TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
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1/1/1 resp profess du drt
N° RG 22/02523 - N° Portalis 352J-W-B7G-CWEVO
N° MINUTE :
Assignation du :
15 Février 2022
JUGEMENT
rendu le 03 Juillet 2024
DEMANDERESSE
S.A. SERENIS ASSURANCES - IARD
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Maître Romain NORMAND, avocat au barreau de MELUN, vestiaire #M104
DÉFENDEUR
AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représenté par Maître Sophie SCHWILDEN, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS,vestiaire #139
MINISTÈRE PUBLIC
Monsieur Étienne LAGUARIGUE DE SURVILLIERS
Premier Vice-Procureur
Décision du 03 Juillet 2024
1/1/1 resp profess du drt
N° RG 22/02523 - N° Portalis 352J-W-B7G-CWEVO
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Monsieur Benoît CHAMOUARD, Premier vice-président adjoint,
Président de formation
Monsieur Éric MADRE, Juge
Madame Lucie LETOMBE, Juge
Assesseurs,
assistés de Samir NESRI, Greffier lors des débats et de Gilles ARCAS, Greffier lors du prononcé.
DEBATS
A l’audience du 05 Juin 2024, tenue en audience publique
JUGEMENT
- Contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
- Signé par Monsieur Benoît CHAMOUARD, Président, et par Monsieur Gilles ARCAS, Greffier lors du prononcé, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Entre le 14 et le 15 novembre 2018, Madame [T] [S] s'est vue dérober son véhicule immatriculé [Immatriculation 5].
Le 16 novembre 2018, Madame [T] [S] a déposé plainte pour le vol de son véhicule auprès de la gendarmerie de [Localité 9] - [Localité 8].
La société Serenis Assurances est devenue propriétaire dudit véhicule par application de la garantie vol du contrat d'assurance.
Le 24 octobre 2020, la gendarmerie de [Localité 9] a rédigé un procès-verbal de découverte-restitution de véhicule volé, exposant que le jour précédent le dépôt de la plainte, soit le 15 novembre 2018, une patrouille de gendarmerie était intervenue sur la commune de [Localité 6] à la suite d'un accident matériel, et que le véhicule avait été remorqué au Garage de [Localité 7].
Le 27 octobre 2020, le groupement Argos, organisme professionnel de l'assurance chargé notamment de rechercher, identifier et récupérer les véhicules déclarés volés, a informé de la découverte du véhicule la société Serenis Assurances, laquelle a récupéré le véhicule et réglé des frais de dépannage et gardiennage à hauteur de 13 134,60€.
Par acte du 15 février 2022, la société Serenis Assurances a fait assigner l'agent judiciaire de l'Etat aux fins de voir engager la responsabilité de l'Etat pour le placement d'un véhicule dans un garage, sans en avoir été informée, engendrant des frais de gardiennage.
Par ordonnance du 30 janvier 2023, le juge de ma mise en état, saisi d'une fin de non-recevoir soulevée par l'agent judiciaire de l'Etat, a déclaré recevable l'action engagée par la société Serenis Assurances.
Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées le 6 avril 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions la société Serenis Assurances demande au tribunal, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de :
- condamner l'agent judiciaire de l'Etat à lui payer la somme de 13 134,60 € au titre de son préjudice financier ;
- condamner le même à lui payer 3 240,00€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Elle explique que le 15 novembre 2018, les gendarmes n'ont pas prévenu la propriétaire du véhicule qu'ils avaient procédé à l'enlèvement de celui-ci, en dépit d'une procédure prévue par l'article R. 325-1 et suivants du code de la route. Elle soutient que les services de la gendarmerie ont commis plusieurs fautes en ne faisant pas le lien avec la plainte de vol déposée le lendemain de la découverte du véhicule, en confirmant que le véhicule était toujours volé le 17 avril 2020 alors qu'il aurait dû être détruit depuis longtemps, et en inscrivant une date de découverte erronée sur le procès-verbal.
Elle soutient que les fautes de la gendarmerie ont engendré un temps de gardiennage excessivement long, et qu'elle n'a pas à payer des frais qui ne lui incombent pas, en l'occurrence pour un montant de 13 134,60 €.
En réponse aux conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat, et s'agissant de la propriété du véhicule, elle rappelle qu'elle est une filiale de la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD et explique que le Cerfa de cession en date du 15 avril 2019 conclu entre la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD et Madame [T] [S] était affecté d'une erreur matérielle, la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD étant dépourvue de qualité pour conclure un tel acte, rendant ce dernier nul.
Elle soutient qu'en conséquence seul le second acte, conclu entre elle et Madame [T] [S] le 15 novembre 2019 possède une valeur juridique, précisant que c'est ensuite cette cession qui a fait l'objet d'une déclaration et d'un enregistrement le 22 mai 2020. Elle précise que c'est elle qui a écrit à la gendarmerie le 16 avril 2020, qui a été contactée par le groupement Argos le 29 octobre 2020, et qui a réglé les frais de gardiennage.
Sur l'information de la propriétaire, elle explique qu'il ne peut être valablement soutenu que Madame [T] [S] a été prévenue par les gendarmes, ceux-ci ne s'étant déplacés à son domicile qu'une seule fois et en son absence, sans laisser d'avis de passage. Elle ajoute que lors de la prise de plainte pour vol, aucune recherche n'a été effectuée pour savoir si le véhicule avait été placé en fourrière, et que ce manquement a été réitéré le 16 avril 2020, lorsqu'elle s'est rapprochée de la gendarmerie avant de se voir confirmer que le véhicule était toujours volé.
Dans ses conclusions récapitulatives notifiées le 14 mars 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, l'agent judiciaire de l'Etat sollicite le débouté de l'intégralité des demandes de la société Serenis Assurances.
Il affirme dans un premier temps que la demanderesse ne démontre pas être propriétaire du véhicule litigieux, expliquant qu'il résulte des pièces versées aux débat qu'une vente est intervenue antérieurement, le 15 avril 2019, entre Madame [T] [S] et la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD. Il développe en soutenant qu'au jour du second acte de vente intervenu le 15 novembre 2019, Madame [T] [S] qui n'avait plus la qualité du propriétaire du véhicule n'a pu transférer celle-ci à la société Serenis Assurances. Ainsi, il expose qu'en l'absence de preuve que la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD a transféré la propriété du bien à la société Serenis Assurances, sa demande n'est pas fondée.
Il explique que le véhicule a été retrouvé par les gendarmes et placé en fourrière avant qu'il ne soit déclaré volé par sa propriétaire le lendemain, précisant que ces derniers se sont déplacés le jour de la découverte, au domicile de sa propriétaire pour l'informer de cette découverte, laquelle n'a cependant pas répondu.
Il fait grief à la société Serenis Assurances d'avancer que la procédure à suivre était de nature administrative et que le véhicule aurait ainsi dû être détruit plutôt que placé en fourrière sans citer un quelconque fondement juridique, et sans apporter d'élément de nature à prouver que la conservation du véhicule en lieu et place d'une destruction est constitutive d'une faute.
En réponse aux conclusions adverses, il soutient que le procès-verbal de découverte, daté du 24 octobre 2020, indique bien que le véhicule a été trouvé le 15 novembre 2018, de sorte qu'il ne constitue aucunement un faux.
Il soutient qu'aucune faute lourde, seule de nature à permettre d'engager la responsabilité de l'Etat, n'est démontrée.
A titre subsidiaire, il conclut au rejet de la demande indemnitaire, au motif d'une part qu'en application des articles L. 325-1 et R. 325-12 et suivants du code de la route, les frais qui résultent de la mise en fourrière et de maintien dans un lieu désigné d'un véhicule en infraction incombent au propriétaire, et d'autre part qu'une partie des frais facturés ne sont pas liés au gardiennage du véhicule mais à son enlèvement et son placement en garage, lesquels sont liés à la découverte du véhicule accidenté et à son transport, et non à la faute lourde alléguée.
Par avis du 4 juin 2023, le Ministère public expose qu'il n'est pas établi que le propriétaire du véhicule ait été informé par les services de police pour qu'il soit procédé à la restitution dans les meilleurs délais, et considère qu'un dysfonctionnement du service public de la justice est ainsi caractérisé, ouvrant droit à réparation pour la société Serenis Assurances entre le 15 novembre 2019 - date à partir de laquelle elle justifie être devenue propriétaire du véhicule - et le 24 octobre 2020, date du procès-verbal de découverte et restitution.
L'ordonnance de clôture a été rendue par le juge de la mise en état le 28 août 2023.
A l'audience du 5 juin 2024, l'affaire a été mise en délibéré au 3 juillet 2024.
MOTIFS
Sur la demande principale à l'encontre de l'État, représenté par l'agent judiciaire de l'État :
Aux termes de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, l'État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.
Cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.
La faute lourde s'entend de toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.
Par ailleurs, l'article L. 325-1 du code de la route dispose que : " Les véhicules dont la circulation ou le stationnement en infraction aux dispositions du présent code ou aux règlements de police ou à la réglementation relative à l'assurance obligatoire des véhicules à moteur ou à la réglementation du transport des marchandises dangereuses par route compromettent la sécurité ou le droit à réparation des usagers de la route, la tranquillité ou l'hygiène publique, l'esthétique des sites et des paysages classés, la conservation ou l'utilisation normale des voies ouvertes à la circulation publique et de leurs dépendances, notamment par les véhicules de transport en commun peuvent à la demande et sous la responsabilité du maire ou de l'officier de police judiciaire territorialement compétent, même sans l'accord du propriétaire du véhicule, dans les cas et conditions précisés par le décret prévu aux articles L. 325-3 et L. 325-11, être immobilisés, mis en fourrière, retirés de la circulation et, le cas échéant, aliénés ou livrés à la destruction.
Peuvent également, à la demande et sous la responsabilité du maire ou de l'officier de police judiciaire territorialement compétent, même sans l'accord du propriétaire du véhicule, être immobilisés, mis en fourrière, retirés de la circulation et, le cas échéant, aliénés ou livrés à la destruction les véhicules qui, se trouvant sur les voies ouvertes à la circulation publique ou sur leurs dépendances, sont privés d'éléments indispensables à leur utilisation normale et insusceptibles de réparation immédiate à la suite de dégradations ou de vols.
L'immobilisation des véhicules se trouvant dans l'une des situations prévues aux deux alinéas précédents peut également être décidée, dans la limite de leur champ de compétence, par les agents habilités à constater les infractions au présent code susceptibles d'entraîner une telle mesure. "
Aux termes du I de l'article R. 325-12 du même code, " la mise en fourrière est le transfert d'un véhicule en un lieu désigné par l'autorité administrative ou judiciaire en vue d'y être retenu jusqu'à décision de celle-ci, aux frais du propriétaire de ce véhicule. "
L'article R. 325-13 du code de la route précise que toute prescription de mise en fourrière est précédée d'une vérification tendant à déterminer s'il s'agit d'un véhicule volé et que lorsque le résultat de cette vérification est positif, le propriétaire et son assureur sont immédiatement informés de la découverte du véhicule, le véhicule étant alors confié au gardien de fourrière à titre conservatoire en attendant que le propriétaire ou l'assureur se manifeste.
Enfin, l'article R. 325-31 alinéa 1er du code de la route, dans sa version applicable à l'espèce, issue du décret n° 2009-136 du 9 février 2009, dispose que la mise en fourrière est notifiée par l'auteur de la mesure à l'adresse relevée, soit sur le traitement automatisé mis en œuvre pour l'immatriculation des véhicules, soit sur le procès-verbal d'infraction ou le rapport de mise en fourrière.
L'article R. 325-32 du même code précise notamment que cette notification s'effectue par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception, dans le délai maximal de cinq jours ouvrables suivant la mise en fourrière du véhicule, qu'il y est joint un double de la fiche descriptive de l'état du véhicule mis en fourrière en cas d'absence du propriétaire ou du conducteur au moment de l'enlèvement pour mise en fourrière, et que cette notification comporte notamment une mise en demeure au propriétaire de retirer son véhicule dans un certain délai.
En l'espèce, il ressort d'un récépissé de déclaration d'achat en date du 22 mai 2020, que la société Serenis Assurances est devenue propriétaire le 15 avril 2019 du véhicule litigieux.
Il ressort des pièces produites aux débats, notamment le procès-verbal de découverte établi le 24 octobre 2020 et un procès-verbal de renseignement judiciaire en date du 28 octobre 2020, que le véhicule volé a été retrouvé accidenté dès le 15 novembre 2018, date corroborée par la date figurant sur la facture de remorquage et de gardiennage, et que le véhicule n'avait donc pas encore été déclaré volé au jour de sa mise en fourrière, de sorte que les dispositions précitées de l'article R. 325-13 du code de la route n'étaient pas applicable en l'espèce.
En revanche, l'agent judiciaire de l'État ne démontre pas que la mise en fourrière ait été notifiée par l'auteur de la mesure au propriétaire du véhicule, dans les cinq jours, par lettre recommandée avec accusé de réception, en application des dispositions de l'article R. 325-32 du code de la route.
Ce manquement traduit l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il était investi et caractérise ainsi une faute lourde commise au détriment de la société Serenis Assurances.
Pour établir son préjudice, la demanderesse produit une facture émise par la société Garage de [Localité 7] en date du 29 octobre 2020 et portant sur les frais de remorquage et de gardiennage du 15 novembre 2018 au 29 octobre 2020.
Toutefois, l'article R. 325-29 du code de la route prévoit notamment que le propriétaire du véhicule est tenu de rembourser les frais d'enlèvement ainsi que, le cas échéant, les frais de garde en fourrière et de vente ou de destruction du véhicule.
Il en résulte que doivent demeurer à la charge du propriétaire les frais de remorquage et les frais de gardiennage afférents à la période postérieure à la décision de restitution, intervenue le 24 octobre 2020.
En conséquence, il convient de condamner l'État, représenté par l'agent judiciaire de l'État, à payer à la société Serenis Assurances à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel la somme TTC de 12 744,00 €, correspondant aux frais de gardiennage du 15 novembre 2018 au 29 octobre 2020 inclus, le surplus de la demande étant rejeté.
En application des dispositions de l'article 1231-7 du code civil, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision.
Sur les demandes accessoires :
L'État, représenté par l'agent judiciaire de l'État, partie perdante, est condamné aux dépens, en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
Enfin, compte tenu de la durée de l'instance et des démarches judiciaires qu'a dû accomplir la partie demanderesse, sur la base des factures, l'État, représenté par l'agent judiciaire de l'État, est condamné à verser à la société Serenis Assurances la somme de 2 669,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, le surplus de la demande formée à ce titre étant rejeté, s'agissant d'un préjudice futur et incertain.
Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe à la date indiquée à l'issue des débats en audience publique en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,
Condamne l'État, représenté par l'agent judiciaire de l'État, à payer à la société Serenis Assurances, à titre de dommages et intérêts, la somme de 12 744,00 €, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement ;
Condamne l'État, représenté par l'agent judiciaire de l'État, aux dépens;
Condamne l'État, représenté par l'agent judiciaire de l'État, à payer à la société Serenis Assurances la somme de 2 669,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rappelle que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Fait et jugé à Paris le 03 Juillet 2024
Le GreffierLe Président
G. ARCASB. CHAMOUARD