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28/08/2024 | FRANCE | N°16/04161

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Ps ctx protection soc 3, 28 août 2024, 16/04161


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] 3 Expéditions exécutoires délivrées aux parties en LRAR le :
3 Expéditions délivrées aux avocats en LS le :




PS ctx protection soc 3

N° RG 16/04161 - N° Portalis 352J-W-B7C-COGIR

N° MINUTE :


Requête du :


05 Août 2016













JUGEMENT
rendu le 28 Août 2024
DEMANDERESSE

S.A.S. [9]
[Adresse 2]
[Localité 4]

Représentée par Maître Mélanie LABOSSAIS-GRAMOND, avocat au barreau de PARIS, substitué

par Maître DUGUE, avocat plaidant


DÉFENDERESSES

Madame [B] [U] épouse [C]
[Adresse 3]
[Localité 6]

Représentée par Maître Herve ROY, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

C.P.A.M. DES...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] 3 Expéditions exécutoires délivrées aux parties en LRAR le :
3 Expéditions délivrées aux avocats en LS le :

PS ctx protection soc 3

N° RG 16/04161 - N° Portalis 352J-W-B7C-COGIR

N° MINUTE :

Requête du :

05 Août 2016

JUGEMENT
rendu le 28 Août 2024
DEMANDERESSE

S.A.S. [9]
[Adresse 2]
[Localité 4]

Représentée par Maître Mélanie LABOSSAIS-GRAMOND, avocat au barreau de PARIS, substitué par Maître DUGUE, avocat plaidant

DÉFENDERESSES

Madame [B] [U] épouse [C]
[Adresse 3]
[Localité 6]

Représentée par Maître Herve ROY, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

C.P.A.M. DES HAUTS-DE-SEINE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 5]

Représentée par Maître Amy TABOURE de la SELARL KATO & LEFEBVRE ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant

Décision du 28 Août 2024
PS ctx protection soc 3
N° RG 16/04161 - N° Portalis 352J-W-B7C-COGIR

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Mathilde SEZER, Juge
Gonzague GUEZ, Assesseur
Corinne BERDEAUX, Assesseur

assistés de Cécile STAVRIANAKOS, faisant fonction de greffier lors des débats et de Marie LEFEVRE, Greffière lors de la mise à disposition

DEBATS

A l’audience du 26 Juin 2024 tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 28 Août 2024.

JUGEMENT

Rendu par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

Le 14 février 2000, Madame [B] [C], née en 1964, a été embauchée par la société [9], cabinet d’expertise comptable, en qualité de directeur de mission, statut cadre.

En juin 2008, Madame [B] [C] a acquis 2,03% du capital de la société [9] et est devenu expert-comptable associée.

Le 7 septembre 2009, elle a été nommée présidente de la société [10], filiale de la société [9]. Ce mandat social a pris fin le 31 mars 2014.

A compter du 1er avril 2014, Madame [C] a été placée en arrêt de travail.

Le 8 décembre 2014, elle a saisi le conseil de Prud’hommes de Paris pour obtenir la résiliation judicaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur et le paiement de sa rémunération au titre de son mandat de présidente exercé au sein de la société [10] du 7 septembre 2009 au 31 mars 2014.

Le 18 décembre 2014, Madame [B] [C] a rempli une déclaration de maladie professionnelle à laquelle elle a joint un certificat médical daté du 11 février 2015 mentionnant « syndrome dépressif majeur consécutif à un harcèlement au travail en soins depuis le 1er avril 2014 avec tentative d’autolyse fin novembre 2014 » qu’elle a transmis à la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine (la caisse).

S’agissant d’une maladie hors tableau avec reconnaissance d’un taux d’IPP prévisible supérieur ou égal à 25%, le dossier a été soumis au Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles (CRRMP) d’Ile-de-France, le 7 octobre 2015.

Suite à l’avis favorable du CRRMP en date du 15 février 2016 du Comité, retenant un lien direct et essentiel entre les conditions de travail et la maladie déclarée par certificat médical du 11 février 2015, la Caisse a pris en charge le syndrome anxiodépressif dont souffre Madame [C] au titre de la législation professionnelle, par décision du 23 mars 2016 réitérée le 28 avril 2016 notifiées à l’employeur.

Suivant recours du 5 août 2016 (enregistré sous le numéro 16/04161) la société [9] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris d’un recours à l’encontre de la décision de rejet implicite de la Commission de Recours Amiable qu’elle avait saisi le 12 mai 2015 (qui sera confirmé par décision explicite du 14 septembre 2016) aux fins de lui voir déclarer inopposable la prise en charge de la maladie de madame [C] au titre de la législation professionnelle en raison tant de l’irrégularité de la procédure de reconnaissance que de l’absence de caractère professionnel de la pathologie.

Le 4 novembre 2016, Madame [B] [C] a quant à elle saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

Par jugement du 6 février 2017, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Nanterre s’est déclaré incompétent au profit de la juridiction parisienne, qui a enregistré le recours le 2 juin 2017 sous le numéro 17/02705.

L’état de santé de madame [C] a été déclaré consolidé le 26 mars 2018 suivant certificat médical final mentionnant « stabilisation avec séquelles d’un état dépressif en rapport avec une situation conflictuelle au travail ».

Les deux affaires (16/04161 et 17/02705) ont été renvoyées et appelées à une même audience de renvoi du 4 mai 2018.

A cette date, la société [9] a sollicité, avant dire droit, avant tout examen au fond, la désignation d’un second CRRMP compte tenu de sa contestation de la matérialité de la maladie dans le cadre de la demande de reconnaissance de sa faute inexcusable et de son recours en inopposabilité et en conséquence le sursis à statuer sur les demandes des parties.

Représentés par leurs conseils, madame [B] [C] et la caisse ne se sont pas opposées à la demande et ont sollicité par ailleurs la jonction des procédures dans le cadre d’une bonne administration de la justice.

Suivant jugement du 4 mai 2018, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris a :
• ordonné la jonction des procédures 17/02705 et 16/04161 sous ce seul dernier numéro compte tenu de la double discussion sur le caractère professionnel de la pathologie ;
• dit que le dossier de Madame [B] [C] sera soumis au CRRMP de [Localité 8], lequel aura pour mission de donner son avis motivé sur l’existence d’un lien de causalité direct et essentiel entre le travail habituel de Madame [B] [C] et l’affection déclarée le 11 février 2015 ;
• ordonné le sursis à statuer (sur les demandes de reconnaissance de la faute inexcusable et ses conséquences, sur la demande d’inopposabilité de la prise en charge en raison de la contestation de la matérialité de la pathologie et sur toutes autres demandes) dans l'attente de l'avis du Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles de [Localité 8].

Madame [C] a été licenciée pour inaptitude le 25 mai 2018 après avis d’inaptitude du médecin du travail du 18 avril 2018.

Par jugement du 6 décembre 2019, le conseil de Prud’hommes de Paris a débouté Madame [C] de l’ensemble de ses demandes au titre de la résiliation de son contrat de travail.

Madame [C] a interjeté appel de cette décision. Par arrêt du 29 septembre 2022, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement du 6 décembre 2019 sauf en ses dispositions relatives à la résiliation judiciaire du contrat de travail et à ses conséquences indemnitaires, aux frais irrépétibles et aux dépens.
Statuant à nouveau, elle a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de madame [C] aux torts de la société [9], notamment au constat d’une violation par l’employeur de son obligation de sécurité, et accordé à la salariée diverses sommes au titre de l’indemnisation de la rupture de son contrat de travail et des frais irrépétibles. Elle a en revanche constaté l’incompétence de la juridiction prud’hommale pour statuer sur la demande d’indemnisation de la violation de l’obligation de sécurité au profit du pôle social de Paris, saisi d’une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

Le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 8] - en composition incomplète - qui a reçu le dossier complet le 3 décembre 2018, a pris connaissance des pièces suivantes : “demande de reconnaissance, certificat établi par le médecin traitant, enquêtes réalisées par la caisse, rapport du contrôle médical de la caisse”, ainsi qu’une “note de synthèse rédigée par madame [C], non signée et (cinq envois de) documents par l’employeur” a entendu le médecin rapporteur et a rendu un avis (comportant trois pages) le 13 juillet 2021 défavorable à l’existence d’un lien de causalité direct et essentiel entre la pathologie et le travail, au motif que le comité “n’a pas compétence pour se prononcer en matière de harcèlement”.

Par jugement en date du 23 juin 2022, rectifié par ordonnance du 15 juillet 2022, le tribunal a notamment :
Déclaré les recours de madame [B] [C] et de la société [9] recevables ;Rejeté la demande de la société [9] en déclaration d’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle invoquée au 11 février 2015 ;Avant dire droit sur la demande en contestation du caractère professionnel de la pathologie déclarée par madame [B] [C] et sur la demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société [9], désigné un troisième CRRMP, celui d’[Localité 11], avec pour mission de donner son avis motivé sur l’existence d’un lien de causalité direct entre le travail habituel de Madame [B] [C] et l’affection déclarée le 11 février 2015 ;Sursis à statuer sur les demandes de reconnaissance de la faute inexcusable et ses conséquences, en raison de la contestation de la matérialité de la pathologie et sur toutes autres demandes plus amples des parties dont les demandes au titre des frais irrépétibles dans l’attente de l’avis du CRRMP d’[Localité 11] ; Ordonné l'exécution provisoire ;Réservé les dépens.
Le CRRMP d’[Localité 11] a rendu, le 26 avril 2024, un avis défavorable, estimant qu’il n’y pas lieu de retenir l’existence d’un lien direct et essentiel entre l’affection présentée et l’exposition professionnelle de Madame [C].

*

Parallèlement, Madame [C] a saisi le tribunal du contentieux de l’incapacité le 29 novembre 2018 pour contester le taux d’incapacité permanente partielle de « 20% dont 0% pour le taux professionnel » avec attribution d’une rente à compter du 26 juin 2018 au titre des séquelles suivantes : « Syndrome dépressif majeur, séquellaire et persistant, sur terrain de trouble de l’humeur de type bipolaire décompensé dans les suites de problématiques professionnelles évoluant depuis 2014, reconnu en maladie professionnelle le 11 février 2015 » qui lui été notifié par décision du 04 septembre 2018 rectifiée le 3 décembre 2018 (sur le calcul du salaire).

Le 1er janvier 2019, le dossier a été transféré au pôle social du Tribunal de grande instance de Paris, devenu tribunal judiciaire le 1er janvier 2020, en raison de la fusion du tribunal du contentieux de l’incapacité avec les juridictions de droit commun qui a enregistré le dossier le 1er février 2019 au pôle contentieux technique sous le numéro RG 19/02248.

*

Les deux procédures, RG 16/04121 (action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur) et RG 19/02248 (contestation du taux d’IPP) ont été appelées à l’audience du 26 juin 2024, à laquelle les parties ont toutes comparu et ont été informées que les décisions étaient en délibéré au 28 août 2024.

*

Madame [C], représentée par son conseil, soutenant oralement ses conclusions après 3e CRRMP, demande au tribunal de :
Dire que la société [9] a commis à son encontre une faute inexcusable ; Avant-dire droit, fixer au maximum légal la majoration de la rente qui sera retenu à son bénéfice dans les rapports avec la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts de Seine et surseoir à statuer que la liquidation de la majoration dans l’attente du jugement à venir sur le taux d’incapacité permanente partielle ; Sur les autres préjudices, ordonner une expertise médicale judiciaire et commettre pour y procéder un spécialiste en neurologie/psychiatrie avec pour mission, après l’avoir entendue et examinée, de déterminer la durée des déficits fonctionnels temporaire et permanent, évaluer les souffrances physiques et morales, le préjudice d’agréement, le préjudice sexuel et la diminution ou la perte de chance d’évolution ou de promotion professionnelle, le préjudice sexuel ;Lui accorder une provision à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices d’un montant de 10 000 euros ;Juger qu’il appartiendra à la caisse de faire l’avance de toutes les condamnations indemnitaires et de la provision, à charge pour elle d’en récupérer le montant auprès de l’employeur ; Déclarer le jugement commun et opposable à la caisse ;Ordonner l’exécution provisoire ;Condamner la société [9] à lui verser la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ; Condamner la société [9] au paiement des dépens ; Ordonner l’affichage de la décision à intervenir pendant un mois dans les locaux de la société [9] sur les panneaux réservés aux communications de la direction à destination des salariés, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ; Ordonner la consignation des sommes à la [7] ;Ordonner le report du point de départ des intérêts à la date de la saisine de la juridiction ;Ordonner la capitalisation judiciaire des intérêts.
En défense, la société [9] demande au tribunal de lui déclarer inopposable la décision de prise en charge de lui déclarer inopposable la décision de prise en charge de la maladie déclarée par Madame [C] au titre de la législation sur les risques professionnels, de débouter cette dernière de sa demande en reconnaissance de sa faute inexcusable ainsi que de l’intégralité de ses autres demandes, de la condamner au paiement des dépens ainsi que de la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Son conseil indique oralement abandonner sa demande en inopposabilité de la décision de prise en charge de sorte que le tribunal n’est plus saisi que des demandes relatives à l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

A ce titre, la caisse, représentée par son conseil soutenant oralement ses conclusions écrites, demande au tribunal de lui donner acte qu’elle s’en remet à la sagesse du tribunal sur le mérite de la demande en reconnaissance de la faute inexcusable ainsi que sur la demande d’expertise et de majoration de la rente.
Elle demande au tribunal, en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, de condamner ce dernier à lui rembourser les sommes dont elle devra faire l’avance, de rappeler que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal et d’écarter la demande de capitalisation de intérêts.
Elle demande enfin à ce que les dépens soient laisser à la charge de la partie qui succombera.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures respectives des parties pour un plus ample exposé des moyens développés.

L’affaire été mise en délibéré au 28 août 2024.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la reconnaissance de la faute inexcusable,

Madame [C] fait valoir qu’en qualité de directrice de mission puis d’expert-comptable associée elle assumait la responsabilité de missions d’assistance auprès des comité d’entreprise, de commissariat aux comptes et d’expertise comptable, confiées par des entreprises clientes du cabinet, notamment celles présentant des difficultés particulières, compte tenu de sa formation et de son expérience.
Elle soutient qu’à ce titre, sa charge de travail n’a cessé d’augmenter au fil des années en raison d’un manque de personnel et des efforts attendus de ceux présents pour faire face aux difficultés financières de la société ce qui l’a conduit à effectuer de très nombreuses heures supplémentaires.
Elle précise qu’en sus de cette activité déjà lourde, elle a dû assumer en parallèle la Présidence de la société [10] et ce alors que le directeur général de cette société était en arrêt de travail pour longue maladie ce qui l’a conduite à prendre en charge de nouvelles missions pour lesquelles elle n’a au demeurant touché aucune rémunération supplémentaire.
Elle indique que face à cette situation, elle a, par courriels des 6 octobre et 15 décembre 2012 puis à nouveau au cours du mois de janvier 2013, alerté sa direction, en la personne de Monsieur [J], dirigeant du groupe, sur le fait qu’elle ne pouvait plus continuer à gérer seule toutes ces tâches et qu’il devait reprendre la présidence de la société [10]. Que son supérieur lui a assuré par courriel du 15 décembre 2012 qu’il reprendrait la présidence de la Clé, ce qu’il n’a néanmoins jamais fait.
Elle soutient que suite à ses demandes réitérées de quitter la présidence de la Clé, ses relations avec le groupe se sont dégradées, qu’elle s’est alors vue imputer les difficultés financières rencontrées par la société [9] et qu’une associée ainsi que les filles du dirigeant ont cessé de lui adresser la parole ; que ces difficultés ont atteint leur point d’orgue au mois de mars 2014 lorsqu’elle s’est vue convoquée par Monsieur [J] à un entretien au cours duquel il lui a été reproché de prétendus graves problèmes de comportement et de management, une mauvaise gestion de son budget et de son temps de travail. Il lui a également été fixé un objectif d’augmentation du chiffre d’affaires de la société de plus de 70% dont elle estime qu’il était inatteignable.

Elle soutient que l’ensemble de ces éléments l’ont plongé dans une profonde dépression ayant conduit à son arrêt de travail à compter de la fin du mois de mars 2014 jusqu’à son licenciement en 2018. Elle fait valoir que depuis son départ, plusieurs salariés ont été soumis aux mêmes pressions qu’elle.

Elle invoque le fait que les divers expertises et contrôles médicaux auxquels elle a été confrontée ont de manière concordante permis de révéler qu’elle ne souffrait d’aucun antécédant psychiatrique antérieur au mois d’avril 2014 ; que pour arguer de l’existence d’un état pathologique psychiatrique préexistant, son employeur se fonde en effet exclusivement sur l’attestation du docteur [Y] du 8 juin 2017 dont elle déforme le sens.
Elle ajoute que contrairement à ce qu’affirme son employeur, le CRRMP de [Localité 12] a bien retenu explicitement l’existence d’un lien de causalité direct et essentiel entre sa maladie et ses conditions de travail.

Elle soutient que la surcharge de travail à laquelle elle a fait face, les difficultés rencontrées dans la présidence de la société [10] et les risques que celles-ci représentaient pour sa santé étaient connus de sa direction qui a répondu à la détresse qu’elle exprimait par des brimades et humiliations et la fixation d’objectifs inatteignables.

La société [9] oppose qu’il résulte du certificat médical du médecin psychiatre de Madame [C] que cette dernière souffre d’un trouble bipolaire préexistant et non diagnostiqué au moment de l’avis rendu par le premier CRRMP qui exclut tout lien entre la pathologie développée et ses conditions de travail ; que ces troubles ont été constatés dans le rapport du docteur [Y], médecin psychiatre et ont justifié la prescription de Lacmital, médicament utilisé pour la prévention des épisodes dépressifs associés à un trouble bipolaire.

Elle souligne les différences de diagnostics existant entre les certificats établis par les différents médecins ayant eu à connaitre de la situation de Madame [C] et fait valoir que le médecin conseil de la caisse, dans le rapport qu’il a établi à destination du CRRMP n’a retenu qu’un lien de causalité possible qui est insuffisant à retenir le caractère professionnel de la pathologie.

Elle ajoute que les deux CRRMP qui se sont prononcés après que les troubles bipolaires de Madame [C] ont été diagnostiqués, ont tous deux rendus un avis défavorable, retenant pour l’un l’existence d’une pathologie intercurrente et pour l’autre le fait que les éléments avancés par la salariée ne pouvaient à eux seuls expliqué le développement de la pathologie.

Elle soutient que le travail de Madame [C] ne présentait aucun risque particulier, d’autant plus que celle-ci était expert-comptable associée et bénéficiait à ce titre d’une totale autonomie dans travail qui consistait à contrôler que le travail de ses subordonnés était bien fait ; qu’elle a toujours entretenu d’excellentes relations avec ses associés.

Elle fait valoir que Madame [C] entretient volontairement une confusion entre les sociétés [9] et [10], invoquant à l’appui de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable engagée contre la société [9] des faits relevant exclusivement de son mandat social de Présidente de la société [10] qui n’a jamais été son employeur.
Elle fait valoir qu’elle ne rapporte pas la preuve des prétendues brimades et humiliations dont elle se prévaut et qu’elle a elle-même fixé ses objectifs.

Elle fait enfin valoir que non informée des troubles dont étaient atteinte sa salariée, elle a interprété son comportement comme des difficultés managériales et lui a en conséquence proposé de suivre une formation, dont Madame [C] s’est dite satisfaite.

*

Sur ce, en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers ce dernier d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne tant les accidents du travail que les maladies professionnelles. L'employeur a, en particulier, l'obligation de veiller à l'adaptation de ces mesures de sécurité pour tenir compte des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. Il doit éviter les risques et évaluer ceux qui ne peuvent pas l'être, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions du travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants. Les articles R.4121-1 et R.4121-2 du code du travail lui font obligation de transcrire et de mettre à jour au moins chaque année, dans un document unique les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.

Le manquement à cette obligation de sécurité de résultat a le caractère d’une faute inexcusable, au sens de l’article L.452-1 du code de la sécurité sociale, lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Il est indifférent que la faute inexcusable commise par l’employeur ait été l'origine déterminante de la maladie contractée par le salarié mais il suffit qu’elle en soit une cause nécessaire pour que la responsabilité de l’employeur soit engagée, alors même que d’autres fautes y compris la faute d'imprudence de la victime, auraient concouru au dommage.

Il incombe au salarié de prouver que son employeur, qui devait avoir conscience du danger auquel il était exposé, n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Étant rappelé que la simple exposition au risque ne suffit pas à caractériser la faute inexcusable de l'employeur ; aucune faute ne peut être établie lorsque l'employeur a pris toutes les mesures en son pouvoir pour éviter l'apparition de la lésion compte tenu de la conscience du danger qu'il pouvait avoir.

La conscience du danger exigée de l’employeur est analysée in abstracto et ne vise pas une connaissance effective de celui-ci. En d’autres termes, il suffit de constater que l’auteur « ne pouvait ignorer » celui-ci ou « ne pouvait pas ne pas [en] avoir conscience » ou encore qu’il aurait dû en avoir conscience. La conscience du danger s'apprécie au moment ou pendant la période de l'exposition au risque.

Il est constant qu’indépendamment du caractère définitif de la décision de prise en charge dans les rapports entre la caisse et l’assurée, l’employeur, dont la responsabilité est recherchée dans le cadre d’une action en reconnaissance de sa faute inexcusable, est fondé, en défense à cette action, à remettre en cause le caractère professionnel de la pathologie.

Enfin, dans le cas d’une pathologie non désignée dans un tableau de maladies professionnelles mais susceptible d’entraîner une incapacité permanente partielle d’au moins 25%, il résulte de la combinaison des dispositions du septième alinéa de l’article L. 461-1 et R. 142-17-2 du code de la sécurité sociale que le tribunal ne peut statuer sur son caractère professionnel qu’après avoir recueilli l’avis d’un second CRRMP.

Sur le caractère professionnel de la pathologie déclarée,

En l’espèce, sur la base de ces dispositions de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, la caisse a soumis le dossier de Madame [C] au CRRMP d’Ile-de-France qui, contrairement à ce qu’affirme l’employeur, a rendu un avis favorable, retenant l’existence d’un lien direct et essentiel entre la pathologie déclarée et les conditions de travail Madame [C] celui-ci retenant que : « la prise en compte de l’ensemble des éléments médicaux transmis, l’étude de l’anamnèse et des documents décrivant les conditions de travail ainsi que la chronologie de l’apparition des troubles et leur nature permettent de retenir un lien direct et essentiel entre les conditions de travail habituel et la maladie déclarée par le certificat médical du 11 février 2015.

En application des dispositions de l’article R. 142-27-2 du même code, le tribunal a ordonnée la saisine d’un second CRRMP, à savoir celui de Bourgogne-Franche Comté qui a rendu un avis contraire, en formation incomplète, estimant, après une longue liste de « considérant » ne faisant que reprendre la liste des différents éléments constitutif du dossier, a retenu que « l’existence d’un lien de causalité direct et essentiel entre le travail habituel de Madame [C] et l’affection déclarée le 11 février 2015 ne peut pas être retenue ».

Par jugement avant dire-droit en date du 23 juin 2022, soulignant que les deux CRRMP n’avaient pas eu accès aux mêmes éléments et reprenant l’argumentation de l’employeur relative à l’existence d’une pathologie antérieure ou du moins intercurrente, à savoir des troubles bipolaires, le tribunal a ordonné la saisine d’un troisième CRRMP, celui de la région Centre Val-de-Loire. Celui-ci a rendu le 26 avril 2024, un nouvel avis défavorable aux motifs que « après avoir étudié les pièces médico-administratives du dossier, le comité constate des éléments discordants ne permettant pas de retenir des contraintes psycho-organisationnelles suffisantes pour expliquer à elles seules le développement de la pathologie observée. »

Le tribunal n’est pas lié par les avis rendus par les CRRMP et il appartient au salarié, demandeur à l’action en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, de rapporter la preuve de l’existence d’un lien de causalité direct et essentiel entre sa pathologie et son travail.

Madame [C] soutient que sa pathologie est liée à une surcharge de travail, des pressions économiques générant un stress intense et des humiliations.

Sur la surcharge de travail, elle fait valoir que du 7 septembre 2009 au 31 mars 2014, elle a cumulé ses fonctions salariées au sein de la société [9] avec la Présidence de la société, filiale du même groupe, la Clef qui se trouvait dans une situation plus de difficile et nécessitait dès lors une importante implication de sa part.
Elle produit l’évaluation par son employeur de son temps de travail hebdomadaire ainsi qu’un décompte des heures supplémentaires qu’elle estime avoir effectué en regard de la « base théorique » de son contrat de travail, fixée à 169 heures mensuelles qu’elle attribue à l’incapacité de l’entreprise à fidéliser et recruter des collaborateurs.

Elle produit deux courriels des mois d’octobre et décembre 2012 aux termes desquels elle fait état auprès de Monsieur [J] de son niveau de stress et de son incapacité à récupérer durant les week-ends, des difficultés relatives au manque de personnel et lui demande de reprendre la présidence de la société [10].

Elle ajoute que face à cette surcharge, elle n’a bénéficié d’aucun soutien de sa hiérarchie qui à formuler à en réponse, formuler à son encontre des reproches sur l’utilisation de son temps de travail et son attitude prétendument inadaptée envers ses collaborateurs et associés.

Elle verse aux débats plusieurs courriels de salariés de la société [9] faisant état des difficultés rencontrées avec Monsieur [J] qui est qualifié d’ « horrible » ainsi que la lettre de démission d’un salarié de la société [10] faisant du contexte social insoutenable au sein de la Clé compte tenu des difficultés rencontrées par cette société. Elle produit également un jugement du tribunal de prud’hommes de Paris ayant condamnée la société [9] pour harcèlement moral du fait des agissements de son président à l’égard d’une autre salariée.

S’agissant des pressions économiques subis, elle fait valoir que Monsieur [J] insistait lourdement sur les difficultés économiques rencontrées par la société et exigeait que la situation s’améliore et qu’en contradiction avec ses difficultés, il été exigé d’elle qu’elle atteigne un objectif de 1 630 000 euros de chiffre d’affaires en 2014, soit une augmentation de de 70% par rapport à l’année précédente.

Elle fait valoir que ces conditions de travail ont généré un stress insurmontable à l’origine de la dégradation de son état de santé. Elle produit enfin de nombreux certificats médicaux, arrêts de travail et prescriptions relatifs à l’apparition successive d’acouphènes, de migraines, de contractures musculaires au niveau du visage puis de son état dépressif qui font tous référence aux difficultés rencontrées par la salariée dans le cadre de son travail.

S’agissant de l’argumentation de l’employeur relative à l’existence d’un état pathologique antérieur, à savoir des troubles bipolaires, et celle de facteurs extra-professionnels, elle invoque notamment le rapport du service médical de la caisse qui note l’absence de facteurs extra-professionnels ; le rapport établi par l’organisme de prévoyance [13], à la demande de l’employeur et qui relève expressément l’absence d’antécédents psychiatriques, les certificats des docteurs [Y], psychiatre, et [T], neurologue qui ne relève également aucun antécédent. Elle précise que si dans son attestation du 8 juin 2017, le docteur [Y] relève l’existence d’un trouble bipolaire résistant et partiellement stabilisé, il ne fait aucunement état de son caractère préexistant et a ultérieurement précisé que l’expression employée se référait à un « syndrome dépressif avec des caractéristiques mixtes de l’humeur » ce qui n’est pas incompatible avec la reconnaissance du caractère professionnel de cet état dépressif.
Elle produit également des attestations de collègues qui indiquent n’avoir jamais rencontrés de difficultés dans leur relation de travail avec elle et n’avoir noté aucun changement particulier de comportement au cours de celle-ci.

L’employeur réplique que Madame [C] a bénéficié d’une ascension dans l’entreprise en devenant associée, ce qui s’est traduit par l’octroi d’une rémunération élevée, qu’elle était cadre dirigeante de l’entreprise et disposait à ce titre d’une totale autonomie dans l’organisation de son temps de travail.
Il fait valoir qu’elle a librement pris la présidence de la société [10], statuant valorisant au sein de l’entreprise et de ses associés ; qu’elle n’avait jusque-là rencontré aucune difficulté dans l’exécution de son contrat de travail mais n’a pas supporter de n’avoir pu redresser la situation de la société [10]. Il souligne cependant que Madame [C] opère délibérément une confusion entre son contrat de travail au sein de la société [9] et son mandat social de Présidente de la société [10], dont elle n’était pas salariée.

Il ajoute que Madame [C] ne rapporte aucunement la preuve des prétendues brimades et vexations qu’elle invoque et affirme au contraire qu’elle a toujours bénéficié du soutien de ses associés et collègues. Il verse ainsi aux débats des mails cordiaux et compatissants adressés par ses collègues, notamment au moment du décès de sa mère.

Il invoque enfin et surtout le fait que le certificat du docteur [Y] permet de relever que Madame [C] souffre de trouble bipolaire, ce qui est confirmé par la prescription de Lactimal, médicaments habituellement prescrits pour le traitement de cette pathologie. Or, il relève que la littérature médicale permet d’affirmer que les conditions de travail ne sauraient être à l’origine de troubles bipolaires. Il relève que le médecin conseil de la caisse, dans le rapport médical qu’il a adressé au CRRMP a lui-même retenu un lien de causalité « possible », ce qui n’est pas suffisant pour retenir le caractère professionnel d’une maladie hors tableau.
Il soutient également que le comportement de sa salariée a changé suite au décès de sa mère en 2011 et argue de difficultés relationnelles avec son mari.
Il fait enfin valoir au soutien du caractère prémédité de la démarche de la salariée que celle-ci a été placé en arrêt de travail le lendemain de la fin de sa présidence de la Clé alors qu’avait en outre été organisée, à sa demande, une fête au sein de la société pour fêter son anniversaire avant laquelle Madame [C] avait consciencieusement rangé et vidé son bureau.

Cependant, il résulte de ce qui précède que les éléments produits par Madame [C] permettent de retenir qu’elle a été confrontée à une surcharge de travail, inhérente à ses fonctions d’associé au sein de la société [9] et aggravées à compter de la prise de la présidence de la société [10] et ce dans un contexte social et économique particulièrement difficile, ce qui a généré un état de stress au sujet duquel la salariée s’est ouverte à plusieurs reprises auprès de son employeur.

Ni le fait que Madame [C] bénéficiait d’une importante indépendance dans l’entreprise, ni son niveau de salaire ne sont de nature à remettre en cause cette surcharge et ses conséquences sur l’état de santé de la salariée.

En outre, si c’est à juste titre que la société [9] rappelle que Madame [C] n’était pas la salariée de la société [10], il n’en demeure pas moins que l’employeur était informé du mandat social exercé par sa salariée, en qualité de Présidente d’une société appartenant au même groupe, et de ce que le cumul de ce mandat avec son activité salariée était source d’un épuisement mettent en jeu sa santé.

L’employeur est d’autant moins fondé à soutenir que la requérante entretient une confusion entre son emploi salarié et son mandat social alors qu’il ressort de plusieurs courriels que Monsieur [J] a reproché à plusieurs reprises à Madame [C] la gestion de son temps de travail, notamment au regard du temps consacré à la Présidence de la Clé.

Il apparaît en outre que Madame [C] n’a pas reçu de soutien de la part de son employeur alors qu’elle l’avait alerté des difficultés qu’elle rencontrait. En effet, si les reproches formulés à l’encontre de la salariée, ne contiennent aucun propos agressif ou humiliant et n’apparaissent pas dès lors excéder le pouvoir de direction de l’employeur, il n’en demeure pas moins que ceux-ci ont été formulés pour la première fois après que la salariée avait fait état des difficultés qu’elle rencontrait et sans qu’il ne soit par ailleurs répondu à ces dernières.

Il ressort enfin des éléments médicaux que la chronologie d’apparition des problèmes de santé de la salariée correspond à celle des difficultés professionnelles qu’elle invoque, que l’ensemble des professionnels de santé font état de la souffrance exprimée par Madame [C], en lien avec ses conditions de travail et que celle-ci n’avait jamais présenté de troubles psychiatriques avant l’arrêt de travail initial de sorte que le seul , postérieur à cet arrêt, de troubles bipolaires, sans aucune manifestation antérieure, ne saurait faire obstacle à la reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie déclarée.

L’employeur se borne enfin à invoquer de manière péremptoire l’existence de facteurs extraprofessionnels sans apporter le moindre élément au soutien de ses affirmations, au demeurant contredites par les certificats médicaux produits.

Ces éléments permettent de retenir l’existence d’un lien de causalité direct et essentiel entre les conditions de travail de Madame [C] au sein de la société [9] et la maladie mentionnée sur le certificat médical du 11 février 2015 dont elle est atteinte.

Sur la connaissance du risque par l’employeur et l’absence de mesure de prévention,

Il résulte de ce qui a précédemment été exposé que Madame [C] avec à plusieurs reprises alerté son employeur, tant sur les difficultés qu’elle rencontrait et les conséquences de celles-ci sur son état de santé, au demeurant dans des termes forts, indiquant notamment en octobre 2012 : « moi je suis de plus en plus en stress … Une peur qui s’est transformée en angoisse qui me réveille parfois. D’où un engrenage où le week-end ne permet plus de récupérer mais juste de se calmer un peu. ».

L’employeur avait en outre pris la mesure de l’état de santé de la salariée, lui reprochant à plusieurs reprises, et notamment dès le mois de décembre 2012 de « devenir terriblement négative, stressée, angoissée » et ne peut après coup se prévaloir de ce que ces difficultés ne seraient liées qu’aux troubles bipolaires de sa salariée dont il n’avait pas connaissance, pour arguer, a postériori, d’une absence de conscience du risque auquel était exposée sa salariée.

Il apparaît enfin que l’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour protéger sa salariée. Celui-ci n’a en effet jamais donné suite à son engagement de décharger la salariée de la Présidence de la société [10], ce qui n’est intervenu qu’au mois de mars 2014, par le biais d’une fusion et n’a pris aucune autre mesure de nature à alléger sa charge de travail.

Enfin, la formation en management proposée à la salariée apparaît insuffisante, celle-ci ayant pour effet de renvoyer la responsabilité de la situation à la salariée et ce alors que l’employeur argue au demeurant de difficultés rencontrées par Madame [C] dans les relations entretenues avec ses collaborateurs sans produire d’éléments au soutien de cette affirmation.

Il découle de tout ce qui précède que la maladie professionnelle dont est atteinte Madame [C] est due à la faute inexcusable de son employeur, la société [9].

Sur les conséquences de la faute inexcusable à l'égard de la victime

Sur la majoration de rente

Seule la faute inexcusable de la victime – entendue comme une faute volontaire, d'une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience - est susceptible d'entraîner une diminution de la majoration de la rente.

La faute inexcusable de l’employeur étant reconnue à l’exclusion de toute faute de même nature de la victime, il convient d’ordonner en son principe la majoration au taux maximal légal de la rente servie en application de l’article L 452-2 du code de la sécurité sociale.

Il convient en revanche de surseoir à statuer sur les modalités de sa liquidation dans l’attente de la décision relative au taux d’incapacité permanente partielle (RG 19/02248).

Sur l’indemnisation des préjudices,

Aux termes de l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale, « indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit en vertu de l'article précédent, la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétique et d’agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ».

Selon la décision du Conseil constitutionnel en date du 18 juin 2010, en cas de faute inexcusable de l’employeur, la victime peut demander à celui-ci réparation de l’ensemble des dommages non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale.

Par quatre arrêts rendus le 4 avril 2012, la Cour de cassation a précisé l’étendue de la réparation des préjudices due à la victime d’un accident du travail en cas de faute inexcusable de son employeur.

Il en résultait que la victime ne peut pas prétendre à la réparation des chefs de préjudices suivants déjà couverts :
le déficit fonctionnel permanent (couvert par L.431-1, L.434-1 et L.452-2),les pertes de gains professionnels actuelles et futures (couvertes par les articles L.431-1 et suivants, L.434-2 et suivants),l’incidence professionnelle indemnisée de façon forfaitaire par l’allocation d’un capital ou d’une rente d’accident du travail (L.431-1 et L.434-1) et par sa majoration (L.452-2),l’assistance d’une tierce personne après consolidation (couverte par l'article L.434-2 alinéa 3),les frais médicaux et assimilés, normalement pris en charge au titre des prestations légales.
En revanche, la victime peut notamment prétendre à l’indemnisation, outre celle des chefs de préjudice expressément visés à l’article L.452-3 du code de la sécurité sociale, :
du déficit fonctionnel temporaire, non couvert par les indemnités journalières qui se rapportent exclusivement à la perte de salaire,des dépenses liées à la réduction de l’autonomie, y compris les frais de logement ou de véhicule adapté, et le coût de l’assistance d’une tierce personne avant consolidation,du préjudice sexuel, indépendamment du préjudice d’agrément.
Par deux arrêts du 20 janvier 2023, l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation a cependant jugé que la rente versée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne répare pas le déficit fonctionnel permanent de sorte que celle-ci peut en demander réparation selon les règles de droit commun.

En l’espèce, l'évaluation des préjudices invoqués nécessitant une expertise médicale, elle sera ordonnée sur cette base, selon les modalités précisées dans le dispositif du présent jugement.

La caisse primaire d’assurance maladie fera l'avance des frais d'expertise, en application des dispositions de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale.

Il sera rappelé à Madame [C] que la charge de la preuve lui incombe pour toutes demandes excédant les constatations de l'expert médical.

En outre, les éléments médicaux produits justifient d’accorder à l’intéressé une provision à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices d’un montant de 5 000 euros dont la caisse primaire assurera l'avance en application de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale.

Sur l’action récursoire de la caisse,

En application de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale, la réparation des préjudices alloués à la victime d'un accident du travail dû à la faute inexcusable de l'employeur, indépendamment de la majoration de la rente, est versée directement au bénéficiaire par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.

Il résulte de la combinaison des articles L.412-8 et L.452-6 du code de la sécurité sociale qu’en cas d’accident du travail survenu à un stagiaire et imputable à la faute inexcusable de l’organisme d’accueil, l’établissement d’enseignement, employeur au sens de l’article L. 452-1 du même code, est seul tenu envers l’organisme de sécurité social du remboursement des indemnités complémentaires prévues par la loi, sans préjudice de l’action en remboursement qu’elle peut exercer contre l’organisme d’accueil, auteur de la faute inexcusable.

Il en est de même de la majoration de rente versée en application de l'article L.452-2 alinéa 6 du code de la sécurité sociale.

En l’espèce, la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts de Seine est donc fondée à recouvrer à l’encontre de la société [9] le montant de la provision ci-dessus accordée, des indemnisations complémentaires qui seront éventuellement accordées postérieurement ainsi que la majoration de la rente.

Sur les mesures accessoires,

Les dépens sont réservés.

Il est sursis à statuer sur le surplus des demandes dans l’attente du dépôt du rapport de l’expert.

Il sera rappelé, qu’ordonnant une mesure d’expertise, la présente décision est, de droit, assortie de l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, par décision contradictoire, rendue en premier ressort,

Dit que la maladie professionnelle déclarée selon certificat médical initial du 11 février 2015 dont souffre Madame [B] [C] trouve son origine dans une faute inexcusable de la société [9] ;

Ordonne dans son principe la majoration de la rente qui sera fixée après détermination définitive du taux d’incapacité permanente partielle à son maximum en application de l'article L. 452-2 du code de la sécurité sociale, étant précisé que la majoration devra suivre l'aggravation éventuelle du taux d'incapacité permanente partielle dans les mêmes proportions ;

Sursis à statuer sur les modalités de la majoration de la rente ;

Avant-dire droit sur la liquidation des préjudices subis par Madame [B] [C], ordonne une expertise judiciaire et désigne pour y procéder le docteur [X] [K], médecin psychiatre, expert près la Cour d'appel de Paris, avec pour mission de :

1°) Convoquer les parties et recueillir leurs observations ;

2°) Se faire communiquer par les parties tous documents médicaux relatifs aux lésions subies, en particulier le certificat médical initial ;

3°) Fournir le maximum de renseignements sur l’identité de la victime et sa situation familiale, son niveau d'études ou de formation, sa situation professionnelle antérieure et postérieure à l'accident ;

4°) A partir des déclarations de la victime et des documents médicaux fournis, décrire en détail les lésions initiales, les modalités du traitement, en précisant autant que possible les durées exactes d’hospitalisation et, pour chaque période d’hospitalisation, la nature et le nom de l’établissement, le ou les services concernés et la nature des soins ;

5°) Retranscrire dans son intégralité le certificat médical initial et, si nécessaire, reproduire totalement ou partiellement les différents documents médicaux permettant de connaître les lésions initiales et les principales étapes de l’évolution ; prendre connaissance et interpréter les examens complémentaires produits ;

6°) Décrire un éventuel état antérieur en interrogeant la victime et en citant les seuls antécédents qui peuvent avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles ;

7°) Procéder dans le respect du contradictoire à un examen clinique détaillé en fonction des lésions initiales et des doléances exprimées par la victime ;

8°) Décrire, en cas de difficultés particulières éprouvées par la victime, les conditions de reprise de l’autonomie et, lorsque la nécessité d’une aide temporaire est alléguée, la consigner et émettre un avis motivé sur sa nécessité et son imputabilité en particulier ;
- indiquer si l'assistance constante ou occasionnelle d'une tierce personne (étrangère ou non à la famille) a été nécessaire avant la consolidation en décrivant avec précision les besoins (nature de l’aide apportée, niveau de compétence technique, durée d’intervention quotidienne ou hebdomadaire) ;
- lorsque la nécessité de dépenses liées à la réduction de l’autonomie (frais d’aménagement du logement, frais de véhicule adaptés, aide technique, par exemple) sont alléguées, indiquer dans quelle mesure elles sont susceptibles d’accroître l’autonomie de la victime ;

9°) Déterminer la durée du déficit fonctionnel temporaire, période pendant laquelle, pour des raisons médicales en relation certaine et directe avec les lésions occasionnées par l'accident, la victime a dû interrompre totalement ses activités professionnelles ou habituelles ; si l’incapacité fonctionnelle n’a été que partielle, en préciser le taux ;

10°) Lorsque la victime allègue une répercussion dans l’exercice de ses activités professionnelles, recueillir les doléances et les analyser ; Étant rappelé que pour obtenir l’indemnisation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution des possibilités de promotion professionnelle, la victime devra rapporter la preuve que de telles possibilités pré-existaient ;

11°) Décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales endurées pendant la maladie traumatique (avant consolidation) du fait des lésions, de leur traitement, de leur évolution et des séquelles ; les évaluer selon l’échelle de sept degrés ;

12°) Donner un avis sur l’existence, la nature et l’importance du préjudice esthétique, en précisant s’il est temporaire (avant consolidation) ou définitif ; l’évaluer selon l’échelle de sept degrés ;

13°) Lorsque la victime allègue une impossibilité ou des difficultés pour se livrer à des activités spécifiques sportives ou de loisir, donner un avis médical sur cette impossibilité ou cette gêne et son caractère définitif, sans prendre position sur l’existence ou non d’un préjudice afférent à cette allégation ;

14°) Evaluer le déficit fonctionnel permanent (après consolidation) étant précisé que celui-ci ne se confond pas avec l’incapacité permanente partielle dont le taux est fixé par le service médical ;

15°) Établir un état récapitulatif de l'ensemble des postes énumérés dans la mission ;

Dit que l’expert fera connaître sans délai son acceptation, qu’en cas de refus ou d’empêchement légitime, il sera pourvu aussitôt à son remplacement ;

Dit que l’expert pourra s’entourer de tous renseignements utiles auprès notamment de tout établissement hospitalier où la victime a été traitée sans que le secret médical ne puisse lui être opposé ;

Dit que l’expert rédigera, au terme de ses opérations, un pré-rapport qu’il communiquera aux parties en les invitant à présenter leurs observations dans un délai maximum d’un mois ;

Dit qu’après avoir répondu de façon appropriée aux éventuelles observations formulées dans le délai imparti ci-dessus, l’expert devra déposer au greffe du pôle social du tribunal judiciaire un rapport définitif dans le délai de six mois à compter de sa saisine ;

Dit que l’expert en adressera directement copie aux parties ou à leurs conseils ;

Dit que la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts de Seine fera l’avance des frais d'expertise ;

Dit que la mesure d’instruction sera mise en œuvre sous le contrôle du magistrat qui l’a ordonnée ;

Accorde à Madame [B] [C] la somme de 5 000 euros à titre de provision à valoir sur le montant de l’indemnisation de ses préjudices ;

Dit que la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts de Seine versera directement à Madame [B] [C] les sommes dues au titre de la majoration de la rente, de la provision et de l'indemnisation complémentaire ;

Dit que la caisse primaire d’assurance maladie des Hauts de Seine pourra recouvrer le montant des indemnisations à venir, provision et majoration accordées à Madame [C] à l'encontre de la société [9] et condamne cette dernière à ce titre, ainsi qu'au remboursement du coût de l'expertise ;

Réserve les dépens ;

Sursoit à statuer sur le surplus des demandes ;

Rappelle que la présente décision est, de droit, assortie de l’exécution provisoire ;

Ainsi jugé et mis à disposition au greffe du tribunal le 28 août 2024, et signé par la présidente et la greffière.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

N° RG 16/04161 - N° Portalis 352J-W-B7C-COGIR

EXPÉDITION exécutoire dans l’affaire :

Demandeur : S.A.S. [9]

Défendeur : Mme [B] [U] épouse [C]

EN CONSÉQUENCE, LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE mande et ordonne :

A tous les huissiers de justice, sur ce requis, de mettre ladite décision à exécution,
Aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux judiciaires d`y tenir la main,
A tous commandants et officiers de la force publique de prêter main forte lorsqu`ils en seront légalement requis.

En foi de quoi la présente a été signée et délivrée par nous, Directeur de greffe soussigné au greffe du Tribunal judiciaire de Paris.

P/Le Directeur de Greffe

20ème page et dernière


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Ps ctx protection soc 3
Numéro d'arrêt : 16/04161
Date de la décision : 28/08/2024
Sens de l'arrêt : Sursis à statuer

Origine de la décision
Date de l'import : 04/09/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-08-28;16.04161 ?
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