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02/07/2024 | FRANCE | N°24/03298

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 1/4 social, 02 juillet 2024, 24/03298


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le :




1/4 social

N° RG 24/03298
N° Portalis 352J-W-B7I-C4KOZ


N° MINUTE :


Admission partielle
E.D

Assignation du :
15 Février 2024






JUGEMENT
rendu le 02 Juillet 2024
DEMANDERESSE

Fédération des Services CFDT
pris en la personne de Madame [L] [J], secrétaire générale
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Maître Jonathan CADOT de la SELARL LEPANY & ASSOCIES, av

ocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0222


DÉFENDERESSES

E.U.R.L. APPLE RETAIL FRANCE
[Adresse 4]
[Adresse 4]

représentée par Maître Guillaume BORDIER et par Maître Camille SPARFEL, a...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le :

1/4 social

N° RG 24/03298
N° Portalis 352J-W-B7I-C4KOZ

N° MINUTE :

Admission partielle
E.D

Assignation du :
15 Février 2024

JUGEMENT
rendu le 02 Juillet 2024
DEMANDERESSE

Fédération des Services CFDT
pris en la personne de Madame [L] [J], secrétaire générale
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Maître Jonathan CADOT de la SELARL LEPANY & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #R0222

DÉFENDERESSES

E.U.R.L. APPLE RETAIL FRANCE
[Adresse 4]
[Adresse 4]

représentée par Maître Guillaume BORDIER et par Maître Camille SPARFEL, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #K0020

Fédération CFTC- Commerce, Services et Force de Vente (CFTC CSFV)
[Adresse 5]
[Adresse 5]

représentée par Maître Catherine BARASSI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0258

Décision du 02 Juillet 2024
1/4 social
N° RG 24/03298
N° Portalis 352J-W-B7I-C4KOZ

Fédération CGT des Personnels du Commerce, de la Distribution et des Services
[Adresse 3]
[Adresse 3]

défaillante

Fédération Commerces et Services UNSA
[Adresse 2]
[Adresse 2]

défaillante

INTERVENANT VOLONTAIRE

Syndicat L’UNION SYNDICALE CGT DU COMMERCE, DE LA DISTRIBUTION ET DES SERVICES DE [Localité 7]
[Adresse 6]
[Adresse 6]

représenté par Maître Marie-Sophie VINCENT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E1858

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Catherine DESCAMPS, 1er Vice-Président
Emmanuelle DEMAZIERE, Vice-présidente
Paul RIANDEY, Vice-président

assistés de Elisabeth ARNISSOLLE, Greffier,

DÉBATS

A l’audience du 14 Mai 2024 tenue en audience publique devant Emmanuelle DEMAZIERE, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition
Réputé contradictoire
En premier ressort

Décision du 02 Juillet 2024
1/4 social
N° RG 24/03298
N° Portalis 352J-W-B7I-C4KOZ

EXPOSE DU LITIGE

La société APPLE RETAIL FRANCE est spécialisée dans le commerce des produits de la marque Apple dans des magasins spécialisés. En octobre 2022, son effectif était de 2.379 salariés répartis au sein de différents magasins en France.

Elle applique la convention collective nationale des entreprises du bureau et du numérique.

L’accord collectif du 1er juillet 2019 relatif à la structure et au fonctionnement du Comité Social et Economique (CSE) prévoyait la mise en place d’un CSE national composé de vingt -trois membres titulaires et de vingt- trois membres suppléants, une Commission Santé Sécurité et Conditions de Travail nationale (CSSCT) composée de neuf membres, huit commissions du CSE, trois CSSCT régionales composées chacune de six membres, des représentants de proximité répartis au sein des différentes régions  dont le nombre devait être d’au moins un par magasin et de deux en l’absence d’élu au CSE dans le magasin.

Le 5 avril 2022, elle a engagé de nouvelles négociations avec les organisations syndicales représentatives en vue de réviser les dispositions de cet accord.

Le 30 mai 2022, elle a dénoncé cet accord.

Un procès-verbal de désaccord a été formalisé par la société APPLE RETAIL FRANCE le 9 août 2023, lequel n’a pas été signé par les organisations syndicales.

Parallèlement, des élections en vue du renouvellement des instances représentatives du personnel ont été organisées en octobre 2022.

A la suite de ces élections, des représentants de proximité ont été désignés dans les différentes boutiques d’ APPLE RETAIL FRANCE lors de la réunion du CSE du 23 février 2023.

Lors d’une réunion du CSE du 31 août 2023, la société APPLE RETAIL FRANCE a indiqué que le délai de survie de l’accord relatif à la structure et au fonctionnement du CSE du 1er juillet 2019 avait pris fin et qu’en conséquence, en l’absence d’accord de substitution, les mandats de représentants de proximité, les CSSCT régionales et les commissions non obligatoires crées par l’accord étaient supprimées.

Les organisations syndicales ont saisi l’inspection du travail qui a émis un avis sur les conséquences de la dénonciation de l’accord collectif.

Par ordonnance du 13 février 2024, la fédération des services CFDT a été autorisée à délivrer une assignation à jour fixe.

Par acte extra judiciaire délivré le 15 février 2024, la Fédération des services CFDT a assigné la société APPLE RETAIL FRANCE, la Fédération CFTC Commerce, Services et Forces de vente, l’Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services et la Fédération commerces et services UNSA, d’avoir à comparaitre le 14 mai 2024 devant le tribunal de céans.
Aux termes de ses dernières conclusions soutenues à l’audience la Fédération des Services CFDT (ci-après CFDT) demande au tribunal de :

DECLARER la Fédération des Services CFDT recevable et bien fondée en ses demandes,

En conséquence,
DEBOUTER la société APPLE RETAIL FRANCE de l’ensemble de ses demandes
ORDONNER à la société APPLE RETAIL FRANCE de maintenir les mandats de représentants de proximité jusqu'à la fin des mandats des membres élus du CSE,
ORDONNER à la société APPLE RETAIL FRANCE de maintenir les moyens au bénéfice des représentants de proximité tels que définis à l'accord collectif du 1er juillet 2019,
Et ce sous astreinte de 500 € par jour de retard et par représentant de proximité concerné,
ORDONNER à la société APPLE RETAIL FRANCE de maintenir les mandats des membres des CSSCT régionales jusqu’à la fin des mandats des membres élus du CSE,
ORDONNER à la société APPLE RETAIL FRANCE de maintenir les moyens au bénéfice des membres des CSSCT régionales,
Et ce sous astreinte de 500 € par jour de retard et par représentant de proximité concerné
SE RESERVER la liquidation des astreintes,
CONDAMNER la société APPLE RETAIL FRANCE à verser une somme de 10 000 € à la Fédération des Services CFDT sur le fondement de l’article 1240 du code civil,
CONDAMNER la société APPLE RETAIL FRANCE à verser une somme de 3.500 € à la Fédération des Services CFDT en application de l’article 700 du CPC,
ORDONNER l'exécution provisoire de droit en application de l'article 514 du CPC,
CONDAMNER la société APPLE RETAIL FRANCE aux entiers dépens dont distraction au bénéfice de la SELARL LEPANY & ASSOCIES, société d'avocats aux offres de droits.

Aux termes de ses dernières conclusions soutenues à l’audience la Fédération des Services CFTC commerce services et force de vente (ci -après CFTC) demande au tribunal de :

ORDONNER à la société APPLE RETAIL FRANCE de maintenir les mandats de représentants de proximité jusqu'à la fin des mandats des membres élus du CSE,
ORDONNER à la société APPLE RETAIL FRANCE de maintenir les moyens au bénéfice des représentants de proximité tels que définis à l'accord collectif du 1er juillet 2019,
Et ce sous astreinte de 500 € par jour de retard et par représentant de proximité concerné,
ORDONNER à la société APPLE RETAIL FRANCE de maintenir les mandats des membres des CSSCT régionales jusqu’à la fin des mandats des membres élus du CSE,
ORDONNER à la société APPLE RETAIL FRANCE de maintenir les moyens au bénéfice des membres des CSSCT régionales,
Et ce sous astreinte de 1000 € par jour de retard et par CSSCT concerné,
SE RESERVER la liquidation des astreintes,
CONDAMNER la société APPLE RETAIL FRANCE à payer une somme de 10 000 € à la Fédération CFTC Commerce et Services et Force de Vente à titre de de dommages-intérêts ,
CONDAMNER la société APPLE RETAIL FRANCE à verser une somme de 3.000 € à la Fédération CFTC Commerce et Services et Force de Vente en application de l’article 700 du CPC,
Ne pas écarter l'exécution provisoire de droit en application de l'article 514 du CPC,
CONDAMNER la société APPLE RETAIL FRANCE aux entiers dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions soutenues à l’audience l’Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de [Localité 7] (ci -après CGT) demande au tribunal de :

ORDONNER à la société APPLE RETAIL FRANCE de maintenir les mandats de représentants de proximité jusqu'à la fin des mandats des membres élus du CSE,
ORDONNER à la société APPLE RETAIL FRANCE de maintenir les moyens au bénéfice des représentants de proximité tels que définis à l'accord collectif du 1er juillet 2019,
Et ce sous astreinte de 500 € par jour de retard et par représentant de proximité concerné,
ORDONNER à la société APPLE RETAIL FRANCE de maintenir les mandats des membres des CSSCT régionales jusqu’à la fin des mandats des membres élus du CSE,
ORDONNER à la société APPLE RETAIL FRANCE de maintenir les moyens au bénéfice des membres des CSSCT régionales,
Et ce sous astreinte de 1000 € par jour de retard et par CSSCT concernée
SE RESERVER la liquidation des astreintes,
CONDAMNER la société APPLE RETAIL France à payer une somme de 10 000 € à l’Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de [Localité 7] à titre de de dommages-intérêts ,
CONDAMNER la société APPLE RETAIL FRANCE à verser une somme de 3.000 € à la Fédération CFTC Commerce et Services et Force de Vente en application de l’article 700 du CPC,
ORDONNER l'exécution provisoire de droit en application de l'article 514 du CPC,
CONDAMNER la société APPLE RETAIL FRANCE aux entiers dépens.
La Fédération commerce et services UNSA ne s’est pas constituée à la procédure.

Aux termes de ses dernières conclusions soutenues à l’audience, la société APPLE RETAIL FRANCE demande au tribunal de :

RECEVOIR la Société APPLE RETAIL FRANCE en ses conclusions, la déclarant bien fondée ;
IN LIMINE LITIS :
JUGER nul l’acte introductif d’instance délivré par la Fédération des services CFDT pour défaut de pouvoir de Madame [L] [J];

JUGER que la Fédération des services CFDT, l’Union syndicale CGT du Commerce, de la distribution et des services de [Localité 7] et la Fédération CFTC CSFV n’ont pas qualité à agir en justice à l’encontre de la société Apple Retail France ;
JUGER que la Fédération des services CFDT, l’Union syndicale CGT du Commerce, de la distribution et des services de [Localité 7] et la Fédération CFTC CSFV n’ont pas intérêt à agir afin de solliciter le maintien des représentants de proximité et des trois CSSCT régionales au sein de la société APPLE RETAIL FRANCE et le maintien des moyens de ces instances prévu par l’Accord du 1er juillet 2019 régulièrement dénoncé;
En conséquence :
JUGER que les actions de la Fédération des services CFDT, de l’Union syndicale CGT du Commerce, de la distribution et des services de [Localité 7] et la Fédération CFTC CSFV à ce titre sont irrecevables ;
DEBOUTER la Fédération des Services CFDT, l’Union Syndicale CGT du Commerce, de la Distribution et des services de [Localité 7] et la Fédération CFTC CFSV de l’ensemble de leurs demandes, moyens, fins et conclusions ;
En tout état de cause
JUGER loyales les négociations collectives menées au sein de la société APPLE RETAIL FRANCE dans le cadre de la révision, puis de la dénonciation de l’accord d’entreprise du 1er juillet 2019 relatif à la structure et au fonctionnement du comité social et économique ;
DIRE ET JUGER que les représentants de proximité et les trois CSSCT régionales ont disparu le 30 août 2023 à minuit, au terme du délai de survie de l’accord d’entreprise du 1er juillet 2019 relatif à la structure et au fonctionnement du comité social et économique de la Société Apple Retail France en application de l’article L.2261-10 du Code du travail ;
DEBOUTER la Fédération des Services CFDT, l’Union Syndicale CGT du Commerce, de la Distribution et des services de [Localité 7] et la Fédération CFTC CFSV de l’ensemble de leurs demandes, moyens, fins et conclusions ;
CONDAMNER la Fédération des Services CFDT, l’Union Syndicale CGT du Commerce, de la Distribution et des services de [Localité 7] et la Fédération CFTC Commerce, Services et Force de Vente à verser solidairement à la société APPLE RETAIL FRANCE la somme de 5.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

A l’audience tenue le 14 mai 2024, la société défenderesse a demandé un renvoi auquel les organisations syndicales se sont opposées.

Constatant que chacune des parties avait disposé du temps nécessaire pour préparer sa défense et déposé des conclusions, le tribunal n’a pas fait droit à la demande de renvoi.

La société défenderesse a par ailleurs abandonné ses moyens tirés du défaut de pouvoir des représentants des organisations syndicales pour agir en justice au soutien desquels elle demandait au tribunal de :

JUGER nul l’acte introductif d’instance délivré par la Fédération des services CFDT pour défaut de pouvoir de Madame [L] [J];
JUGER que la Fédération des services CFDT, l’Union syndicale CGT du Commerce, de la distribution et des services de [Localité 7] et la Fédération CFTC CSFV n’ont pas qualité à agir en justice à l’encontre de la société APPLE RETAIL FRANCE ;

A l’issue de l’audience, l’affaire a été mise en délibéré au 2 juillet 2024.

MOTIFS

I– In limine litis : Sur l’intérêt à agir des organisations syndicales

La société APPLE RETAIL FRANCE fait valoir que les organisations syndicales n’ont pas intérêt à agir et que l’action n’est ouverte qu’au CSE qui a procédé aux désignations des représentants de proximité et des membres des commissions régionales de sécurité et des conditions de travail et aux salariés détenteurs de ces mandats. Elle soutient également que l’Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de [Localité 7] n’a pas qualité à agir dans un champ géographique plus large que son champ de compétence qui est celui du territoire parisien.

La fédération des services CFDT soutient que l’action porte sur les conséquences de la dénonciation de l’accord collectif conclu au sein de l’entreprise et qu’elle a agi ainsi dans l’intérêt collectif de la profession, ce qui fonde son intérêt à agir.

Les deux autres organisations syndicales défenderesses concluent dans le même sens, l’Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de [Localité 7] faisant en outre valoir qu’elle a intérêt à agir dès lors que la société défenderesse a son siège social à [Localité 7] et qu’une partie des représentants de proximité et des membres des CCSCT régionales exercent leur mandat sur [Localité 7].

Sur ce,

L’article 31 dispose que : « L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. ».

Conformément aux dispositions de l’article L.2132-3 du code du travail :
« Les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice.
Ils peuvent, devant toutes les juridictions, exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un intérêt direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent. ».

Il est ainsi admis qu’un syndicat a qualité pour agir en justice en raison du non-respect par l’employeur des prérogatives des instances représentatives du personnel (soc 24 juin 2008 n°07-11.411) et qu’un syndicat, même non signataire d’un accord collectif, peut agir en justice pour obtenir son exécution conforme, son inapplication causant nécessairement un préjudice à l’intérêt collectif de la profession (notamment soc 11 juin 2013 n°12-12.818, soc 20 janvier 2021 n°19-16.283).

En l’espèce, l’action porte sur les conséquences de la dénonciation de l’accord collectif du 1er juillet 2009 relatif à la structure et au fonctionnement du CSE sur les mandats des représentants de proximité et des membres des CSSCT régionales dont les trois syndicats contestent la suppression après le terme du délai de survie de l’accord.
En sollicitant la survie des mandats des représentants de proximité et des membres des CSSCT, les trois syndicats agissent ainsi dans l’intérêt collectif de la profession dont les salariés sont représentés notamment par ces instances.

En outre, si aux termes de ses statuts, l’Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de [Localité 7] « exerce l’ensemble de ses missions et attributions dans les entreprises poursuivant leurs activités totalement ou partiellement, à titre principal ou accessoire sur le territoire parisien (..) » et n’est donc pas représentative sur tout le périmètre de l’entreprise, elle est néanmoins recevable à défendre l’intérêt collectif de la profession qu’elle représente dès lors que la société défenderesse dispose d’établissements à [Localité 7] au sein desquels des représentants de proximité et des membres de CSSCT ont été désignés.

La Fédération des Services CFDT, la Fédération des Services CFTC COMMERCE SERVICES ET FORCE DE VENTE et l’Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de [Localité 7] sont donc recevables à agir.

II- Sur le fond

1- Sur la suppression des représentants de proximité et des membres des CSSCT régionales à l’expiration du délai de survie de l’accord

La CFDT fait valoir qu’il ne peut être mis un terme aux mandats des représentants de proximité à l’expiration du délai de survie de l’accord dès lors que les mandats sont toujours en cours. Elle soutient qu’aucune disposition légale ne prévoit la cessation anticipée des mandats des représentants de proximité et que si la cessation des mandats des membres élus du CSE est prévue en cas de modification dans la situation du représentant du personnel (article L. 2314-33 du code du travail) et de modification dans la situation juridique de l’employeur (article L. 2314-25 du code du travail), elle n’est pas prévue en cas de dénonciation d’un accord. Elle en conclut que le mandat des représentants de proximité et des membres des CSSCT ne peut pas prendre fin avant celui des élus du CSE soit en octobre 2026 et fait valoir également en ce sens les dispositions de l’article 12 de l’accord collectif du 1er juillet 2009 qui stipule : « conformément à l’article L.2313-7 du code du travail, les représentants de proximité sont désignés par le CSE national pour une durée qui prend fin avec celle des membres élus du CSE national ». Elle soutient que comme en cas de baisse des effectifs en deçà de 11 salariés pour les membres du CSE, la dénonciation de l’accord collectif n’a pas d’incidence sur les mandats en cours et qu’un parallèle ne peut pas être fait avec le conseil d’entreprise dès lors que cette instance ne fait que regrouper les attributions du CSE et des délégués syndicaux et que l’absence d’accord de substitution a pour seul effet de redistribuer les prérogatives des membres élus du CSE et des délégués syndicaux. Elle fait en outre valoir que l’employeur est forclos à contester la désignation des représentants de proximité dès lors que par application des dispositions de l’article R.2314-24 du code du travail, il ne disposait que d’un délai de 15 jours à compter de leur désignation, laquelle est intervenue le 23 février 2023 et souligne que l’inspecteur du travail a indiqué : « il semble possible de considérer que la dénonciation de l’accord ne peut porter ses effets qu’au terme de la mandature des élus et des représentants de proximité.» Concernant les membres des commissions santé sécurité et conditions de travail régionales, elle fait valoir que leur mandat doit être aligné sur celui des membres du CSE par application des dispositions de l’article L2315-39 du code du travail, qu’il ne peut y être mis fin de manière anticipée et que, comme pour les représentants de proximité, il convient de faire application du délai de forclusion prévu par les dispositions de l’article R.2314-24 du code du travail. Elle soutient aussi que les représentants de proximité et les membres des CSSCT doivent également continuer à bénéficier des moyens mis à leur disposition.

La CFTC reprend en substance la même argumentation et fait valoir en outre que les dispositions de l’article L.2261-10 du code du travail prévoient la continuité des effets de l’accord dénoncé au-delà d’une année quand une clause stipule une durée supérieure et qu’en l’espèce la durée des mandats des représentants de proximité prévue à l’article L.2313-7 du code du travail est fixée pour une durée déterminée qu’il convient d’appliquer. Elle fait valoir , concernant les membres des CCSST que leur désignation est prévue par les dispositions d’ordre public de l’article L.2315-39 du code du travail et qu’elles ne peuvent donc être supprimées pas plus que les moyens mis à leur disposition.
La CGT soutient également en substance la même argumentation et fait de surcroît valoir que la durée des mandats des représentants de proximité et des membres de CSSCT ne fait pas partie des thèmes appartenant au champ de la négociation collective et qu’il convient donc de se référer aux dispositions légales encadrant la fin anticipée des mandats des élus du CSE, lesquelles ne prévoient pas de cessation anticipée des mandats en cas de dénonciation d’un accord collectif.

En défense, la société APPLE RETAIL FRANCE soutient que l’accord dénoncé est un accord de droit commun et que les règles relatives aux conditions de validité, d’applicabilité et de dénonciation des accords collectifs prévues par les dispositions de l’article L.2261-10 du code du travail sont d’ordre public absolu et qu’il ne peut donc y être dérogé. Elle fait en outre valoir que la mise en place des représentants de proximité n’est pas obligatoire et qu’elle ne peut se faire que par accord collectif, lequel est de droit commun et la seule norme qui régit les représentants de proximité (nombre, attribution, modalité de désignation et de fonctionnement) . Elle soutient également que la mise en place des CSSCT régionales est facultative et que leur régime est uniquement défini par l’accord qui l’institut. Faisant un parallèle avec le conseil d’entreprise, elle souligne que la DGT a indiqué que, mis en place également par accord, les règles relatives à la dénonciation des accords leur étaient applicables. Elle souligne également que l’application des dispositions de l’article L.2222-6 du code du travail régissant la dénonciation d’un accord sont rappelées dans l’accord du 1er juillet 2019. Elle fait aussi valoir que dans sa réponse adressée aux organisations syndicales, l’inspection du travail a noté en premier lieu qu’en se basant sur une interprétation stricte des textes, le raisonnement qu’elle avait adopté pour considérer que les représentants de proximité étaient supprimés après le délai de survie de l’accord était valable. La société défenderesse soutient aussi qu’aucun texte ne prévoit la survie des avantages conventionnels issus d’un accord dénoncé après son délai de survie et qu’ainsi les organisations syndicales sont mal fondées à solliciter le maintien des moyens des représentants de proximité et des membres des CSSCT régionales.

Sur ce,

Conformément aux dispositions de l’article L.2261-10 alinéa 1 du code du travail : « lorsque la dénonciation émane de la totalité des signataires employeurs ou des signataires salariés, la convention ou l'accord continue de produire effet jusqu'à l'entrée en vigueur de la convention ou de l'accord qui lui est substitué ou, à défaut, pendant une durée d'un an à compter de l'expiration du délai de préavis, sauf clause prévoyant une durée déterminée supérieure. ».

Il est en outre admis que les règles relatives à la dénonciation d’un accord collectif sont d’ordre public  (Soc 12 février 1991 n°89-45.314, Soc 26 mai 1998 n°96-41.053, Soc 4 février 2014 n°12-35.333).

En application des dispositions de l’article L.2313-7 du code du travail : « l’accord défini à l’article L.2313-2 du code du travail (accord d’entreprise fixant le nombre et le périmètre des établissement distincts) peut mettre en place des représentants de proximité.
L’ accord définit également :
- Le nombre de représentants de proximité ;
- Les attributions des représentants de proximité, notamment en matière de santé, de sécurité et de conditions de travail ;
-Les modalités de leur désignation ;
- Leurs modalités de fonctionnement, notamment le nombre d'heures de délégation dont bénéficient les représentants de proximité pour l'exercice de leurs attributions.
Les représentants de proximité sont membres du comité social et économique ou désignés par lui pour une durée qui prend fin avec celle du mandat des membres élus du comité ».
Par ailleurs, en application de l’article L. 2315-41 du code du travail : «  l’ accord d'entreprise défini à l’article L.2312-2 fixe (également) les modalités de mise en place de la ou des commissions santé, sécurité et conditions de travail en application des articles L.2315-36 et L.2315-37  du code du travail en définissant :

1° Le nombre de membres de la ou des commissions ;

2° Les missions déléguées à la ou les commissions par le comité social et économique et leurs modalités d'exercice ;

3° Leurs modalités de fonctionnement, notamment le nombre d'heures de délégation dont bénéficient les membres de la ou des commissions pour l'exercice de leurs missions ;

4° Les modalités de leur formation conformément aux articles L.2315-16 à L.2315-18 

5° Le cas échéant, les moyens qui leur sont alloués ;

6° Le cas échéant, les conditions et modalités dans lesquelles une formation spécifique correspondant aux risques ou facteurs de risques particuliers, en rapport avec l'activité de l'entreprise peut être dispensée aux membres de la commission. ».

En l’espèce, l’accord d’entreprise instituant les représentants de proximité et les CSSCT régionales a été dénoncé par la société APPLE RETAIL FRANCE le 30 mai 2022.

Se fondant sur les dispositions de l’article L.2261-10 du code du travail, la société défenderesse considère qu’à défaut d’accord de substitution, l’accord dénoncé a cessé de produire effet le 30 août 2023 à minuit (15 mois après sa dénonciation) et qu’en conséquence les mandats des représentants de proximité et des membres des CSSCT régionales ont pris fin.

Les trois organisations syndicales invoquent les dispositions de l’article R.2314-24 du code du travail qui fixent un délai de forclusion de 15 jours pour contester la régularité des élections ou de la désignation des représentant du personnel pour faire valoir que, par l’effet de la forclusion, les mandats des représentants de proximité et des membres des CSSCT régionales ne peuvent plus être contestés.

Or, ce n’est pas la régularité de leur désignation qui est contestée mais la prorogation de leur mandat à l’expiration du délai de survie de l’accord collectif les ayant institués.

Ce moyen est donc inopérant et sera en conséquence rejeté.

Les organisations syndicales font en outre valoir que la dénonciation de l’accord n’a pas d’incidence sur la durée des mandats des représentants de proximité et des membres des CCST régionales, laquelle ne relève pas de la négociation collective et est alignée sur celle des membres élus du CSE.

Il convient en effet d’observer que, comme le soulignent les organisations syndicales, la durée des mandats des représentants de proximité et des membres des CSSCT régionales ne rentrent pas dans le champ de la négociation collective.

Ainsi, la durée des mandats des représentants de proximité est expressément prévue par les dispositions du dernier alinéa de l’article L.2313-7 du code du travail et celle des membres la commission santé sécurité et conditions de travail par l’article L.2315-39 du même code.
Elle est fixée, dans les deux cas, pour une durée qui prend fin avec celle des membres élus du CSE.

Toutefois, la question ne porte pas en l’espèce sur la durée desdits mandats mais sur leur existence.

Or, conformément aux dispositions de l’article L.2313-7 du code du travail, l’existence des représentants de proximité repose exclusivement sur l’accord collectif qui les institue.

Aussi, en l’espèce, l’existence des représentants de proximité au sein de de la société APPLE RETAIL FRANCE relève exclusivement de l’accord du 1er juillet 2019 qui les a institué.
De même, s’il résulte des dispositions d’ordre public de l’article L.2315-36 du code du travail qu’une commission santé, sécurité et conditions de travail est obligatoirement crée dans les entreprises d’au moins 300 salariés, la création de commissions de santé, sécurité et conditions de travail régionales ne relèvent pas desdites dispositions. Elles relèvent en revanche de l’accord d’entreprise qui les institue conformément aux dispositions de articles L.2315-41 du code du travail.

Il en résulte donc que conformément à ce que soutient la société défenderesse, l’expiration du délai de survie de l’accord collectif du 1er juillet 2019 a nécessairement pour conséquence la suppression des représentants de proximité et des membres des commissions de santé, sécurité et conditions de travail régionales dont l’existence repose sur ces accords.

Aussi, sans qu’il y ait lieu de répondre aux autres moyens soutenus par les organisations syndicales qui sont de ce fait inopérants, il y a lieu de dire que l’existence des représentants de proximité et des trois CSSCT régionales a pris fin à l’expiration du délai de survie de l’accord du 1er juillet 2019 soit le 30 août 2023 à minuit et de débouter en conséquence les organisations syndicales de leur demandes tendant au maintien desdits mandats.

2- Sur le manquement de la société Apple Retail à son obligation de loyauté dans la négociation collective

Les organisations syndicales font valoir qu’en vertu de l’article L.2261-10 du code du travail, l’employeur qui a dénoncé l’accord collectif doit ouvrir une négociation portant sur un accord de substitution et est tenu d’une obligation de négocier de manière loyale avec les organisations syndicales.

Elles soutiennent que le 5 avril 2022 la société APPLE RETAIL FRANCE a engagé des négociations avec les organisations syndicales représentatives en vue de réviser les dispositions de l’accord collectif du 1er juillet 2019 puis que le 30 mai 2022, elle a décidé de procéder à la dénonciation de cet accord. Elles font valoir que ce n’est ensuite que le 5 avril 2023 que la société défenderesse a décidé d’organiser une première réunion de négociation de l’accord de substitution, qu’aucune réunion de négociation n’a ensuite été organisée et que le 9 aout 2023, elle a mis fin aux négociations par l’établissement unilatéral d’un procès-verbal de désaccord, non signé par les syndicats. Elles soutiennent également que les négociations menées avant la dénonciation de l’accord ne peuvent permettre à l’employeur de faire valoir qu’il a mené loyalement des négociations pour la conclusion d’un accord de substitution dont l’objet est différent.

Elles font valoir que ces manquements leur a causé un préjudice dès lors qu’ elles n’ont pu exercer leurs prérogatives et qu’ils ont été préjudiciables aux institutions représentatives du personnel.

La société APPLE RETAIL FRANCE soutient qu’elle a engagé et mené des négociations loyalement avec les organisations syndicales et qu’ainsi les parties se sont réunies à 5 reprises entre le 24 mars 2022 et le 11 mai 2022 en vue de conclure un avenant de révision mais que ces négociations n’ont pu aboutir. Elle fait valoir également que les discussions se sont poursuivies lors de l’organisation des élections professionnelle aboutissant à l’établissement d’un protocole d’accord préélectoral le 27 juillet 2022 et que les parties se sont à nouveau réunies le 5 avril 2023 en vue de négocier un accord de substitution. Elle précise que les négociations ont alors échoué et qu’elle a en conséquence soumis aux organisations représentatives un procès -verbal de désaccord reprenant la position de chacun.

Sur ce,

Conformément aux dispositions de l’article L.2261-10 du code du travail : « Lorsque la dénonciation émane de la totalité des signataires employeurs ou des signataires salariés, la convention ou l'accord continue de produire effet jusqu'à l'entrée en vigueur de la convention ou de l'accord qui lui est substitué ou, à défaut, pendant une durée d'un an à compter de l'expiration du délai de préavis, sauf clause prévoyant une durée déterminée supérieure.
Une nouvelle négociation s'engage, à la demande d'une des parties intéressées, dans les trois mois qui suivent le début du préavis mentionné à l'article L.2261-9 du code du travail. Elle peut donner lieu à un accord, y compris avant l'expiration du délai de préavis… ».
En outre, en application de l’article 1112 alinéa 1 du code civil : « L'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi (..) ».
Et, par application de ce principe, l’article L.2222-3-1 du code du travail précise qu’  « une convention ou un accord collectif peut définir la méthode permettant à la négociation de s'accomplir dans des conditions de loyauté et de confiance mutuelle entre les parties (..). ».

Il est ainsi admis que la négociation a été régulièrement menée dès lors qu’elle a été conduite jusqu’à son terme par l’employeur avec toutes les organisations syndicales qui ont pu constamment exprimer leurs propositions, motiver leur refus, formuler des contrepropositions dont certaines ont été retenues (Soc 9 juillet 1996 pourvoi 95-13010).

En l’espèce, comme le soulignent les organisations syndicales, si la société défenderesse fait valoir que plusieurs réunions se sont tenues en vue de parvenir à un accord de substitution, en réalité seule une réunion s’est tenue dans cet objectif , les autres réunions portant sur des objets distincts et plus précisément sur la négociation d’un avenant de révision à l’accord collectif et sur un accord préélectoral dans le cadre des élections du CSE.

Néanmoins, au-delà de cette constatation, les organisations syndicales ne produisent au débat aucune pièce permettant d’établir la déloyauté de la société défenderesse et ainsi notamment ne justifient pas qu’elles auraient fait des propositions à l’employeur dont il aurait refusé de débattre ou qu’elles se seraient heurtées à son refus de tenir d’autre réunions.

Si elles font par ailleurs valoir qu’aucun accord de substitution ne leur a été présenté, elles ne justifient pas avoir formulé de demande en ce sens alors qu’elles avaient connaissance de la position de l’employeur qui justifie leur avoir proposé le 16 mai 2022 un avenant à l’accord collectif du 1er juillet 2019 à la suite des négociation alors engagées.
Aussi, et quand bien même l’absence d’accord de substitution s’avère préjudiciable aux institutions représentatives du personnel dont les moyens se trouvent réduits, la preuve de la déloyauté de l’employeur n’est pas rapportée.

Aussi, les organisations syndicales seront déboutées de leurs demandes de dommages et intérêts.

III- Sur les demandes accessoires

La Fédération des Services CFDT , la Fédération des Services CFTC commerce services et force de vente et l’Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de [Localité 7] qui succombent seront déboutés de leur demande formée au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Elles supporteront les dépens de la présente instance.

L’équité ne commande pas de faire application de ces dispositions au profit de la société APPLE RETAIL FRANCE qui sera déboutée de la demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire rendu en premier ressort par mise à disposition au greffe,

DIT que les représentants de proximité et les trois CSSCT régionales ont disparu le 30 août 2023 à minuit au terme du délai de survie de l’accord d’entreprise du 1er juillet 2019 relatif à la structure et au fonctionnement du comité social et économique de la société APPLE RETAIL FRANCE,

DEBOUTE la Fédération des Services CFDT, la Fédération des services CFTC commerce services et force de vente et l’Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de [Localité 7] de l’ensemble de leur demandes,

DIT n’y avoir lieu à l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE La Fédération des Services CFDT, la Fédération des Services CFTC commerce services et force de vente et l’Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de [Localité 7] aux dépens.

Fait et jugé à Paris le 02 Juillet 2024

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 1/4 social
Numéro d'arrêt : 24/03298
Date de la décision : 02/07/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-07-02;24.03298 ?
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