TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Copie conforme délivrée
le :
à :
Me Halal EL JAAOUANI
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Me Victor BILLEBAULT
Pôle civil de proximité
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PCP JCP fond
N° RG 23/08724 - N° Portalis 352J-W-B7H-C3IEI
N° MINUTE :
3 JCP
JUGEMENT
rendu le mercredi 31 juillet 2024
DEMANDERESSE
Madame [G] [E], demeurant [Adresse 1]
représentée par Me Victor BILLEBAULT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #E1209
DÉFENDERESSE
Madame [G] [V], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Halal EL JAAOUANI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #D0620
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Pascale GAULARD, Vice-présidente, juge des contentieux de la protection assistée de Inès CELMA-BERNUZ, Greffier,
DATE DES DÉBATS
Audience publique du 14 mars 2024
JUGEMENT
contradictoire, en premier ressort, prononcé par mise à disposition le 31 juillet 2024 prorogé du 14 juin 2024 par Pascale GAULARD, Vice-présidente assistée de Inès CELMA-BERNUZ, Greffier
Décision du 31 juillet 2024
PCP JCP fond - N° RG 23/08724 - N° Portalis 352J-W-B7H-C3IEI
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte sous seing privé du 11 septembre 2016, Mme [G] [E] a donné à bail à Mme [G] [V], un appartement d’habitation (Etage 7 porte droite) et une cave n° 27 situés [Adresse 2] à [Localité 5] pour une durée de trois années, contre un loyer mensuel de 618 euros (charges comprises).
Mme [G] [V] s’est mariée le 23 décembre 2016 avec M. [N] [J].
Par exploit d’huissier de justice du 27 novembre 2020, Mme [G] [E] a donné congé pour reprise à sa locataire, pour le 11 juin 2023.
Par exploit du 10 octobre 2023, Mme [G] [E] a fait assigner Mme [G] [V] à comparaître devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris aux fins de validation du congé pour reprise du 25 novembre 2022, expulsion de Mme [G] [V] et de tout occupant de son chef, voir fixer une indemnité d’occupation et condamnation de la défenderesse au paiement de la somme de 1200 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
A l’audience du 14 mars 2024, Mme [G] [E] et Mme [G] [V], représentées par leurs conseils, soutiennent les termes de leurs conclusions respectives.
Par aplication de l’article 455 du code de procédure, il est procédé au visa des conclusions de Mme [G] [E] et de Mme [G] [V] déposées et débattues à l’audience du 14 mars 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la demande principale de validation du congé
Aux termes de l’article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, lorsque le bailleur donne congé à son locataire, ce congé doit être justifié soit par sa décision de reprendre ou de vendre le logement, soit par un motif légitime et sérieux, notamment l'inexécution par le locataire de l'une des obligations lui incombant. A peine de nullité, le congé donné par le bailleur doit indiquer le motif allégué et, en cas de reprise, les nom et adresse du bénéficiaire de la reprise ainsi que la nature du lien existant entre le bailleur et le bénéficiaire de la reprise qui ne peut être que le bailleur, son conjoint, le partenaire auquel il est lié par un pacte civil de solidarité enregistré à la date du congé, son concubin notoire depuis au moins un an à la date du congé, ses ascendants, ses descendants ou ceux de son conjoint, de son partenaire ou de son concubin notoire. Lorsqu'il donne congé à son locataire pour reprendre le logement, le bailleur justifie du caractère réel et sérieux de sa décision de reprise.
Le délai de préavis applicable au congé est de six mois lorsqu'il émane du bailleur. Il doit être notifié par courrier recommandé avec demande d’avis de réception ou signifié par exploit d’huissier.
A l’expiration du délai de préavis, le locataire est déchu de plein droit de tout titre d’occupation sur le local.
En l’espèce, Mme [G] [E] a fait délivrer à Mme [G] [V] un congé pour reprise des lieux le 27 novembre 2020 pour le 10 septembre 2022 afin de les occuper elle-même pour le motif suivant : “ ce congé est justifié par la volonté du demandeur de reprendre le logement personnellement. Mme [E] souhaitant mettre son logement situé [Adresse 3] à disposition de son fils et pouvoir retourner vivre à [Localité 4](...)”.
Mme [G] [V] estime que le congé pour reprise est nul dès lors qu’il n’a pas été notifié à son conjoint, M. [N] [J] ; que la notification ne précise pas les nom et adresse du bénéficiaire de la reprise ; que la bailleresse ne justifie pas du caractère réel et sérieux de sa décision de reprise.
Mme [G] [E] soutient que Mme [G] [V] n’a pas réalisé une démarche positive afin de faire connaître à sa bailleresse sa situation matrimoniale.
Aux termes de l’article 9-1 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989, nonobstant les dispositions des articles 515-4 et 1751 du code civil, les notifications ou significations faites en application du présent titre par le bailleur sont de plein droit opposables au partenaire lié par un pacte civil de solidarité au locataire ou au conjoint du locataire si l'existence de ce partenaire ou de ce conjoint n'a pas été préalablement portée à la connaissance du bailleur.
L’article 1751 du code civil précise : le droit au bail du local, sans caractère professionnel ou commercial, qui sert effectivement à l'habitation de deux époux, quel que soit leur régime matrimonial et nonobstant toute convention contraire et même si le bail a été conclu avant le mariage, ou de deux partenaires liés par un pacte civil de solidarité, dès lors que les partenaires en font la demande conjointement, est réputé appartenir à l'un et à l'autre des époux ou partenaires liés par un pacte civil de solidarité.
L’article 9-2 précité requiert de la part du locataire une démarche positive afin de faire connaître sa situation matrimoniale à son bailleur. La simple mention sur quelques quittances de loyer du nom des deux époux ne suffit pas à justifier de cette connaissance.
En l’espèce, il apparaît que les quittances de loyer d’octobre 2016 à août 2019 sont établies au nom de Mme [G] [V] et de M. [N] [J]. En outre, il ressort des pièces produites que Mme [G] [E] était parfaitement informée du mariage de Mme [G] [V] avec M. [N] [J] puisqu’elle a été invitée et a assisté au mariage.
Par application de l’article 9-1 précité, le congé délivré à Mme [G] [V] aurait dû être également délivré à M. [N] [J], son époux, dont Mme [G] [E] n’ignorait pas l’existence et la qualité.
Le congé délivré à un seul époux n’est pas nul mais seulement inopposable à son conjoint. Il conserve donc ses effets à l’égard de celui à qui il a été régulièrement délivré, même s’ils sont limités en raison de la cotitularité du bail.
Il s’ensuit que le congé délivré par Mme [G] [E] à Mme [G] [V] n’est pas opposable à M. [N] [J].
Mme [G] [E] motive le congé pour reprise : “ ce congé est justifié par la volonté du demandeur de reprendre le logement personnellement. mme [E] souhaitant mettre son logement situé [Adresse 3] à disposition de son fils et pouvoir retrouner vivre à [Localité 4](...)”. L’identité du bénéficiaire de la reprise est précisée puisqu’il s’agit de Mme [G] [E] elle-même. Toutefois, si Mme [G] [E] prétend résider [Adresse 3], il s’avère que l’adresse portée sur son assignation est [Adresse 1]. Les photographies qu’elle produit ne permettent pas d’établir qu’il s’agit d’un même immeuble numéroté du 2 au 18. Il y a lieu de s’interroger sur le déménagement qui aurait déjà été effectué par Mme [G] [E] du [Adresse 3] pour y installer son fils. En conséquence, le caractère réel et sérieux de sa décision de reprise n’est pas démontré.
Il convient de juger que le congé délivré le 27 novembre 2020 par Mme [G] [E] à Mme [G] [V] n’est pas valable.
Sur la demande subsidiaire en résiliation du bail :
L'article 7 de la loi n°89-462 du 06 juillet 1989 rappelle le principe que "le locataire est obligé : b) d'user paisiblement des locaux loués suivant la destination qui leur a été donnée par le contrat de location"
L'usage paisible des locaux selon la destination donnée par le contrat est une obligation essentielle du contrat de location, de telle sorte qu'un usage contraire à la destination donnée est de nature à justifier la résiliation du contrat aux torts du locataire en application des articles 1224 et suivants du code civil, à condition toutefois que le manquement apprécié à la date de l'audience soit considéré comme suffisamment grave.
En l'espèce, le contrat de bail conclu entre Mme [G] [E] et Mme [G] [V] stipule que la destination du local donné en location est à usage d'habitation.
Il ressort des pièces produites que Mme [G] [V] a ouvert au sein du local donné à bail un établissement d'enseignement culturel, entreprise active depuis le 1er octobre 2020.
A l'audience, le conseil de Mme [G] [V] soutient que sa cliente ne fait plus commerce sans toutefois apporter la preuve de la fin de ces activités.
La gravité du manquement aux obligations découlant du bail est ainsi suffisamment caractérisée, de nature à entraîner la résiliation du contrat aux torts exclusifs de la défenderesse.
Mme [G] [E], propriétaire, qui a un intérêt manifeste à récupérer la jouissance du bien loué, sera par conséquent autorisée à faire procéder, ainsi qu’il est prévu à l’article L 412-1 du code des procédures civiles d’exécution, à l’issue d’un délai de deux mois à compter du commandement de quitter les lieux, à l’expulsion de Mme [G] [V] ainsi que de celle de tous occupants de son chef, avec le concours de la force publique si besoin est.
La condamnation de l’occupant d’un logement au paiement d’une indemnité d’occupation est fondée sur la responsabilité délictuelle.
Aussi, Mme [G] [V], sera condamnée à payer à Mme [G] [E] une indemnité d’occupation mensuelle correspondant au montant du loyer mensuel en cours, et aux charges locatives, à compter du présent jugement et jusqu’à la libération effective des lieux.
Sur la demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour abus de droit
Dès lors qu'il est fait droit à la demande subsidiaire de Mme [G] [E], Mme [G] [V] ne démontre pas que celle-ci a usé de son droit d'user en justice. Sa demande de dommages et intérêts pour abus de droit sera rejetée.
Sur les autres demandes
Mme [G] [V], qui succombe, sera condamnée aux dépens de l’instance par application de l’article 696 du code de procédure civile.
Il serait en outre inéquitable de laisser à la charge de Mme [G] [E] la totalité des frais irrépétibles non compris dans les dépens ;il y a lieu de lui allouer la somme de 1.000 euros par application de l’article 700 du Code de procédure civile, en condamnant Mme [G] [V] à la lui payer.
L’exécution provisoire est de droit par applciation d le’article 514 du code de procédure civile. En raison de l’ancienneté du litige, il n’y a pas lieu de l’écarter.
PAR CES MOTIFS
Le juge des contentieux de la protection, statuant publiquement, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,
Constate que congé pour reprise délivré par Mme [G] [E] à Mme [G] [V] le 27 novembre 2020, à effet au 10 septembre 2022 n'est pas valable,
Prononce la résiliation du contrat de bail du 11 septembre 2016 entre Mme [G] [E] et Mme [G] [V] portant sur un appartement d’habitation (Etage 7 porte droite) et une cave n° 27 situés [Adresse 2] à [Localité 5] aux torts exclusifs de la locataire
Dit que Mme [G] [V] et tous occupants de son chef devront libérer les lieux, un appartement d’habitation (Etage 7 porte droite) et une cave n° 27 situés [Adresse 2] à [Localité 5], remettre les clés et établir un état des lieux de sortie contradictoire avec le bailleur,
Dit que le sort des meubles sera régi conformément aux dispositions des articles L. 433-1 et L. 433-2 du code des procédures civiles d'exécution,
Autorise Mme [G] [E] à faire procéder, à l’issue du délai de deux mois à compter du commandement de quitter les lieux, à l’expulsion de Mme [G] [V] ainsi que de celle de tous occupants de son chef, avec le concours de la force publique si besoin est, des lieux, un appartement d’habitation (Etage 7 porte droite) et une cave n° 27 situés [Adresse 2] à [Localité 5],
Condamne Mme [G] [V] à payer à Mme [G] [E] une indemnité mensuelle d’occupation d’un montant équivalent au montant du loyer mensuel en cours, et aux charges locatives, à compter du présent jugement et jusqu’à la libération effective des lieux qui se traduira par la remise des clés au bailleur ;
Déboute Mme [G] [V] de sa demande de dommages et intérêts pour abus de droit,
Déboute les parties de toute autre demande plus ample ou contraire,
Condamne Mme [G] [V] aux dépens de l’instance,
Condamne Mme [G] [V] à payer à Mme [G] [E] la somme de 1.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure civile ;
Rappelle que l’exécution provisoire est de droit et dit n'y avoir lieu à l’écarter,
Le greffier Le juge des contentieux de la protection