TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] C.C.C.F.E. + C.C.C.
délivrées le :
à Me SALABERT (K0083)
C.C.C.
délivrée le :
à Me RAPAPORT (K0122)
■
18° chambre
2ème section
N° RG 21/08477
N° Portalis 352J-W-B7F-CUVUC
N° MINUTE : 12
Assignation du :
22 Juin 2021
JUGEMENT
rendu le 24 Juillet 2024
DEMANDERESSE
S.C.I. SCI KIRIEL (RCS de PARIS 878 196 179)
[Adresse 2]
[Localité 9]
représentée par Me Alain RAPAPORT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #K0122
DÉFENDERESSE
Madame [J] [H] veuve [F]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Maître Arnaud SALABERT Du Cabinet SALABERT & BESSE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #K0083
Décision du 24 Juillet 2024
18° chambre 2ème section
N° RG 21/08477 - N° Portalis 352J-W-B7F-CUVUC
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Par application des articles R.212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire et 812 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été attribuée au Juge unique.
Avis en a été donné aux avocats constitués qui ne s’y sont pas opposés.
Maïa ESCRIVE, Vice-présidente, statuant en juge unique,
assistée de Henriette DURO, Greffier.
DÉBATS
A l’audience du 29 Mai 2024 tenue en audience publique.
Après clôture des débats, avis a été donné aux avocats, que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 24 Juillet 2024.
JUGEMENT
Rendu publiquement
Contradictoire
En premier ressort
_________________
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 22 janvier 1999, Madame [V] [G]-[W] et Monsieur [Y] [W], aujourd'hui décédés, ont donné à bail commercial, en renouvellement d'un précédent bail conclu le 30 mai 1989, à la S.A.R.L. SATAN, afin d'y exercer une activité de "restaurant-bar" des locaux situés [Adresse 2] à [Localité 9] désignés ainsi :
"- Au rez-de-chaussée : une boutique ayant entrée [Adresse 10], une cuisine et une réserve,
- Au sous-sol : une cave ayant accès par la boutique".
Le 7 juillet 2008, Madame [J] [H] épouse [F] et Monsieur [S] [F] ont acquis le fonds de commerce de la S.A.R.L. SATAN exploité dans les locaux loués.
Par acte sous seing privé en date du 10 décembre 2008, Madame [V] [G] veuve [W] a renouvelé le bail au profit de Madame et Monsieur [F], pour une durée de neuf années entières et consécutives à compter du 1er juin 2007, pour se terminer le 31 mai 2016, moyennant le versement d'un loyer annuel de 4.200 euros hors taxes et hors charges, la destination contractuelle des locaux de "restaurant bar" étant inchangée.
A son terme, le bail s'est poursuivi par tacite prolongation.
Par acte délivré le 4 mars 2020, Madame [V] [G] épouse [W] a fait assigner Madame [J] [H] épouse [F] et Monsieur [S] [F] (décédé depuis le 19 décembre 2016) devant le tribunal judiciaire de Paris, au visa des articles 1224 et 1741 du code civil, aux fins de voir prononcer la résolution du bail commercial et ordonner l'expulsion de Madame [J] [H] épouse [F] et de Monsieur [S] [F] ainsi que celle de tous occupants de leur chef.
Décision du 24 Juillet 2024
18° chambre 2ème section
N° RG 21/08477 - N° Portalis 352J-W-B7F-CUVUC
Cette procédure a été enregistrée sous le n° de RG 20/02783.
Saisi par Madame [J] [H] veuve [F] d'un incident tendant à voir prononcer la nullité de l'assignation, le juge de la mise en état a, par ordonnance en date du 18 octobre 2021 :
- Déclaré irrecevables les demandes incidentes présentées par la S.C.I. KIRIEL et écarté les pièces produites par la S.C.I KIRIEL,
- Rejeté la fin de non-recevoir tiré du défaut de qualité à agir de Madame [V] [G] veuve [W],
- Déclaré prescrites et irrecevables les demandes présentées par Madame [V] [G] veuve [W],
- Rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- Condamné Madame [V] [G] veuve [W] à verser à Madame [J] [H] veuve [F] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamné Madame [V] [G] veuve [W] aux dépens,
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires,
- Rappelé que les décisions de première instance sont exécutoires à titre provisoire.
Par acte délivré le 22 juin 2021, la S.C.I. SCI KIRIEL (ci-après la S.C.I. KIRIEL), propriétaire des locaux donnés à bail depuis le 30 septembre 2019, a fait assigner Madame [J] [H] épouse [F] devant ce tribunal, au visa des articles 1224 et 1741 du code civil, aux fins de voir prononcer la résolution du bail commercial et ordonner son expulsion ainsi que celle de tous occupants de son chef.
L'affaire a été enregistrée sous le numéro de RG n° 21/08477. Il s'agit de la présente instance.
Se prévalant de la prescription de l'action introduite à son encontre par la S.C.I. KIRIEL, Madame [F] a saisi le juge de la mise en état d'un incident quant à la recevabilité de l'instance engagée, sous le n° de RG 21/08477.
Par ordonnance en date du 24 janvier 2022, le juge de la mise en état a :
- Débouté Madame [J] [H] veuve [F] de la fin de non-recevoir tirée de la prescription et de sa demande aux fins de "PRONONCER l'irrecevabilité des demandes de la SCI KIRIEL",
- Débouté la S.C.I. KIRIEL et Madame [J] [H] veuve [F] de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Renvoyé l'affaire à une audience de mise en état ultérieure,
- Réservé les dépens.
Une médiation judiciaire a été proposée par le juge de la mise en état aux parties, lesquelles l'ont refusée.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 septembre 2022, la S.C.I. KIRIEL demande au tribunal de :
Vu les articles 1224 et 1741 du code civil,
- Prononcer la résolution du bail commercial consenti par Madame [V] [G] épouse [W], aux droits de laquelle se trouve aujourd'hui la S.C.I. KIRIEL, à Madame [J] [H] épouse [F] et à Monsieur [S] [F] situé [Adresse 1] à [Localité 9] ;
- En conséquence, ordonner l'expulsion de Madame [J] [H] épouse [F] ainsi que celle de tous occupants de son chef des lieux qu'elle occupe [Adresse 1] à [Localité 9] et ce, avec l'assistance du commissaire de police, de la force publique et d'un serrurier si besoin est ;
- Ordonner la séquestration des meubles et objets mobiliers trouvés sur place, dans tout garde-meuble, aux frais, risques et périls de Madame [J] [H] épouse [F] ;
- Condamner Madame [J] [H] épouse [F] à lui verser la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Débouter Madame [J] [H] épouse [F] de l'intégralité de ses demandes ;
- Dit n'y avoir lieu à écarter l'exécution provisoire de la décision à intervenir nonobstant appel et sans caution ;
- Condamner Madame [J] [H] épouse [F] aux entiers dépens dont le recouvrement s'opérera au profit de Maître Alain RAPAPORT, Avocat à la Cour, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
A l'appui de ses demandes, la S.C.I. KIRIEL fait valoir que le bail liant les parties n'autorise que l'activité de "restaurant-bar", à l'exclusion de toute autre activité ; que l'activité de club sadomasochiste ne peut être considérée comme rentrant dans le cadre de l'activité autorisée qui est une activité spécifique et distincte de celle contractuellement prévue. Elle considère qu'il importe peu, comme le soutient Madame [F], que le code NAF qui lui a été attribué par l'INSEE corresponde aux commerces de café bar-restaurant, s'agissant d'une nomenclature purement administrative. Elle soutient en outre que l'activité exercée est manifestement contraire à l'ordre public et aux bonnes mœurs et contrevient aux dispositions de l'article 6 du code civil dans sa rédaction applicable lors de la conclusion du contrat ; que le fait que la Cour Européenne des Droits de l'Hommes ait, dans un arrêt du 17 février 2005, jugé que les pratiques sexuelles des individus et notamment le sadomasochisme constituaient une liberté fondamentale ne signifie pas pour autant que cette activité n'est pas contraire aux bonnes mœurs.
Elle sollicite, en raison du non-respect de la clause de destination du bail et de la nature de l'activité exercée, la résolution du bail sur le fondement des articles 1224 et 1741 du code civil arguant que l'infraction constatée dure depuis 2014 et est donc suffisamment grave.
En réponse à l'argumentation de la partie adverse, elle conteste que la précédente bailleresse ait eu connaissance de l'activité réellement exercée dans les locaux. Elle rappelle qu'en tout état de cause, une tolérance ne crée jamais de droit et que le silence gardé par le bailleur, qu'elle qu'en soit la durée, ne vaut pas renonciation par ce dernier à invoquer les violations du bail commercial, faute de signature d'un avenant modificatif de la destination.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 25 novembre 2022, Madame [F] demande au tribunal de :
Vu les articles L. 145-1 et suivants du code de commerce,
Vu le bail commercial,
Vu les pièces versées au débat,
- Débouter la S.C.I. KIRIEL de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner la S.C.I. KIRIEL à lui verser une somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont recouvrement au profit de Maître Arnaud SALABERT, membre du Cabinet SALABERT & BESSE, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Madame [F] reconnaît exploiter un fonds de commerce de café-bar, dont le thème est l'échangisme et plus particulièrement l'échangisme sadomasochiste. Elle soutient :
A titre principal,
- n'avoir commis aucune infraction à la clause de destination du bail. Elle se réfère au code NAF qui lui a été attribué par l'INSEE (commerces de café, bar, restaurant) et fait valoir que l'activité exercée est bien celle d'un café-bar avec un thème de soirées ; que la S.C.I. KIRIEL reconnaît explicitement ne pas reprocher à Madame [F] le fait que son café-bar soit fréquenté par des couples échangistes mais incrimine le sadomasochisme qui n'est qu'une spécificité de l'échangisme ;
- que le thème des soirées (échangisme, sadomasochisme) n'est pas contraire aux bonnes mœurs ; qu'aucun délit n'a été commis dans les lieux loués ; que dans un arrêt du 17 février 2005, la Cour européenne des Droits de l'Homme a reconnu que le choix des pratiques sexuelles des individus, notamment le sadomasochisme, était une liberté fondamentale dont la seule limite était le consentement des participants ; que la S.C.I. KIRIEL tente de porter atteinte aux libertés fondamentales des clients de Madame [F] ;
A titre subsidiaire,
- que le bailleur a renoncé à se prévaloir de l'infraction alléguée à la destination contractuelle des locaux, faisant valoir que Madame [W], aux droits de laquelle vient la S.C.I. KIRIEL, avait connaissance du thème du bar appartenant à Madame [F] depuis de très nombreuses années ; que la S.A.R.L. SATAN, au nom évocateur, a acquis le fonds de commerce exploité dans les locaux par Madame [X] [R] le 17 janvier 1980 ; que c'est à compter de cette date que le commerce de restaurant-bar est devenu un bar à thème fréquenté par des couples adeptes des pratiques échangistes, ce dont atteste Monsieur [T] [U], gérant de la S.A.R.L. SATAN ; que c'est également à cette époque que la vitrine a été occultée, ce qui n'a pu manquer d'interpeller la bailleresse, alors que Madame [W] vivait toujours dans un immeuble situé à 54 mètres du local et que sa fille, associée et gérante de la S.C.I. KIRIEL, vit depuis de nombreuses années au premier étage de l'immeuble dans lequel se situe le local et que le thème du bar était de notoriété publique dans le quartier. Si elle admet qu'en 2014, le thème du bar a évolué pour se concentrer sur les activités sadomasochistes parmi les pratiques échangistes, elle soutient que l'activité exercée dans le fonds de commerce ne diffère pas dans sa substance, que les époux [W] avaient nécessairement connaissance de l'activité exercée depuis plus de 40 ans ainsi que l'a relevé le juge de la mise en état dans ses ordonnances et que plusieurs renouvellements de bail ont été accordés par les époux [W], soit à la S.A.R.L. SATAN, soit à Madame et Monsieur [F], ce qui démontre leur intention de renoncer à se prévaloir de la prétendue infraction à la clause de destination contractuelle.
A titre plus subsidiaire, Madame [F] conclut que le manquement allégué n'est pas suffisamment grave pour justifier d'une résiliation judiciaire du bail dans la mesure où s'il était établi, il existe depuis 1980.
* * *
Ainsi que le permet l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions des parties pour l'exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.
La clôture de la mise en état a été prononcée le 11 septembre 2023.
L'affaire a été appelée pour plaidoiries à l'audience tenue en juge unique le 29 mai 2024 et mise en délibéré à ce jour.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de résiliation judiciaire du bail
L'article 9 de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, prévoit que ses dispositions entreront en vigueur le 1er octobre 2016, les contrats conclus avant cette date demeurant soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public.
Le bail en l'espèce ayant été renouvelé par acte en date du 10 décembre 2008, soit antérieurement à l'entrée en vigueur, le 1er octobre 2016, des nouveaux textes du code civil issus de l'ordonnance du 10 février 2016, il convient de faire application des articles du code civil dans leur version antérieure.
En application de l'ancien article 1184 du même code (devenu les articles 1217 et suivants), une partie à un contrat synallagmatique envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec des dommages et intérêts.
La résolution doit être demandée en justice et il peut être accordé un délai au défendeur selon les circonstances.
Les juges apprécient souverainement si les manquements imputés au défendeur sont assez graves pour justifier la résiliation.
La partie qui demande la résiliation de ce chef doit démontrer le manquement reproché à son cocontractant.
L'article 1741 du code civil dispose que le contrat de louage se résout par la perte de la chose louée, et par le défaut respectif du bailleur et du preneur de remplir leurs engagements.
Son article 1742 précise que ce contrat n'est point résolu par la mort du bailleur ni par celle du preneur.
- Sur le manquement allégué à la clause de destination contractuelle du bail
L'article 1728 du code civil, dans sa version applicable lors de la conclusion du bail, dispose que le preneur est tenu de deux obligations principales et notamment :
"1° D'user de la chose louée en bon père de famille, et suivant la destination qui lui a été donnée par le bail, ou suivant celle présumée d'après les circonstances, à défaut de convention".
L'article 1729 du même code, dans sa version applicable lors de la conclusion du bail, énonce que "si le preneur n'use pas de la chose louée en bon père de famille ou emploie la chose louée à un autre usage que celui auquel elle a été destinée, ou dont il puisse résulter un dommage pour le bailleur, celui-ci peut, suivant les circonstances, faire résilier le bail".
Selon l'article R. 145-5 du code de commerce, la destination des lieux est celle autorisée par le bail et ses avenants ou par le tribunal dans les cas prévus aux articles L. 145-47 à L. 145-55 et L. 642-7.
En matière de bail commercial, le preneur est donc tenu d'exercer dans les locaux l'activité prévue par la clause de destination du bail ainsi que les activités incluses ou accessoires à cette destination en ce qu'elle s'y rattachent naturellement ou à son évolution normale en fonction des usages. Les articles L. 145-47 et suivants du code de commerce prévoient, par ailleurs, des procédures spécifiques de despécialisation notamment pour l'adjonction d'activités connexes ou complémentaires, de sorte que tout exercice d'une activité non autorisée, fût-elle connexe ou complémentaire sans respect de ces procédures, expose le locataire à la résiliation du bail.
En l'espèce, le contrat de bail du 10 décembre 2008 prévoit une clause de destination qui stipule en page 3 que "les lieux loués sont destinés à usage de :
Restaurant, bar".
Il n'est pas contesté par la partie défenderesse qu'elle exerce dans les lieux loués une activité de club sadomasochiste privé sous l'enseigne "[6]", qui est au demeurant établie par le constat d'huissier en date du 14 décembre 2019, réalisé sur ordonnance sur requête du 21 novembre 2019 et par les extraits du site internet du club "[6]" versés aux débats.
Dès lors que la clause de destination du bail s'interprète strictement, il incombe à Madame [F] de démontrer que les activités qu'elle exerce dans les locaux entrent dans celle de "restaurant, bar" autorisée par le bail.
Madame [F] communique à cet égard des extraits de situation au répertoire SIRENE ainsi que "Pappers du registre national des entreprises" concernant d'autres établissements avec une thématique échangiste dont il ressort que :
- la société qui exerce le club "[7]" a pour activité exercée déclarée : "club de rencontres et de loisirs",
- la société qui exploite l'enseigne "[5]" a pour activité principale exercée celle de "débits de boissons",
- il en est de même pour les sociétés qui exploitent les enseignes "Cris et chuchotements", "Taken-club" et "Mask".
Pour autant, ces éléments sont sans lien avec la destination contractuelle des locaux qui se distingue de l'immatriculation des sociétés pour des activités déclarées. Madame [F] soutient que son activité principale est la vente de boissons et que le bar ne fait qu'organiser des soirées à thème, produisant deux attestations de clients selon lesquelles il se rendent dans cet établissement pour consommer des boissons sans participer aux "soirées à thèmes".
Il ressort des extraits du site internet de l'établissement que celui-ci est présenté comme le "meilleur des clubs fétichistes et sadomasochistes de [Localité 8]", qu'il est facturé aux clients un droit d'entrée dont le montant varie selon qu'il s'agit d'une "soirée normale" ou d'une "soirée événementielle". Il est mentionné le tarif des boissons et précisé que "toutes nos boissons sont accompagnées d'un éventail d'amuse-bouches salées et sucrées".
Dès lors qu'il ne s'agit pas d'animations ponctuelles mais d'un mode d'exploitation régulier du fonds de commerce, l'activité de club échangiste ou de club échangiste sadomasochiste ne peut être considérée comme étant incluse dans celle de "restaurant, bar" autorisée par le bail.
Madame [F] ne justifie pas avoir sollicité par le biais d'un avenant une modification de la clause de destination des locaux loués.
Le manquement à la clause de destination contractuelle des locaux loués est donc caractérisé, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le second moyen soulevé par la partie demanderesse et tiré de l'atteinte aux bonnes moeurs qui n'est en tout état de cause pas établie, s'agissant d'un établissement où se rendent des personnes adultes et consentantes et qui ne génère aucune nuisance.
- Sur la renonciation alléguée du bailleur à se prévaloir du manquement à la destination contractuelle des locaux
Madame [F] soutient que les époux [W] avaient connaissance de l'activité exercée et ont renoncé à se prévaloir du manquement à la clause de destination en renouvelant le bail de la S.A.R.L. SATAN au nom évocateur, ou le sien le 10 décembre 2008.
Ainsi que l'a rappelé le juge de la mise en état dans son ordonnance, Madame [F] produit de nombreux éléments établissant que l'activité de club échangiste exercée depuis 1989 est de notoriété publique ainsi qu'une attestation du gérant de la S..A.R.L. SATAN, précédente locataire selon laquelle les époux [W] avaient connaissance de l'activité exercée.
Pour autant et ainsi que l'a rappelé le juge de la mise en état dans son ordonnance, la simple tolérance du bailleur quelle qu'en soit la durée ne crée pas de droit en faveur du preneur et n'entraîne pas dérogation aux obligations nées du bail et la connaissance par le bailleur de l'infraction faite au bail, quelle qu'en soit la durée, ne vaut pas renonciation du bailleur à s'en prévaloir.
Les renouvellements du bail allégués ont été consentis par les époux [W] ou Madame [W] seule aujourd'hui tous deux décédés, en outre sans modification de la clause de destination du bail, et non par la S.C.I. KIRIEL, bailleresse actuelle, certes composée des membres de la famille de Madame [W], mais qui est une personne morale distincte. Madame [F] ne contestant pas que la S.C.I. KIRIEL n'a consenti aucun renouvellement du bail et l'a au contraire assignée en résiliation du bail, elle ne peut valablement soutenir que la bailleresse aurait renoncé à se prévaloir du manquement à la destination contractuelle des locaux. Ce moyen sera donc rejeté.
- Sur la gravité du manquement
Pour que la résiliation du bail soit prononcée, il incombe au bailleur de démontrer que le manquement du preneur est suffisamment grave.
En l'espèce, il n'est pas allégué que l'activité de club échangiste sadomasochiste génère des nuisances pour le voisinage ou les résidents de l'immeuble.
La S.C.I. KIRIEL n'allègue pas plus d'un préjudice propre alors qu'il est avéré que l'activité de club échangiste exercée depuis 1989 est de notoriété publique. Dès lors que le manquement n'est pas irréversible et que la situation est régularisable par la locataire, il ne peut être considéré au regard des circonstances que le manquement est suffisamment grave pour justifier la résiliation du bail aux torts de la locataire.
Par conséquent, il ne sera pas fait droit à la demande d'expulsion de Madame [J] [H] veuve [F] et de séquestration des meubles et objets mobiliers trouvés sur place.
Sur les demandes accessoires
La S.C.I KIRIEL qui succombe à l'instance est condamnée aux dépens lesquels pourront être recouvrés directement par Maître Arnaud SALABERT, membre du Cabinet SALABERT & BESSE, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Elle sera également condamnée à verser à Madame [J] [H] veuve [F] une somme qu'il est équitable de fixer à la somme de 3.500 euros au titre des frais irrépétibles que la partie défenderesse a été contrainte d'exposer pour la présente instance. La partie demanderesse est corrélativement déboutée de sa demande de ce chef.
Enfin aucun motif ne conduit à écarter l'exécution provisoire de droit.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,
DÉBOUTE la S.C.I. SCI KIRIEL de toutes ses demandes,
CONDAMNE la S.C.I. SCI KIRIEL à verser à Madame [J] [H] veuve [F] la somme de trois mille cinq cents (3.500) euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la S.C.I SCI KIRIEL aux dépens lesquels pourront être recouvrés directement par Maître Arnaud SALABERT, membre du Cabinet SALABERT & BESSE, en application de l'article 699 du code de procédure civile,
DIT n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de la présente décision.
Fait et jugé à Paris le 24 Juillet 2024
Le Greffier Le Président
Henriette DURO Maïa ESCRIVE