TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Copie conforme délivrée
le :
à :
Monsieur [J] [F] [Z]
Madame [T] [W] [K] [M]
Me Yves ARDAILLOU
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me Olivia ZAHEDI
Pôle civil de proximité
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PCP JCP fond
N° RG 23/08117 - N° Portalis 352J-W-B7H-C3CB7
N° MINUTE :
1 JCP
JUGEMENT
rendu le jeudi 01 août 2024
DEMANDEUR
Monsieur [R] [D], demeurant [Adresse 4] - [Localité 3]
représenté par Me Olivia ZAHEDI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #K0103
DÉFENDEURS
Monsieur [J] [F] [Z], demeurant [Adresse 7] - [Localité 6]
non comparant, ni représenté
Société AIRBNB IRELAND UNLIMITED COMPANY, dont le siège social est sis [Adresse 1], [Adresse 5], Ireland -
représentée par Me Yves ARDAILLOU, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #R0138
Madame [T] [W] [K] [M], demeurant [Adresse 7] - [Localité 6]
non comparante, ni représentée
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Lucie BUREAU, Vice-présidente, juge des contentieux de la protection
assistée de Inès CELMA-BERNUZ, Greffier,
DATE DES DÉBATS
Audience publique du 30 avril 2024
Décision du 01 août 2024
PCP JCP fond - N° RG 23/08117 - N° Portalis 352J-W-B7H-C3CB7
JUGEMENT
réputé contradictoire, en premier ressort, prononcé par mise à disposition le 01 août 2024 prorogé du 04 juillet 2024 par Lucie BUREAU, Vice-présidente assistée de Inès CELMA-BERNUZ, Greffier
EXPOSE DU LITIGE
Selon acte sous seing privé en date du 20 février 2018, M. [R] [D] a donné à bail meublé à M. [J] [Z] et Mme [T] [M] un logement à usage d'habitation situé dans l'immeuble sis [Adresse 7] - [Adresse 2] à [Localité 6], pour un loyer de 2400 euros, hors une provision sur charges de 80 euros, et ce pour une durée d’un an renouvelable par tacite reconduction à compter du 19 mars 2018.
Par actes de commissaire de justice en date des 22 et 28 juin 2023, M. [R] [D] a fait assigner M. [J] [Z] et Mme [T] [M], ainsi que la société AIRBNB IRELAND, devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de PARIS aux fins de voir :
prononcer la résiliation judiciaire du bail ;dire que M. [J] [Z] et Mme [T] [M] sont occupants sans droit ni titre à compter du jugement à intervenir ;ordonner en conséquence l'expulsion immédiate de M. [J] [Z] et Mme [T] [M], ainsi que celle de tous occupants de leur chef, avec l'assistance de la force publique et d'un serrurier si besoin est ;➢autoriser le cas échéant la séquestration du mobilier garnissant les lieux loués dans un garde-meubles ou tel autre lieu au choix du bailleur, aux frais et risques des défendeurs ;fixer une indemnité d’occupation mensuelle d’un montant égal à celui du loyer actuel, charges comprises, soit la somme de 2400 euros, à compter du jugement à intervenir et ce jusqu’au départ effectif de M. [J] [Z] et Mme [T] [M] des lieux ainsi que des occupants de leur chef et restitution des lieux ;condamner in solidum M. [J] [Z], Mme [T] [M] et la société AIRBNB IRELAND à payer à M. [R] [D] la somme de 51158,04 euros au titre des sous-loyers, outre intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;condamner in solidum M. [J] [Z], Mme [T] [M] et la société AIRBNB IRELAND à payer à M. [R] [D] la somme de 15023,12 euros au titre des frais de service, outre intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;condamner in solidum M. [J] [Z], Mme [T] [M] et la société AIRBNB IRELAND à payer à M. [R] [D] la somme de 10000 euros au titre du préjudice moral subi, outre intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;condamner in solidum M. [J] [Z], Mme [T] [M] et la société AIRBNB IRELAND à payer à M. [R] [D] la somme de 5000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, M. [R] [D] fait valoir qu’il a découvert en octobre 2022 que M. [Z] et Mme [M] avaient proposé très régulièrement à la sous-location l’appartement occupé sur la plateforme AIRBNB ; qu’un procès-verbal de constat d’huissier du 17 octobre 2022 atteste des sous-locations à répétition depuis mai 2019 ; que par ordonnance de référé du 20 février 2023, le juge des contentieux de la protection a ordonné à la société AIRBNB IRELAND de communiquer à M. [D] le relevé des transactions relatives aux sous-locations visées ; que le relevé a été communiqué le 10 mars 2023 ; qu’il en ressort que l’appartement a été sous-loué 56 fois entre le 25 mai 2019 et le 27 février 2023 pour 224 jours au total, nuitée comprise entre 200 et 250 euros ; que les locataires ont perçu la somme de 51158,04 euros ; que ces sous-locations non autorisées constituent des manquements suffisamment graves des locataires à leurs obligations contractuelles pour justifier la résiliation du bail ; que la société AIRBNB IRELAND a manqué à son obligation de veiller à l’absence de contenus et d’agissements illicites sur sa plateforme et a violé les dispositions de l’article L.324-2-1 du Code du tourisme ; que s’agissant des frais de service, la société AIRBNB IRELAND les prélève directement sur les fruits civils destinés aux hôtes ; qu’en l’espèce, le total des sommes réglées était donc de 66181,16 euros, la société AIRBNB IRELAND ayant directement prélevé la somme de 15023,12 euros de frais de service ; que s’agissant du préjudice moral, le droit de propriété est un droit fondamental ; qu’en découvrant que son bien était devenu un véritable hôtel, M. [D] a ressenti une profonde trahison et un véritable choc.
Après renvois, l'affaire est appelée et examinée à l'audience du juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris du 30 avril 2024.
La demanderesse est représentée par son conseil et reprend ses demandes comme exposées dans l'assignation. Elle indique toutefois se désister de l’instance et de son action à l’encontre de la société AIRBNB IRELAND, un accord ayant été trouvé.
La société AIRBNB IRELAND, représentée par son conseil, a sollicité qu’il lui soit donné acte de son acceptation du désistement de M. [R] [D] de ses demandes à son encontre ; que le désistement soit déclaré parfait et qu’il soit constaté l’extinction de l’instance et de l’action à son encontre ; que chaque partie conservera la charge du coût de la présente procédure.
M. [J] [Z], assigné selon les dispositions de l’article 659 du code de procédure civile, et Mme [T] [M], assignée à étude, n’ont pas comparu et ne se sont pas faits représenter.
L'affaire a été mise en délibéré au 4 juillet 2024, puis prorogée au 1er août 2024, date de prononcé du jugement par mise à disposition au greffe.
Comme cela lui avait été demandé à l’audience, le conseil de M. [R] [D] a transmis par courrier du 14 mai 2024 le retour de la lettre recommandée avec accusé de réception adressée par le commissaire de justice à M. [J] [Z].
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le désistement à l’égard de la société AIRBNB IRELAND
M. [R] [D] a indiqué se désister de son instance et de son action à l’encontre de la société AIRBNB IRELAND, désistement accepté par celle-ci. Ce désistement entraîne donc l’extinction de l’instance engagée contre ladite société.
Sur le demande de résiliation judiciaire du bail
L'article 1224 du code civil dispose : « La résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice ».
L'article 8 de la loi du 6 juillet 1989, applicable aux logements meublés conformément à l’article 25-3 de ladite loi, prévoit que le locataire ne peut ni céder le contrat de location, ni sous-louer le logement sauf avec l'accord écrit du bailleur, y compris sur le prix du loyer.
En l'espèce, le contrat de bail en date du 20 février 2018, objet de la présente instance, prévoit en son 2 des conditions générales, article 2.2, paragraphe sur l’utilisation du logement :
« Le locataire ne peut sous-louer tout ou partie de son logement sans l’accord écrit du bailleur. »
Il convient de souligner que, comme le prévoit l'article 1224 du code civil, le bailleur qui souhaite obtenir la résiliation du bail peut soit solliciter que soit constatée l'acquisition d'une clause résolutoire insérée au bail, constat qui ne peut intervenir qu'après un délai déterminé suite à une mise en demeure, soit solliciter de la juridiction qu'elle prononce la résiliation judiciaire du bail pour manquement du locataire à ses obligations. La résiliation ne peut intervenir que s'il est constaté que ce manquement est suffisamment grave.
M. [R] [D] sollicite ici le prononcé de la résiliation judiciaire du bail. Il convient d'examiner si M. [J] [Z] et Mme [T] [M] ont commis des manquements à leurs obligations suffisamment graves pour justifier la résiliation du bail.
M. [R] [D] produit un procès-verbal de constat d'huissier dressé le 17 octobre 2022 portant sur les constatations faites sur le site internet AIRBNB, et plus précisément sur l'annonce correspondant à l'appartement objet du présent bail. En effet, le commissaire de justice relève que cette annonce apparaît alors qu’il indique comme destination recherchée « [Adresse 7], [Localité 6] » ; que l’hôte se prénomme « [J] » ; que l’appartement est ainsi décrit « appartement de charme et terrasse 3 pièces 85 m² (…) 2 chambres 3 lits 1 salle de bain ». Différentes photographies sont jointes. De nombreux commentaires de touristes vantent les qualités de « [J] » comme hôte.
Il est donc établi que l’appartement sous-loué est celui objet de la présente instance et que M. [J] [Z] et Mme [T] [M] ont manqué à leurs obligations en tant que locataires en sous-louant leur logement sans autorisation de leur bailleur.
Sur la question de la gravité de ces manquements, il est produit le relevé des réservations par la société AIRBNB IRELAND. Il en ressort qu’en 2019, le bien a été sous-loué 17 fois pour 60 nuits. Il n’y a ensuite plus eu de sous-locations en 2020 et 2021. Mais celles-ci ont repris dès février 2022. Il y a ensuite eu 34 sous-locations en 2022 pour 138 nuitées, soit plus du tiers de l’année. Le bien avait déjà été sous-loué six fois pour 26 nuits en 2023 alors que le relevé cesse fin février 2023.
Il apparaît ainsi que loin d’une sous-location ponctuelle, M. [J] [Z] et Mme [T] [M] ont mis en place en 2019, puis ont repris en 2022, manifestement après la levée totale des contraintes de déplacement dues à la crise sanitaire, des sous-locations habituelles, faisant de leur logement une résidence de vacances en exploitant la localisation optimale du bien, le tout sans accord ni même sans information de leur bailleur. Il apparaît même au vu des éléments ci-dessus que cette activité est allée crescendo au gré des mois.
Ces manquements répétés sont d’une gravité suffisante pour justifier le prononcé de la résiliation judiciaire du bail.
Par conséquent, l'expulsion de M. [J] [Z] et Mme [T] [M], devenu occupants sans droit ni titre, sera ordonnée dans les conditions fixées au dispositif ci-après.
Il sera prévu que le sort des meubles sera régi par les articles L.433-1, L.433-2, R.433-1 à R.433-7 du code des procédures civiles d'exécution.
Sur l'indemnité d'occupation
Il est constant que l'indemnité d'occupation a pour objet d'indemniser le préjudice subi par les bailleurs du fait de ne pouvoir librement jouir du bien malgré la résiliation du bail ; que fixer cette indemnité à la valeur locative du bien constitue une juste indemnisation, sauf préjudice spécifique.
Le montant de l’indemnité d’occupation due par M. [J] [Z] et Mme [T] [M] sera fixée à la somme de 2400 euros charges comprises, conformément à la demande du bailleur, à compter du présent jugement et jusqu'à libération effective des lieux.
Sur la demande au titre des sous loyers perçus
Aux termes de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois que l'exécution n'a pas été empêchée par la force majeure.
En application des articles 546 et 547 du code civil, il a été jugé que, sauf lorsque la sous-location a été autorisée par le bailleur, les sous-loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire, lequel peut donc en obtenir le remboursement (Civ. 3e, 12 sept. 2019 n° 18-20.727).
L'article 549 du code civil précise que le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il les possède de bonne foi. Dans le cas contraire, il est tenu de restituer les produits avec la chose au propriétaire qui la revendique. Le locataire qui ne prend pas la peine de solliciter l'autorisation de son bailleur préalablement à la sous-location du bien ne saurait être considéré comme étant de bonne foi au sens de ce texte.
En l'espèce, la lecture du relevé de la société AIRBNB IRELAND permet de déterminer précisément les sommes perçues par les défendeurs au titre de la sous-location de l’appartement. Il apparaît par conséquent avéré que M. [J] [Z] et Mme [T] [M] ont tiré de ces sous-locations un profit de 51158,04 euros, montant qu'ils seront condamnés in solidum à payer à M. [R] [D] à titre de dommages et intérêts.
Sur la demande au titre des frais de service
M. [R] [D] sollicite la condamnation de M. [J] [Z] et de Mme [T] [M] au paiement de la somme de 15023,12 euros au titre des frais de service tout en expliquant que ces frais sont la part des loyers prélevée d’office par la société AIRBNB IRELAND avant reversement aux hôtes des sommes réglées par les touristes. Il est ainsi avéré que les défendeurs n’ont pas perçu ces sommes. Des éléments en possession de la présente juridiction, M. [R] [D] ne sollicite pas le paiement de ces sommes à l’égard de la société AIRBNB IRELAND puisqu’il se désiste à son égard.
Cette demande n’étant pas fondée à l’encontre de M. [J] [Z] et de Mme [T] [M], M. [R] [D] en sera débouté.
Sur la demande au titre du préjudice moral
Conformément à l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.
Comme indiqué ci-dessus, il est avéré que M. [J] [Z] et Mme [T] [M] ont commis une faute dans l’exécution de leurs obligations contractuelles. Toutefois, s’agissant de la caractérisation du préjudice moral subi, M. [R] [D] a certes découvert qu’il avait été fait du bien un usage autre que celui qu’il avait autorisé en tant que propriétaire mais ceci ne peut suffire à caractériser un préjudice moral, sans lien spécifique caractérisé pour ce bien.
M. [R] [D] sera par conséquent débouté de sa demande à ce titre.
Sur les mesures accessoires
M. [J] [Z] et Mme [T] [M] succombant en la présente instance, ils seront condamnés in solidum aux entiers dépens et à payer à M. [R] [D] la somme globale de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il sera rappelé que le présent jugement est exécutoire par provision.
PAR CES MOTIFS
Le juge des contentieux de la protection, statuant, après débats en audience publique, par jugement prononcé par mise à disposition au greffe le jour du délibéré, réputé contradictoire et en premier ressort,
CONSTATE l’extinction de l’instance et action engagées par M. [R] [D] à l’encontre de la société AIRBNB IRELAND par l’effet de son désistement acceptée par la société défenderesse ;
PRONONCE la résiliation judiciaire du bail conclu le 20 février 2018 entre M. [R] [D] et M. [J] [Z] et Mme [T] [M], et portant sur un local à usage d'habitation situé [Adresse 7] - [Adresse 2] à [Localité 6] ;
ORDONNE, à défaut de départ volontaire, l'expulsion de M. [J] [Z] et Mme [T] [M] et de tous occupants de leur chef, avec le concours de la force publique et d'un serrurier, si besoin est, passé le délai de deux mois suivant la délivrance d'un commandement d'avoir à libérer les lieux, conformément aux dispositions des articles L.412-1 et suivants, R. 411-1 et suivants, et R.412-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;
DIT que le sort des biens mobiliers se trouvera régi par les dispositions des articles L.433-1, L.433-2 et R.433-1 à R.433-7 du code des procédures civiles d'exécution ;
FIXE l’indemnité d’occupation due par M. [J] [Z] et Mme [T] [M] à M. [R] [D] à la somme de 2400 euros par mois, charges comprises, à compter du présent jugement et jusqu'au départ effectif des lieux matérialisé par remise des clés ou procès-verbal d'expulsion ;
CONDAMNE in solidum M. [J] [Z] et Mme [T] [M] à payer à M. [R] [D] la somme de 51158,04 euros à titre de dommages et intérêts au titre des fruits civils, outre intérêts au taux légal à compter de la signification de la décision à intervenir ;
DEBOUTE M. [R] [D] de ses demandes à titre de dommages et intérêts au titre des frais de service et en réparation de son préjudice moral ;
RAPPELLE l'exécution provisoire du présent jugement ;
CONDAMNE in solidum M. [J] [Z] et Mme [T] [M] à payer à M. [R] [D] de la somme de 1500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum M. [J] [Z] et Mme [T] [M] aux entiers dépens de l'instance ;
REJETTE toute demande des parties plus ample ou contraire.
LE GREFFIER LA JUGE