Mme [H] [B], représentée, maintient ses prétentions, et y ajoutant, a sollicité de voir :
condamner Mme [I] [S] [Z] à lui régler la somme de 1190 euros par mois depuis le mois de janvier 2024 au titre d’une indemnité d’occupation et ce jusqu’à son départ effectif ;condamner Mme [I] [S] [Z] à payer de ses deniers personnels une année de loyers pour l’année 2023, soit la somme de 14280 euros, somme prélevée abusivement par cette dernière sur le compte bancaire de M. [W] après son décès, afin de permettre à Mme [B] de rembourser cette somme aux héritiers de M. [W] ;débouter Mme [Z] de toutes ses demandes tendant à rester dans les lieux ;condamner Mme [Z] à remettre les lieux en l’état à ses frais après son départ ;condamner Mme [Z] au paiement de la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Au soutien de ces prétentions, elle a, par l'intermédiaire de son avocat, déposé des conclusions soutenues à la barre et auxquelles il sera expressément référé pour plus amples détails sur les moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Mme [I] [S] [Z] est représentée par son conseil. Elle sollicite de :
constater la nullité du congé délivré le 6 avril 2023 ;dire que Mme [I] [S] [Z], concubine notoire de M. [W], a droit au maintien dans les lieux et à la poursuite du bail de location du 1er octobre 1999 ;condamner Mme [H] [B] au paiement d’une somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour la délivrance d’un congé abusif et manœuvres déloyales ;condamner Mme [H] [B] à lui payer la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens ;dire n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Au soutien de ces prétentions, elle a, par l'intermédiaire de son avocat, déposé des conclusions soutenues à la barre et auxquelles il sera expressément référé pour plus amples détails sur les moyens conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
M. [P] [W] et Mme [U] [W] n’ont pas comparu et ne se sont pas faits représenter.
L'affaire est mise en délibéré au 29 août 2024, date de prononcé du jugement par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la validité du congé
L’article 15 I de la loi du 6 juillet 1989, prévoit que lorsque le bailleur donne congé à son locataire, ce congé doit être justifié soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement, soit par un motif légitime et sérieux, notamment l'inexécution par le locataire de l'une des obligations lui incombant. A peine de nullité, le congé donné par le bailleur doit indiquer le motif allégué. (...) Le délai de préavis applicable au congé est de six mois lorsqu'il émane du bailleur. Le congé doit être délivré soit par lettre recommandée avec avis de réception, soit par acte de commissaire de justice.
Dans ses écritures, pour solliciter la validation du congé délivré, Mme [H] [B] reprend le corps de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989, en indiquant « Cette décision a bel et bien été transmise au seul locataire, M. [M] [W], de son vivant pour lui signifier que l’échéance du 30 septembre 2023 serait synonyme de cessation du bail afin que Mme [H] [B] puisse de nouveau disposer de l’appartement pour le mettre en vente ». Il est ajouté qu’il « n’y a pas eu d’opposition de la part de M. [M] [W] et la clôture du bail était donc actée ». Il est visé la pièce n°5 qui est un courrier du 6 avril 2023, envoyé par lettre recommandée à Mme [I] [S] [Z].
Le bail ayant pris effet le 1er octobre 1999 pour une durée de trois ans, il s’est reconduit tacitement les 1er octobre 2002, 2005, 2008, 2011, 2014, 2017 et 2020.
Les dispositions de l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989, tant concernant les motifs du congé que sa forme, sont d’ordre public. Il ne peut être validé un congé qui aurait été délivré oralement au locataire. Il n’est justifié d’aucun congé délivré à M. [W] avant son décès.
En outre, s’agissant du courrier du 6 avril 2023 adressé à Mme [I] [S] [Z], on ne peut que relever que le délai de prévenance de six mois avant la date d’échéance du bail n’est pas respecté, tout comme les obligations de forme prévues à l’article 15 de la loi du 6 juillet 1989, et notamment les dispositions précisant que le congé délivré pour vendre doit comporter offre de vente au locataire.
Par conséquent, le congé délivré par Mme [H] [B] à Mme [I] [S] [Z] ne pourra qu’être annulé.
Sur la résiliation du contrat de bail et le transfert de bail
En vertu de l’article 14 de la loi du 6 juillet 1989, lors du décès du locataire, le contrat de location est transféré au conjoint survivant qui ne peut se prévaloir des dispositions de l'article 1751 du code civil, ainsi notamment qu'aux ascendants, au concubin notoire, aux descendants ou aux personnes à charge qui vivaient avec lui depuis au moins un an à la date du décès. A défaut de personnes remplissant les conditions permettant un transfert du contrat de bail, le contrat de location est résilié de plein droit par le décès du locataire.
Il convient de relever que les dispositions de la clause insérée au bail en page 3 I ne peuvent écarter l’exécution dudit article qui est d’ordre public.
S’agissant d’un fait juridique, l’existence d’un concubinage notoire se prouve par tout moyen. Et l’occupant qui sollicite l’application de l’article 14 précité doit rapporter la preuve d’une union de fait caractérisée par une vie commune stable et continue entre deux personnes au sens de l’article 515-8 du code civil. Il est ainsi constant que la notion de concubinage notoire, qui sous-entend une communauté de vie et d'intérêts, suppose une relation stable hors mariage, connue des tiers ; qu'elle n'exige toutefois pas le partage à temps complet d'un même domicile. La preuve d’un concubinage notoire n’exige ni la conclusion d’un PACS ni l’existence d’une déclaration commune de concubinage.
De la même façon, l’article 14 de la loi du 6 juillet 1989 doit recevoir application même si le locataire n’a pas déclaré son concubinage auprès du bailleur.
En l’espèce, Mme [I] [S] [Z] produit deux attestations de ses employeurs témoignant de son activité professionnelle d’une part à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de [10] depuis le 13 mars 2012 et d’autre part à l’Ecole nationale supérieure d’architecture de [9] depuis le 13 mars 2012 en CDI et auparavant comme vacataire puis en CDD. Ces deux attestations la domicilient [Adresse 1] à [Localité 8]. La bailleresse elle-même produit un document intitulé « Récépissé de déclaration de changement de résidence » établi par la Préfecture de Police, suite à la déclaration de Mme [Z] indiquant vivre chez M. [W] [Adresse 1] [Localité 8], récépissé du 13 février 2008.
Mme [I] [S] [Z] produit ensuite de très nombreuses attestations émanant de voisins de l’immeuble [Adresse 1], d’amis de M. [W] mais aussi de commerçants du quartier. L’ensemble de ces attestations témoigne de la vie commune de M. [W] avec Mme [I] [S] [Z] et ce depuis 2005. Il est ainsi relaté des vacances du couple en Italie, les soins apportés par Mme [Z] à son compagnon pour gérer ses problèmes de santé et sa dépendance alcoolique et un certain nombre d’actes du quotidien comme le fait de se rendre ensemble chez les commerçants du quartier.
Le concubinage notoire de M. [M] [W] et Mme [I] [S] [Z] est avéré, et ce plus d’un an avant le décès de M. [M] [W]. Cette dernière est par conséquent en droit de solliciter le transfert du bail au décès du locataire en titre. Il sera ainsi dit que le bail s’est transféré au décès de M. [M] [W] à sa concubine, Mme [I] [S] [Z], devenue locataire.
Le bail n’ayant pas été résilié, ni par effet du congé, ni à la date du décès du locataire, et en l’absence de tout prononcé de la résiliation judiciaire du bail, il convient de débouter Mme [H] [B] de ses demandes tendant à voir déclarer Mme [I] [S] [Z] occupante sans droit ni titre, afin de la voir expulsée et en condamnation au paiement d’une indemnité d’occupation et en remise en l’état de l’appartement, son expulsion n’étant pas ordonnée.
Sur la demande au titre des loyers de l’année 2023
En application de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention. L'article 1353 du code civil prévoit quant à lui que celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ; que réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Mme [H] [B] sollicite la condamnation de Mme [I] [S] [Z] au paiement de la somme de 14280 euros au titre des loyers pour l’année 2023. Elle ne produit aucun décompte permettant de déterminer les sommes dues de façon mensuelle et les règlements intervenus. Elle ajoute que Mme [I] [S] [Z] a « utilisé les comptes du défunt pour verser en toute urgence à Mme [B] plusieurs mois de loyers comme s’il s’agissait d’un acte de M. [W] ». Il n’est produit que quelques mails échangés avec le notaire qui évoque une demande de restitution de loyers, mais ne sont pas produits les courriers officiels qui auraient été adressés. En outre, si tant est que soit établi que les paiements provenaient du compte de M. [W], la question d’éventuelles restitutions relève de la liquidation de la succession de M. [M] [W] au sujet de laquelle un litige est manifestement en cours, Mme [Z] produisant un document qu’elle qualifie de testament à son profit. La présente juridiction n’a pas compétence pour régler la question de la liquidation de la succession de M. [W].
En tout état de cause, Mme [H] [B] ne soutient pas avoir restitué une quelconque somme aux héritiers. Elle a donc perçu des sommes en règlement des loyers de 2023, dont elle ne précise pas le montant.
N’apportant aucun élément de preuve de nature à justifier des sommes réellement dues pour l’année 2023, elle sera déboutée de sa demande en paiement.
Sur la demande de dommages et intérêts de Mme [I] [S] [Z]
A l’exception de la délivrance du congé, dans des conditions qui justifient effectivement que soit prononcée sa nullité mais insuffisante à établir qu’il ait été frauduleux, Mme [I] [S] [Z] n’apporte aucun élément de nature à prouver des manœuvres déloyales de la part de la bailleresse, même si celle-ci agissait manifestement pour obtenir la libération de l’appartement.
Aucune faute de Mme [H] [B] n’étant établie, Mme [I] [S] [Z] sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
Sur les demandes accessoires
Il sera rappelé que le présent jugement est de plein droit exécutoire par provision. Aucun élément ne justifie de l'écarter en l'espèce.
Mme [H] [B] succombant en ses demandes principales, les dépens de l'instance seront mis à sa charge. Il apparaît également inéquitable que Mme [I] [S] [Z] conserve la charge de l'ensemble de ses frais irrépétibles, Mme [H] [B] sera donc condamnée à lui verser la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile et déboutée de sa demande sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS,
Le juge des contentieux de la protection, statuant après débats en audience publique, par jugement prononcé par mise à disposition au greffe le jour du délibéré, réputé contradictoire et en premier ressort,
PRONONCE la nullité du congé délivré par Mme [H] [B] à Mme [I] [S] [Z] le 6 avril 2023 ;
DIT que le contrat de bail liant M. [M] [W] à Mme [H] [B] et portant sur un logement situé [Adresse 1] à [Localité 8] a été transféré au profit de Mme [I] [S] [Z] ;
DEBOUTE Mme [H] [B] de ses demandes tendant à voir déclarer Mme [I] [S] [Z] occupante sans droit ni titre, à voir autoriser l'expulsion de l'intéressée et sa condamnation à payer une indemnité d'occupation et à remettre les lieux en l’état ;
DEBOUTE Mme [H] [B] de sa demande au titre des loyers de l’année 2023 ;
DEBOUTE Mme [I] [S] [Z] de sa demande de dommages et intérêts et de sa demande tendant à voir écarter l’exécution provisoire du présent jugement ;
RAPPELLE que le présent jugement est de droit exécutoire par provision ;
CONDAMNE Mme [H] [B] à payer à Mme [I] [S] [Z] la somme de 1000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
DEBOUTE Mme [H] [B] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure pénale ;
CONDAMNE Mme [H] [B] aux entiers dépens ;
REJETTE toute demande plus ample ou contraire.
LE GREFFIER LA PRESIDENTE