TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
■
18° chambre
1ère section
N° RG 20/08965 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSZGP
N° MINUTE : 1
contradictoire
Assignation du :
09 Septembre 2020
JUGEMENT
rendu le 04 Juillet 2024
DEMANDERESSE
S.A.S. POSITIVE RETAIL
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Maître Gilles HITTINGER ROUX de la SCP HB & ASSOCIES-HITTINGER-ROUX BOUILLOT & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0497
DÉFENDERESSE
SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE DU [Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Ariane LAMI SOURZAC, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0380
Décision du 04 Juillet 2024
18° chambre 1ère section
N° RG 20/08965 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSZGP
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Sophie GUILLARME, 1ère Vice-présidente adjointe,
Madame Sabine FORESTIER, Vice-présidente,
Madame Diana SANTOS CHAVES, Juge,
assistées de Monsieur Christian GUINAND, Greffier principal,
Rédactrice : Madame Sabine FORESTIER
DÉBATS
A l’audience du 30 Avril 2024, tenue en audience publique, devant Madame Sabine FORESTIER et Madame Diana SANTOS CHAVES, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.
Avis a été donné aux avocats des parties que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.
JUGEMENT
Rendu par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous seing privé en date du 19 juin 2013, la société dénommée SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE DU [Adresse 3] (ci-après la SCI DU [Adresse 3]) a donné à bail commercial en renouvellement à la société CITY SPORT, aux droits de laquelle se trouve la société POSITIVE RETAIL, des locaux dépendant d’un immeuble sis à [Adresse 3], pour une durée de neuf années à compter du 1er avril 2012 , l'exercice de l'activité ainsi désignée « Vente au détail de chaussures, articles de sport et vêtements. Le bailleur ayant autorisé au Preneur une extension de la clause de destination du bail à la vente d'articles d'équipement de la personne, sous réserve que ladite extension soit limitée à 30% du Chiffres d'affaires global de la société. » et un loyer annuel de 92 000 euros hors taxes et hors charges.
Invoquant des difficultés économiques liées à la crise sanitaire due à l'épidémie de covid-19, par lettre en date du 19 mars 2020, la société POSITIVE RETAIL a sollicité de la SCI DU [Adresse 3] une dispense de paiement des loyers et charges pour la période du 15 mars 2020 au 10 mai 2020 durant laquelle la boutique a fait l'objet d'une fermeture administrative.
En réponse, par lettre en date du 10 juin 2020, la SCI DU [Adresse 3] a proposé à la société POSITIVE RETAIL un report du paiement du loyer du 2e trimestre 2020 au mois de décembre 2020 et refusé une remise de loyer.
Il s'en est suivi entre les parties une discussion sur le règlement des loyers des 2e et 3e trimestres 2020.
En l'absence d'accord et de règlement, par acte d'huissier de justice signifié le 23 juillet 2020, la SCI DU [Adresse 3] a délivré à la société POSITIVE RETAIL un commandement, visant la clause résolutoire stipulée au bail, de lui régler la somme de 66 986,24 euros au titres des loyers et charges des 2e et 3e trimestres 2020.
La société POSITIVE RETAIL a alors procédé au règlement de la somme de 7 882,97 euros le 31 juillet 2020 et de la somme de 15 765,94 euros le 03 septembre 2020.
Puis, par acte d'huissier de justice signifié le 09 septembre 2020, la société POSITIVE RETAIL a assigné la SCI DU [Adresse 3] à comparaître devant le tribunal judiciaire de Paris, notamment afin de voir juger que le commandement de payer est sans effet et qu'elle n'est redevable d'aucune dette de loyers et charges à l'égard de cette dernière.
Par ailleurs, par acte d'huissier de justice signifié le 20 novembre 2020, la société POSITIVE RETAIL a sollicité de la SCI DU [Adresse 3] le renouvellement du bail à compter du 1er avril 2021, avant de renoncer au bénéfice du renouvellement par lettre du 1er février 2021 puis de quitter les locaux loués le 30 juillet 2021.
Selon ordonnance du 3 mai 2022, le juge de la mise en état a notamment :
- rejeté la fin de recevoir opposée par la société POSITIVE RETAIL aux demandes en paiement formées par la SCI DU [Adresse 3] ;
- déclaré recevables ces demandes reconventionnelles en paiement ;
- condamné la société POSITIVE RETAIL à payer à la SCI DU [Adresse 3] une somme de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l’incident ;
- condamné la société POSITIVE RETAIL aux dépens de l'incident.
Dans ses dernières conclusions (conclusions récapitulatives notifiées par RPVA le 16 septembre 2022), la société POSITIVE RETAIL demande au tribunal de :
En tout état de cause,
- juger que le commandement de payer visant la clause résolutoire du 23 juillet 2020 délivré à la requête de la SCI DU [Adresse 3] est sans effet ;
A titre principal,
- juger qu'elle est bien fondée à ne pas régler les charges qui sont réclamées par la bailleresse aux termes du commandement susvisé ;
- juger que 1e commandement de payer susvisé est dépourvu de toute cause ayant été délivré de mauvaise foi et ne saurait produire aucun effet ;
A titre subsidiaire, sur l’exception d’inexécution,
- juger que la SCI DU [Adresse 3] a manqué à son obligation de délivrance et que c'est à bon droit qu'elle se prévaut de 1’exception d’inexécution ;
A titre très subsidiaire, sur la force majeure,
- juger que la pandémie de Covid-19 et les mesures de fermeture et de confinement prises par 1e gouvernement sont constitutives d’un évenement de force majeure ;
- juger que les effets du bail commercial du 19 juin 2013 ont été suspendus pour les 2e et 3e trimestres 2020 ;
A titre encore plus subsidiaire, sur le fait du prince,
- juger que les mesures réglementaires et législatives et notamment les arrêtés des 15 et 16 mars 2020 et la loi décrétant1’état d’urgence sanitaire, constituent un fait du prince, dans la mesure où elles ont conduit à la fermeture autoritaire puis à l’exploitation partielle de son établissement;
En conséquence,
- juger qu'elle n’est redevable d’aucune dette de loyers et charges envers la SCI DU [Adresse 3] au titre du bail pour les 2e et 3e trimestres 2020 ;
A titre infiniment subsidiaire,
- lui accorder un délai de 24 mois pour le règlement de toute sommes qui pourraient être allouées à la défenderesse et ce à compter de l’expiration d’un délai de 15 jours de la signification par acte extrajudiciaire du jugement à intervenir ;
- juger que les effets de la clause résolutoire seront suspendus pendant l’échéancier de paiement;
- juger qu’en conséquence la clause résolutoire ne jouera pas dans le cas où elle s’acquitterait effectivement du solde des sommes dans les conditions fixées par le jugement a intervenir ;
En tout état de cause,
- condamner 1a SCI DU [Adresse 3] à lui payer la somme 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamner 1a SCI DU [Adresse 3] en tous les dépens.
Dans ses dernières conclusions (conclusions n°3 notifiées par RPVA le 15 novembre 2023), 1a SCI DU [Adresse 3] demande au tribunal de :
- débouter la société POSITIVE RETAIL de toutes ses demandes ;
- valider le commandement de payer délivré le 23 juillet 2020 à effet du 23 août 2020;
- constater l’acquisition de la clause résolutoire ;
- constater que le bail est résilié à effet du 23 août 2020 ;
- condamner la société POSITIVE RETAIL à lui régler la somme de 21 297,26 euros, représentant le loyer dû pour la période comprise entre le 1er avril 2020 et le 23 août 2020, date de résiliation du bail, déduction faite des sommes de 7 882,97 euros, 15.765,94 euros et 7 882,97 euros réglées par la société POSITIVE RETAIL les 31 juillet, 3 septembre et 29 octobre 2020 ;
- fixer l’indemnité d’occupation due à compter de la résiliation du bail à la somme mensuelle de 10 951,81 euros correspondant aux loyers et charges ;
- condamner la société POSITIVE RETAIL à lui régler la somme de 92 526,89 euros correspondant à l’indemnité d’occupation due à compter du 24 août 2020 jusqu’au 30 juillet 2021;
- condamner la société POSITIVE RETAIL à lui régler les pénalités de retard fixés au taux de 10% depuis le premier impayé intervenu le 1er avril 2020 jusqu’au 23 août 2020, soit 6 660,70 euros ;
- constater que le dépôt de garantie s’élevant à la somme de 23 000 euros lui est acquis;
- condamner la société POSITIVE RETAIL à lui payer la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
- rappeler que l’exécution provisoire est de droit ;
- condamner la société POSITIVE RETAIL aux entiers dépens dont distraction au
profit de Me Ariane LAMI SOURZAC, avocat.
Les moyens développés par les parties à l’appui de leurs prétentions sont exposés dans les motifs du jugement.
Décision du 04 Juillet 2024
18° chambre 1ère section
N° RG 20/08965 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSZGP
Par ordonnance du 19 janvier 2023, le juge de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction de l’affaire, laquelle a été appelée à l’audience du juge rapporteur du 30 avril 2024 et mise en délibéré au 4 juillet 2024.
MOTIFS
A titre liminaire, il est rappelé que le tribunal n’est pas tenu de statuer sur les demandes de « juger» qui ne sont pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile mais un rappel des moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.
1- Sur la demande d'acquisition de la clause résolutoire
1- 1- Sur la validité du commandement de payer
Sur le fondement de l'article 1104 du code civil, la société POSITIVE RETAIL expose que le commandement de payer visant la clause résolutoire qui lui a été signifié le 23 juillet 2020 à la demande de la SCI DU [Adresse 3] est sans effet. Elle considère en effet qu'en faisant signifier le commandement à la sortie de la période d'état d'urgence alors qu'elle n'avait pu exploiter son commerce pendant deux mois et rencontrait les pires difficultés, 1a SCI DU [Adresse 3] a fait preuve de mauvaise foi.
En vertu des articles 1103 et 1104 du code civil, de l'article 12 du contrat de bail, de l'ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 et de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020, la SCI DU [Adresse 3] soutient que le commandement de payer est parfaitement valable. Elle invoque que la société POSITIVE RETAIL, qui exerce son activité sous l'enseigne ALDO, appartient à un groupe international, le groupe MERCURE INTERNATIONAL OF MONACO, dont la capacité financière est sans commune mesure avec celle d'une petite société familiale pour laquelle le loyer payé constitue une part importante du revenu de ses associés. Elle indique avoir tenu compte des circonstances exceptionnelles en proposant un report du paiement du loyer ainsi qu' en rappelant au preneur la possibilité de souscrireun prêt, et que c'est en l'absence de réponse de celui-ci qu'elle a fait délivrer le commandement de payer. Elle ajoute que la société POSITIVE RETAIL a poursuivi son activité dans les locaux loués jusqu'au 30 juillet 2021 alors qu'elle lui avait annoncé son départ pour le 31 mai 2021.
Sur ce,
L'article 1104 du code civil dispose que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi.
L'article 12 du contrat de bail conclu entre la SCI DU [Adresse 3] et la société POSITIVE RETAIL stipule que « Il est expressément convenu, qu’à défaut de paiement d’un seul terme de loyer et charges ou à défaut d'exécution d'une clause quelconque du bail et un mois après un simple commandement de payer ou d'exécuter demeuré infructueux, le présent bail résilié de plein droit si bon semble au Bailleur qui pourra demander l'expulsion des lieux sur simple ordonnance de référé, sans qu'il soit besoin de remplir aucune autre formalité judiciaire et sans que des offres de payer ou d'exécuter ultérieurement à la déchéance encourue puissent arrêter l'effet de l'ordonnance.».
En l'espèce, si les loyers des 2e et 3e trimestres 2020 qui n'ont pas été payés par la société POSITIVE RETAIL correspondent aux périodes pendant lesquelles son activité a pu être perturbée en raison des mesures prises par le gouvernement afin de lutter contre l'épidémie de covid-19, il demeure qu'elle n'était pas dispensée de son obligation contractuelle principale de payer le loyer
En outre, si elle s'est trouvée dans l'obligation de fermer sa boutique du 16 mars 2020 au 11 mai 2020 puis du 30 octobre 2020 au 28 novembre 2020 ainsi qu'elle l'indique, il s'avère qu'elle a pu exercer son activité en partie durant le 2e trimestre 2020 et durant la totalité du 3e trimestre 2020 pour lesquels elle s'est néanmoins abstenue de régler le loyer.
Enfin, il apparaît que la SCI DU [Adresse 3] a tenté de trouver une solution à cette situation. Par e-mail du 4 mai 2020, elle a en effet proposé à la société POSITIVE RETAIL de reporter le paiement du loyer du 2e trimestre au mois de décembre 2020 et l'a également informée de la possibilité de contracter un prêt. Par lettre du 10 juillet 2020, elle a réitéré sa proposition en l'informant qu'à défaut d'acceptation avant le 17 juillet 2020, elle engagerait une procédure de recouvrement des loyers. La société POSITIVE RETAIL n'a toufefois jamais répondu à cette proposition.
Dans ces conditions, la société POSITIVE RETAIL ne peut reprocher à la SCI DU [Adresse 3] d'avoir fait preuve de mauvaise foi en lui délivrant le commandement de payer visant la clause résolutoire.
Par conséquent, le commandement de payer délivré le 23 juillet 2020 est valable.
1-2- Sur l'exigibilité de la dette de loyer
a) Sur l'exception d'inexécution du preneur en raison du manquement du bailleur à l'obligation de délivrance
En vertu de l'article 1719 du code civil, la société POSITIVE RETAIL soutient que le bailleur est obligé par la nature du contrat et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer la chose louée à son locataire et de lui permettre d'en jouir paisiblement pendant la durée du bail. Elle indique que le gouvernement ayant interdit l'accueil du public dans les magasins de vente non indispensables à la vie de la nation, elle n'a pu exercer son activité du 15 mars au 11 mai 2020, puis du 30 octobre au 28 novembre 2020 et enfin du 20 mars au 19 mai 2021. Elle considère que pendant ces périodes il n'y a pas eu de délivrance et de jouissance paisible du local puisqu'elle n'a pu exercer son activité et en conclut qu'elle n'est pas tenue au paiement des loyers correspondant aux périodes de fermeture.
La SCI DU [Adresse 3] expose que selon la jurisprudence il est acquis que le bailleur n'a pas manqué à son obligation de délivrance au cours des périodes pendant lesquelles les commerces non essentiels ont été fermés, même si le preneur n'a pu exercer son activité commerciale.
Sur ce,
Selon l'article 1719 du code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et d'en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail.
Décision du 04 Juillet 2024
18° chambre 1ère section
N° RG 20/08965 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSZGP
Il ressort de l'article 1728 du même code que le preneur est tenu de l'obligation principale de payer le prix du bail aux termes convenus.
L'article 1219 dispose qu'une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.
En l'espèce, il est constant que le commerce de la société POSITIVE RETAIL a fait l'objet de mesures administratives de fermeture, prises par le gouvernement afin de lutter contre la propagation de l'épidémie de covid-19.
Cependant, la société POSITIVE RETAIL ne conteste pas que pendant la période litigieuse, la SCI DU [Adresse 3] a continué de tenir les locaux loués à sa disposition.
En outre, ces mesures administratives de fermeture ont été édictées afin de garantir la santé publique et constituaient des mesures générales et temporaires, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué. L'impossibilité d'exploiter le local était due au seul fait du législateur et ne peut donc être imputable au bailleur.
Dès lors, l'impossibilité d'exercer son activité invoquée par la société POSITIVE RETAIL ne résulte pas d'un manquement de la SCI DU [Adresse 3] à son obligation de délivrance et d'assurer la jouissance paisible des locaux.
La société POSITIVE RETAIL n'est ainsi pas fondée à se prévaloir de l'exception d'inexécution en raison du manquement de la SCI DU [Adresse 3] à son obligation de délivrance pour s'opposer au paiement des loyers dus.
Le moyen ne peut donc être retenu.
b) Sur la force majeure et la suspension du contrat de bail
La société POSITIVE RETAIL prétend qu'en application de l'article 1148 du code civil la crise sanitaire due à l'épidémie de covid-19 constituait un cas de force majeure entraînant une suspension de son obligation de paiement des loyers et charges pour les périodes du 15 mars au 11 mai 2020, du 30 octobre au 28 novembre 2020 et du 20 mars au 19 mai 2021. Elle soutient que l'évènement remplissait les conditions d'extériorité, d'irresistibilité et d'imprévisibilité pour être qualifié de cas de force majeure.
La SCI DU [Adresse 3] soutient que conformément à la jurisprudence la force majeure ne peut être invoquée.
Sur ce,
L'article 1148 du code civil dispose qu'il n'y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit.
Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de l'obligation par le débiteur.
Or, si l'épidémie de covid-19 et les mesures administratives de fermeture des commerces s'analysent en un événement extérieur et imprévisible, elles ne peuvent être considérées comme un événement irrésistible rendant manifestement impossible le paiement du loyer puisqu'en raison de sa nature pécuniaire cette obligation est toujours susceptible d'être exécutée.
Dans ses conditions, la société POSITIVE RETAIL ne peut se prévaloir d'un cas de force majeure ayant suspendu le contrat de bail et la dispensant du paiement des loyers.
Le moyen ne peut donc être retenu.
c) Sur la destruction de la chose louée
Sur le fondement de l'article 1722 du code civil, la société POSITIVE RETAIL soutient que l'épidémie de covid-19 et les décisions administratives ont rendu impossible l'utilisation des locaux conformément à leur destination, ce qui constitue une destruction partielle et temporaire de la chose louée justifiant la diminution du loyer annuel à hauteur de la somme qui aurait été due pendant la période litigieuse.
La SCI DU [Adresse 3] expose que selon la jurisprudence l'interdiction de recevoir du public pendant la période de crise sanitaire ne peut être assimilée à une perte de la chose louée au sens de l'article 1722 du code civil.
Sur ce,
L’article 1722 du code civil dispose que si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement.
En l'espèce, une mesure administrative générale et temporaire de fermeture, sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué, ne peut être assimilée à une destruction de la chose louée dès lors qu’il n’y a aucune détérioration matérielle, partielle ou totale, du local.
Dès lors, la société POSITIVE RETAIL ne peut se prévaloir d’une perte de la chose louée pour demander une diminution du loyer durant les périodes de fermeture.
Le moyen ne peut donc être retenu.
*****
Par conséquent, il ne peut être jugé que la société POSITIVE RETAIL n'est redevable d'aucun loyer durant les périodes du 15 mars au 11 mai 2020, puis du 30 octobre au 28 novembre 2020 et enfin du 20 mars au 19 mai 2021 pendant lesquelles elle n'a pu exercer son activité.
1-3- Sur la demande d'acquisition de la clause résolutoire
La SCI DU [Adresse 3] sollicite l'acquisition de la clause résolutoire au vu du commandement de payer délivré le 23 juillet 2020.
La société POSITIVE RETAIL ne se prononce pas à ce sujet.
Sur ce,
L’article L. 145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
En outre, selon l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
L'article 12 du contrat de bail conclu entre la SCI DU [Adresse 3] et la société POSITIVE RETAIL stipule que « Il est expressément convenu, qu’à défaut de paiement d’un seul terme de loyer et charges ou à défaut d'exécution d'une clause quelconque du bail et un mois après un simple commandement de payer ou d'exécuter demeuré infructueux, le présent bail résilié de plein droit si bon semble au Bailleur qui pourra demander l'expulsion des lieux sur simple ordonnance de référé, sans qu'il soit besoin de remplir aucune autre formalité judiciaire et sans que des offres de payer ou d'exécuter ultérieurement à la déchéance encourue puissent arrêter l'effet de l'ordonnance.»
En l'espèce, le commandement délivré le 23 juillet 2020 porte sur une créance de loyers et charges d'un montant de 66 607,24 euros, arrêtée au 21 juillet 2020 et correspondant aux loyers des 1er, 2e et 3e trimestre 2020 selon le décompte joint.
Il n'est pas contesté que les causes de ce commandement n’ont pas été acquittées dans le mois de sa délivrance.
Dès lors, la clause résolutoire est acquise au 23 août 2020 et le bail se trouve résilié de plein droit à cette date. Cela sera constaté.
2- Sur les demandes en paiement et de conservation du dépôt de garantie
2-1- Sur la demande en paiement de l'arriéré de loyers et charges
La SCI DU [Adresse 3] fixe sa créance de loyers et charges à la somme de 21 297,26 euros, représentant la dette de 52 829,09 euros due par la société POSITIVE RETAIL du 1er avril 2020 au 23 août 2020, déduction faite des sommes de 7 882,97 euros, 15 765,94 euros et 7 882,97 euros réglées par la société POSITIVE RETAIL les 31 juillet, 3 septembre et 29 octobre 2020.
La société POSITIVE RETAIL ne formule aucune observation à ce sujet.
Sur ce,
Selon l’article 1103 du code civil, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Il ressort en outre de l’article 1728 du même code, que le preneur est tenu de payer le prix du bail aux termes convenus.
Aux termes de l'article 1353, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
La SCI DU [Adresse 3] invoque une créance de loyers et charges de 21 297,26 euros qui n'est pas contestée par la société POSITIVE RETAIL et sera donc fixée à ce montant au regard des décomptes produits.
2-2- Sur la demande en paiement d'une indemnité d'occupation
La SCI DU [Adresse 3] demande la fixation d'une indemnité d'occupation à compter du 23 août 2020 et à la somme mensuelle de 10.951,81 euros correspondant aux loyers et charges, soit la somme de 92 526,89 euros représentant l'indemnité d'occupation due du 24 août 2020 au 30 juillet 2021, date de la libération des locaux par la socité POSITIVE RETAIL, déduction faite de la somme de 30 824,88 euros réglée par la société POSITIVE RETAIL le 9 juin 2021.
La société POSITIVE RETAIL ne se prononce pas à ce sujet.
Sur ce,
L'article 1241 du code civil dispose que chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
Il est acquis que celui qui se maintient sans droit dans les lieux après l'expiration de son titre d'occupation commet une faute quasi-délictuelle qui ouvre droit pour le propriétaire au paiement d'une indemnité d'occupation.
La SCI DU [Adresse 3] invoque une créance de 92.526,89 euros au titre de l'indemnité d'occupation due par la société POSITIVE RETAIL du 24 août 2020 au 30 juillet 2021, période pendant laquelle elle s'est maintenue dans les locaux sans droit ni titre.
La société POSITIVE RETAIL ne contestant pas sa dette, celle-ci sera fixée à ce montant, lequel correspond à une juste indemnisation du préjudice subi par la SCI DU [Adresse 3] en raison du maintien dans les lieux de la société POSITIVE RETAIL.
2-3- Sur la demande en paiement des pénalités de retard
Sur le fondement des articles 9 et 10 du contrat de bail et de l'article 1231-5 du code civil, la SCI DU [Adresse 3] demande que la société POSITIVE RETAIL soit condamnée à lui payer des pénalités de retard fixées au taux de 10% depuis le premier impayé intervenu le 1er avril 2020 jusqu'au 23 août 2020, soit la somme de 6 660,70 euros. Elle soutient que la clause pénale s'applique du seul fait de l'inexécution contractuelle et car la société POSITIVE RETAIL a cessé de régler le loyer en violation de ses obligations contractuelles et sans motif justifié.
La société POSITIVE RETAIL expose qu'en application de l'article 1231-5 du code civil et compte tenu des circonstances exceptionnelles de la crise sanitaire, l'application d'une pénalité de 10% est déraisonnable.
Sur ce,
L'article 1231-5 du code civil dispose que lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre.
Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.
Lorsque l'engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d'office, à proportion de l'intérêt que l'exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l'application de l'alinéa précédent.
Toute stipulation contraire aux deux alinéas précédents est réputée non écrite.
Sauf inexécution définitive, la pénalité n'est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure.
L'article 9 du contrat de bail stipule qu'à défaut de paiement à son échéance d'un seul terme de loyer ou charges, le preneur sera redevable des pénalités de retard au taux de 10%.
Cette clause détermine par avance et de manière forfaitaire l'indemnisation du préjudice subi par le bailleur du fait de l’absence de paiement d'un terme de loyer et s'analyse, par conséquent, comme une clause pénale.
Elle apparaît manifestement excessive eu égard aux circonstances du défaut de paiement invoqué entre le 1er avril 2020 et le 23 août 2020 et doit donc être réduite à la somme de 2 000 euros.
2-3- Sur la demande de conservation du dépôt de garantie
En application des articles 11 et 12 du contrat de bail, la SCI DU [Adresse 3] demande à conserver le dépôt de garantie de 23 000 euros en soutenant qu'il ne constitue pas une clause pénale mais qu'il permet de garantir le paiement du loyer et la bonne exécution des clauses et conditions du bail. Or, la société POSITIVE RETAIL est débitrice de la somme de 113 824,15 euros selon décompte arrêté au 30 août 2022.
La société POSITIVE RETAIL soutient que l'article 12 du contrat relatif à la conservation du dépôt de garantie constitue une clause pénale excessive compte tenu des difficultées qu'elle a rencontrées qui étaient dues à la crise sanitaire et aux mesures administratives de fermeture. Elle sollicite que l'arriéré de loyers soit compensé par le dépôt de garantie.
Sur ce,
L'article 1231-5 du code civil dispose que lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l'exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l'autre partie une somme plus forte ni moindre.
Néanmoins, le juge peut, même d'office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire.
Lorsque l'engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d'office, à proportion de l'intérêt que l'exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l'application de l'alinéa précédent.
Toute stipulation contraire aux deux alinéas précédents est réputée non écrite.
Sauf inexécution définitive, la pénalité n'est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure.
L'article 11 du contrat de bail stipule que : « Pour garantir l'exécution du présent bail, le preneur a versé à l'instant même la somme de 86.250,00 F (QUATRE VINGT SIX MILLE DEUX CENT CINQUANTE FRANCS) correspondant à trois mois de loyer en principal au Bailleur qui le reconnaît, en garantie du paiement du loyer, de la bonne exécution des clauses et conditions du présent bail, des réparations et des sommes dues par le Preneur dont le Bailleur pourrait être rendu responsable. »
L'article 12 précise : « Dans tous les cas, toutes sommes versées à titre de dépôt de garantie demeureront définitivement acquises au Bailleur définitivement à titre de première indemnité et sans préjudice de dommages-intérêts. »
L'application de la pénalité de 10% conjuguée à la conservation du dépôt de garantie pour sanctionner le non paiement des loyers permet de considérer que la clause relative à la conservation du dépôt de garantie est manifestement excessive, de sorte que le dépôt de garantie de 23 000 euros sera conservé par la SCI DU [Adresse 3] mais déduit de sa créance.
*****
Il en ressort que la SCI DU [Adresse 3] sera autorisée à conserver le dépôt de garantie de 23 000 euros.
En outre, la société POSITIVE RETAIL reste devoir à la SCI DU [Adresse 3] la somme de ( 21 297,26 + 92 526,89 + 2 000 - 23 000 =) 92 824,15 euros au paiement de laquelle elle sera condamnée.
3- Sur la demande de délai de paiement
La société POSTIVE RETAIL sollicite un délai de paiement de vingt-quatre mois en vertu des articles L.145-41 du code de commerce et 1345-5 du code civil. Elle expose avoir oujours payé ses loyers depuis son entrée dans les lieux mais s'être trouvée dans une situation économique difficile à la suite de la crise sanitaire ainsi que le montre la baisse de 41,54 % de son chiffre d'affaires de 2019 à 2020.
La SCI DU [Adresse 3] s'oppose à la demande de délai de paiement en expliquant que la société POSITIVE RETAIL appartient à un groupe de dimension internationale, le groupe MERCURE INTERNATIONAL OF MONACO, qui en 2019 affichait un chiffres d'affaires de 185 millions d'euros à Monaco et plus de 900 millions d'euros dans le monde. Elle ajoute qu'elle n'a jamais sollicité les aides mises en place par l'état et qu'après avoir annoncé son départ des lieux au 30 mai 2021, elle s'y est maintenue jusqu'au 31 juillet 2021 pour écouler ses stocks.
Sur ce,
Selon l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
La société POSITIVE RETAIL justifie de la baisse de son chiffre d'affaires pour l'exercice 2020. Cependant, elle ne justifie pas du chiffre d'affaires réalisé les années suivantes alors qu'elle exerce encore son activité, que la crise sanitaire a pris fin et que l'appréciation de ses capacités contributives ne saurait se limiter au seul exercice 2020.
Il n'est ainsi pas établi qu'elle ne peut régler immédiatement la totalité de sa dette.
Par conséquent, sa demande de délai de paiement sera rejetée.
4- Sur les demandes accessoires
La société POSITIVE RETAIL qui succombe sera condamnée aux dépens avec recouvrement direct au profit de Me Ariane LAMI SOURZAC, avocat, en application des articles 696 et 699 du code de procédure civile.
En outre, en vertu de l'article 700 du code de procédure civile, l'équité commande de la condamner à payer à la SCI DU [Adresse 3] la somme de 4 000 euros.
Enfin, il n'y a pas lieu d'écarter l'exécution provisoire du jugement ainsi que le sollicite la société POSITIVE RETAIL. Sa demande sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
le tribunal, statuant après débats publics, par jugement contradictoire et en premier ressort, mis à disposition au greffe,
Constate l'acquisition de la clause résolutoire au 23 août 2020 et la résiliation à cette date du bail liant la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE DU [Adresse 3] et la société POSITIVE RETAIL pour les locaux sis à [Adresse 3] ;
Autorise la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE DU [Adresse 3] à conserver le dépôt de garantie de 23.000 euros ;
Condamne la société POSITIVE RETAIL à payer à la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE DU [Adresse 3] la somme de 92.824,15 euros au titre des arriérés de loyer, indemnité d'occupation et pénalités dus ;
Rejette la demande de délai de paiement de la société POSITIVE RETAIL ;
Condamne la société POSITIVE RETAIL aux dépens avec recouvrement direct au profit de Me Ariane LAMI SOURZAC, avocat ;
Condamne la société POSITIVE RETAIL à payer à la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE DU [Adresse 3] la somme de 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette la demande de la société POSITIVE RETAIL de voir écarter l'exécution provisioire du jugement.
Fait et jugé à Paris le 04 Juillet 2024.
Le GreffierLe Président
Christian GUINANDSophie GUILLARME