TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] 2 Expéditions exécutoires délivrées aux parties en LRAR le :
2 Expéditions délivrées aux avocats en LS le :
■
PS ctx protection soc 3
N° RG 19/02248 - N° Portalis 352J-W-B7D-CO32L
N° MINUTE :
Requête du :
29 Novembre 2018
JUGEMENT
rendu le 28 Août 2024
DEMANDERESSE
Madame [T] [X]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Maître Herve ROY, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
DÉFENDERESSE
CPAM DES HAUTS DE SEINE
Division du Contentieux
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Maître Amy TABOURE de la SELARL KATO & LEFEBVRE ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Mathilde SEZER, Juge
Gonzague GUEZ, Assesseur
Corinne BERDEAUX, Assesseur
assistés de Marie LEFEVRE, Greffière
Décision du 28 Août 2024
PS ctx protection soc 3
N° RG 19/02248 - N° Portalis 352J-W-B7D-CO32L
DEBATS
A l’audience du 26 Juin 2024 tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 28 Août 2024.
JUGEMENT
Rendu par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort
EXPOSE DU LITIGE
Madame [T] [X], née le 20 mars 1964, exerçant la profession d'expert-comptable a demandé la reconnaissance d'une maladie professionnelle le 18 décembre 2014. Le certificat médical initial établi le 11 février 2015 fait état d'un syndrome dépressif majeur consécutif à un harcèlement au travail, en soins depuis le 1er avril 2014, avec tentative d'autolyse fin novembre 2014.
Par décision du 28 avril 2016, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Hauts de Seine a notifié à la requérante la reconnaissance de l'origine professionnelle de sa maladie suite à l’avis favorable rendu par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.
Madame [X] a été licenciée pour inaptitude le 25 mai 2018 après avis d’inaptitude du médecin du travail du 18 avril 2018.
L’état de madame [T] [X] était déclaré consolidé le 25 juin 2018 suivant le certificat médical final mentionnant “stabilisation avec séquelles d’un état dépressif en rapport avec une situation conflictuelle au travail”.
Par décision du 04 septembre 2018 rectifiée le 3 décembre 2018 (sur le calcul du salaire), la Caisse Primaire d’Assurance Maladie a fixé à 20%, dont 0% pour le taux professionnel, le taux d’IPP consécutif à la maladie professionnelle du 11 février 2015, consolidée le 25 juin 2018, au regard d’un "syndrome dépressif majeur, séquellaire et persistant, sur terrain de trouble d’humeur de type bipolaire décompensé dans les suites de problématique professionnelle évoluant depuis 2014, reconnu en maladie professionnelle le 11 février 2015".
Par courrier daté du 29 novembre 2018 et reçu au greffe du pôle social de l'ancien tribunal du contentieux de l'incapacité (TCI) de Paris le 07 décembre 2018, Madame [T] [X] a contesté cette décision au motif que le taux d’incapacité qui lui a été attribué avait été sous-évalué et devait faire l’objet d’une réévaluation.
Le 1er janvier 2019, le dossier a été transféré au pôle social du Tribunal de grande instance de Paris, devenu tribunal judiciaire le 1er janvier 2020, en raison de la fusion du tribunal du contentieux de l’incapacité avec les juridictions de droit commun qui a enregistré le dossier le 1er février 2019 au pôle contentieux technique sous le numéro RG 19/02248.
Le 8 juillet 2020, madame [X] a demandé à être examinée par un médecin consultant désigné par le tribunal. Cette consultation n’a pas été réalisée, le dossier pendant devant le pôle social du tribunal judiciaire - ex contentieux technique - ayant été égaré.
Après reconstitution, le dossier a été appelé à l’audience du 25 mai 2022.
Par le jugement du 7 juillet 2022, le tribunal a :
Déclaré le recours de madame [T] [X] recevable ;Avant dire droit sur la demande de réévaluation de son taux d’incapacité permanente partielle, ordonné une expertise médicale clinique confiée au docteur [R], avec mission, au vu des documents adressés de déterminer le taux d'IPP de Madame [T] [X] en relation avec la maladie professionnelle du 11 février 2015, en se plaçant à la date de consolidation du 25 juin 2018, au vu du barème indicatif d'invalidité (accidents du travail/maladies professionnelles) ; se prononcer sur une application éventuelle d'un coefficient professionnel, et, dans l'affirmative, fournir les éléments pour en apprécier le montant ;Dit que, par application des dispositions de l'article L.142-11 du code de la sécurité sociale, le coût de cette expertise médicale sera supporté par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie des Hauts de Seine pour le compte de la Caisse Nationale d'Assurance Maladie (CNAM) dans les conditions du protocole du 23 novembre 2020 ;Réservé toutes autres demandes en ce compris les dépens et les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;Ordonné l’exécution provisoire.
Par ordonnance de changement d’expert en date du 9 juin 2023, le docteur [V] a été désigné en lieu et place du docteur [R] empêché.
Le docteur [V] a rendu son rapport le 18 septembre 2023.
Les parties ont été convoquées à l’audience du 26 juin 2024.
Au terme de ses conclusions après expertise, madame [X], représentée par son conseil, demande au tribunal, à titre principal, de fixer son taux d’IPP à 50% dont 10% de coefficient professionnel ou à tout le moins à 47% dont 10% de taux professionnel ; de condamner la caisse à supporter les frais de l’expertise et à lui verser la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que les conclusions du rapport d’expertise, claires et dénuées de toute ambiguïté, retiennent le lien de causalité unissant tant les séquelles psychiatriques que la pathologie rénale développée suite à la prise de lithium, dans le cadre du traitement de sa dépression, etsa maladie et a retenu tant un taux médical qu’un coefficient professionnel.
Elle soutient cependant que la formule de Balthazar ne doit pas être appliquée dès lors que la pathologie rénale est la conséquence directe et exclusive du traitement de sa pathologie psychiatrique de sorte qu’il n’existe pas d’infirmités multiples.
En défense, la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine, représentée par son conseil, soutenant ses conclusions écrites, demande au tribunal de :
Débouter Madame [X] de l’ensemble de ses demandes ;Confirmer le taux médical de 20% reconnu par la caisse à la du 25 juin 2018 ;Constater que la caisse s’en rapporte sur l’adjonction d’un coefficient professionnel, dans la limite de 5% ;Rejeter la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;Condamner Madame [X] au paiement des entiers dépens.
Elle fait valoir que le taux de 20% retenu au titre des troubles psychiatriques est justifié au regard des séquelles présentées par Madame [X] et du barème indicatif d’évaluation de l’incapacité.
Elle ajoute que la polyurie dont est atteinte Madame [X] ne peut être prise en compte dans l’évaluation du taux d’incapacité dès lors que celle-ci constitue une nouvelle lésion qui n’a pas fait l’objet d’une décision de prise en charge au titre de la maladie professionnelle déclarée par Madame [X].
Elle fait enfin valoir qu’au regard du taux médical de 20%, il convient de limiter le coefficient professionnel à 5%.
L’affaire a été mise en délibéré au 28 août 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande de réévaluation du taux d’incapacité,
Aux termes de l'article L.434-2 du code de la sécurité sociale, le taux de l'incapacité permanente est déterminé d'après la nature de l'infirmité, l'état général, l'âge, les facultés physiques et mentales de la victime ainsi que d'après ses aptitudes et sa qualification professionnelle, compte tenu d'un barème indicatif d'invalidité.
L'article R.434-32 du même code prévoit qu'au vu de tous les renseignements recueillis, la caisse se prononce sur l'existence d'une incapacité permanente et, le cas échéant, sur le taux de celle-ci et sur le montant de la rente due à la victime ou à ses ayants droit.
Les barèmes indicatifs d'invalidité dont il est tenu compte pour la détermination du taux d'incapacité permanente d'une part en matière d'accidents du travail et d'autre part en matière de maladies professionnelles sont annexés au livre IV du code de la sécurité sociale. Lorsque ce dernier barème ne comporte pas de référence à la lésion considérée, il est fait application du barème indicatif d'invalidité en matière d'accidents du travail.
Les annexes I et II au code de la sécurité sociale prises en application de cet article définissent les barèmes indicatifs d'invalidité applicables en matière d'accidents du travail et de maladie professionnelle et rappellent que le barème n'a qu'un caractère indicatif. Les taux d'incapacité proposés sont des taux moyens, et le médecin chargé de l'évaluation garde, lorsqu'il se trouve devant un cas dont le caractère lui paraît particulier, l'entière liberté de s'écarter des chiffres du barème ; il doit alors exposer clairement les raisons qui l'y ont conduit.
Le barème indicatif a pour but de fournir les bases d'estimation du préjudice consécutif aux séquelles des accidents du travail et, éventuellement, des maladies professionnelles dans le cadre de l'article L. 434-2 applicable aux salariés du régime général et du régime agricole. Il ne saurait se référer en aucune manière aux règles d'évaluation suivies par les tribunaux dans l'appréciation des dommages au titre du droit commun.
Le taux d'incapacité permanente partielle doit s'apprécier à la date de consolidation des lésions et les situations postérieures ne peuvent être prises en considération.
Seules les séquelles résultant des lésions consécutives à une maladie professionnelle ou un accident du travail pris en charge par la caisse doivent être prises en compte pour l'évaluation du taux d'incapacité permanente attribué à la victime en application de l'article L. 434-2 du code de la sécurité sociale.
En l’espèce, au terme de son rapport, le docteur [V] retient une d’incapacité médicale de 40% au titre :
Des séquelles de stress post-traumatique s’exprimant sous la forme d’un état anxiodépressif sévère toujours en cours justifiant un taux de 30% ; D’une polyurie de 5L/24h avec bilan urologique subnormal, secondaire à la prise en charge de son état dépressif par du lithium justifiant un taux d’incapacité de 10%.
Madame [X] a rempli une déclaration de maladie professionnelle au titre d’un état dépressif. Cette seule lésion figure sur l’ensemble des certificats médicaux, initial et de prolongation, produits par la caisse ainsi que sur le certificat médical final du 26 mars 2018.
Il en résulte que la polyurie retenue par l’expert au titre des séquelles indemnisables, dont il n'est pas contestée qu'elle résulte du traitement de la dépression, constitue une nouvelle lésion, distincte des troubles psychiatriques initialement pris en charge.
Cependant, celle-ci n'ayant jamais été mentionné sur les certificats médicaux, elle n'a jamais fait l’objet d’une prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de sorte qu’elle ne peut être prise compte au titre de l’évaluation du taux d’incapacité permanente partielle.
La caisse justifie d'ailleurs de sa prise en charge au titre d’une affection longue durée avec exonération du ticket modérateur pour la période du 15 janvier 2014 au 15 janvier 2019, ce qui n’est pas contredit par Madame [X].
Les conclusions du rapport d'expertise seront donc sur ce point écartées.
S’agissant de l’évaluation du taux d’incapacité en lien avec les séquelles d’ordre psychiatrique, le barème indicatif prévoit un taux d’incapacité de :
10 à 20% pour les états dépressifs avec une asthénie persistante ;50 à 100% en cas de grande dépression mélancolique, anxiété pantophobique.
Dans son rapport, le docteur [V] retient l’existence d’un syndrome de stress post-traumatique sous la forme d’un état anxiodépressif persistant et sévère avec affects très triste, auto dévalorisation, sentiment de honte, repli social, anxiété généralisée, troubles importants de la concentration. Lors de l’examen clinique, l’utilisation de l’échelle de Beck a abouti à un score de 50 qui confirme selon l’experte l’existence d’un état dépressif sévère.
La gravité des séquelles ainsi constatées justifie le dépassement du taux de 20% prévu pour les troubles dépressifs avec asthénie, sans pour autant caractériser l’existence d’une grande dépression mélancolique (ce que ne prétend aucunement l’experte).
Dès lors, le taux d’incapacité de 30% retenu par l’experte apparaît adapté et sera confirmé.
Compte tenu de l’exclusion de la polyurie, le moyen relatif à l’application de la formule de Balthazar est inopérant.
S’agissant du coefficient professionnel, la caisse reconnaît que Madame [X] a fait l’objet d’un licenciement en lien avec son affection professionnel. En outre, l’experte confirme qu’en raison des séquelles persistantes, Madame [X] ne sera pas en mesure de reprendre son activité d’expert-comptable et estime qu’au vu de son âge et de ses capacités physiques et mentales, un coefficient professionnel de 10% est médicalement justifié.
Ces conclusions sont claires et ne sont pas contredites par la caisse qui se borne à solliciter la réduction du taux professionnel au regard du taux médical dont elle se prévaut.
Compte tenu des conclusions de l’experte, le coefficient professionnel sera fixé à 10%.
Il convient donc de fixer le taux d’incapacité permanente partielle présenté par Madame [X] suite à la consolidation de son état de santé en lien avec la maladie professionnelle déclarée le 18 décembre 2014 à 40% dont 10% au titre du coefficient professionnel.
L’intéressé sera renvoyée devant la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine pour la liquidation de ses droits.
Sur les mesures accessoires,
La caisse qui succombe à la présente instance est condamnée au paiement des dépens.
En outre, en application de l’article 700 du code de procédure civile, il serait inéquitable de laisser à la charge de Madame [X] les frais que celle-ci a dû engager pour faire valoir ses droits. En l’absence de justificatifs des frais réellement engagés, il apparaît équitable de fixer l’indemnité à la somme de 1 000 euros.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par décision contradictoire, rendue en premier ressort et mise à disposition au greffe,
DIT que le taux d’incapacité permanente partielle présenté par Madame [T] [X] suite à la consolidation de son état de santé en lien avec la maladie professionnelle déclarée le 18 décembre 2014 doit être fixé à 40% dont 10% au titre du coefficient professionnel ;
RENVOIE Madame [T] [X] devant la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine pour la liquidation de ses droits ;
CONDAMNE la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine au paiement des dépens de l’instance ;
CONDAMNE la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine à verser à Madame [T] [X] la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Fait et signé à Paris, le 28 août 2024.
La Greffière La Présidente
N° RG 19/02248 - N° Portalis 352J-W-B7D-CO32L
EXPÉDITION exécutoire dans l’affaire :
Demandeur : Mme [T] [X]
Défendeur : CPAM DES HAUTS DE SEINE
EN CONSÉQUENCE, LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE mande et ordonne :
A tous les huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ladite décision à exécution,
Aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux judiciaires d`y tenir la main,
A tous commandants et officiers de la force publique de prêter main forte lorsqu`ils en seront légalement requis.
En foi de quoi la présente a été signée et délivrée par nous, Directeur de greffe soussigné au greffe du Tribunal judiciaire de Paris.
P/Le Directeur de Greffe
8ème page et dernière