TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
■
1/1/1 resp profess du drt
N° RG 22/00162
N° Portalis 352J-W-B7G-CVWGB
N° MINUTE :
Assignations du :
09 Décembre 2021
17 Décembre 2021
JUGEMENT
rendu le 03 Juillet 2024
DEMANDERESSE
S.A. Les Assurances du Crédit Mutuel - IARD
[Adresse 3]
[Localité 5]
représentée par Maître Romain NORMAND, avocat au barreau de MELUN, vestiaire #
DÉFENDEUR
AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT
[Adresse 9]
[Adresse 4]
[Localité 7]
représentée par Me Benoît CHABERT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #A0039
Monsieur le Ministre de la Justice
[Adresse 2]
[Localité 6]
Non représenté
Décision du 03 Juillet 2024
1/1/1 resp profess du drt
N° RG 22/00162 - N° Portalis 352J-W-B7G-CVWGB
Mairie du [Localité 10]
[Adresse 1]
[Localité 10]
représentée par Maître Julie NGUYEN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #E0601
MINISTÈRE PUBLIC
Monsieur Étienne LAGUARIGUE DE SURVILLIERS
Premier Vice-Procureur
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Monsieur Benoît CHAMOUARD, Premier vice-président adjoint,
Président de formation
Monsieur Éric MADRE, Juge
Madame Lucie LETOMBE, Juge
Assesseurs,
assistés de Samir NESRI, Greffier lors des débats et de Gilles ARCAS, Greffier lors du prononcé
DEBATS
A l’audience du 05 Juin 2024, tenue en audience publique
JUGEMENT
- Contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
- Signé par Monsieur Benoît CHAMOUARD, Président, et par Monsieur Gilles ARCAS, Greffier lors du prononcé, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Le 20 juin 2019, la police municipale du [Localité 10] a constaté le stationnement gênant d'un véhicule Citroën C4 immatriculé [Immatriculation 11] appartenant à Monsieur [O] [D] [S] avant de procéder à sa mise en fourrière. Le véhicule a été immobilisé dans le parc de la société Garage Nonneville Dépannage, fourrière à [Localité 8].
Le 22 juin 2019, Monsieur [D] [S] a déposé plainte auprès du commissariat du [Localité 10] pour le vol de son véhicule Citroën C4 immatriculé [Immatriculation 11]. L'agent de police judiciaire recevant la plainte lui a affirmé par erreur que le véhicule n'avait pas fait l'objet d'une mise en fourrière.
La société Assurances du Crédit Mutuel - IARD est devenue propriétaire du véhicule, en application de la garantie vol du contrat d'assurance de Monsieur [D] [S] puis, le 30 juillet 2019, l'assureur a réglé à son client la somme de 11 250,00€, en réparation du préjudice subi.
Le 13 janvier 2021, le groupement Argos, organisme professionnel de l'assurance chargé notamment de rechercher, identifier et récupérer les véhicules déclarés volés, a informé la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD que ledit véhicule se trouvait dans le garage Nonneville Dépannage depuis le 20 juin 2019, ayant été enlevé à la demande de la police municipale de [Localité 10].
A compter du 18 mars 2021, la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD a sollicité auprès de divers services la restitution du véhicule. La société Garage Nonneville Dépannage lui a réclamé des frais de gardiennage et a refusé de restituer le véhicule en l'absence d'un procès-verbal de découverte-restitution.
Par la suite, le groupement Argos a notamment informé la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD que le véhicule n'avait pas été remis aux domaines.
Par courrier de son conseil en date du 1er juillet 2021, reçu le 6 juillet 2021, la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD a mis en demeure le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bobigny aux fins d'obtenir la restitution du véhicule et l'indication sur le procès-verbal que les frais de gardiennage étaient à la charge de l'Etat jusqu'à la date du procès-verbal.
Le 13 août 2021, l'officier du ministère public près du tribunal de police de Bobigny s'est déclaré incompétent au profit de la Préfecture de Seine Saint Denis, puis par courrier recommandé de son conseil en date du 30 août 2021, reçu le 2 septembre 2021, la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD a mis cette dernière en demeure.
Par actes des 9 et 17 décembre 2021, la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD, a fait assigner l'agent judiciaire de l'Etat, le ministre de la Justice et la commune du [Localité 10], sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, dénonçant notamment l'absence de restitution d'un véhicule placé en fourrière.
Par ordonnance du 30 janvier 2023, le juge de la mise en état a notamment rejeté l'exception d'incompétence soulevée par la commune du [Localité 10] et déclaré recevable l'action engagée par la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD.
Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées le 1er août 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD demande au tribunal, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, de :
- constater son désistement à l'égard du ministre de la Justice ;
- débouter l'agent judiciaire de l'Etat de l'ensemble de ses demandes à l'exception de celle visant la mise hors de cause du ministre de la Justice ;
- débouter la commune du [Localité 10] de l'ensemble de ses demandes;
- condamner solidairement l'agent judiciaire de l'Etat et la commune du [Localité 10] à lui payer la somme de 11 500,00 € au titre du préjudice financier ;
- condamner solidairement l'agent judiciaire de l'Etat et la commune du [Localité 10] au titre des dommages et intérêts, à la valeur du véhicule au jour du procès-verbal de restitution ;
- condamner solidairement l'agent judiciaire de l'Etat et la commune du [Localité 10] au paiement des frais de gardiennage une fois le véhicule restitué ;
- condamner solidairement l'agent judiciaire de l'Etat et la commune du [Localité 10] à lui payer la somme de 3 240,00 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens en ce compris les dépens de l'incident.
Sur les fautes dénoncées, elle explique que le véhicule déclaré volé avait été enlevé deux jours auparavant pour stationnement gênant ; que la procédure de fourrière prévue aux articles L. 325-1 et suivant du code de la route trouvait à s'appliquer ; que cependant le propriétaire n'a nullement été informé que son véhicule avait été laissé en fourrière et qu'il lui appartenait de le récupérer ; que dès lors, les services de l'État et/ou la police municipale du [Localité 10] ont commis une faute à l'origine de son préjudice, puisque si la procédure avait été suivie, le véhicule ne serait plus en fourrière. Elle précise que ni la police municipale, ni la police nationale n'a accepté de rédiger un procès-verbal de découverte-restitution, de telle sorte que le véhicule est toujours chez le fouriériste, et que les frais continuent à courir. Elle conclut que l'agent judiciaire de l'Etat et la commune du [Localité 10] ont ainsi commis une faute conjointe.
Au titre de ses préjudices, elle expose que la valeur du véhicule - en parfait état - a été évaluée par un expert à hauteur de 11 500,00 €, et que cette évaluation est corroborée par une évaluation réalisée sur le site internet La Centrale.
Elle sollicite également le versement de dommages et intérêt en expliquant que la valeur actuelle du véhicule n'est pas évaluable, le procès-verbal n'étant pas rédigé et le véhicule se dépréciant, nécessitant potentiellement des frais de remise en service importants.
Elle demande également la condamnation solidaire des défenderesses au paiement de frais de gardiennage, conséquence directe et certaine de leurs fautes communes.
En réponse aux conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat, elle explique notamment que, même à considérer que la police nationale n'a pas commis de faute le jour de la prise de plainte pour vol, elle n'a pas, depuis lors, rédigé le procès-verbal de découverte restitution qui solutionnerait la présente affaire.
En réponse aux conclusions de la commune du [Localité 10], elle soutient que la police municipale est compétente pour traiter une telle demande, verse un échange de courriels avec la préfecture à l'appui de son affirmation, et soutient que la police municipale n'a jamais transmis le dossier à cette dernière, raison pour laquelle elle ne peut restituer le véhicule
Elle précise enfin que le véhicule n'a pas été vendu par la direction nationale d'interventions domaniales.
Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées le 22 juillet 2022, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, la commune du [Localité 10], prise en la personne de son maire demande au tribunal de :
à titre principal :
- débouter la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD de l'intégralité de ses demandes dirigées à son encontre ;
- condamner cette dernière à lui payer la somme de 4 000,00 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile;
- condamner la même aux entiers dépens avec droit de recouvrement à la charge du créancier fixé par le décret n° 2016-230 du 26 février 2016 et par l'arrêté du 26 février 2016 si dans le délai d'un mois de la signification de la décision ;
- ordonner l'exécution provisoire ;
à titre subsidiaire :
- débouter la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD de sa demande de condamnation sous astreinte à restituer le véhicule ;
- débouter la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD de l'intégralité de ses demandes indemnitaires ;
- réduire à de plus justes proportions la demande formulée par la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouter la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD de sa demande formulée au titre des dépens ;
- écarter l'exécution provisoire.
A titre principal, elle explique n'avoir aucune compétence pour ordonner la restitution du véhicule par la société Garage Nonneville Dépannage d'[Localité 8], seul le service fourrière de la préfecture de Seine-Saint-Denis étant compétent ; que ce dernier n'a pas fait droit à la demande de la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD, qui n'était plus propriétaire du véhicule, celui-ci ayant fait l'objet d'un classement auprès des services des domaines non-contesté par l'assureur, en dépit d'une invitation faite en ce sens par le groupement Argos dès le 13 janvier 2021.
Elle ajoute que la mauvaise information apportée par le gardien de la paix lors du dépôt de plainte ne peut en aucun cas engager sa responsabilité, aucune faute ne pouvant lui être reprochée sur le fondement de l'article 1240 du code civil et que c'est à bon droit que la police municipale a procédé à la mise en fourrière du véhicule, faisant l'objet d'un stationnement gênant depuis près d'une semaine.
A titre subsidiaire, elle soutient que la condamnation à restituer le véhicule sous astreinte ne saurait être prononcée dès lors que la fourrière ne s'exécutera pas en l'absence d'instruction des services de la direction nationale d'interventions domaniales.
Elle conclut au rejet des demandes indemnitaires de la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD, dès lors que :
- le préjudice de frais de gardiennage du véhicule ne lui est pas imputable, Monsieur [D] [S] ayant fait sciemment le choix de stationner son véhicule en violation des dispositions du code de la route et étant dès lors tenu de régler ces frais, conformément aux articles L. 325-1 et R. 325-12 dudit code ; qu'en tout état de cause, ceux-ci ne sont fondés ni dans leur principe ni dans leur ampleur, leur montant étant inconnu ;
- les prétendus frais de remise en état du véhicule ne sont aucunement justifiés par la demanderesse et résultent exclusivement d'une évaluation forfaire, laquelle est prohibée par la jurisprudence ;
- aucune résistance abusive de sa part n'est démontrée.
Dans ses conclusions récapitulatives notifiées le 5 juin 2023, auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions, l'agent judiciaire de l'Etat demande au tribunal de :
- débouter la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD de ses demandes indemnitaires au titre de la réparation de l'ensemble de ses préjudices et de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD à lui payer 1 000,00€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Sur la faute, il rappelle que la décision de mettre le véhicule en fourrière était fondée sur l'article L. 325-1 du code de la route, motivée par la constatation d'un stationnement gênant, et mise en œuvre par le maire en sa qualité d'officier de police judiciaire. Il estime que l'origine du préjudice allégué provient de cette opération de police judiciaire, mais que le commissariat n'a pas été avisé de l'enlèvement du véhicule, bien qu'ayant procédé aux vérifications requises lors du dépôt de plainte, de sorte qu'aucune faute lourde dans le fonctionnement du service public de la justice n'est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat.
S'agissant des préjudices qu'il estime ne pas être justifiés, il expose :
- que le préjudice financier évalué à 11 500,00€ correspond à la valeur du véhicule estimée par un expert en juillet 2019 au seul vu des pièces produites par l'assureur, et sans constatation faite sur le véhicule lui-même ; qu'en outre, octroyer cette somme à la demanderesse en complément de la restitution du véhicule reviendrait à procéder à une double indemnisation de son dommage ;
- qu'aucune facture n'est produite aux fins de justifier des frais afférents au gardiennage du véhicule ; que la demanderesse ne peut prétendre à être indemnisée d'un préjudice futur et incertain ; que sa demande est donc prématurée ;
- que la demanderesse ne prouve pas davantage la réalité des frais de remise en état du véhicule, ce préjudice n'étant qu'hypothétique dès lors qu'aucun document n'atteste de la nécessité d'une révision totale de celui-ci ; qu'en outre, octroyer une somme sur ce fondement en complément de la restitution du véhicule reviendrait à procéder à une double indemnisation du dommage.
Le ministre de la Justice n'a pas constitué avocat.
Par avis du 4 juin 2023, le ministère public expose d'une part, que le placement en fourrière a été initié et réalisé par les agents de la police municipale, agissant sous la responsabilité du maire, lesquels ont omis de reporter sans délai ce placement dans les fichiers ad hoc et d'en informer le propriétaire. Il estime que ces fautes apparaissent être à l'origine de l'erreur réalisée au moment du dépôt de plainte de sorte que la responsabilité incombe en premier lieu à la commune.
Il estime d'autre part que les enquêteurs, chargés d'une plainte pour vol de véhicule, n'auraient pas réalisé de sérieuses investigations sur la situation du véhicule au moment du dépôt de plainte ou par la suite, ni apporté une réponse adéquate aux sollicitations de la demanderesse.
Il conclut à un partage de responsabilité commune/Etat à hauteur de 75/25 % et estime que les préjudices ont pris fin le 13 janvier 2021, la demanderesse ayant à cette date été mise en mesure de contacter le service des domaines pour revendiquer la restitution du véhicule.
L'ordonnance de clôture a été rendue par le juge de la mise en état le 28 août 2023.
A l'issue de l'audience du 5 juin 2024, l'affaire a été mise en délibéré au 3 juillet 2024.
MOTIFS
Sur le " désistement " à l'encontre du ministre de la Justice :
Aux termes de l'article 394 du code de procédure civile, le demandeur peut, en toute matière, se désister de sa demande en vue de mettre fin à l'instance.
L'article 395 du même code précise que le désistement n'est parfait que par l'acceptation du défendeur, l'acceptation n'étant toutefois pas nécessaire si le défendeur n'a présenté aucune défense au fond ou fin de non-recevoir au moment où le demandeur se désiste.
Par ailleurs, l'article 38 de la loi n° 55-366 du 3 avril 1955 prévoit que toute action portée devant les tribunaux de l'ordre judiciaire tendant à faire déclarer l'État créancier ou débiteur pour des causes étrangères à l'impôt et au domaine doit, sauf exception prévue par la loi, être intentée à peine de nullité par ou contre l'agent judiciaire de l'État.
Enfin, aux termes de l'article 12 alinéa 2 du code de procédure civile, le juge doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s'arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.
En l'espèce, la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD indique se désister de son action à l'encontre du ministre de la Justice et ce dernier, qui n'a pas constitué avocat, n'a formulé aucune défense au fond ou fin de non-recevoir, ni aucune demande reconventionnelle.
Or, le présent litige tend notamment à voir, devant un tribunal judiciaire, déclarer l'État débiteur d'une indemnisation à l'égard de la société demanderesse, à l'exclusion de toute autre demande formée à l'encontre de l'Etat.
Dès lors que le ministère de la Justice ne dispose pas d'une personnalité juridique propre, qui serait distincte de celle de l'Etat, et que la société demanderesse maintient ses demandes à l'encontre de celui-ci, représenté à la présente instance par son agent judiciaire, il n'y a pas lieu de constater de désistement à l'encontre du ministre de la Justice.
Sur les demandes principales :
Aux termes de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, l'État est tenu de réparer le dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice.
Cette responsabilité n'est engagée que par une faute lourde ou par un déni de justice.
La faute lourde s'entend de toute déficience caractérisée par un fait ou une série de faits traduisant l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il est investi.
Par ailleurs, l'article L. 325-1 du code de la route dispose que : " Les véhicules dont la circulation ou le stationnement en infraction aux dispositions du présent code ou aux règlements de police ou à la réglementation relative à l'assurance obligatoire des véhicules à moteur ou à la réglementation du transport des marchandises dangereuses par route compromettent la sécurité ou le droit à réparation des usagers de la route, la tranquillité ou l'hygiène publique, l'esthétique des sites et des paysages classés, la conservation ou l'utilisation normale des voies ouvertes à la circulation publique et de leurs dépendances, notamment par les véhicules de transport en commun peuvent à la demande et sous la responsabilité du maire ou de l'officier de police judiciaire territorialement compétent, même sans l'accord du propriétaire du véhicule, dans les cas et conditions précisés par le décret prévu aux articles L. 325-3 et L. 325-11, être immobilisés, mis en fourrière, retirés de la circulation et, le cas échéant, aliénés ou livrés à la destruction.
Peuvent également, à la demande et sous la responsabilité du maire ou de l'officier de police judiciaire territorialement compétent, même sans l'accord du propriétaire du véhicule, être immobilisés, mis en fourrière, retirés de la circulation et, le cas échéant, aliénés ou livrés à la destruction les véhicules qui, se trouvant sur les voies ouvertes à la circulation publique ou sur leurs dépendances, sont privés d'éléments indispensables à leur utilisation normale et insusceptibles de réparation immédiate à la suite de dégradations ou de vols.
L'immobilisation des véhicules se trouvant dans l'une des situations prévues aux deux alinéas précédents peut également être décidée, dans la limite de leur champ de compétence, par les agents habilités à constater les infractions au présent code susceptibles d'entraîner une telle mesure. "
Aux termes du I de l'article R. 325-12 du même code, " la mise en fourrière est le transfert d'un véhicule en un lieu désigné par l'autorité administrative ou judiciaire en vue d'y être retenu jusqu'à décision de celle-ci, aux frais du propriétaire de ce véhicule. "
Il résulte des articles L. 325-1 et L. 417-1 du code de la route qu'une demande tendant à ce que des véhicules illégalement stationnés sur une dépendance du domaine public routier soient enlevés et mis en fourrière vise à la mise en œuvre de pouvoirs de police judiciaire (Conseil d'État, 11 mai 2021, n° 447948).
L'article R. 325-31 alinéa 1er du code de la route, dans sa version applicable à l'espèce, issue du décret n° 2009-136 du 9 février 2009, dispose que la mise en fourrière est notifiée par l'auteur de la mesure à l'adresse relevée, soit sur le traitement automatisé mis en œuvre pour l'immatriculation des véhicules, soit sur le procès-verbal d'infraction ou le rapport de mise en fourrière.
L'article R. 325-32 du même code précise notamment que cette notification s'effectue par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception, dans le délai maximal de cinq jours ouvrables suivant la mise en fourrière du véhicule, qu'il y est joint un double de la fiche descriptive de l'état du véhicule mis en fourrière en cas d'absence du propriétaire ou du conducteur au moment de l'enlèvement pour mise en fourrière, et que cette notification comporte notamment une mise en demeure au propriétaire de retirer son véhicule dans un certain délai.
En l'espèce, dès lors qu'elle a procédé à la mise en fourrière du véhicule litigieux, après avoir constaté son stationnement gênant, la police municipale du [Localité 10] a agi à l'occasion de la constatation d'une infraction à la loi pénale et de la recherche de son auteurs effectuées en application des dispositions des articles 12 et 21 du code de procédure pénale, dans le cadre d'une opération de police judiciaire, de sorte que l'action en responsabilité fondée sur les irrégularités dont serait entachée la mise en fourrière doit être dirigée contre l'Etat et non contre la commune.
En conséquence, il convient de rejeter intégralement les demandes formées à l'encontre de la commune du [Localité 10].
Par ailleurs, il ressort de la lecture combinée de la fiche d'enlèvement du véhicule en date du 20 juin 2019, du procès-verbal de dépôt de plainte en date du 22 juin 2019 et d'une attestation en date du 21 février 2022 du commissaire de police du [Localité 10] que l'indication à Monsieur [D] [S] que son véhicule Citroën C4 immatriculé [Immatriculation 11] n'avait pas fait l'objet d'une mise en fourrière était erronée en raison d'un défaut de mention de ce placement en fourrière dans le registre manuscrit ouvert à cet effet.
En outre, l'agent judiciaire de l'État ne démontre pas que la mise en fourrière ait été notifiée par l'auteur de la mesure au propriétaire du véhicule, dans les cinq jours, par lettre recommandée avec accusé de réception, en application des dispositions précitées de l'article R. 325-32 du code de la route.
De même, l'agent judiciaire de l'État ne justifie pas qu'un procès-verbal de restitution ait été établi, ni une décision de mainlevée de la mise en fourrière en application de l'article R. 325-38 du code de la route.
Ces manquements traduisent l'inaptitude du service public de la justice à remplir la mission dont il était investi et caractérisent ainsi une faute lourde commise au détriment de la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD, propriétaire du véhicule par l'effet de l'acte de cession produit aux débats.
Il résulte du principe de la réparation intégrale du préjudice que les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi, sans qu'il en résulte pour elle ni perte, ni profit.
S'agissant de ses préjudices, la société demanderesse sollicite en même temps une indemnisation à hauteur de la valeur vénale du véhicule lors de son placement en fourrière, à hauteur de sa valeur au jour du procès-verbal de restitution et à hauteur des frais de gardiennage " une fois le véhicule restitué "
A cet égard, dès lors que le véhicule litigieux n'a pas été restitué, il convient d'octroyer à la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD, à titre de dommages et intérêts, la somme de 11 500,00 €, correspondant à la valeur vénale TTC du véhicule établie, à défaut d'élément contraire, par l'expert amiable Idea Grand Ouest, corroborée par la cote argus dudit véhicule.
En revanche, doivent être rejetées les demandes portant sur la valeur vénale du véhicule au jour du procès-verbal de restitution, un même préjudice ne pouvant être réparé deux fois, et sur des frais de gardiennage, en l'absence de preuve que de tels frais aient été supportés par la demanderesse, ces demandes présentant de surcroît des caractères incertain et indéterminé.
En conséquence, il convient de condamner l'État, représenté par l'agent judiciaire de l'État, à payer à la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel la somme totale TTC de 11 500,00 €.
En application des dispositions de l'article 1231-7 du code civil, cette somme portera intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision.
Sur les demandes accessoires :
L'article 696 alinéa 1er du code de procédure civile dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.
En l'espèce, dès lors que la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD et l'État, représenté par l'agent judiciaire de l'État, succombent chacun partiellement à l'instance, il convient de laisser à la charge de la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD les frais et dépens de l'instance l'ayant opposée à la commune du [Localité 10], en ce compris les dépens de l'incident, et de condamner l'État, représenté par l'agent judiciaire de l'État, à supporter le surplus des dépens de l'instance.
Enfin, compte tenu de la durée de l'instance et des démarches judiciaires qu'a dû accomplir la partie demanderesse, l'État, représenté par l'agent judiciaire de l'État, est condamné à verser à la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD la somme de 2 640,00 € TTC sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, sur la base d'une facture produite aux débats, le surplus étant rejeté, s'agissant d'un préjudice futur et incertain ou des frais d'incident sans lien avec la responsabilité de l'Etat.
Il convient en outre de condamner la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD à payer à la commune du [Localité 10] la somme de 3 000,00 € sur le même fondement.
Aux termes de l'article 514 du code de procédure civile, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n'en dispose autrement.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe à la date indiquée à l'issue des débats en audience publique en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,
Rejette les demandes formées à l'encontre de la commune du [Localité 10] ;
Condamne l'État, représenté par l'agent judiciaire de l'État, à payer à la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD, à titre de dommages et intérêts, la somme de 11 500,00 €, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement ;
Condamne la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD à supporter les dépens de l'instance l'ayant opposée à la commune du [Localité 10], en ce compris les dépens de l'incident ;
Condamne l'État, représenté par l'agent judiciaire de l'État, à supporter le surplus des dépens de l'instance ;
Condamne la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD à payer à la commune du [Localité 10] la somme de 3 000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne l'État, représenté par l'agent judiciaire de l'État, à payer à la société Assurances du Crédit Mutuel - IARD la somme de 2 640,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rappelle que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Fait et jugé à Paris le 03 Juillet 2024
Le GreffierLe Président
G. ARCASB. CHAMOUARD