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22/07/2024 | FRANCE | N°21/00468

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 18° chambre 1ère section, 22 juillet 2024, 21/00468


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies
délivrées le :




18° chambre
1ère section

N° RG 21/00468
N° Portalis 352J-W-B7F-CTSJT

N° MINUTE : 3

Assignation du :
08 Décembre 2020

contradictoire







ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 22 Juillet 2024

DEMANDERESSE

S.A. DELTA IMMO
[Adresse 2]
[Localité 6]

représentée par Maître Christophe DENIZOT de l’ASSOCIATION AARPI NICOLAS DENIZOT TRAUTMANN ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vesti

aire #B0119


DEFENDERESSES

S.A.S. DM ENTERTAINMENT
[Adresse 1]
[Localité 5]

S.C.P. ABITBOL & [S]
en la personne de Maître [E] [S] en qualité d’administrateur judiciaire de ...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies
délivrées le :

18° chambre
1ère section

N° RG 21/00468
N° Portalis 352J-W-B7F-CTSJT

N° MINUTE : 3

Assignation du :
08 Décembre 2020

contradictoire

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 22 Juillet 2024

DEMANDERESSE

S.A. DELTA IMMO
[Adresse 2]
[Localité 6]

représentée par Maître Christophe DENIZOT de l’ASSOCIATION AARPI NICOLAS DENIZOT TRAUTMANN ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #B0119

DEFENDERESSES

S.A.S. DM ENTERTAINMENT
[Adresse 1]
[Localité 5]

S.C.P. ABITBOL & [S]
en la personne de Maître [E] [S] en qualité d’administrateur judiciaire de la société DM ENTERTAINMENT
[Adresse 3]
[Localité 4]

S.E.L.A.F.A. MJA
en la personne de Maître [H] [V] en qualité de mandataire judiciaire de la société DM ENTERTAINMENT
[Adresse 3]
[Localité 4]

Toutes représentées par Maître Olivier PECHENARD de la SELARL PBM AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #B0899

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Madame Sophie GUILLARME, 1ère Vice-présidente adjointe,

assistée de Monsieur Christian GUINAND, Greffier principal,

DEBATS

A l’audience du 21 mai 2024, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue par mise à disposition au greffe le 22 Juillet 2024.

ORDONNANCE

Rendue par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous seing privé du 29 février 2016 et à effet du 1er mars 2016, la société Delta Immo a donné à bail à la société Q & L Entertainment, devenue société DM Entertainment, différents locaux pour une durée de neuf années, le preneur étant tenu au paiement d'un dépôt de garantie et à la remise d'une garantie à première demande d'un montant de 60.018 euros, à défaut de laquelle le preneur doit payer un complément de dépôt de garantie d'un même montant.

Par jugement du 26 juin 2019, le tribunal de commerce de Paris a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société DM Entertainment, la SCP Abitbol & [S] et la SELAFA MJA étant désignées respectivement administrateur et mandataire judiciaires.

Sur assignation du 25 octobre 2017 délivrée par la société Delta immo et par jugement du 4 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Paris a constaté l'acquisition de la clause résolutoire pour défaut de règlement des causes d'un commandement de payer délivré le 27 septembre 2017, a condamné la société DM Entertainment au paiement d'une somme de 270.128,63 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 1er avril 2019, deuxième trimestre 2019 inclus, l'a autorisée à se libérer de sa dette en 24 mensualités payables le 25 de chaque mois en sus des échéances courantes et a suspendu les effets de la clause résolutoire.

Dans le cadre de la procédure collective, par lettres des 9 juillet, 26 août et 11 septembre 2019, la société Delta immo a demandé la restitution des clés et la résiliation du bail auprès des organes de la procédure. Le 26 août 2019, elle a également déclaré sa créance comportant compensation avec le dépôt de garantie et la somme versée en substitution de la garantie à première demande.

Par acte extra judiciaire du 7 octobre 2019, la société Delta immo a signifié à la société DM Entertainment et à son administrateur judiciaire un commandement de payer visant la clause résolutoire et, le 30 octobre 2019, elle a saisi le juge-commissaire aux fins de constatation de la résiliation du bail sur le fondement de l'article L. 622-14 du code de commerce. Par ordonnance du 5 février 2020, le juge-commissaire s'est déclaré incompétent au profit du tribunal judiciaire de Paris. Cette ordonnance a été infirmée par arrêt de la cour d'appel de Paris du 27 octobre 2020 qui a renvoyé l'affaire devant le juge-commissaire.

Entre-temps, par assignation du 26 novembre 2019, la société DM Entertainement a saisi le juge des référés lequel, par ordonnance du 17 juillet 2020, estimant que les causes du commandement de payer avaient été intégralement réglées jusqu'au 31 décembre 2019 inclus, a pour l'essentiel, suspendu l'acquisition de la clause résolutoire, condamné la société DM Entertainment à payer à la bailleresse la somme provisionnelle de 52.166,21 euros, arrêtée au 30 juin 2020 inclus, accordé des délais de paiement, condamné la société DM Entertainment en paiement au titre de la reconstitution du dépôt de garantie et à constituer une garantie à première demande.

En novembre 2020, la société Delta immo a de nouveau saisi le juge-commissaire aux fins de constatation de la résiliation du bail sur le fondement de l'article L. 622-14 du code de commerce, la société DM Entertainment étant, selon elle, redevable d'une somme de 141.803,76 euros au 8 octobre 2020.

Par acte d’huissier signifié le 8 décembre 2020, la société Delta Immo a assigné la société DM Entertainement et les organes de la procédure aux fins de les voir condamnés à régler la somme de 97.157,32 euros au titre de l’arriéré locatif et la somme de 32.008,90 euros au titre de la reconstitution du dépôt de garantie, et à lui remettre une garantie bancaire à première demande de 64.017,80 euros ou à régler un montant équivalent.
L’instance a été enrôlée sous le n°RG 21/00468.

Le 13 janvier 2021, la société DM Entertainment a saisi le tribunal judiciaire de Paris en vue de contester l'exigibilité des loyers et des charges facturés par la bailleresse pendant les périodes de confinement et la période intermédiaire et, subsidiairement de solliciter des délais de paiement.
L’instance a été enrôlée sous le N°RG 21/00736.

Les deux affaires ont été jointes le 2 novembre 2021, subsistant sous le seul n°RG 21/00468.
Il s’agit de la présente instance.

Par jugement du 5 mai 2021, le tribunal de commerce de Paris a arrêté un plan de continuation de la SAS DM Entertainment et a désigné la SCP Abitbol et [S] en la personne de Maître [E] [S] en qualité de commissaire à l'exécution du plan.

Peu avant, et par ordonnance du 23 mars 2021, le juge-commissaire a déclaré recevables mais mal fondées les requêtes de la société Delta immo en constatation de la résiliation du bail.
La société Delta immo a exercé un recours contre cette ordonnance devant le tribunal de commerce qui, par jugement du 9 septembre 2021, l'a déboutée de sa demande de résiliation du bail, et a confirmé l'ordonnance du juge-commissaire.
Le tribunal a considéré qu'aux termes de l'ordonnance du 17 juillet 2020, le juge des référés avait accordé des délais de paiement pour le règlement de l'arriéré locatif arrêté au 30 juin 2019, qu'il existait une contestation sérieuse concernant les loyers postérieurs au 30 juin 2020 et qu'une résiliation judiciaire ne pouvait pas être prononcée pour les loyers postérieurs au 10 juillet 2020 au vu de l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020.

La société Delta immo a fait appel de ce jugement par déclaration du 24 septembre 2021.

Le 22 octobre 2021, la société Delta Immo a délivré un commandement de quitter les lieux à la SAS DM Entertainment. Par jugement du 16 février 2022, le juge de l'exécution a validé ledit commandement de quitter les lieux. Un arrêt de la cour d'appel de Paris daté du 3 novembre 2022 a infirmé ce jugement et annulé cet acte au motif que la société Delta Immo ne disposait pas d’un titre d’expulsion.

Par arrêt rendu le 8 mars 2022 sur appel du jugement du tribunal de commerce du 9 septembre 2021, la cour d’appel de Paris a, notamment constaté la résiliation du bail au 30 octobre 2019, et a déclaré irrecevables les demandes présentées par la société Delta Immo à fin d'expulsion avec le concours de la force publique et de paiement d'une indemnité d'occupation.
La cour a estimé qu'elle ne pouvait statuer que dans les limites des pouvoirs conférés par la loi au juge-commissaire, qui étaient circonscrits à la seule constatation de la résiliation d'un bail.

Déclarant agir en vertu du jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 4 juillet 2019, par acte d'huissier du 15 avril 2022 la société Delta Immo a fait pratiquer une saisie-attribution sur les comptes de la SAS DM Entertainment détenus auprès de la banque fiduciaire pour avoir paiement de la somme totale de 284 093,83 euros, représentant en principal les loyers et charges échus depuis l'ouverture de la procédure collective jusqu'au 1er avril 2022. Cette saisie-attribution qui a été dénoncée à la SAS DM Entertainment le 29 avril 2022, a été annulée par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Paris par jugement du 13 juillet 2022, au motif que le jugement du 4 juillet 2019 ne constituait pas un titre exécutoire permettant de recouvrer par voie d'exécution forcée les sommes dues par la SAS DM Entertainment, pour la période postérieure au 26 juin 2019. La société Delta Immo a fait appel de ce jugement et par arrêt du 12 octobre 2023, la cour d’appel de Paris a confirmé la décision sur ce point, estimant que l'exécution du jugement du 4 juillet 2019 ne pouvait plus être poursuivie, la société Entertainment ayant été placée en redressement judiciaire le 26 juin 2019, soit antérieurement au prononcé du jugement ordonnant l’expulsion.

La SAS DM Entertainment, qui avait quitté les lieux dans le courant du mois de mai 2022, a été placée en liquidation judiciaire le 22 novembre 2022, la Selafa MJA étant désignée liquidateur judiciaire.

La SELAFA MJA, es qualité de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société DM Entertainement est intervenue volontairement à l’instance par conclusions notifiées le 9 mars 2023, aux termes desquelles elle demande au tribunal saisi au fond de :
“Dire recevable l'intervention volontaire de la selafa MJA ès qualité.
Dire que la poursuite de la résiliation du bail ou de l’acquisition de sa clause résolutoire devant le Juge des Référés du Tribunal Judiciaire de Paris, devant le Juge Commissaire, le tribunal de commerce de Paris, la cour d'appel et le juge de l'exécution près le tribunal judiciaire de Paris ne répond pas dans un contexte de crise sanitaire aux conséquences gravissimes, à l’exigence d’équité de l’article 1194 du Code Civil et à celle de bonne foi de l’article 1104 dudit code.
Dire que la bailleresse a systématiquement refusé d'entrer en voie de négociation avec la preneuse, contrevenant à son obligation de bonne foi dans l'exécution du bail.
Dire qu'elle a expulsé la preneuse dans les conditions jugées illicites et qu'elle a confisqué toute sa trésorerie disponible de manière également illégale
Dire quelle est à l'origine de la disparition du fonds de commerce de la preneuse qu'elle a privée du temps et des ressources nécessaires à sa réinstallation ainsi qu'à l'impossibilité résultant du prononcé de la liquidation judiciaire de payer les créanciers de son plan de continuation.

La condamner à payer à la MJA es qualité la somme de 487 670. 73 € à majorer de la valeur du fonds de commerce qu'elle a fait disparaître pour mémoire
Condamner la Société DELTA IMMO à payer à la Selafa MJA ès qualité la somme de 20 000 € au titre de l’article 700 du Code Procédure Civile.
La condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Jacques GOURLAOUEN, Avocat à la Cour d’Appel de Paris, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code Procédure Civile”

Par conclusions notifiées par RPVA le 27 mars 2023, la société Delta Immo a saisi le juge de la mise en état d’un incident.
Elle demande au juge de la mise en état de :
- déclarer incompétent le tribunal judiciaire de Paris au profit de la cour d’appel de Paris pour se prononcer sur la demande indemnitaire liée à la saisie-attribution contestée,
- déclarer incompétent le tribunal judiciaire de Paris pour se prononcer sur la demande indemnitaire liée à une prétendue expulsion illicite, sans qu’aucun renvoi devant le juge de l’exécution ou la cour d’appel ne soit possible dans la mesure où la cour d’appel a déjà statué et est dessaisie du litige relatif à la contestation de cette prétendue expulsion,
- juger irrecevables les demandes indemnitaires de la SELAFA MJA en la personne de Me [V] es-qualités liée à une prétendue expulsion illicite comme se heurtant à l’autorité de la chose jugée,
- juger en toute hypothèse irrecevables toutes les demandes de la SELAFA MJA en la personne de Me [V] es qualités comme ne se rattachant pas aux prétentions originaires par un lien suffisant,
- condamner la SELAFA MJA en la personne de Me [V], es qualités, au paiement de la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens du présent incident.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 19 décembre 2023, la SELAFA MJA es qualité demande au juge de la mise en état de :
- rejeter l'exception d’incompétence soulevée par la société Delta Immo,
- juger que le tribunal judiciaire de Paris est compétent pour se prononcer sur ses demandes,
- débouter la société Delta Immo de ses fins de non-recevoir tendant à une prétendue irrecevabilité pour autorité de la chose jugé et à l’absence de lien suffisant,
- rejeter l’ensemble des demandes de la société Delta Immo,
- réserver les dépens.

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures déposées dans le dossier, qui ont été contradictoirement débattues à l'audience.

A l'issue des débats les parties ont été informées que l’ordonnance serait mise à disposition au greffe le 22 juillet 2024.

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Sur l’incompétence du tribunal judiciaire de Paris

Au soutien de sa demande, la société Delta Immo fait soutenir :
- que les demandes d’indemnisation de la SELAFA MJA es qualité sont fondées d’une part sur une prétendue expulsion illicite et d’autre part sur une saisie attribution contestée, toutes demandes qui relèvent du juge de l’exécution en application des dispositions de l’article L 213-6 du code de l’organisation judiciaire,

- que le contentieux ne porte pas sur une règle du statut des baux commerciaux, de sorte que l’article R 145-23 invoqué par la société Delta Immo n’est pas applicable,

En réplique, la SELAFA MJA es qualité fait valoir :
- que le tribunal judiciaire a une compétence exclusive pour les litiges de droit commun relatifs aux baux commerciaux et que l’article R145-23 du code de commerce a vocation à s’appliquer; que dès lors qu’elle sollicite la réparation des fautes commises par la société Delta Immo dans l’exécution du contrat de bail conclu le 29 février 2016 avec la société DM Entertainement, le tribunal judiciaire est donc compétent,
- que ses demandes sont indépendantes de toute mesure d’exécution forcée et ne relèvent pas de la compétence exclusive du juge de l’exécution.

L’article 789 du code de procédure civile dispose que :
« Lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour :
1° Statuer sur les exceptions de procédure, les demandes formées en application de l'article 47 et les incidents mettant fin à l'instance (...) »

Selon l’article L 213-6 du code de l’organisation judiciaire :
« Le juge de l'exécution connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres
exécutoires et des contestations qui s'élèvent à l'occasion de l'exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit à moins qu'elles n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire.
Dans les mêmes conditions, il autorise les mesures conservatoires et connaît des contestations relatives à leur mise en œuvre.
Le juge de l'exécution connaît, sous la même réserve, de la procédure de saisie immobilière, des contestations qui s'élèvent à l'occasion de celle-ci et des demandes nées de cette procédure ou s'y rapportant directement, même si elles portent sur le fond du droit ainsi que de la procédure de distribution qui en découle.
Il connaît, sous la même réserve, des demandes en réparation fondées sur l'exécution ou l'inexécution dommageables des mesures d'exécution forcée ou des mesures conservatoires. »

Aux termes de ses dernières conclusions au fond notifié par RPVA le 9 mars 2023, dont le dispositif est rappelé supra, la SELAFA MJA es qualité fait soutenir que la société Delta Immo a utilisé des procédés illicites pour l’expulser et lui confisquer toute sa trésorerie disponible pour 111.000 euros et qu’elle a refusé de façon abusive d'entrer en voie de négociation à l'occasion de la crise sanitaire ; elle soutient que ces fautes, commises dans le cadre de l’exécution du contrat de bail, ont causé la perte définitive de son fonds de commerce, puisque sans elles, la société DM Entertainment aurait disposé du temps et des ressources nécessaires à sa réinstallation, ainsi que de la possibilité d'exécuter son plan de continuation.
Elle fait valoir que la bailleresse aurait ainsi fait preuve d’une « brutalité inacceptable» d’une part en l’expulsant « dans des conditions illicites » puisque l’expulsion a été conduite « au vu d’un commandement de quitter les lieux définitivement annulé » par la cour d’appel de Paris le 3 novembre 2022, d’autre part en saisissant « la totalité de ses avoirs dans des conditions également illégales ».
Elle expose que le préjudice serait constitué d’une part de la valeur du fonds de commerce que la bailleresse aurait fait disparaître, d’autre part de la totalité des créances du plan dont le solde à la suite de la résiliation du bail dans ces conditions, demeurera nécessairement impayé.

Contrairement à ce que fait soutenir la société Delta Immo, ces demandes qui ne s’inscrivent pas dans le cadre procédural de contestations de mesures d’exécution forcée en ce que, d’une part, elles ne visent pas à remettre en cause les effets de ces mesures, mais visent à voir engager la responsabilité contractuelle de la bailleresse, et d’autre part reposent sur d’autres griefs que les seules prétendues explusion et saisie-attribution abusives, ne relèvent pas de la compétence exclusive du juge de l’exécution.
Si l’article R145-23 du code de commerce, qui concerne les règles spécifiques au statut des baux commerciaux, est invoqué à tort par la SELAFA MJA es qualité, il n’en reste pas moins que le tribunal judiciaire est compétent pour statuer sur le présent litige, les demandes de la société DM Entertainment étant fondées sur la responsabilité contractuelle de la société Delta Immo.

L’exception d’incompétence soulevée par la société Delta Immo sera donc rejetée.

Sur la fin de non recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée

Au soutien de ses demandes, la société Delta Immo fait valoir qu’il appartenait au juge de l’exécution, puis à la cour d’appel de Paris saisie du recours à l’encontre de la décision du juge de l’exécution du 16 janvier 2022 et à eux seuls, de statuer sur la demande indemnitaire liée à une expulsion prétendument illicite au motif que le commandement de quitter les lieux fondé sur le jugement de la présente juridiction du 4 juillet 2019 a été annulé. Elle ajoute que la cour d’appel de Paris a statué définitivement sur la demande indemnitaire relative à une expulsion qui n’aurait pas eu lieu d’être, en déboutant, par arrêt du 8 mars 2022, la société DM Entertainment et les organes de la procédure de sa demande de paiement de la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure d’expulsion abusive.

En réplique, la SELAFA MJA es qualité fait soutenir qu’elle ne sollicite pas une indemnisation motif pris d’une procédure d’expulsion abusive comme elle l’a précédemment fait devant la cour d’appel de Paris sur le fondement des articles L.622–21, les articles L.622– 24 et L.622-14 du code de commerce, mais une indemnisation sur le fondement de la mauvaise foi de la société Delta Immo dans l’exécution du contrat de bail en vertu des articles 1103, 1104 et 1194 du code civil, à l’origine des nombreux préjudices subis par la preneuse, de sorte que les demandes n’ont ni le même objet, ni la même cause.

L’article 1355 du code civil dispose que “l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité.”

Aux termes de son arrêt rendu le 3 novembre 2022, la cour d’appel de Paris a statué sur appel du jugement rendu par le juge de l’exécution le 16 février 2022 qui avait rejeté la demande d’annulation du commandement de quitter les lieux délivré le 22 octobre 2021 et rejeté la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
La cour a, notamment, statué en ces termes :
“La société Entertainment réclame la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, faisant observer à l'appui de cette prétention que la créance était intégrée dans un plan de redressement judiciaire, que celle née durant l'épidémie de Covid 19 était partiellement contestée en justice, et que les loyers courants étaient réglés. L'obligation à paiement des loyers ou indemnités d'occupation et celle de quitter les lieux sont indépendantes, en vertu du jugement du 4 juillet 2019, dès lors que les délais de paiement qu'il avait accordés à la débitrice sur 24 mois n'avaient pas été respectés. La société Entertainment ne peut donc utilement se plaindre de ce qu'une procédure d'expulsion a été menée à bien au seul motif que les loyers étaient payés. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts.”

La question que la cour a tranchée était celle de l’octroi de dommages et intérêts en lien avec la procédure d’expulsion, en tant que mesure d’exécution, jugée abusive.

Or en l’espèce, et comme indiqué supra, les demandes indemnitaires de la SELAFA MJA es qualité ont pour fondement la responsabilité contractuelle de la société Delta Immo dans l’exécution du contrat de bail ; dès lors les demandes n’ont pas le même objet ni la même cause et la fin de non recevoir tirée de l’autorité de la chose jugée sera rejetée.

Sur l’irrecevabilité des demandes additionnelles pour absence de lien suffisant

La société Delta Immo fait soutenir que les demandes originelles de la SELAFA MJA es qualité consistaient à prétendre qu’elle n’était pas redevable des loyers et charges pendant la période de crise sanitaire ou seulement partiellement et à solliciter, subsidiairement des délais de paiement, que la demanderesse a abandonné ces prétentions et sollicite à présent des dommages et intérêts au prétexte que la bailleresse serait à l’origine de la disparation de son fonds de commerce ; elle soutient que ces demandes indemnitaires n’ont aucun lien avec les demandes originaires.

La SELAFA MJA es qualité réplique que les demandes additionnelles de la société Delta Immo se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant dès lors qu’elles ont trait à l’exécution des conditions du bail.

Selon les dispositions de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

En outre, d’après les dispositions de l’article 4 du même code, l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l’acte introductif d’instance et par les conclusions en défense. Toutefois l’objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

Le premier alinéa de l’article 70 dudit code dispose quant à lui que les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

Il est constant que l’assignation délivrée par la société Delta Immo le 8 décembre 2020 avait pour objet le paiement d’un arriéré locatif et que l’assignation introductive d’instance délivrée par la société DM Entertainment et les organes de procédure collective le 18 janvier 2021 avait pour objet d’obtenir la suspension des loyers et charges pendant la période covid et subsidiairement l’octroi de délais de paiement.

Depuis, la société Delta Immo a totalement modifié ses demandes puisqu’aux termes de ses dernières conclusions, la SELAFA MJA es qualité demande au tribunal de :
“Dire recevable l'intervention volontaire de la selafa MJA ès qualité
Dire que la poursuite de la résiliation du bail ou de l’acquisition de sa clause résolutoire devant le Juge des Référés du Tribunal Judiciaire de Paris, devant le Juge Commissaire, le tribunal de commerce de Paris, la cour d'appel et le juge de l'exécution près le tribunal judiciaire de Paris ne répond pas dans un contexte de crise sanitaire aux conséquences gravissimes, à l’exigence d’équité de l’article 1194 du Code Civil et à celle de bonne foi de l’article 1104 dudit code.

Dire que la bailleresse a systématiquement refusé d'entrer en voie de négociation avec la preneuse, contrevenant à son obligation de bonne foi dans l'exécution du bail.
Dire qu'elle a expulsé la preneuse dans les conditions jugées illicites et qu'elle a confisqué toute sa trésorerie disponible de manière également illégale
Dire quelle est à l'origine de la disparition du fonds de commerce de la preneuse qu'elle a privée du temps et des ressources nécessaires à sa réinstallation ainsi qu'à l'impossibilité résultant du prononcé de la liquidation judiciaire de payer les créanciers de son plan de continuation.
La condamner à payer à la MJA es qualité la somme de 487 670. 73 € à majorer de la valeur du fonds de commerce qu'elle a fait disparaître pour mémoire,
Condamner la Société DELTA IMMO à payer à la Selafa MJA ès qualité la somme de 20 000 € au titre de l’article 700 du Code Procédure Civile.
La condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Jacques GOURLAOUEN, Avocat à la Cour d’Appel de Paris, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code Procédure Civile.”

Ces demandes additionnelles sont sans lien avec les questions relatives à l’exigibilité des loyers charges et taxes locatives appelés durant les périodes affectées par l’épidémie de covid-19, si bien qu’elles ne se rattachent pas aux prétentions originaires formées dans l’assignation par un lien suffisant.

Elles seront donc déclarées irrecevables.

Sur les autres demandes

Les dépens de l’incident suivront le sort de ceux liés à l’instance principale.

La SELAFA MJA es qualité sera déboutée de sa demande formée en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et condamnée sur ce fondement, au regard de l’équité, à payer à la société Delta Immo la somme de 1.000 euros.

PAR CES MOTIFS

Le juge de la mise en état, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, en premier ressort, mise à disposition au greffe à la date du délibéré,

Rejette l’exception d’incompétence soulevée par la société Delta Immo,

Rejette la fin de non recevoir soulevée par la société Delta Immo du chef de l’autorité de la chose jugée,

Déclare irrecevables l’ensemble des demandes additionnelles de la SELAFA MJA es qualité telles que formulées dans ses dernières conclusions au fond notifiées par RPVA le 9 mars 2023,

Condamne la SELAFA MJA es qualité à payer à la société Delta Immo la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Réserve les dépens,

Renvoie l’affaire à l’audience du 12 novembre 2024 pour conclusions récapitulatives des parties ; à défaut, l’affaire est susceptible d’être radiée,

Rappelle que sauf convocation spécifique à l'initiative du juge de la mise en état ou d'entretien avec ce dernier sollicité par les conseils, les audiences de mise en état se tiennent sans présence des conseils, par échange de messages électroniques via le RPVA ; que les éventuelles demandes d'entretien avec le juge de la mise en état doivent être adressées, par voie électronique, au plus tard la veille de l'audience à 12h00 en précisant leur objet, l'entretien se tenant alors le jour de l'audience susvisée à 11h00.

Faite et rendue à Paris le 22 Juillet 2024.

Le Greffier Le Juge de la mise en état

Christian GUINAND Sophie GUILLARME


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 18° chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 21/00468
Date de la décision : 22/07/2024
Sens de l'arrêt : Autres décisions ne dessaisissant pas la juridiction

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-22;21.00468 ?
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