TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Copie conforme délivrée
le :
à :
Madame [M] [O]
Copie exécutoire délivrée
le :
à : Monsieur [P] [W] [V]
Monsieur [A] [B] [F] [C]
Pôle civil de proximité
■
PCP JCP fond
N° RG 24/02297 - N° Portalis 352J-W-B7I-C4EY7
N° MINUTE :
2 JCP
JUGEMENT
rendu le mercredi 10 juillet 2024
DEMANDEURS
Monsieur [A] [B] [F] [C], demeurant [Adresse 1]
comparant en personne
Monsieur [P] [W] [V], demeurant [Adresse 6] - [Localité 4] (ITALIE)
comparant en personne
DÉFENDERESSE
Madame [M] [O], demeurant [Adresse 3]
comparante en personne
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Romain BRIEC, Juge, juge des contentieux de la protection
assisté de Inès CELMA-BERNUZ, Greffier,
DATE DES DÉBATS
Audience publique du 31 mai 2024
JUGEMENT
contradictoire, en premier ressort, prononcé par mise à disposition le 10 juillet 2024 par Romain BRIEC, Juge assisté de Inès CELMA-BERNUZ, Greffier
Décision du 10 juillet 2024
PCP JCP fond - N° RG 24/02297 - N° Portalis 352J-W-B7I-C4EY7
EXPOSE DU LITIGE
Par acte authentique du 23 mai 2023, Monsieur [A] [C] et Monsieur [P] [V] ont acquis de la SARL DE SAXE INVESTISSEMENTS la propriété du local professionnel situé [Adresse 3].
L’acte authentique mentionne que le local est occupé par Madame [M] [O] à titre gracieux, tante du précédent propriétaire, depuis le décès de Monsieur [K] [Z] [O], père du précédent propriétaire.
Par acte de commissaire de justice du 19 juin 2023, Monsieur [A] [C] et Monsieur [P] [V] ont adressé à Madame [M] [O] une sommation de quitter les lieux au plus tard le 27 juin 2023.
Cette dernière demeurant dans les lieux, Monsieur [A] [C] et Monsieur [P] [V] ont saisi le Conciliateur de Justice, lequel a dressé un constat de carence le 25 juillet 2023. Ils ont par ailleurs alerté la Maison des Ainés et des Aidants de [Localité 5] Centre (M2A) et le Centre d’Action Sociale du [Localité 2] de la situation de Madame [M] [O], par courriers avec AR des 8 et 10 août 2023. Un signalement au Procureur de la République a également été effectué.
Dans ce contexte, par acte de commissaire de justice du 5 février 2024, Monsieur [A] [C] et Monsieur [P] [V] ont fait assigner Madame [M] [O] devant le juge des contentieux de la protection tribunal judiciaire de Paris aux fins d'obtenir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
l'expulsion du défendeur et des occupants de son chef, avec suppression du délai de 2 mois de l’article L412-1 du code de la construction et de l’habitation, sa condamnation à leur verser une indemnité d’occupation de 45 euros par jour à compter du 23 mai 2023 ainsi que les charges,sa condamnation à leur verser 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure pénale, outre les dépens.
L'affaire a été appelée et retenue à l’audience du 31 mai 2024.
A l'audience, Monsieur [A] [C] et Monsieur [P] [V] ont comparu en personne et ont renvoyé aux termes de leur acte introductif, tel que développé oralement. Ils ont précisé s’en remettre sur le montant de l’indemnité d’occupation.
Madame [M] [O] a comparu en personne. Elle a expliqué avoir été autorisée à occuper les lieux à titre gracieux par son neveu au décès de son frère, après lui avoir cédé son droit d’usufruit. Elle a ajouté ne pas avoir été informée de la vente du bien. Elle a dit comprendre qu’elle ne pouvait pas demeurer dans les lieux. Elle a par ailleurs fait état de ressources mensuelles de 1000 euros et d’aucune charge.
La décision a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe au 10 juillet 2024.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l'expulsion en raison de l'occupation sans droit ni titre du logement
En vertu de l'article 544 du code civil, la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. L'occupation sans droit ni titre du bien d'autrui constitue un trouble manifestement illicite auquel il appartient au juge de mettre fin par l'autorisation de l'expulsion dudit occupant.
En l'espèce, il est constant que Madame [M] [O] occupe le local litigieux dont il n'est pas contesté dans le cadre de la présente instance qu'il appartient à Monsieur [A] [C] et Monsieur [P] [V]. Le débat porte sur l'existence ou non d'un titre d'occupation au profit de Madame [M] [O] et la qualité éventuelle de ce titre.
A cet égard, en application de l'article 1875 du code civil, le prêt à usage est un contrat par lequel l'une des parties livre une chose à l'autre pour s'en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s'en être servi. Aux termes de l'article 1888 du code civil, le prêteur ne peut retirer la chose prêtée qu'après le terme convenu, ou, à défaut de convention, qu'après qu'elle a servi à l'usage pour lequel elle a été empruntée. Toutefois, quand la chose prêtée est d'un usage permanent, sans qu'aucun terme naturel soit prévisible, comme le prêt d'un appartement pour loger une personne, le contrat ne saurait être perpétuel. L'obligation pour le preneur de rendre la chose prêtée après s'en être servi est de l'essence du commodat. En l'absence de terme convenu ou prévisible, le prêteur est en droit d'obtenir la chose à tout moment, sauf à respecter un délai raisonnable (Cass. 1re civ., 3 févr. 2004, n° 01-00.004). Le prêt à usage ne se présume pas et il appartient à celui qui s'en prévaut d'en rapporter la preuve. Celui qui se prévaut de l'existence d'un prêt à usage doit établir en premier lieu la remise de la chose à l'emprunteur et en second lieu la volonté commune des parties de s'engager dans un prêt à usage.
En l'espèce, la remise de la chose ressort de l’acte authentique du 23 mai 2023 qui pose que « le vendeur déclare que dès avant son acquisition, le bien était occupé à titre gracieux par Madame [M] [O], tante du précédent propriétaire, et cela depuis le décès de Monsieur [K] [Z] [O], père du précédent propriétaire ». S'agissant de l'intention des parties, il sera relevé que Madame [M] [O] invoque à l’audience que son occupation à titre gratuit et à durée indéterminée, résulte bien d’un accord passé avec son frère et son neveu après qu’elle ait supposément cédé à ce dernier son droit d’usufruit sur le bien. Dans ces circonstances, on peut noter que la longue durée de la mise à disposition de la chose, « depuis le décès de Monsieur [K] [Z] [O] » comme il ressort de l’acte authentique que Madame [M] [O] fixe à l’année « 2001 » dans un courrier remis à l’audience, lui conférant une stabilité certaine, ainsi que l'absence de demande de restitution faisant immédiatement suite à l’acquisition du bien par le premier acheteur, la SARL DE SAXE INVESTISSEMENTS, sont des présomptions de fait suffisamment précises et concordantes pour établir la réalité d'un prêt à durée indéterminée.
Toutefois, par leur sommation d’avoir à quitter les lieux du 19 juin 2023, Monsieur [A] [C] et Monsieur [P] [V] ont entendu en dernier lieu mettre fin à cette mise à disposition à titre gratuit et il sera relevé qu'aujourd'hui un délai de plus d’un an s'est écoulé depuis, ce qui constitue un délai de préavis raisonnable. Le titre d'occupation dont disposait Madame [M] [O] a ainsi expiré.
Il sera par suite constaté que Madame [M] [O] est à compter de ce jour sans droit ni titre et il sera fait droit à la demande d'autorisation d'expulsion, selon les modalités fixées au dispositif de la présente décision.
Aucune circonstance particulière de l’espèce ne justifie que le délai de deux mois, prévu par les dispositions des articles L412-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution, soit réduit ou supprimé puisque Madame [M] [O] n'est nullement entrée dans les lieux par voie de fait. Il convient d'indiquer que passé le délai de deux mois suivant la signification du commandement d'avoir à libérer les lieux, il pourra être procédé à cette expulsion, avec le concours de la force publique.
Il sera rappelé enfin que le sort du mobilier garnissant le logement est prévu par les articles L.433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution dont l’application relève, en cas de difficulté -laquelle n'est à ce stade que purement hypothétique-, de la compétence du juge de l’exécution et non de la présente juridiction.
Sur la demande d’indemnité d’occupation
Le maintien dans les lieux postérieurement à la date d’expiration du bail constitue une faute civile ouvrant droit à réparation en ce qu'elle cause un préjudice certain pour le propriétaire dont l'occupation indue de son bien l'a privé de sa jouissance. Au-delà de cet aspect indemnitaire, l'indemnité d'occupation, qui est également de nature compensatoire, constitue une dette de jouissance correspondant à la valeur équitable des locaux.
En l'espèce, Monsieur [A] [C] et Monsieur [P] [V] indiquent à l’audience s’en remettre sur le montant de l’indemnité d’occupation. Ils n’apportent d’ailleurs aux débats aucune pièce permettant d’évaluer la « valeur équitable des locaux ». En conséquence, Madame [M] [O] sera condamnée à verser une indemnité mensuelle d’occupation d’un montant de 250 euros à compter de la signification de la décision et jusqu’à la libération des lieux.
Sur les demandes accessoires
Madame [M] [O], partie perdante, supportera la charge des dépens en application de l'article 696 du code de procédure civile.
L’équité commande de n’allouer aucune somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il sera aussi rappelé que l'exécution provisoire est de droit, en application de l’article 514 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Le juge des contentieux de la protection statuant publiquement, après débats en audience publique, par jugement mis à disposition au greffe contradictoire et en premier ressort,
CONSTATE que Madame [M] [O] est occupante sans droit ni titre dudit logement et de ses accessoires à compter de ce jour, Monsieur [A] [C] et Monsieur [P] [V] ayant entendu mettre fin au prêt à usage dudit logement après expiration d'un délai raisonnable ;
ORDONNE en conséquence à Madame [M] [O] de libérer les lieux et de restituer les clés dans le délai de quinze jours à compter de la signification du présent jugement ;
DIT qu’à défaut pour Madame [M] [O] d’avoir volontairement libéré les lieux dans ce délai, Monsieur [A] [C] et Monsieur [P] [V] pourra, deux mois après la signification d’un commandement de quitter les lieux, faire procéder à son expulsion ainsi qu’à celle de tous occupants de son chef, conformément à l'article L.412-1 du code des procédures civiles d'exécution, y compris le cas échéant avec le concours d’un serrurier et de la force publique ;
DIT n'y avoir lieu à ordonner l'enlèvement, le transport et la séquestration des meubles éventuellement laissés sur place et rappelle que le sort du mobilier garnissant le logement est prévu par les articles L.433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;
CONDAMNE Madame [M] [O] à verser à Monsieur [A] [C] et Monsieur [P] [V] une indemnité mensuelle d’occupation d’un montant de 250 euros à compter de la signification de la décision et jusqu’à la libération des lieux ;
REJETTE le surplus des demandes des parties ;
CONDAMNE Madame [M] [O] aux dépens ;
RAPPELLE que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit.
Ainsi jugé et prononcé par mise à disposition les jour, mois et an susdits par le juge des contentieux de la protection et le Greffier susnommés.
Le greffier, Le juge