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11/07/2024 | FRANCE | N°21/13750

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre 1ère section, 11 juillet 2024, 21/13750


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Expédition exécutoire délivrée à : Me BOUTTIER #G544
Copie certifiée conforme délivrée à : Me CORATELLA #E2149




3ème chambre
1ère section

N° RG 21/13750
N° Portalis 352J-W-B7F-CVK7M

N° MINUTE :

Assignation du :
14 octobre 2021











JUGEMENT
rendu le 11 juillet 2024





DEMANDERESSE

S.A.S. TOLIX STEEL DESIGN
[Adresse 7],
[Adresse 7]
[Localité 3]

représentée par Me Emmanuel

BOUTTIER de la SELARLU BOUTTIER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G544


DÉFENDERESSE

S.A.S. FOOD MATERIEL PROFESSIONNEL
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentée par Me Alexandre CORATELLA de...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Expédition exécutoire délivrée à : Me BOUTTIER #G544
Copie certifiée conforme délivrée à : Me CORATELLA #E2149

3ème chambre
1ère section

N° RG 21/13750
N° Portalis 352J-W-B7F-CVK7M

N° MINUTE :

Assignation du :
14 octobre 2021

JUGEMENT
rendu le 11 juillet 2024

DEMANDERESSE

S.A.S. TOLIX STEEL DESIGN
[Adresse 7],
[Adresse 7]
[Localité 3]

représentée par Me Emmanuel BOUTTIER de la SELARLU BOUTTIER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G544

DÉFENDERESSE

S.A.S. FOOD MATERIEL PROFESSIONNEL
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentée par Me Alexandre CORATELLA de l’AARPI AGILAW, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire E2149 & Me Henri HUET de la SARL AMPELITE AVOCATS, avocat au barreau d’ORLEANS, avocat plaidant

Décision du 11 juillet 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 21/13750
N° Portalis 352J-W-B7F-CVK7M

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Anne-Claire LE BRAS, 1ère Vice-Présidente Adjointe
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, Juge,

assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

A l’audience du 18 mars 2024 tenue en audience publique, les avocats ont procédé par dépôt des dossiers.
Avis leur a été donné que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 27 juin 2024. Le délibéré a été prorogé au 11 juillet 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Tolix steel design se présente comme créatrice et fabricante en France de mobilier commercialisé dans le monde entier par des distributeurs agréés. Elle a notamment fabriqué et commercialisé les tabourets H et les chaises A.

En sus d’une marque verbale “TOLIX”, sous laquelle ses créations sont commercialisées, la société Tolix steel design est titulaire de la marque française semi-figurative numéro 4413078 enregistrée pour désigner les produits et services de la classe n°20 “tabourets métallique” ci-dessous reproduite:

La société Food matériel professionnel se présente comme une entreprise spécialisée dans le commerce de gros de fourniture et d'équipement de cuisine pour le commerce et les services. Elle réalise également des opérations d'exportation et d'importation de toutes marchandises de cuisine destinées aux professionnels et aux particuliers.
Le 4 août 2021, la société Tolix steel design a reçu une notification de la direction régionale du service des douanes du [Localité 4] l'informant que 1119 articles, dont 264 tabourets et 855 chaises susceptibles de contrefaire ses tabourets H et ses chaises A, ont fait l'objet d'une retenue.
Le 16 août 2021, le service des douanes a communiqué à la société Tolix steel design l'identité du destinataire des produits retenus, la société Food matériel professionnel, qui exerce sous le nom commercial “food Matpro” ainsi que celle de son expéditeur, le site chinois alibaba.com, la commande ayant été passée en mars 2021.
Le 25 août 2021, la société Tolix steel design a fait délivrer à la société Food matériel professionnel par Me [K], commissaire de justice à [Localité 5], une sommation de détruire sans délai l'ensemble des produits contrefaisants à ses frais et de l'indemniser à hauteur de 80.000 euros de son préjudice.
Le 3 septembre 2021, la société Food matériel professionnel a adressé un courrier à la société Tolix steel design dans lequel elle a indiqué ne pas avoir eu la volonté de contrefaire la marque et ne pas entendre donner de suite favorable à la sommation de faire.
Le 7 septembre 2021, puis le 14 septembre 2021, le président du tribunal judiciaire de Paris a rendu deux ordonnances sur requête autorisant une saisie-contrefaçon sur le fondement de la marque tridimensionnelle de la société Tolix steel design. Le président du tribunal de commerce d'Orléans a, quant à lui, rendu des ordonnances autorisant que soient dressés des procès-verbaux de constat s’agissant des chaises saisies. Des procès-verbaux ont été dressés le 16 septembre 2021.
Le 14 octobre 2021, la société Tolix steel design a fait assigner par acte de commissaire de justice la société Food materiel professionnel devant le Tribunal judiciaire de Paris.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 7 juillet 2023, la société Tolix steel design demande au tribunal, aux visas de l'article 101 du code de procédure civile, des articles L. 211-10 et D. 211-6-1 du code de l'organisation judiciaire, des articles L. 112-1, L. 112-2 10°, L. 121-1, L. 122-4, L.335-2, L.713-2 et L. 714-6 et suivants du code de la propriété intellectuelle, de l'article L. 716-7-1 A du code de la propriété intellectuelle, de l'article 1240 du code civil et de la jurisprudence, de : - Déclarer l'ensemble de ses demandes recevables ;
- Se déclarer compétent pour statuer sur les demandes relatives aux actes de contrefaçon commis par la société Food matériel professionnel à l'égard de sa marque n°4413078, mais également sur les actes de concurrence déloyale et parasitaires commis par Food matériel professionnel à l'égard de son modèle " Chaise A " dans la mesure où il existe un lien de connexité entre les deux demandes ;
- Faire injonction à la société Food matériel professionnel de communiquer :
- Tout document permettant d'établir avec certitude le nombre   de produits importés par la société Food matériel professionnel ;
- La liste intégrale des factures émises concernant la commercialisation des contrefaçons de sa marque n°4413078 représentant le tabouret H, et des copies serviles de sa chaise A, certifiée exacte par un expert-comptable ;
- Les documents comptables certifiés exacts par un expert-comptable, contractuels et commerciaux afin de déterminer les quantités de produits commercialisés et vendus des contrefaçons de sa marque n°4413078 représentants le tabouret H, et des copies serviles de sa Chaise A ;
- Assortir cette injonction de communication d'une astreinte de 1.000 euros par jours de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- Réserver son droit à indemnisation ;
- Juger que sa marque sous le n°4413078 a un caractère distinctif intrinsèque, et en tout état de cause, a acquis un caractère distinctif par l'usage, qu’elle n'a pas de caractère descriptif, ni de valeur substantielle et donc qu’elle est valide;
- Juger que la société Food matériel professionnel a commis des actes de contrefaçon de cette marque;
- Condamner la société Food matériel professionnel à lui payer la somme de 50.000 euros, sauf à parfaire, à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de contrefaçon commis à son encontre ;
- A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où ne serait pas retenue la contrefaçon, condamner la société Food matériel professionnel à lui payer la somme de 50.000 euros, sauf à parfaire, en réparation du préjudice causé par ses actes de concurrence déloyale et parasitaire relatifs au tabouret H ;
En tout état de cause :
- Condamner la société Food matériel professionnel à lui payer la somme de 50.000 euros, sauf à parfaire, à titre de dommages-intérêts au titre du préjudice résultant des actes distincts de concurrence déloyale et de parasitisme relatifs au tabouret H ;
- Condamner la société Food matériel professionnel à lui payer la somme de 100.000 euros, sauf à parfaire, en réparation du préjudice causé par ses actes de concurrence déloyale et parasitaire relatifs à sa chaise A ;
- Débouter la société Food matériel professionnel de ses demandes reconventionnelles de paiement des frais de rétention par le service des douanes des produits contrefaisants importés par celle-ci et pour procédure abusive ;
- Débouter la société Food matériel professionnel de sa demande de voir écarter, à titre subsidiaire, l'exécution provisoire du jugement à intervenir dans l'hypothèse d'une condamnation financière de cette dernière ;
- Débouter la société Food matériel professionnel de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- Interdire à la société Food matériel professionnel de poursuivre toute offre, mise sur le marché, importation, exportation, utilisation, ou détention de produits portant atteinte à sa marque n°4413078, ainsi qu'à son modèle chaise A, ce sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée, à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- Ordonner la destruction sous constat d'huissier de l'ensemble des meubles litigieux aux frais de la société Food matériel professionnel, dans un délai de huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard ;
- Ordonner la publication du dispositif et/ou d'un extrait du jugement à intervenir dans trois journaux ou revues au choix de la demanderesse et aux frais de la société Food matériel professionnel dans la limite de 5.000 euros HT par publication ;
- L'autoriser à faire publier le jugement à intervenir à compter de sa signification durant un mois sur son site Internet accessible à l'adresse www.tolix.fr ;
- Condamner la société Food matériel professionnel à lui payer la somme de 20.000 euros à titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre le remboursement des frais de saisie-contrefaçon et les dépens, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
- Ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 juillet 2023, la société Food matériel professionnel demande au tribunal aux visas de l'article 1240 du Code civil, de l'article 32-1 du code de procédure civile, des articles L. 711-1, L. 711-2 et L. 714-6 du code de la propriété intellectuelle, des articles 514 et 514-1 du code de procédure civile, des jurisprudences citées et des pièces versées au débat, de : - Recevoir la société Tolix steel design, mais la déclarer mal fondée en l'ensemble de ses demandes et prétentions ;
En conséquence :
- Débouter la société Tolix steel design de l'intégralité de ses demandes et prétentions ;
A titre reconventionnel :
- Annuler la marque n°4413078 déposée par la société Tolix steel design à titre principal, pour cause de non-distinctivité et à titre subsidiaire, pour cause de dégénérescence;
- Condamner la société steel design à lui verser une somme de 3.571,20 euros à titre de dommages-intérêts liés aux frais de la rétention douanière;
- Condamner la société steel design à lui verser une somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive;
A titre subsidiaire :
- Ecarter l'exécution provisoire du jugement à intervenir ;
En tout état de cause :
- Condamner la société Tolix steel design à lui verser une somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens

L'ordonnance de clôture a été rendue le 17 juillet 2023 et l'audience de plaidoirie a été fixée au 18 mars 2024.

MOTIFS

Sur la validité de la marque tridimensionnelle n°4413078

Sur le caractère distinctif

Moyens des parties

La société Food matériel professionnel soutient que la marque figurative n°4413078 doit être annulée en raison de son absence de caractère distinctif. Elle estime que le consommateur d’attention moyenne, qui a rarement l’occasion de procéder à une comparaison directe des marques et n’a pas le temps de prendre connaissance d’articles de presse, n’identifiera pas le tabouret comme provenant de la société Tolix steel design, en raison de la diversité de l’offre sur le marché. Arguant de sa bonne foi, elle ajoute qu’il n’est pas pertinent de déduire du fait que la société demanderesse pratique des prix plus élevés que ses concurrents, un niveau d’attention plus élevé du consommateur d’attention moyenne.
La société ajoute que la marque ne peut être considérée comme distinctive alors que la forme du tabouret H est typique du style industriel, compte-tenu de l’existence de nombreux tabourets de ce type proposés par d’autres entreprises, ce qu’elle entend démontrer. Elle considère ainsi que la désignation de tabouret “style industriel” correspond, dans le language courant, à la désignation du tabouret H déposé comme marque par la société Tolix. Pour le consommateur, l’origine des produits de style industriel n’est pas la propriété de la société Tolix, et ne permet pas d’éviter tout risque de confusion. Elle considère que l’effet de gamme invoqué par la demanderesse est au contraire la démonstration que le tabouret H est devenu dans le langage courant la désignation d’un produit de style industriel. L’accord transactionnel que la demanderesse produit à titre d’illustration est selon elle, sans objet dans la présente affaire.

Elle estime que l’usage de la marque par la société Tolix a été insuffisant pour lui permettre d’acquérir un caractère distinctif. Selon elle, la demanderesse ne justifie pas d’un usage continu et intense de sa marque puisqu’elle peine à justifier de la raison pour laquelle de nombreuses plateformes notoires de commerce en ligne proposent à leurs clients du mobilier de style industriel sans qu’elle ne s’y oppose.

Quant au sondage versé aux débats, la société Food matériel professionnel considère que si le consommateur perçoit le produit comme étant solide et fabriqué en France, il ne fait pas le lien avec la marque Tolix. Cette marque ne permet donc pas au consommateur de différencier le produit marqué des autres tabourets industriels commercialisés.

La société Tolix conclut à la validité de sa marque figurative n°4413078 tridimentionnelle qui représente le tabouret H.
Décision du 11 juillet 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 21/13750
N° Portalis 352J-W-B7F-CVK7M

Elle soutient que celle-ci est intrinsèquement distinctive car le consommateur sait distinguer le tabouret H des autres produits du secteur, ce qui ressort d’un sondage qu’elle a fait réaliser en avril 2023. Par conséquent, la marque remplit bien, selon elle, sa fonction de garantie d’origine.

Elle entend en tout état de cause démontrer que la marque a acquis son caractère distinctif par l’usage. Rappelant que le prix d’un tablouret H varie entre 214 à 262 euros, elle considère que le public pertinent est un consommateur au niveau d’attention élevé car il souhaite acquérir un produit de qualité. Or, elle soutient que sa marque a un fort retentissement, notamment dans les média, ce qui conduit le public pertinent à l’associer à elle. Elle souligne que le tabouret H, décrit dans la presse comme étant iconique et dont elle démontre la notoriété, se distingue clairement des autres produits du secteur. A la reconnaissance de la presse écrite et télévisuelle et du grand public s’ajoute celle des institutionnels, auprès desquels la marque est populaire. Elle expose démontrer un usage continu et intense de la marque et soutient que les annonces dont se prévaut la défenderesse ne sont que des copies serviles de son produit, ce qui ne saurait démontrer l’existence d’une quelconque antériorité. L’usage commercial et promotionnel du tabouret H, résultant des efforts constants de marketing et de communication, avant le dépôt de la marque n°4413078, est important et certain, traduisant les investissements promotionnels et de communication. Le sondage daté d’avril 2023 qu’elle produit démontre, selon elle, que la marque n°4413078 a acquis un caractère distinctif par l’usage, y compris postérieurement à son enregistrement, cette distinctivité s’inscrivant dans le temps par l’usage qui continue d’être fait de ladite marque.

Elle estime encore que la marque n’est pas descriptive et a une valeur non-substantielle. Pour elle, la valeur économique de la marque ne consiste pas uniquement en la forme esthétique du tabouret, qui n’est pas imposée par la nature du produit. Elle est aussi un symbole de fabrication française de qualité, de savoir-faire industriel, d’investissements marketing qui ont contribué à faire du produit une icône, fruit d’un mode de fabrication artisanale gage de qualité.

Appréciation du tribunal

Aux termes de l’article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle dans sa rédaction en vigueur à compter du 15 décembre 2019, ne peuvent être valablement enregistrés et, s'ils sont enregistrés, sont susceptibles d'être déclaré nuls :(...)2° Une marque dépourvue de caractère distinctif ;(…)
5° Un signe constitué exclusivement par la forme ou une autre caractéristique du produit imposée par la nature même de ce produit, nécessaire à l'obtention d'un résultat technique ou qui confère à ce produit une valeur substantielle ;(…)
Dans les cas prévus aux 2°, 3° et 4°, le caractère distinctif d'une marque peut être acquis à la suite de l'usage qui en a été fait.

Ces dispositions sont la transposition en droit interne de l’article 4 de la directive (UE) n° 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques. L’objectif de l’interdit posé au 5° de l’article L. 711-2 précité du code de la propriété intellectuelle est d’éviter de conférer au titulaire de la marque un monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d’un produit, susceptibles d’être recherchées par l’utilisateur dans les produits des concurrents, et d’éviter que le droit exclusif et permanent conféré par une marque puisse servir à perpétuer, sans limitation dans le temps, d’autres droits que le législateur de l’Union a voulu soumettre à des délais de péremption (CJUE, 16 septembre 2015, Société des produits Nestlé, C-215/14, points 44 et 45).
Sur la distinctivité intrinsèque

Il est constant que le caractère distinctif d’une marque s’apprécie, d’une part, par rapport aux produits et services pour lesquels l’enregistrement est demandé et d’autre part, par rapport à la perception qu’en a le public pertinent. S’agissant d’une marque tridimensionnelle constituée par l’apparence du produit lui-même, seule une marque qui, de manière significative, diverge de la norme ou des habitudes du secteur et est, de ce fait, susceptible de remplir sa fonction essentielle d’origine, n’est pas dépourvue de caractère distinctif (voir par exemple CJUE 12 décembre 2019 Wajos c/ EUIPO, C-783/18 P, pt 23, et jurisprudence antérieure citée dans cet arrêt, notamment CJCE, 12 février 2004, Henkel, C-218/01, pt 49).
En l’espèce, la société Tolix steel design est titulaire de la marque française tridimensionnelle n°4413078 enregistrée pour désigner les produits et services de la classe n°20 “tabourets métalliques”.
Le public pertinent peut être défini comme tout consommateur souhaitant acquérir un tabouret, c’est à dire le grand public, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, s’agissant de biens de consommation courante. Dans la mesure où la validité de la marque s’apprécie par rapport aux produits mentionnés au dépôt, il n’y a pas lieu de limiter ce public au consommateur ayant un niveau d’attention plus élevé, comme le demande la société Tolix steel design en invoquant ses tarifs plus élevés, ou encore aux seuls amateurs de produits d’ameublement inspirés du design industriel.
Or, la société Tolix steel design n’établit pas que sa marque, qui représente le tabouret H, diverge significativement ou de manière surprenante de la norme ou des habitudes du secteur.
Le rapport d’étude qu’elle produit en pièce n°112, daté d’avril 2023, qui, au demeurant, porte sur un échantillon de répondants plus restreint que le public pertinent préalablement défini puisqu’il est composé de personnes qui résident dans des grandes villes et appartiennent à certaines catégories socioprofessionnelles seulement, permet d’établir que si 28% du public interrogé associe ce tabouret à une marque spécifique, seuls 12% font le lien avec la société Tolix steel design. Ce pourcentage atteint 21,4% lorsqu’il est demandé aux personnes interrogées d’identifier la société Tolix au milieu de cinq autres marques citées. Il n’est donc pas démontré que le public pertinent rattache majoritairement la forme du tabouret H à la société Tolix steel design.
Le fait que les personnes sondées dans le cadre de cette étude expriment le sentiment qu’il s’agit de produits solides et de qualité, voire de fabrication française, ne permet pas non plus de déduire un rattachement à une origine commerciale déterminée. La représentation du tabouret ne garantit donc pas au public pertinent l’identité d’origine du produit lui permettant de distinguer les produits, sans confusion possible, de ceux des sociétés concurrentes.
Par conséquent, la marque litigieuse, en ce qu’elle ne remplit pas sa fonction de garantie d’origine des produits désignés, est dénuée de distinctivité intrinsèque.
Sur la distinctivité par l’usage et la question de la forme et de la valeur substantielle

L’article L. 711-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que la distinctivité ne peut être acquise par l’usage lorsque le signe est constitué exclusivement par la forme imposée par la nature ou la fonction du produit, ou conférant à ce dernier sa valeur substantielle.
Si la société Food Materiel Professionnel oppose uniquement à la société Tolix l’absence d’usage suffisant de la marque pour lui permettre de prétendre à une acquisition du caractère distinctif par l’usage, la société Tolix conclut quant à elle également sur le caractère non descriptif de sa marque et sa valeur non substantielle.
Dès lors, il importe de rechercher si la marque litigieuse remplit ces critères d’exclusion avant d’examiner la question de son usage. Cela implique d’analyser, de manière objective, si la forme en cause exerce, en raison de ses propres caractéristiques, une influence si importante sur l’attractivité du produit que le fait d’en réserver le bénéfice à une seule entreprise fausserait les conditions de concurrence sur le marché concerné, et notamment de vérifier s’il résulte d’éléments objectifs et fiables que le choix des consommateurs d’acheter le produit en cause est, dans une très large mesure, déterminé par une ou plusieurs caractéristiques de la forme dont le signe est exclusivement constitué (CJUE, 23 avril 2020, Gömböc, C-237/19, pts 40 et 41, et pt 2 du dispositif).
Il ressort des pièces versées aux débats, en particulier des articles de presse, des catalogues et du sondage précédemment évoqué, que le choix du consommateur est justement déterminé par la forme du tabouret.
Le fait que le produit possède d’autres valeurs substantielles est indifférent, car les produits qui ont, en plus d’une valeur esthétique importante, une fonction essentielle, doivent aussi être couverts par l’interdit; afin de déterminer l’influence de la forme de l’objet, différents éléments peuvent être pris en compte, dont la perception du public pertinent, l’histoire de sa conception, le mode industriel ou artisanal de sa conception, sa matière, ou encore la différence de prix avec d’autres objets, ou l’importance des caractéristiques esthétiques dans la stratégie promotionnelle (CJUE, 18 septembre 2014, Hauck, C-205/13, pts 30 à 32 et 35 ; et Gömböc, précité, pt 60).
Par conséquent, il est indifférent que la société Tolix mette également en avant la qualité d’une fabrication artisanale et d’un savoir-faire “made in France”, qu’elle justifie d’investissements promotionnels ou que le consommateur tienne compte également, du choix des matériaux employés, des prix pratiqués et des couleurs.
Dans la mesure où le signe en cause est constitué exclusivement par sa forme lui conférant sa valeur substantielle, il ne peut acquérir de caractère distinctif par l’usage.
Par conséquent, la marque n°4413078 doit donc être annulée pour défaut de caractère distinctif sans qu’il soit nécessaire d’examiner le moyen tiré de la dégénérescence de la marque. Les demandes fondées sur la contrefaçon de la marque n°4413078 ne peuvent donc prospérer et seront rejetées, en ce compris la demande de communication de pièces fondées sur les dispositions de l’article L. 716-7-1 du code de la propriété intellectuelle.
Sur la concurrence déloyale

Moyens des parties

La société Tolix steel design expose, à titre subsidiaire s’agissant du tabouret H, et à titre principal s’agissant de la chaise A, que la société Food Matériel Professionnel a importé en grande quantité de copies serviles de ses produits qui jouissent d’une notoriété qu’elle entend démontrer. Elle estime que le risque de confusion sur l’origine des articles est caractérisé, renforcé par la reprise, dans l’appellation des modèles litigieux, de la terminaison “lix”, non sans rappeler “Tolix”, ce qui conforte le risque d’association et de détournement de la clientèle. Elle considère qu’une faute est de ce fait démontrée, soulignant que les produits litigieux sont fabriqués en Chine à très bas prix, ce qui contribue à la vulgarisation et à la dépréciation de ses modèles alors qu’elle expose les coûts d’une fabrication en France. Elle ajoute que la commercialisation de produits similaires par d’autres enseignes n’est pas une cause d’exonération utilement opposable. La société Tolix steel design invoque encore un effet de gamme dans la mesure où un nombre important de produits ont été importés, dans deux modèles distincts et en plusieurs couleurs, ce qui conforte le risque de confusion. Elle relève enfin le prix d’achat abusivement bas des produits litigieux, ce qui contribue à la banalisation de ses modèles qui sont vendus plus de 200 euros.

La société Food Matériel Professionnel conteste tout acte de concurrence déloyale. Elle remet en cause la notoriété des produits de la demanderesse, qui ne sont, selon elle, connus que par un cercle restreint d’amateurs de mobilier de style industriel. Elle ajoute que le sondage réalisé en 2023 ne peut étayer une quelconque notoriété à la date du mois de mars 2021. Elle estime également qu’aucun risque de confusion dans l’esprit de la clientèle, sur l’origine des produits, n’est établi. Outre le fait qu’elle verse aux débats la facture de son fournisseur, elle se défend de toute manoeuvre de dissimulation, soulignant qu’il résulte des pièces produites que si le consommateur reconnaît les produits comme appartenant au style industriel, il ne les reconnaît pas comme provenant de l’entreprise Tolix steel design. Elle ajoute que les produits de la demanderesse portent toujours sa marque et sont d’une qualité bien supérieure, ce qui fait obstacle à tout risque de confusion. Elle souligne enfin que de nombreux concurrents directs de la société Tolix steel design mettent en vente d’innombrables modèles similaires, disponibles en France sur les plateformes de commerce en ligne sans être inquiétés.
Appréciation du tribunal

L'article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce, ce qui implique qu'un signe ou un produit qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l'absence de faute, laquelle peut être constituée par la création d'un risque de confusion sur l'origine du produit dans l'esprit de la clientèle, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce. L'appréciation de cette faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté de l'usage, l'originalité et la notoriété de la prestation copiée.
De fait, il est constant qu’en application du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, le simple acte de copie n'est pas en soi fautif (Cass. com., 18 juin 2002, n° 00-18.436). La copie ou l'imitation ne devient fautive que si elle s'accompagne de circonstances déloyales, ce qui est le cas lorsque le tiers crée un risque de confusion dans l'esprit du public ou encore lorsqu'il se place dans le sillage de l'entreprise qui commercialise le produit copié en tirant indûment profit de ses investissements ou de sa notoriété.
Il est constant qu'il s'infère nécessairement un préjudice, générateur d'un trouble commercial, fût-il seulement moral, d'un acte de concurrence déloyale, même limité dans le temps. Cette présomption de préjudice, qui ne dispense pas le demandeur de démontrer l'étendue de celui-ci, se satisfait d'une moindre exigence probatoire lorsque le préjudice est particulièrement difficile à démontrer.

Il ressort des procès-verbaux dressés par Me [L], commissaire de justice à [Localité 6], et Me [J], commissaire de justice au [Localité 4], les 16 septembre 2021, que les produits achetés par la société Food materiel professionnel sont des copies serviles des produits de la société Tolix. L’ensemble des caractéristiques des produits s’y retrouvent, qu’il s’agisse, de leur apparence générale, de leur aspect monochrome, de l’aspect de leur assise, des piètements ou encore, s’agissant de la chaise, de son dossier et de sa ceinture.
Cependant, la seule reproduction de ces chaises et tabourets, alors que la marque représentant le tabouret a été invalidée, n’est pas en elle-même fautive. Or, au soutien de sa démonstration d’un risque de confusion, la société la société Tolix steel design produit une étude qui ne permet pas d’établir que le consommateur attribue à la forme des deux produits une origine déterminée. La société Food Matériel Professionnel démontre au contraire que de nombreux tabourets et chaises identiques ou similaires à ceux de la demanderesse sont commercialisés sur le marché par d’autres sociétés. Enfin, les produits acquis par la société Food Matériel Professionnel, qui étaient présentés sur le site internet Alibaba.com sous l’intitulé (en anglais) “chaise de bistro vintage française pour l’extérieur en métal, chaise de salle à manger de café”, étaient destinés à être commercialisés à un prix bien inférieur à celui de la société Tolix. Par conséquent, le risque de confusion, nécessaire à la caractérisation de la concurrence déloyale, n’est pas démontré.
Il faut ajouter, s’agissant des produits de la demanderesse, qu’ils sont vendus sous sa marque verbale française “Tolix”, dans un réseau de distributeurs agréés tandis que les produits de la société Food Matériel Professionnel sont dépourvus de signe particulier, figurent dans des coloris plus réduits (noir, blanc, jaune, marron) et il n’est pas démontré qu’ils étaient destinés à être vendus de manière groupée. L’effet de gamme n’est donc pas démontré.
La société Tolix steel design est déboutée de ses demandes fondées sur la concurrence déloyale.
Sur le parasitisme

Moyens des parties

La société Tolix steel design invoque également des faits distincts de parasitisme. Elle considère que la société Food Materiel Professionnel a cherché à s’immiscer dans son sillage pour profiter de sa notoriété et de ses investissements sans bourse délier. Elle entend établir la notoriété de ses produits au moyen d’articles de presse, mais invoque également la présence de ses produits dans des musées, des institutions, lors d’évènements, et met en exergue son réseau de revendeurs. Elle ajoute respecter les normes sociales et environnementales dans son usine en France. Elle considère que la société défenderesse, qui ne pouvait l’ignorer, a cherché, en important des copies serviles à bas coût, à faire l’économie d’investissements dans la chaîne de fabrication, la ligne de peinture. Elle rappelle employer cinquante deux salariés avec leur savoir-faire et investir dans la recherche, la conception et le développement du modèle de chaise. Elle conclut que la société défenderesse, qui ne justifie ni de ses propres investissements, ni de l’identité du concurrent auprès duquel elle s’est approvisionnée, contribue à la dévalorisation et à la banalisation de ses produits, en se plaçant volontairement dans le sillage de sa notoriété commerciale.
La société Food matériel professionnel estime qu’il n’y a aucun parasitisme dans l’action de s’approvisionner dans un autre pays, auprès d’un concurrent. Elle ajoute que la banalisation des produits de la société Tolix steel design n’est pas la conséquence de l’importation de produits concurrents mais de son inaction, alors que de nombreuses enseignes reprennent la physionomie de ses produits. Elle précise avoir acheté les tabourets et chaises auprès de la société Tianjin hy international trade co, sur la plateforme Alibaba, de manière tout à fait transparente, et qu’elle est en droit de ne pas publier ses comptes sociaux. Elle considère qu’en l’accusant de contribuer à la vulgarisation et à la dépréciation de ses produits, la société Tolix reconnaît qu’ils subissent une certaine dégénérescence.
Appréciation du tribunal

La recherche d'une économie au détriment d'un concurrent n'est pas en tant que telle fautive mais procède de la liberté du commerce et de la libre concurrence, sous réserve de respecter les usages loyaux du commerce. Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (Com., 16 février 2022, pourvoi n° 20-13.542 ; Com., 10 juillet 2018, pourvoi n° 16-23.694, Bull. 2018, IV, n° 87 ; Com., 27 juin 1995, pourvoi n° 93-18.601, Bulletin 1995, IV, n° 193). Il appartient à celui qui se prétend victime d'actes de parasitisme d'identifier la valeur économique individualisée qu'il invoque (Com., 26 juin 2024, pourvoi n° 23-13.535 ; Com., 20 septembre 2016, pourvoi n° 14-25.131, Bull. 2016, IV, n° 116), ainsi que la volonté d'un tiers de se placer dans son sillage (Com., 3 juillet 2001, pourvoi n° 98-23.236, Bull. 2001, IV, n° 132).
En l’espèce, il ressort en particulier de la revue de presse produite aux débats par la société Tolix steel design, composée d’extraits de catalogues, de magazines de décoration et revues consacrées au design et de publications sur des sites internet, que tant sa chaise A que son tabouret H sont des produits désignés comme des “icônes” de l’esthétique industrielle française depuis plus de 10 ans. Cette notoriété, qui se déduit des efforts de communication démontrés, s’illustre d’ailleurs dans la présence desdits produits dans des institutions, tels que les musées Vitra design, du MoMa, du Centre Pompidou et à l’occasion d’évènements grand public au fort retentissement médiatique.
La société Tolix steel design démontre par ailleurs, au moyen d’un attestation remise le 12 décembre 2022 par sa présidente, dont le cabinet d’expertise comptable Arc Cecca atteste, le 21 décembre 2022, que les informations contenues sont conformes aux comptes des exercices clos de 2012 à 2021, avoir engagé, sur les dix dernières années, des dépenses de communication et de marketing qui s’élèvent à 1,8 millions d’euros. Ces dépenses concernent la direction artistique, l’agence de presse, les plateformes de référencement, les annonces, le matériel publicitaire, les foires et les expositions, les catalogues et les photographies. Il est en outre démontré que l’essentiel de ses dépenses concerne ces deux produits phare.
Elle travaille en outre son image de marque, valorisant un savoir faire de fabrication française de qualité et durable. Elle justifie à ce titre, s’être vue décerner le label “entreprise du patrimoine vivant”, marque de reconnaissance de l’Etat mise en place pour distinguer des entreprises françaises aux savoir-faire industriels et commerciaux d’excellence.
Par conséquent, la société Tolix démontre avoir constitué une valeur économique individualisée.
Ainsi, en important sur le territoire français, dans le but de les revendre, des chaises et des tabourets qui sont des copies serviles des produits de la société Tolix, ainsi que cela ressort des procès-verbaux dressés par Me [L], commissaire de justice à [Localité 6], et Me [J], commissaire de justice au [Localité 4], les 16 septembre 2021, la société Food matériel professionnel s’est volontairement placée dans le sillage de la société Tolix en profitant du savoir-faire de la demanderesse et de ses investissements pour concevoir des produits de qualité, tout en s’épargnant, en les achetant en Chine à bas prix, du coût de l’effort intellectuel, matériel et financier de leur conception et de leur promotion.
Par conséquent, la société Food Matériel Professionnel a commis une faute constitutive de parasitisme.
Sur la réparation du parasitisme

Moyens des parties

La société Tolix se prévaut, pour le tabouret H comme pour la chaise A, du coût de sa masse salariale, des frais de son bureau d’étude, de ses investissements, arguant de ce que la société défenderesse a fait l’économie de l’ensemble de ces dépenses en achetant des copies à bas coût. Elle rappelle son chiffre d’affaire ainsi que son taux de marge (16,2% pour le tabouret, entre 18,2 et 18,4% s’agissant de la chaise) et conclut à un manque à gagner s’agissant du tabouret H comme de la chaise A, étant souligné que la société Food Materiel Professionnel a acheté 264 tabourets et 855 chaises.
La société Food Materiel Professionnel affirme qu’elle n’est pas responsable du préjudice que la société Tolix dit subir et qu’en tout état de cause, le montant sollicité à titre de réparation est excessif alors qu’elle n’a acquis de la marchandise qu’à hauteur de 10.000 euros. Enfin, elle conteste toute responsabilité dans la baisse du chiffre d’affaires de la société Tolix alors que ses clients, pour la plupart sociétés de restauration rapide, n’auraient jamais fait l’acquisition des produits de la demanderesse au regard des prix pratiqués.
Appréciation du tribunal

Il convient tout d’abord, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, et en tant que de besoin, de mettre un terme au comportement illicite constaté, dans les termes prévus au dispositif de la décision et d’ordonner la destruction des produits litigieux.
Ensuite, il est constant qu’un préjudice s’infère nécessairement d’un acte de concurrence déloyale, générateur d’un trouble commercial (Com., 2 décembre 2008, pourvoi n° 07-19.861). Le parasitisme économique consistant à s'immiscer dans le sillage d'autrui afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, il s'infère nécessairement un préjudice, fût-il seulement moral, de tels actes, même limités dans le temps. (Com., 17 Mars 2021, pourvoi n°19-10.414). Cette jurisprudence, qui énonce une présomption de préjudice, sans pour autant dispenser le demandeur de démontrer l'étendue de celui-ci, répond à la nécessité de permettre aux juges une moindre exigence probatoire, lorsque le préjudice est particulièrement difficile à démontrer.
Les pratiques consistant à parasiter les efforts et les investissements, intellectuels, matériels ou promotionnels, d’un concurrent, ou à s’affranchir d’une réglementation, dont le respect a nécessairement un coût, tous actes qui, en ce qu’ils permettent à l’auteur des pratiques de s’épargner une dépense en principe obligatoire, induisent un avantage concurrentiel indu dont les effets, en termes de trouble économique, sont difficiles à quantifier avec les éléments de preuve disponibles, sauf à engager des dépenses disproportionnées au regard des intérêts en jeu.Lorsque tel est le cas, il y a lieu d'admettre que la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l'avantage indu que s'est octroyé l'auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d'affaires respectifs des parties affectés par ces actes. ( Cass. com., 12 févr. 2020, n° 17-31.614)

La commercialisation par un concurrent d’un produit, présentant un lien avec le produit initialement mis sur le marché, à une période au cours de laquelle les sociétés demanderesses investissent encore pour la promotion de leur produit, devenu phare et connu d'une large partie du grand public grâce aux lourds investissements publicitaires consentis depuis plusieurs années, démontre la volonté de la société concurrente de se placer dans le sillage d’autrui pour bénéficier du succès rencontré auprès de la clientèle par le produit et, sans aucune contrepartie ni prise de risque, d'un avantage concurrentiel (Com., 26 juin 2024, pourvois n° 22-17.647 et n° 22-21.497).
En l’espèce, outre les dépenses de communication et de marketing déjà précédemment énoncées, engagées par la société Tolix steel design sur les dix dernières années, à hauteur de 1,8 millions d’euros (dont 474.816,79 euros de frais de 2019 à 2021 exposés pour son bureau d’étude) cette dernière justifie au moyen d’une attestation de sa directrice remise le 12 décembre 2022 étayée par les déclarations URSSAF, employer 52 salariés dans son usine d’[Localité 3], soumise aux normes sociales et environnementales françaises. Elle justifie également du coût de la masse salariale, globale, qui s’élève, pour la période de 2019 à 2021, à 2.424.617 euros en productifs et 3.662.502,80 euros en non-productifs. A ces dépenses, s’ajoutent les investissements de matériels et outils, ce qui représente 4 millions d’euros depuis 2012.
La société justifie ainsi, au moyen d’une attestation contenant des informations comptables vérifiées par l’expert-comptable de la société, du prix de revient de sa chaise A, étant souligné que son coût de fabrication avoisine les 58 euros pour une revente aux revendeurs à un prix de 147 euros et un prix de vente au détail de 294 euros. Elle justifie de son chiffre d’affaire pour la période 2021-2022 à hauteur de 478.119,80 euros (correspondant à 4077 tabourets vendus) avec un taux de marge de 18,2 %. Il en est de même du tabouret H, la société Tolix justifiant d’un coût de fabrication de 30,25 euros pour une revente aux revendeurs à 107 euros et une vente au détail à hauteur de 214 euros. Elle justifie de son chiffre d’affaire pour la période 2021-2022 à hauteur de 616.860 euros (correspondant à 4840 tabourets vendus) avec un taux de marge de 16,2%.
Or, la société Food Matériel professionnel a acquis des copies serviles de ces produits à bas coût qu’elle a importées sur le territoire français, à une date à laquelle la société Tolix steel design investissait toujours pour ses produits, dans le but de les revendre. La facture d’achat des produits ayant fait l’objet de la retenue en douane remise par la société Tianjin HY International Trade Co. Ltd, dont elle remet également le catalogue de produits, porte ainsi sur 264 tabourets à un prix unitaire de 9,70 dollars et 855 chaises à un prix unitaire variant entre 9,40 dollars et 10,50 dollars.
Si la seule importation ne suffit pas à considérer que les produits ont été mis sur le marché et présentés au public par la société Food Matériel Professionnel, il est toutefois acquis qu’en important des copies serviles achetées à bas coût du fait de l’économie d’investissements réalisée, la société Food Matériel Professionnel s’est octroyée, en évitant cette dépense, un avantage de nature à rompre l’égalité entre les opérateurs. Au regard de ces considérations, dans la mesure où un préjudice s’infère nécessairement d’un acte de parasitisme, fut-il moral, il y a lieu de condamner la société food Matériel Professionnel à payer à la société Tolix steel design en réparation des actes de parasitisme, une somme globale de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts.
Enfin, le préjudice est suffisamment réparé sans que soit nécessaire une mesure de publication. La demande sera rejetée.

Sur la demande reconventionnelle de paiement des frais de rétention

Moyens des parties

La société Food Materiel professionnel demande le paiement de dommages-intérêts en réparation des frais de rétention douanière dont elle a dû s’acquitter à hauteur de 3.571,20 euros, qui n’auraient pas dû, selon elle, lui être facturés.
La société Tolix steel design souligne que la rétention douanière est intervenue par suite des agissements contrefaisants de la société défenderesse si bien qu’elle ne peut obtenir remboursement des frais.
Appréciation du tribunal

L’article 1240 du code civil dispose que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel elle est arrivée à le réparer.
En l’espèce, il ressort des écritures de la société Food Matériel Professionnel qu’elle ne caractérise aucune faute au soutien de sa demande indemnitaire de sorte que celle-ci ne peut qu’être rejetée.
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive

Moyens des parties

La société Food Materiel professionnel dénonce la légèreté et la mauvaise foi de la société Tolix steel design justifiant sa condamnation à lui payer des dommages-intérêts en réparation du caractère abusif de la procédure.
La société Tolix conclut au débouté de cette demande alors que la société défenderesse a commis des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale et qu’elle a justement entendu faire valoir ses droits.
Appréciation du tribunal

La société Tolix steel design prospérant partiellement en ses demandes, elle ne saurait être condamnée à payer des dommage-intérêts à la société Food Matériel Professionnel pour procédure abusive. La demande doit être rejetée.

Sur les demandes annexes

- Sur l’exécution provisoire

Moyens des parties

La société Food Materiel professionel demande au tribunal d’écarter l’exécution provisoire, dans la mesure où les montants demandés seraient de nature à la conduire en état de cessation des paiements.
La société Tolix steel design estime que les pièces comptables produites par la société Food Matériel Professionnel ne permettent pas d’établir qu’elle pourrait se trouver en état de cessation des paiements en cas de condamnation avec exécution provisoire. Elle demande au tribunal de rejeter cette demande.
Appréciation du tribunal

L’article 514 du code de procédure civile dispose que les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement. L’article 514-1 du même code, en ses deux premiers alinéas, précise que le juge peut écarter l’exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire. Il statue, d’office ou à la demande d’une partie, par décision spécialement motivée.

En l’espèce, l’exécution provisoire de droit n’est pas incompatible avec la nature de l’affaire. Il n’y a pas lieu de l’écarter.
- sur les frais

Succombant, la société Food Matériel professionnel sera condamnée aux dépens de l’instance. Supportant les dépens, elle sera condamnée à payer à la société Tolix la somme de 15.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal 

Prononce la nullité de la marque française tridimensionnelle n°4413078 déposée le 14 décembre 2017 et enregistrée le 28 décembre 2018 pour désigner les “tabourets métalliques” en classe 20, dont est titulaire la société Tolix Steel Design;

Dit que la présente décision, une fois passée en force de chose jugée, sera transmise à l’INPI pour sa transcription sur le registre national des marques à l’initiative de la partie la plus diligente ;

Déboute la société Tolix Steel Design de l’ensemble de ses demandes fondées sur la contrefaçon de la marque française n°4413078, en ce compris la demande d’injonction de communication d’informations;

Dit que la société Food Matériel professionnel a commis des actes de parasitisme à l’encontre de la société Tolix Steel Design:

Fait défense à la société Food Materiel Professionnel de poursuivre les agissements parasitaires;

Ordonne la destruction, sous le contrôle d’un commissaire de justice qui devra en dresser procès-verbal de constat, de l’ensemble des meubles litigieux aux frais de la société Food Matériel Professionnel, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à l’issue d’un délai d’un mois à compter de la signification de la présente décision et courant pendant un délai de 3 mois;

Condamne la société Food Matériel Professionnel à payer à la société Tolix Steel Design la somme totale de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des agissements parasitaires;

Rejette la demande de publication de la décision;

Déboute la société Tolix Steel Design de ses autres demandes fondées sur la concurrence déloyale;

Déboute la société Food Materiel Professionnel de sa demande de dommages-intérêts au titre des frais de retenue douanière exposés;

Déboute la société Food Materiel Professionnel de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive;

Rejette les demandes plus amples ou contraires;

Condamne la société Food Materiel Professionnel aux dépens de l’instance qui seront recouvrés dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile;

Condamne la société Food Materiel Professsionnel à payer à la société Tolix Steel Design la somme de 15.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;

Dit n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire de droit de la présente décision.

Fait et jugé à Paris le 11 juillet 2024

La Greffière La Présidente
Caroline REBOUL Anne-Claire LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 3ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 21/13750
Date de la décision : 11/07/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-11;21.13750 ?
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