TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
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N° RG 22/57285
N° Portalis 352J-W-B7G-CXZ5E
N° : 1
Assignation du :
08 septembre 2022
[1]
[1] 2 copies exécutoires
délivrées le :
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 04 juillet 2024
par François VARICHON, Vice-président au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assisté de Arnaud FUZAT, Greffier.
DEMANDERESSE
Madame [Y] [I] [C]
[Adresse 6]
[Localité 10]
représentée par Maître Dominique RAYNARD de la SCP COURTEAUD PELLISSIER, avocats au barreau de PARIS - #P0023
DEFENDERESSE
Madame [U] [C]
[Adresse 7]
[Localité 10]
représentée par Maître Véronique CLAVEL, avocat au barreau de PARIS - #C1008
DÉBATS
A l’audience du 21 mai 2024, tenue publiquement, présidée par François VARICHON, Vice-président, assisté de Arnaud FUZAT, Greffier,
Nous, Président, après avoir entendu les parties représentées par leur conseil, avons rendu la décision suivante :
EXPOSE DU LITIGE
M. [M] [C] est décédé le [Date décès 8] 2022 en laissant pour lui succéder ses deux filles, Mme [Y] [C] et Mme [U] [C].
Le 8 septembre 2022, Mme [Y] [C] a fait assigner sa soeur Mme [U] [C] devant le juge des référés de ce tribunal aux fins de désignation d’un expert judiciaire pour, notamment, rechercher et évaluer les biens dépendant la succession de M. [M] [C].
Les parties ont engagé des pourparlers qui n’ont pas permis de régler l’entier litige.
Le 4 avril 2024, Mme [U] [C] a fait assigner Mme [Y] [C] devant le tribunal judiciaire d’Albertville afin qu’il soit procédé aux opérations de comptes, liquidation et partage de la succession de M. [M] [C].
Aux termes de ses conclusions déposées et développées oralement à l’audience dans le cadre de la présente instance, Mme [Y] [C] demande au tribunal, sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile, de:
- désigner tel Expert avec mission de :
o se rendre en tous lieux, entendre tous sachants, se faire remettre toutes les pièces qu’il jugera utile à l’accomplissement de sa mission,
o rechercher et évaluer l’ensemble des biens mobiliers, ainsi que les valeurs, dépendant de la succession de M.[M] [C],
o en dresser la liste,
o déterminer et évaluer les valeurs à rapporter à la succession par Mme [Y] [C] et Mme [U] [C] du fait des donations directes et indirectes et des dons manuels consentis par leur père M. [M] [C],
o rechercher l’origine des fonds ayant permis à Mme [U] [C] d’acquérir les biens immobiliers suivants :
- lot 46 situé au [Adresse 4] à [Localité 14] cadastré AF [Cadastre 5] le 5 mars 2004,
- le bien immobilier situé à [Localité 13] acheté en 1999,
- les lots n° 9, 47, situés dans l’immeuble [Adresse 7] cadastré AH [Cadastre 2] selon actes des 1er octobre 1998 et 6 février 2013,
- les biens immobiliers situés dans l’immeuble [Adresse 3] cadastré [Cadastre 11], les lots 30, 28, 29, 79 et 74 à 76 et 80 selon actes des 24 juillet 2008, 11 août 2008 et 20 novembre 2013,
- le lot n° 36 situé dans l’immeuble [Adresse 9] cadastré AI [Cadastre 1] selon acte du 12 septembre 2011,
- la maison qu’elle a acquise, située à [Localité 12] en CORSE,
o dresser l’inventaire des biens mobiliers : œuvres d’art, comptes bancaires, valeurs mobilières, comptes titres, etc… ayant appartenu à M. [M] [C],
o se faire remettre par tous établissements bancaires ayant détenu des comptes au nom de M. [M] [C], les relevés de comptes des années 2012 à 2022 concernant l’ensemble des comptes bancaires, comptes titres ouverts au nom de M. [M] [C],
o dresser la liste des avantages et sommes remises par M. [M] [C] à sa fille [U] [C],
o déterminer les contrats d’assurance vie dont Madame [U] [C] a été bénéficiaire : date, montant,
o donner au Tribunal tous les éléments de nature à permettre d’établir le partage de la succession de Monsieur [M] [C] avec rapport de toutes les donations directes et indirectes et des dons manuels qu’il a consentis à ses filles et réduction des donations excédant la quotité disponible,
- Débouter Madame [U] [C] de la demande de complément de mission qu’elle sollicite,
- Juger que les frais de l’expertise seront à la charge de la succession de Monsieur [M] [C], et seront employés en frais privilégiés de partage,
- Réserver les dépens.
Aux termes de ses conclusions déposées et de ses déclarations à l’audience, Mme [U] [C] demande au juge de:
- dire le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris incompétent au profit du juge des référés du tribunal judiciaire d’Albertville;
- dire le tribunal judiciaire d’Albertville déjà saisi au fond compétent;
- dire n’y avoir lieu à référé;
- condamner Mme [Y] [C] à lui payer la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
- la condamner aux dépens;
- subsidiairement, si le tribunal se déclarait compétent, compléter comme suit la mission de l’expert: examen et calcul de la créance d’entretien et assistance de Mme [U] [C].
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, à l'assignation introductive d’instance et aux écritures déposées par les parties.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur l’exception d’incompétence territoriale au profit du juge des référés du tribunal judiciaire d’Albertville
A l’appui de son exception d’incompétence soulevée oralement et in limine litis lors de l’audience des plaidoiries, Mme [U] [C] expose que son père est décédé à Albertville, lieu de sa dernière résidence, de sorte que le juge des référés du tribunal judiciaire d’Albertville doit statuer sur la demande de mesure d’instruction.
Mme [Y] [C] s’oppose cette exception. Elle fait valoir que la succession de son père a été ouverte à [Localité 14], lieu du dernier domicile du défunt.
Il est de principe que le juge territorialement compétent pour ordonner une mesure d’instruction avant tout procès au fond sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile est le président du tribunal susceptible de connaître de l'instance au fond ou celui du tribunal dans le ressort duquel les mesures d'instruction in futurum sollicitées doivent, même partiellement, être exécutées.
En l’espèce, plusieurs biens immobiliers ayant fait l’objet de donations consenties par M. [M] [C] au bénéfice de ses deux filles ou dépendants de sa succession se trouvent à [Localité 14] de sorte que la mesure d’instruction sollicitée aurait vocation à être exécutée à [Localité 14], au moins pour partie, si elle était ordonnée.
Mme [U] [C] sera donc déboutée de son exception d’incompétence.
Sur la demande de Mme [U] [C] aux fins de voir le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris se déclarer incompétent au profit du tribunal judiciaire d’Albertville déjà saisi au fond
Mme [U] [C] ne vise aucune disposition légale précise à l’appui de sa demande.
Au vu de l’objet de sa demande, il convient de faire application de l'article 789 du code de procédure civile aux termes duquel lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour, notamment, ordonner, même d'office, toute mesure d'instruction.
En l’espèce, il est versé aux débats l’assignation devant le tribunal judiciaire d’Albertville que Mme [U] [C] a fait délivrer à Mme [Y] [C] le 4 avril 2024 en vue d’une audience d’orientation fixée le 13 juin 2024.
La saisine du juge des référés de Paris aux fins de réalisation d’une mesure d’instruction étant antérieure à la saisine du tribunal judiciaire d’Albertville et à l’éventuelle désignation d’un juge de la mise en état, la demande de Mme [U] [C] aux fins de voir dire le tribunal judiciaire d’Albertville compétent pour connaître de la demande de mesure d’instruction de Mme [Y] [C] est mal fondée et sera rejetée.
Sur la demande de désignation d’un expert judiciaire
A l’appui de sa demande fondée sur l’article 145 du code de procédure civile, Mme [Y] [C] explique:
- que M. [M] [C] a effectué de nombreuses donations au profit de ses deux filles portant sur des biens immobiliers et des valeurs mobilières;
- qu’à la suite d’un différend l’ayant opposée à son père, ce dernier a manifesté le souhait de privilégier dans la succession son autre fille, Mme [U] [C]; que cette dernière a ainsi perçu les revenus des biens immobiliers de son père; qu’elle a par ailleurs bénéficié de remises d’argent grâce auxquelles elle a pu acquérir plusieurs biens immobiliers;
- qu’au décès de M. [M] [C], elle a constaté que les collections d’oeuvres d’art que son père avait constituées avaient disparu et que ne subsistait aucune liquidité ni aucun compte bancaire ni coffre;
- qu’une expertise judiciaire est nécessaire car Mme [U] [C] n’a pas communiqué de pièces suffisantes pour permettre le règlement de la succession de leur père, dont elle s’est par ailleurs approprié les biens, ce qui est susceptible de constituer un recel successoral.
Mme [U] [C] s’oppose à cette demande au motif que le recours au juge du fond est indispensable pour trancher le litige relatif à la succession.
Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
En l’espèce, la disparition alléguée des oeuvres d’art de M. [M] [C] n’est pas établie au vu des seules pièces versées aux débats, lesquelles sont insuffisantes à donner consistance aux soupçons de recel de succession que la demanderesse a conçus à l’égard de sa soeur. L’existence du motif légitime requis par l’article 145 du code de procédure civile n’est donc pas établie. En tout état de cause, il ne peut être confié à un expert, chargé d’éclairer le tribunal sur des questions techniques, la mission de se livrer à des investigations en vue de localiser ces oeuvres d’art, dont aucune liste précise n’est produite au demeurant.
Par ailleurs, la demande aux fins de voir confier à l’expert la mission de “déterminer et évaluer les valeurs à rapporter à la succession par Mme [Y] [C] et Mme [U] [C] du fait des donations directes et indirectes et des dons manuels consentis par leur père M. [M] [C]” excède une simple mesure d’instruction technique destinée à éclairer le tribunal et vise à porter une appréciation sur une question de fond dès lors que l’examen sollicité de la part de l’expert nécessite d’apprécier, outre le seul mouvement de fonds objectif, l’existence, ou non, d’une intention libérale.
De même, la demande de collecte des éléments permettant d’établir le partage de la succession du défunt “avec rapport de toutes les donations directes et indirectes et des dons manuels (...) et réduction des donations excédant la quotité disponible” ne relève pas de la mission d’un expert mais consiste en une demande au fond qui relève de la compétence du tribunal, lequel apprécie si les donations dont l’existence est établie excèdent, ou non, la quotité disponible, ou éventuellement de la mission du notaire commis par le tribunal pour procéder aux opérations de partage de la succession.
Par ailleurs, les héritiers, saisis en application de l’article 724 du code civil, peuvent demander aux établissements bancaires dépositaires de fonds des défunts une copie des relevés de compte sans qu’il soit besoin de désigner un expert judiciaire pour ce faire.
En outre, en application des dispositions de l’article L. 151 B alinéas 3 et 4 du livre des procédures fiscales et de l’article 5 II de l’arrêté du 1er septembre 2016 portant création du traitement automatisé de données à caractère personnel FICOVIE, le notaire commis peut par ailleurs être mandaté par les ayant-droits pour interroger l’administration fiscale afin le cas échéant d’identifier les contrats de capitalisation souscrits par les défunts.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, la demande de mesure d’instruction in futurum formée par Mme [Y] [C] sera rejetée. Il reviendra au juge du fond parallèlement saisi de trancher le litige relatif aux opérations de liquidation partage de l’indivision résultant du décès de M. [M] [C] en désignant pour ce faire tout notaire qu’il lui plaira de commettre.
Sur les autres demandes
Les dépens de l’instance seront laissés à la charge de la demanderesse.
L’équité de commande pas de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. Mme [U] [C] sera donc déboutée de sa demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS
Statuant par ordonnance de référé, par mise à disposition au greffe le jour du délibéré, après débats en audience publique, par décision contradictoire et en premier ressort,
Déboutons Mme [U] [C] de son exception d’incompétence au profit du juge des référés du tribunal judiciaire d’Albertville,
Déboutons Mme [U] [C] de sa demande aux fins de voir le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris se déclarer incompétent au profit du tribunal judiciaire d’Albertville déjà saisi au fond,
Déboutons Mme [Y] [C] de sa demande de mesure d’instruction,
Déboutons Mme [U] [C] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamnons Mme [Y] [C] aux dépens.
Fait à Paris le 04 juillet 2024.
Le Greffier,Le Président,
Arnaud FUZATFrançois VARICHON