TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] C.C.C.F.E. + C.C.C.
exdélivrées le :
à Me CHAUMANET (R101)
Me DESFORGES (A540)
■
18° chambre
2ème section
N° RG 21/03922
N° Portalis 352J-W-B7F-CUAB3
N° MINUTE : 11
Assignation du :
26 Février 2021
JUGEMENT
rendu le 24 Juillet 2024
DEMANDERESSE
S.C.M. SCM ARDILOUZE DELVOIE (RCS de Paris 317 307 262)
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Paul-Gabriel CHAUMANET, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #R101
DÉFENDERESSE
S.C.I. KAM PROPERTY (RCS de Paris 808 101 984)
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Maître Valérie DESFORGES de la S.E.L.A.S. ADEMA AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #A540
Décision du 24 Juillet 2024
18° chambre 2ème section
N° RG 21/03922 - N° Portalis 352J-W-B7F-CUAB3
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Par application des articles R.212-9 du Code de l’Organisation Judiciaire et 812 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été attribuée au Juge unique.
Avis en a été donné aux avocats constitués qui ne s’y sont pas opposés.
Maïa ESCRIVE, Vice-présidente, statuant en juge unique,
assistée de Henriette DURO, Greffier.
DÉBATS
A l’audience du 29 Mai 2024 tenue en audience publique.
Après clôture des débats, avis a été donné aux avocats, que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 24 Juillet 2024.
JUGEMENT
Rendu publiquement
Contradictoire
En premier ressort
_________________
EXPOSÉ DU LITIGE
Par un acte sous seing privé du 20 décembre 2017, la S.C.I. KAM PROPERTY a consenti au renouvellement du bail professionnel signé le 10 février 2010, soumis à l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986, au profit de la S.C.M. SCM ARDILOUZE DELVOIE (ci-après la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE) et portant sur les locaux à usage exclusif de bureaux pour l'exercice de l'activité d'avocats, au 4ème étage d'un immeuble situé [Adresse 1] à [Localité 2] désignés ainsi :
"- au 4ème étage, accès par l'escalier principal et l'ascenseur communs, porte gauche sur le palier commun, accès secondaire par l'escalier de service commun : des locaux d'une surface de 187,20 m² environ, composés d'une entrée, de huit bureaux dont un avec coin cuisine, d'une salle d'eau, d'un wc, d'un débarras, de placards, de couloir et dégagements ;
- au sous-sol, accès par l'escalier commun : deux caves portant les n°4 et 12".
Le bail a été conclu pour une durée de six années à compter rétroactivement du 1er mars 2016 pour s'achever le 28 février 2022 et moyennant le versement d'un loyer annuel de 80.000 euros hors charges et hors taxes, payable d'avance le 1er de chaque mois.
Par acte extrajudiciaire en date du 2 février 2021, la S.C.I. KAM PROPERTY a fait signifier à la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE un commandement de payer les sommes de 83.772,83 euros au titre des loyers impayés et de 30.863,82 euros au titre des charges impayées, outre le coût de l'acte de 393,28 euros, visant la clause résolutoire insérée au bail.
Le 27 janvier 2021, la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE a notifié par lettre recommandée son congé à effet du 1er avril 2021.
Un constat contradictoire d'état des lieux a été établi par un huissier de justice, à la demande de la bailleresse, le 31 mars 2021.
Par acte délivré le 26 février 2021, la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE a fait assigner la S.C.I. KAM PROPERTY devant ce tribunal en opposition au commandement délivré le 2 février 2021, aux fins essentielles de le voir déclarer nul et de nul effet comme concernant la période de mars à mai 2020, de production des justificatifs de charges sous astreinte, de condamnation au paiement de la somme de 48.774,30 euros de dommages et intérêts et de compensation avec l'arriéré locatif, de validation du congé délivré ainsi que de restitution du dépôt de garantie.
Saisi par la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE d'un incident de communications de pièces, le juge de la mise en état a, par ordonnance en date du 5 septembre 2022 :
- Débouté la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE de sa demande de communiquer sous astreinte l'acte de "vente de gré à gré conclu entre la S.C.I. KAM PROPERTY et son acquéreur le 10 septembre 2021 concernant les locaux sis au 4ème étage [Adresse 1] (lots n°9-18-24 de l'état descriptif de division)",
- Débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Renvoyé l'affaire à une audience de mise en état ultérieure,
- Réservé les dépens.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 septembre 2023, la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE demande au tribunal de :
Vu les articles 1104 et 1231-5 du code civil,
- La déclarer recevable et bien fondée en son opposition au commandement de payer visant la clause résolutoire qui lui a été signifiée à la requête de la S.C.I. KAM PROPERTY le 2 février 2021 ;
- Déclarer nul et de nul effet ledit commandement ;
- Déclarer la S.C.I. KAM PROPERTY mal fondée dans sa réclamation concernant la somme de 24.266,43 euros correspondant au montant des loyers et charges indiqués dans le commandement de payer pour la période de mars, avril et mai 2020 et débouter la S.C.I. KAM PROPERTY de toutes ses demandes formées à ce titre ;
- Condamner la S.C.I. KAM PROPERTY à lui payer la somme de 48.774,30 euros au titre du préjudice occasionné par son attitude déloyale dans l'exécution du contrat ;
- Dire et juger que cette dernière somme viendra en compensation après prise en compte de la totalité des déductions pour un montant de 64.266,45 euros soit un solde de loyers et charges d'un montant de 1.595,90 euros que la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE offre de payer sous réserves de la restitution du dépôt de garantie d'un montant de 20.000 euros et de la production de l'intégralité des justificatifs des charges réclamées ;
- Valider le congé donné par la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 27 janvier 2021 pour un départ des lieux au 1er avril 2021, avec toutes ses conséquences de droit ;
- Ordonner à la S.C.I. KAM PROPERTY de restituer le dépôt de garantie d'un montant de 20.000 euros consignée par la requérante au titre de l'article 6 du contrat de renouvellement de bail professionnel du 20 décembre 2017 et subsidiairement ordonner la compensation du dépôt de garantie avec le montant des sommes éventuellement dues par la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE au titre des loyers et charges ;
- Débouter la S.C.I. KAM PROPERTY de l'ensemble des demandes formées à titre reconventionnel ;
- Condamner la S.C.I. KAM PROPERTY à lui payer la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- La condamner en tous les dépens dont distraction au profit de Maître Paul-Gabriel CHAUMANET, avocat, qui pourra les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 août 2023, la S.C.I. KAM PROPERTY demande au tribunal de :
Vu les articles 1103 et suivants du code civil,
Vu les articles 1728 et suivants du code civil, l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986,
Vu les pièces versées au débat,
- Débouter la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- La déclarer recevable et bien fondée en sa demande reconventionnelle ;
- Y faisant droit, condamner la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE à lui payer les sommes suivantes :
- 75.306,73 euros au titre des loyers et charges impayées jusqu'au 27 juillet 2021, sauf à parfaire,
- 108.337,70 euros au titre des réparations locatives,
Outre les intérêts au taux légal à compter de la date de signification des premières conclusions notifiées le 10 mai 2021 avec capitalisation dans les conditions fixées par l'article 1343-2 du code civil ;
- Juger que le dépôt de garantie d'un montant de 20.000 euros sera conservé par la S.C.I. KAM PROPERTY et s'imputera sur les sommes dues par la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE ;
- Condamner la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE au paiement de la somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Valérie DESFORGES, avocat.
* * *
Ainsi que le permet l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières conclusions des parties pour l'exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.
La clôture de la mise en état a été prononcée le 11 septembre 2023.
L'affaire a été appelée pour plaidoiries à l'audience tenue en juge unique du 29 mai 2024 et mise en délibéré à la date de ce jour.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la validité du commandement de payer visant la clause résolutoire délivré le 2 février 2021
Dès lors que la S.C.M. ARDILOUZE ne conteste pas être redevable des sommes de 64.266,45 euros au titre des loyers et de 1.595,90 euros au titre des charges, qu'il est constant qu'un commandement de payer qui serait notifié pour une somme erronée et supérieure au montant de la créance réelle du bailleur au titre des loyers et charges n'est pas nul mais ne produit ses effets qu'à due concurrence des sommes exigibles et que la partie demanderesse ne formule aucun autre moyen susceptible de conclure que le commandement délivré le 2 février 2021 est nul et de nul effet, cette demande sera rejetée. Il sera noté qu'au surplus, ayant quitté les lieux, la demande n'a plus d'intérêt.
Sur le congé donné pour le 1er avril 2021 par la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE
La S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE expose que des pourparlers amiables ont été engagés avec le bailleur dès le mois de mai 2020 et que ce dernier a donné son accord pour une réduction du délai de préavis et un départ anticipé au 1er avril 2021.
La S.C.I. KAM PROPERTY rappelle les clauses du bail qui prévoient un préavis de 6 mois conformément aux dispositions de l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986 et conteste tout accord de sa part pour une réduction du délai de préavis. Elle conclut que compte tenu du délai de préavis de 6 mois, le bail a pris fin le 27 juillet 2021 par l'effet du congé délivré par la locataire le 27 janvier 2021.
En l'espèce, le contrat de bail liant les parties stipule en page 3 que "pendant le cours du Bail, le Preneur pourra à tout moment, en respectant un préavis d'au moins 6 mois, donner congé au Bailleur.
Les notifications visées au présent article devront être effectuées par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par acte d'huissier".
Par courrier électronique et lettre recommandée en date du 27 janvier 2021, la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE a donné congé par anticipation "comme déjà évoqué avec votre Conseil, Maître Constance de la HOSSERAYE, pour la date du 1er avril 2021".
Par courrier électronique du même jour, le conseil de la bailleresse a répondu : "je vous remercie pour votre email de ce jour. Afin d'actualiser le décompte communiqué, je vous remercie de m'adresser le détail et les justificatifs des paiements réalisés".
Puis par courriers électroniques en date du 8 février 2021, le conseil de la bailleresse a indiqué:
- dans un premier mail : "(...) Compte tenu du congé donné, il va être procédé à une visite des locaux pour déterminer les réparations locatives à effectuer dans le cadre de la restitution des locaux. Cette démarche sera probablement effectuée début mars. Je reprendrai attache avec vous le moment venu" ;
- dans un second mail : "(...) ayant repris les termes du bail en cours, j'attire votre attention sur le fait qu'il y est prévu un préavis de 6 mois, de sorte que le bail dénoncé prendra fin 6 mois à compter de la réception du recommandé. Je vous remercie de me faire parvenir l'accusé de réception de votre courrier du 27 janvier 2021 par la SCI KAM PROPERTY.
Contrairement à ce que je vous écrivais ce matin, la visite des locaux sera organisée plus tardivement puisque le bail se poursuit jusqu'au 27 juillet prochain a minima".
Dès lors que par courriel du même jour, le conseil de la bailleresse a indiqué que le bail se poursuivait jusqu'au 27 juillet 2021 et qu'elle a ensuite avec constance maintenu sa position (par un courrier électronique officiel de son conseil du 9 février 2021), la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE est défaillante dans la charge de la preuve qui lui incombe d'établir un accord exprès et non équivoque de la S.C.I. KAM PROPERTY quant à une réduction du délai de préavis prévu contractuellement. La S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE reste dès lors tenue du paiement des loyers et des charges jusqu'au 27 juillet 2021.
Sur la demande de dommages-intérêts formée par la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE
La S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE sollicite la condamnation de la S.C.I. KAM PROPERTY à lui payer la somme de 48.774,30 euros en réparation du préjudice occasionné par l'attitude déloyale dans l'exécution du contrat de la bailleresse. Elle incrimine à ce titre le comportement de la bailleresse qui :
- n'a jamais réclamé avant la délivrance du commandement de payer visant la clause résolutoire l'indexation des loyers et la régularisation des charges, ce qui a empêché les associés de la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE, depuis 2017, de déduire ces sommes fiscalement de leurs revenus et de bénéficier d'une diminution de leurs prélèvements sociaux basés sur leurs bénéfices professionnels ;
- ne s'est pas manifestée lors de l'acquisition des locaux en décembre 2014, privant la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE d'un interlocuteur et de la possibilité de procéder au paiement des loyers pendant un an, la locataire n'ayant reçu aucune information sur l'identité précise de son créancier ni sur les modalités de paiement.
Elle précise que la S.C.I. KAM PROPERTY a reconnu l'existence du préjudice fiscal occasionné par son retard à encaisser les loyers pendant un an et lui a accordé une franchise de loyers et charges pour la période du 1er janvier 2015 au 29 février 2016 en réparation de son préjudice suivant un protocole d'accord signé le 26 décembre 2016 entre les parties ; que néanmoins, par la suite, la S.C.I. KAM PROPERTY n'a pas respecté les clauses du bail lui imposant annuellement une indexation des loyers et une régularisation des charges.
La S.C.I. KAM PROPERTY réplique qu'elle est détenue par des personnes de nationalité émiratie et résidant à [Localité 3] (Emirats Arabes Unis) qui sont peu au fait de la réglementation française des baux ; que ce n'est qu'à partir du moment où elles ont fait appel à leur conseil français qu'il a pu être mis en lumière que l'indexation des loyers n'avait pas été calculée ni la reddition de charges effectuée. Elle ajoute que selon une jurisprudence constante, le fait pour le bailleur d'avoir omis de solliciter le paiement du loyer indexé ou des charges ne vaut pas renonciation de sa part en l'absence d'une manifestation de volonté claire et non équivoque en ce sens, dans les limites de la prescription quinquennale.
Aux termes des articles 1103 et 1104 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public.
En application de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, s'il ne justifie pas que l'exécution a été empêchée par la force majeure.
Enfin, conformément aux dispositions de l'article 1353 du même code, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
Les parties ont signé le 26 décembre 2016 un protocole d'accord transactionnel mettant fin à leur différend concernant le défaut de paiement des loyers et le préjudice du preneur "résultant de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de s'acquitter de ses loyers, charges et accessoires courants à leurs échéances, ayant eu notamment pour conséquence de considérablement augmenter le résultat de l'année 2015 et partant, le montant de ses charges au titre de 2015".
Il convient donc de constater que la faute alléguée tenant à l'absence de manifestation de la bailleresse lors de l'acquisition des locaux en décembre 2014, privant la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE d'un interlocuteur et de la possibilité de procéder au paiement des loyers pendant un an, a d'ors et déjà été réparée par le protocole d'accord susvisé.
S'agissant de la faute alléguée tenant à l'absence d'indexation des loyers et de régularisation des charges avant la délivrance du commandement de payer visant la clause résolutoire et ce, depuis 2017, en l'espèce, le bail conclu entre les parties stipule:
Décision du 24 Juillet 2024
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- dans son article 4.2 "INDEXATION", que "Le loyer variera selon l'évolution de l'indice du coût de la construction (ICC) publié trimestriellement par l'INSEE. Le loyer sera réajusté chaque année à la date anniversaire de la prise d'effet du Bail renouvelé, le loyer devant varier du même pourcentage que l'indice ICC. L'indexation jouera de plein droit, sans qu'il soit besoin d'une notification préalable. Le fait pour le Bailleur de ne pas avoir immédiatement ajusté le loyer ne pourra entraîner une quelconque déchéance de son droit à réclamer l'application ultérieure du jeu de la clause avec effet rétroactif (...)" ;
- dans son article 5.2 "Provisions sur charges" in fine, que "(...) A la clôture de chaque période annuelle, le montant des provisions facturées sera régularisé en fonction du relevé établi par le Bailleur, son mandataire ou le syndic dans le cas d'une copropriété".
Il est donc contractuellement prévu une indexation de plein droit annuelle du loyer ainsi qu'une régularisation des charges tous les ans.
La S.C.I. KAM PROPERTY ne conteste pas ne pas avoir procédé à l'indexation du loyer et à la régularisation des charges entre 2017 et le commandement de payer visant la clause résolutoire délivré le 2 février 2021 qui vise les sommes dues à ces titres pour un montant total de 48.774,30 euros.
Il n'est pas plus contesté que cette réclamation est légale et que le quantum est exact. Pour autant, et ainsi que le soutient la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE, la réclamation présentée en février 2021 sur une période écoulée de quatre ans est déloyale et brutale alors qu'un protocole d'accord avait été signé le 26 décembre 2016 faisant état du préjudice fiscal du preneur lié à l'absence de possibilité de déduire de ses charges le loyer et les charges, que ce dernier avait délivré congé et avait informé le bailleur de ses difficultés pour régler le loyer pendant la crise sanitaire et qu'en outre les clauses contractuelles imposaient au bailleur de procéder à l'indexation et à la régularisation des charges tous les ans. Ce comportement est constitutif d'une faute dans l'exécution du contrat de bail.
S'agissant du préjudice fiscal, dans la mesure où il ressort du décompte que la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE s'est abstenue de tout paiement à compter du 1er février 2020 et jusqu'au 5 janvier 2021, il est nécessairement limité à la période comprise entre le 1er mars 2017 et le 1er janvier 2020.
Il ressort du décompte que le différentiel entre les loyers appelés et perçus et les loyers indexés s'élève pour la période susvisée à la somme de :
(145,11 € x 12) + (257,05 € x 12) + (518,24 € x 12) = 1.741,32 + 3.084,60 + 6.218,88 = 11.044,80 euros.
S'agissant des régularisations de charges visant la même période susvisée, elles s'élèvent à 4.114,96 € + 3.468,03 € + 175,18 € + 400,40 € +175,18 € + 3.468,03 € + 3.468,03 € + 175,18 € =15.444,99 € alors qu'il a été appelé pour cette période des provisions sur charges mensuelles de 850 euros selon le bail, soit 850 € x 34 mois = 28.900 euros. Dès lors, le préjudice fiscal allégué n'apparaît pas suffisamment caractérisé concernant les régularisations de charges.
Au regard de ces éléments, l'indemnisation du préjudice de la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE sera évaluée à 30 % de 11.044,80 €, soit 3.313,50 euros, au versement de laquelle la S.C.I. KAM PROPERTY sera condamnée.
Sur les demandes reconventionnelles de la S.C.I. KAM PROPERTY
- Sur la demande au titre de l'arriéré locatif
La S.C.I. KAM PROPERTY sollicite la condamnation de la partie demanderesse à lui verser la somme de 75.306,73 euros au titre des loyers et charges impayés jusqu'au 27 juillet 2021.
La partie demanderesse oppose essentiellement que :
- la somme de 24.266,43 euros correspondant au montant des loyers et charges indiqués dans le commandement de payer pour la période de mars, avril et mai 2020 n'est pas exigible, en raison du confinement imposé à compter du 12 mars 2020 qui a très fortement impacté l'activité à dominante plaidante des avocats associés et collaborateurs du cabinet, ce qui constitue un cas de force majeure ;
- le bailleur n'a jamais procédé à la régularisation annuelle des charges, malgré la clause du bail lui imposant cette obligation (article 5.2) ; qu'il n'a jamais non plus procédé à l'indexation annuelle des loyers également prévue par le bail (article 4.2) ; que ce n'est que suite à l'échec des pourparlers que, le 2 février 2021, la S.C.I. KAM PROPERTY a fait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire comptant une demande d'indexation des loyers depuis 2017 pour un montant de 17.910,48 euros et de régularisation des charges depuis le 1er mars 2017 pour un montant de 30.863,82 euros.
La S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE invoque la force majeure au soutien de sa demande de dispense de paiement des loyers et charges pour la période de mars à mai 2020.
L'article 1218 du code civil dispose qu'"il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.
Si l'empêchement est temporaire, l'exécution de l'obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l'empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1".
Or, il est constant que le débiteur d'une obligation contractuelle de payer une somme d'argent ne peut s'exonérer en invoquant un cas de force majeure et celle-ci ne profite pas au créancier d'une obligation qui n'a pu profiter de la contrepartie à laquelle il avait droit.
Dès lors, la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE, débitrice des loyers, n'est pas fondée à invoquer à son profit la force majeure.
S'agissant de la régularisation des charges et l'indexation des loyers, il a été statué sur le préjudice subi par la locataire. Le montant des charges est justifié par les appels de charges versés aux débats.
Par conséquent, dès lors que la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE ne conteste pas le décompte communiqué et que le tribunal a jugé qu'elle était redevable des loyers et des charges jusqu'au 27 juillet 2021, la créance de la S.C.I. KAM PROPERTY s'élève à la somme de 75.306,73 euros au titre des loyers et charges impayés jusqu'au 27 juillet 2021. La S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE est condamnée au paiement de cette somme, laquelle sera assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de notification des premières conclusions formulant cette demande, soit le 10 mai 2021, et capitalisation des intérêts dans les conditions fixées par l'article 1343-2 du code civil.
- Sur la demande au titre des réparations locatives
La S.C.I. KAM PROPERTY expose que les locaux doivent être rendus en fin de bail en bon état de réparations et parfaitement propres ; qu'il résulte d'une jurisprudence constante que l'indemnisation du bailleur en raison de l'inexécution par le preneur des réparations locatives prévues au bail n'est pas subordonnée à l'exécution de ces réparations, ni à l'engagement effectif de dépenses, ni à la justification d'une perte de valeur locative.
Elle se fonde sur l'état des lieux de sortie établi contradictoirement le 1er avril 2021 et fait valoir que la locataire ne saurait contester l'état des locaux alors qu'elle avait elle-même proposé d'engager des travaux de rénovation pour plus de 75.000 euros TTC. Elle sollicite la condamnation de la partie adverse à lui verser la somme de 108.337,70 euros au titre des réparations locatives.
La S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE réplique que la S.C.I. KAM PROPERTY a, suite à une procédure de saisie immobilière, vendu le bien immobilier de gré à gré le 10 septembre 2021 pour un montant de 2.883.000 euros, de sorte qu'elle n'est pas fondée à réclamer une somme au titre des réparations locatives dont elle n'a pas supporté le coût et qu'elle n'établit nullement une perte de valeur vénale de l'immeuble.
Le contrat de bail stipule dans son article 11.2 "Restitution des Locaux Loués" que "Le Preneur devra rendre les Locaux Loués en bon état de réparations et parfaitement propres, libres de toute occupation et de tout mobilier (...)".
Il ressort du constat d'état des lieux de sortie que les locaux ont été restitués vides et propres, la peinture et la moquette étant à l'état d'usage.
Il n'est néanmoins pas contesté que les locaux n'ont pas été restitués par la locataire en bon état de réparations locatives. Toutefois, la S.C.I. KAM PROPERTY ne peut demander aucune indemnité, puisqu'elle a revendu l'immeuble en l'état, sans diminution avérée du prix de vente, ce qui démontre l'absence de préjudice.
Par conséquent, la S.C.I. KAM PROPERTY sera déboutée de sa demande au titre des réparations locatives formée à titre reconventionnel.
Sur le sort du dépôt de garantie
Dès lors que la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE est redevable d'une somme au titre de la dette locative, le dépôt de garantie d'un montant de 20.000 euros sera conservé par la S.C.I. KAM PROPERTY et s'imputera sur les sommes dues par la partie demanderesse.
Sur la demande de compensation
Compte tenu des sommes dues réciproquement par les parties, il convient d'ordonner leur compensation.
Sur les demandes accessoires
Succombant à l'instance, la S.C.M. ARDILOUZE DELVOIE est condamnée aux dépens, lesquels pourront être recouvrés directement par Maître Valérie DESFORGES, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile. Elle est également condamnée à verser à la S.C.I. KAM PROPERTY une somme qu'il est équitable de fixer à 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Elle est corrélativement déboutée de sa demande de ce chef.
Enfin aucun motif ne conduit à écarter l'exécution provisoire de droit.
PAR CES MOTIFS
Le Tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,
DÉBOUTE la S.C.M. SCM ARDILOUZE DELVOIE de sa demande tendant à voir déclarer nul et de nul effet le commandement de payer visant la clause résolutoire signifié le 2 février 2021 à la demande de la S.C.I. KAM PROPERTY,
DIT que la S.C.M. SCM ARDILOUZE DELVOIE est tenue du paiement des loyers et des charges jusqu'au 27 juillet 2021, suite au congé délivré le 27 janvier 2021,
CONDAMNE la S.C.I. KAM PROPERTY à verser à la S.C.M. SCM ARDILOUZE DELVOIE la somme de 3.313,50 euros (trois mille trois cent treize euros et cinquante centimes) en indemnisation de son préjudice,
CONDAMNE la S.C.M. SCM ARDILOUZE DELVOIE à verser à la S.C.I. KAM PROPERTY la somme de 75.306,73 euros (soixante-quinze mille trois cent six euros et soixante-treize centimes) au titre des loyers et charges impayés jusqu'au 27 juillet 2021,
DIT que cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 10 mai 2021 et que les intérêts pourront être capitalisés dans les conditions fixées par l'article 1343-2 du code civil,
DÉBOUTE la S.C.I. KAM PROPERTY de sa demande au titre des réparations locatives,
DIT que le dépôt de garantie d'un montant de 20.000 (vingt mille) euros s'imputera sur les sommes dues par la S.C.M. SCM ARDILOUZE DELVOIE,
ORDONNE la compensation des sommes dues réciproquement par la S.C.M. SCM ARDILOUZE DELVOIE et la S.C.I. KAM PROPERTY,
CONDAMNE la S.C.M. SCM ARDILOUZE DELVOIE à verser à la S.C.I. KAM PROPERTY la somme de 2.500 (deux mille cinq cents) euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE la S.C.M. SCM ARDILOUZE DELVOIE de sa demande de dispense de paiement des loyers et charges pour les mois de mars à mai 2020, au titre de l'article 700 du code de procédure civile et du surplus de ses prétentions,
CONDAMNE la S.C.M. SCM ARDILOUZE DELVOIE aux dépens, lesquels pourront être recouvrés directement par Maître Valérie DESFORGES, avocat, en application de l'article 699 du code de procédure civile,
DIT n'y avoir lieu d'écarter l'exécution provisoire de la présente décision.
Fait et jugé à Paris le 24 Juillet 2024
Le Greffier Le Président
Henriette DURO Maïa ESCRIVE