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03/07/2024 | FRANCE | N°22/14285

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 9ème chambre 1ère section, 03 juillet 2024, 22/14285


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :




9ème chambre 1ère section


N° RG 22/14285

N° Portalis 352J-W-B7G-CYPBM

N° MINUTE :

Assignation du :
30 Novembre 2022

Contradictoire





JUGEMENT
rendu le 03 juillet 2024

DEMANDEURS

Monsieur [R] [V]
[Adresse 4]
[Localité 1]


représenté par Me Arnaud DELOMEL, avocat au Barreau de RENNES, avocat plaidant, et par Me Emilie CHANDLER, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiai

re #E0159


DEFENDERESSE

S.A. ING BANQUE FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Maître Frédéric BELLANCA de l’AARPI DARTEVELLE & DUBEST, avocat au barreau de PARIS...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :

9ème chambre 1ère section

N° RG 22/14285

N° Portalis 352J-W-B7G-CYPBM

N° MINUTE :

Assignation du :
30 Novembre 2022

Contradictoire

JUGEMENT
rendu le 03 juillet 2024

DEMANDEURS

Monsieur [R] [V]
[Adresse 4]
[Localité 1]

représenté par Me Arnaud DELOMEL, avocat au Barreau de RENNES, avocat plaidant, et par Me Emilie CHANDLER, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #E0159

DEFENDERESSE

S.A. ING BANQUE FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Maître Frédéric BELLANCA de l’AARPI DARTEVELLE & DUBEST, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #Ll0015

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Anne-Cécile SOULARD, Vice-présidente,
Monsieur Patrick NAVARRI, Vice-président,
Madame Marine PARNAUDEAU, Vice-présidente,

assistés de Madame Sandrine BREARD, Greffière.

DEBATS

A l’audience du 29 mai 2024 tenue en audience publique devant Madame Anne-Cécile SOULARD, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile.

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte d’huissier du 29 juillet 2021,
- l’association « Association de Défense des Consommateurs » (ADC) France,
- M. [L] [N],
- M. [P] [D],
- M. [K] [Y],
- M. [R] [V],
- M. [I] [T],
- M. [I] [B],
- M. [W] [G],
ont assigné la société anonyme ING Bank France (ci-après la société ING Bank) devant le tribunal judiciaire de Paris.
Les demandeurs personnes physiques exposent qu’ils ont effectué des virements depuis leurs comptes détenus auprès de la société ING Bank en pensant investir dans des diamants, des placements ou de la cryptomonnaie.
Ils font valoir qu’ils ont tous été victimes des agissements de la structure BLUE DIAMS LIMITED qui serait spécialisée dans les escroqueries financières internationales. Ils précisent qu’une information judiciaire est ouverte devant un juge d’instruction de Nancy pour connaître de ces agissements.
Ils indiquent qu’ils se sont rapprochés de l’association ADC France et se sont réunis en un collectif de victimes de la structure BLUE DIAMS LIMITED.
L’association ADC France s’est constituée partie civile dans le dossier d’information judiciaire au cours du mois d’avril 2018.
Les demandeurs mettent en cause la société ING Bank en exposant qu’elle aurait manqué à son devoir de vigilance et demandent à être indemnisés de leur préjudice.
Par ordonnance du 30 novembre 2022, le juge de la mise en état a ordonné la disjonction de l’affaire en sept instances distinctes :
- la première opposant l’association de défense des consommateurs ADC France et M. [L] [N] d’une part à la société ING Bank France d’autre part, enregistrée sous le numéro RG 21/11003,
- la deuxième opposant l’association de défense des consommateurs ADC France et M. [P] [D] d’une part à la société ING Bank France d’autre part, enregistrée sous le numéro RG 22/14283,
- la troisième opposant l’association de défense des consommateurs ADC France et M. [K] [Y] d’une part à la société ING Bank France d’autre part, enregistrée sous le numéro RG 22/14284,
- la quatrième opposant l’association de défense des consommateurs ADC France et M. [R] [V] d’une part à la société ING Bank France d’autre part, enregistrée sous le numéro RG 22/14285, il s’agit de la présente procédure,
- la cinquième opposant l’association de défense des consommateurs ADC France et M. [I] [T] d’une part à la société ING Bank France d’autre part, enregistrée sous le numéro RG 22/14287,
- la sixième opposant l’association de défense des consommateurs ADC France et M. [I] [B] d’une part à la société ING Bank France d’autre part, enregistrée sous le numéro RG 22/14288,
- la septième opposant l’association de défense des consommateurs ADC France et M. [W] [G] d’une part à la société ING Bank France d’autre part, enregistrée sous le numéro RG 22/14289.

Demandes et moyens de M. [V] et l’association ADC France
Dans leurs dernières conclusions communiquées par voie électronique le 8 mai 2023, M. [V] et l’association ADC France demandent au tribunal de :
« A TITRE PRINCIPAL :
• Prononcer un sursis à statuer et transmettre les questions préjudicielles suivantes à la Cour de justice de l’Union Européenne :
« Les articles 12 à 31, Chapitre II, de la Directive (UE) n° 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatifs aux obligations de vigilance à l’égard de la clientèle, transposés en droit français aux articles L. 561-2 et suivants du Code monétaire et financier, peuvent-ils être invoqués, à titre particulier, par les consommateurs victimes à l’encontre de leur établissement bancaire dans le cadre d’une action en responsabilité civile ? »
« Ces mêmes articles peuvent-ils fonder une action en responsabilité civile ? »
A TITRE SUBSIDIAIRE :
• Juger que la société ING BANK n’a pas respecté son obligation légale de vigilance.
• Juger que la société ING BANK est responsable des préjudices subis par le demandeur.
A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE :
• Juger que la société ING BANK n’a pas respecté son obligation d’information à l’égard du demandeur.
• Juger que la société ING BANK est responsable des préjudices subis par le demandeur.

EN TOUT ETAT DE CAUSE :
• Condamner la société ING BANK à verser à Monsieur [R] [V] la somme de 72.003,60 euros, décomposée comme suit :
- 60.003 € au titre de son investissement (préjudice matériel) ;
- 12.000,60 €, soit 20% de la somme investie, à titre de dommages et intérêts (préjudice moral).
• Condamner la société ING BANK à verser la somme de 1.800 €, au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
• Condamner la même aux entiers dépens. »
M. [V] expose qu’il a investi dans des diamants auprès de la société BLUE DIAMS et a effectué à ce titre les virements suivants :
- 500 € le 1er décembre 2016 ;
- 224 € le 6 décembre 2016 ;
- 6.400 € le 6 décembre 2016 ;
- 543 € le 23 mai 2017 ;
- 4.000 € le 23 mai 2017 ;
- 12.369 € le 15 juin 2017 ;
- 8.480 € le 21 juin 2017 ;
- 4.404 € le 18 août 2017 ;
- 4.405 € le 20 août 2017 ;
- 5.000 € le 12 octobre 2017 ;
- 4.664 € le 14 octobre 2017
- 4.752 € le 18 octobre 2017 ;
- 4.262 € le 24 octobre 2017;
soit la somme totale de 60 003 euros.
M. [V] et l’association ADC France reprochent aux établissements bancaires de faire le choix de privilégier leur obligation d’exécuter les opérations de paiement au détriment de leur obligation de contrôle de ces mêmes opérations.
Ils observent que la société ING Bank a été condamnée pour des manquements à ses obligations de vigilance et de contrôle par la commission des sanctions de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR).
Au soutien de leur demande de transmission d’une question préjudicielle, M. [V] et l’association ADC France contestent la jurisprudence du tribunal judiciaire de Paris qui refuse l’application du dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme aux consommateurs victimes ayant engagé une action en responsabilité à l’encontre de leur établissement bancaire. Ils font valoir :
- que rien n’interdit à des justiciables d’invoquer les obligations de vigilance et de contrôle édictées par les législateurs européens et français,
- que les décisions ne sont pas motivées sur un plan juridique et entendent poser un principe qui n’existe pas,
- que ces décisions contreviennent au sens et à l’esprit des textes relatifs aux obligations de vigilance auxquelles sont soumises les banques,
- que le législateur a consacré une immunité pénale, civile et administrative lorsque la banque effectue une déclaration de soupçon auprès des services de TRACFIN,
- que ces décisions contreviennent aux positions des banques elles-mêmes et sont en inadéquation avec leurs pratiques professionnelles.
Ils affirment que « l’arbitraire ne peut conduire à une position juridique de principe qui ne repose sur aucune disposition légale expresse ».
Les demandeurs considèrent que les textes européens poursuivent un objectif de protection des consommateurs et, qu’en application de cet objectif, les règles de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme peuvent fonder la responsabilité de la banque à l’égard de son client. Ils soulignent que la banque n’a pas été vigilante face aux très nombreuses alertes émanant des autorités compétentes concernant les placements atypiques. Ils remarquent que les virements effectués par les clients de la société ING Bank font l’objet d’une demande d’enregistrement en amont.
Ils soutiennent que les virements litigieux présentaient des anomalies qui auraient dû alerter la banque en ce que :
- les montants excédaient quasiment tous le montant des ressources mensuelles de M. [V],
- les montants étaient inhabituellement élevés,
- les mouvements étaient répétés avec une fréquence inhabituelle,
- les mouvements étaient dirigés vers l’étranger, sans lien avec le fonctionnement habituel du compte,
- ces mouvements présentaient, compte tenu de ce qui précède, un caractère potentiellement frauduleux.
Ils allèguent que la plupart des paiements visent « BLUE DIAMS », société sur la liste noire de l’AMF, interdite de commercialisation en France.
En outre, ils affirment que la banque est débitrice à l’égard de ses clients d’une obligation générale d’information ainsi que d’une obligation spéciale en matière d’investissements financiers lorsque les biens acquis peuvent être liés au blanchiment ou au financement du terrorisme. Ils reprochent à la banque de ne pas avoir alerté son client des publications et alertes de l’AMF concernant les placements frauduleux.
S’agissant des sommes demandées en faveur de l’association ADC France, les demandeurs observent que l’association a recueilli les dossiers des consommateurs victimes et a étudié chacun d’eux. Ils précisent que les juristes employés par l’association ainsi que de nombreux bénévoles se sont impliqués dans ces actions depuis près de quatre années.

Demandes et moyens de la société ING Bank
Dans ses dernières conclusions communiquées par voie électronique le 31 janvier 2024, la société ING Bank demande au tribunal de :
« PRONONCER l’irrecevabilité de la demande de sursis à statuer formée par Monsieur [R] [V],
En tout état de cause,
- DEBOUTER Monsieur [R] [V] de ses demandes de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel, moral et de jouissance dont il fait état, formulées tant à titre principal que subsidiaire, dans la mesure où celui-ci ne rapporte pas la preuve d’une quelconque faute imputable à la société ING Bank N.V. ni du lien causal devant exister entre la faute et le préjudice allégués,
- DEBOUTER Monsieur [R] [V] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions,
- CONDAMNER Monsieur [R] [V] au paiement, au profit de la société ING Bank N.V., de la somme de 10.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
- CONDAMNER le même aux entiers dépens »
La société ING Bank fait valoir que la demande de sursis à statuer relève de la compétence exclusive du juge de la mise en état qui est saisi par des conclusions qui lui sont spécifiquement adressées. Elle en conclut qu’en l’absence de telles conclusions, la demande de sursis à statuer aux fins de transmission d’une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne est irrecevable.
La société ING Bank relève qu’elle est tenue d’exécuter les ordres de virement émanant de ses clients, sauf à engager sa responsabilité en cas de refus de sa part. Elle considère que les opérations litigieuses ne sont ni des opérations non autorisées ni des opérations mal exécutées.
La société ING Bank soutient que la victime d’agissements frauduleux ne peut se prévaloir des textes relatifs à la lutte contre le blanchiment de capitaux pour réclamer des dommages et intérêts à un établissement financier. Elle estime que l’établissement bancaire doit, aux termes de son obligation de vigilance à l’égard de la clientèle, identifier son client ou le bénéficiaire effectif de la relation d’affaires avec l’établissement bancaire, notamment lorsque le client est une société. En revanche, elle affirme n’avoir aucune obligation d’identifier le bénéficiaire effectif d’une opération.
La société ING Bank considère que les opérations contestées par les demandeurs sont de simples opérations de virement ne présentant aucune anomalie. Elle allègue que son devoir de non-ingérence lui interdisait d’intervenir et fait valoir qu’elle n’a jamais été informée de l’identité du destinataire des virements.
Elle affirme qu’elle n’a fourni que des services de paiement à M. [V] et n’est pas intervenue dans les investissements litigieux de telle sorte qu’elle n’était tenue à aucune obligation d’information.
* * *
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il sera renvoyé aux dernières écritures des parties pour l’exposé des moyens et arguments venant au soutien de leurs demandes et de leurs défenses.
Le juge de la mise en état a clôturé l’instruction de l’affaire par ordonnance du 3 avril 2024 et fixé l’affaire pour être plaidée à l’audience tenue en juge rapporteur du 29 mai 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1. Sur la recevabilité de la demande de sursis à statuer
En application de l’article 789 du code de procédure civile, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour statuer sur les exceptions de procédure.
Conformément à l’article 791 du code de procédure civile, le juge de la mise en état est saisi par des conclusions qui lui sont spécialement adressées distinctes des conclusions au sens de l’article 768.
Une demande de sursis à statuer constitue une exception de procédure. Par conséquent, une telle demande relève de la compétence du juge de la mise en état, et celui-ci ne peut être saisi de cette demande que par des conclusions qui lui sont spécialement adressées, distinctes des conclusions sur le fond des demandes.
En l’espèce, les demandeurs ont formulé leur demande de sursis à statuer pour la première fois par des conclusions notifiées par voie électronique le 8 mai 2023. Ces conclusions ne sont pas spécialement adressées au juge de la mise en état et ne sont pas distinctes des conclusions au sens de l’article 768 du code de procédure civile.
Par conséquent, les demandeurs sont irrecevables à présenter une demande de sursis à statuer devant le tribunal.
2. Sur les obligations au titre du dispositif de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme
Les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-2 à L. 561-22 du code monétaire et financier ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.
Il résulte de l'article L. 561-18 du code monétaire et financier que la déclaration de soupçon mentionnée à l'article L. 561-15 est confidentielle et qu'il est interdit de divulguer l'existence et le contenu d'une déclaration faite auprès du service mentionné à l'article L. 561-23, ainsi que les suites qui lui ont été réservées, au propriétaire des sommes ou à l'auteur de l'une des opérations mentionnées à l'article L. 561-23 ou à des tiers, autres que les autorités de contrôle, ordres professionnels et instances représentatives nationales visés à l'article L. 561-36.
Aux termes de ce dernier article, ces autorités sont seules chargées d'assurer le contrôle des obligations de vigilance et de déclaration mentionnées ci-dessus et de sanctionner leur méconnaissance sur le fondement des règlements professionnels ou administratifs.
Selon l'article L.561-30 du même code, sous réserve de l'application de l'article 40 du code de procédure pénale, les informations détenues par le service mentionné à l'article L. 561-23 ne peuvent être utilisées à d'autres fins que la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.
Il s'en déduit que la victime d'agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l'inobservation des obligations de vigilance et de déclaration précitées pour réclamer des dommages-intérêts à l'organisme financier.
Les demandeurs se prévalent d’une décision de la commission des sanctions de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) du 24 février 2021. L’ACPR a sanctionné ING Bank France pour avoir manqué à ses obligations en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes. Toutefois, cette décision a été rendue dans le cadre du contrôle des obligations de la banque par l’ACPR qui fait partie des autorités seules chargées d’assurer le contrôle des obligations précitées et de sanctionner leurs manquements.
Dans ces conditions, le moyen tiré du défaut de vigilance de la banque au titre du dispositif de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme sera rejeté.

3. Sur l’obligation de vigilance
L’article L. 133-6 du code monétaire et financier dispose qu’une opération de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à son exécution.
En application de l’article 1231-1 du code civil, le principe de la non-ingérence du banquier dans les affaires de son client cède devant son obligation de vigilance portant sur la régularité apparente du fonctionnement d’un compte.
Ainsi, dans l’hypothèse d’un virement autorisé, le banquier demeure tenu de contrôler la régularité de l’ordre de virement, afin de déceler toute anomalie tant matérielle qu'intellectuelle susceptible de l’affecter.
A défaut d’anomalies apparentes, intellectuelles ou matérielles, faisant naître à sa charge un devoir de vigilance l’obligeant à se rapprocher de son client aux fins de vérification de son consentement, le banquier teneur de compte n’a pas à s’immiscer dans les affaires de son client. Il ne saurait ainsi effectuer des recherches ou réclamer des justifications pour s’assurer que les opérations de son client, dont il n’a pas à rechercher la cause, sont opportunes et exemptes de danger.
En l’espèce, M. [V] dit avoir effectué treize virements dont il demande le remboursement.
Cependant, les relevés de compte qu’il fournit pour les mois de décembre 2016, mai 2017, août à novembre 2017, ne laissent apparaître que six virements :
- 4 404 euros le 21 août 2017 vers « UPAYCARDLTD »,
- 4 405 euros le 20 septembre 2017 vers « UPAYCARDLTD »,
- 4 262 euros le 24 octobre 2017 vers « BLUEDIAMS »,
- 4 752 euros le 18 octobre 2017 vers « BLUEDIAMS »,
- 5 000 euros le 11 octobre 2017 vers « BLUEDIAMS »,
- 4 664 euros le 16 novembre 2017 vers « BDL BLUES DIAMS LTD ».

Il n’est pas contesté que les virements ont été effectués conformément aux ordres donnés par M. [V].
Les relevés de compte de M. [V] montrent que le montant et la fréquence de ces virements étaient inhabituels, et que les sommes étaient importantes eu égard aux revenus mensuels de M. [V].
En outre, les virements ont été effectués à destination de l’étranger alors que M. [V] n’avait pas pour habitude d’effectuer des virements vers l’étranger.
Pour autant, le caractère inhabituel de ces virements ne saurait constituer une anomalie que la banque est tenue de déceler alors que M. [V] avait la libre disposition de ses fonds et que les virements ont été effectués alors que son compte était créditeur.
En outre, le fait que les virements fassent l’objet, comme l’allèguent les demandeurs, d’une demande d’enregistrement préalable, n’implique pas que la banque soit tenue de contrôler la finalité des virements.
L’obligation de la banque consistait en l’occurrence à assurer la bonne exécution des ordres de virement reçus et elle n’avait ni à en contrôler la finalité, ni à s’assurer de l’identité des destinataires en dehors des instructions reçues de son client.
Pour le banquier, non alerté par des éléments extérieurs tangibles, le simple caractère inhabituel d'une opération n'implique pas nécessairement qu'elle soit illicite ou frauduleuse.
Les demandeurs indiquent qu’ils ont été victimes de la structure BLUE DIAMS LIMITED. Cette structure figure sur la liste noire de l’Autorité des Marchés Financiers publiée le 24 juillet 2017 sous le nom de domaine : « www.bluediams.com ».
Il est établi que quatre virements, sur les treize allégués par M. [V], portent la mention « BLUE DIAMS ».
Dès lors, la banque avait connaissance du caractère potentiellement frauduleux du destinataire des virements ce qui justifiait de mener des investigations complémentaires et d’alerter son client.
En s’abstenant de le faire, la société ING Bank a manqué à son devoir de vigilance.
4. Sur le préjudice de M. [V]
Le préjudice subi par M. [V] s’évalue en termes de perte de chance, celle de ne pas réaliser les opérations frauduleuses.
La perte de chance de M. [V] s’est réalisée dès le 11 octobre 2017, lors du premier des quatre virements portant la mention « BLUE DIAMS » à partir duquel la société ING Bank aurait dû déceler une anomalie.
La réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne saurait être égale à l’avantage que lui aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée. M. [V] ne peut donc prétendre à l’indemnisation de la somme de 18 678 euros représentant les quatre virements portant la mention « BLUE DIAMS ».
Le nombre, la fréquence et le montant des virements effectués par M. [V] pour investir dans des diamants montrent qu’il était déterminé à effectuer des investissements de cette nature. Les alertes émises à destination des investisseurs par les autorités ne l’ont pas dissuadé de procéder à ces investissements risqués.
Il en résulte que la perte de chance de M. [V] doit être évaluée à 20%, de sorte que la société ING Bank sera condamnée à lui verser la somme de 3 735,60 euros en indemnisation de son préjudice résultant du manquement de la banque à son obligation de vigilance.
En revanche, M. [V] ne justifie d’aucun préjudice moral qui mériterait d’être réparé indépendamment du préjudice lié à la perte de chance et sera débouté de sa demande à ce titre.
5. Sur l’indemnisation de l’association ADC France
Le dispositif des conclusions de M. [V] et de l’association ADC France ne comporte aucune demande indemnitaire au profit de l’association ADC France.
Dès lors, il n’y a pas lieu de prononcer de condamnation à ce titre.
6. Sur les frais du procès
L’article 695 du code de procédure civile énumère les frais du procès qui entrent dans la catégorie des dépens. Il est de principe que les dépens sont à la charge de la partie perdante, conformément à l’article 696 du code de procédure civile.
Partie perdante au procès, la société ING Bank supportera la charge des dépens, conformément à l’article 696 du code de procédure civile, et ne peut prétendre à aucune somme sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La société ING Bank sera condamnée à payer à M. [V] une indemnité sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile dont le montant sera équitablement fixé à la somme de 3 000 euros.

7. Sur l’exécution provisoire
Les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire, en application de l’article 514 du code de procédure civile.
Le juge peut toutefois écarter l’exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire, conformément à l’article 514-1 du code de procédure civile.
Aucune circonstance du présent litige n’impose d’écarter l’exécution provisoire.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, mis à disposition au greffe et en premier ressort,
DÉCLARE irrecevable la demande de sursis à statuer aux fins de transmission d’une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union européenne présentée par M. [R] [V] et l’association ADC France ;
CONDAMNE la société ING Bank à verser à M. [R] [V] la somme de 3 735,60 euros en indemnisation de son préjudice résultant du manquement de la banque à son obligation de vigilance ;
DÉBOUTE M. [R] [V] de sa demande indemnitaire au titre du préjudice moral ;
CONDAMNE la société ING Bank aux entiers dépens ;
CONDAMNE la société ING Bank à payer à M. [R] [V] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toute autre demande plus ample ou contraire ;
RAPPELLE que le présent jugement est de droit exécutoire à titre provisoire.

Faite et rendue à Paris le 03 juillet 2024.
La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 9ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 22/14285
Date de la décision : 03/07/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 09/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-03;22.14285 ?
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