TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
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N° RG 24/50936 - N° Portalis 352J-W-B7I-C3WLL
N° : 3/MC
Assignation du :
02 Février 2024
[1]
[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 28 juin 2024
par Marie-Hélène PENOT, Juge au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Marion COBOS, Greffier.
DEMANDERESSE
Société AESTIAM PIERRE RENDEMENT
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Maître Thierry DAVID, avocat au barreau de PARIS - #A0436
DEFENDERESSE
S.A.R.L. F.A.V WASHINGTON
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Maître Philippe CAVARROC de la SELAS Cabinet THEILLAC-CAVARROC, avocat au barreau de PARIS - #A0550
DÉBATS
A l’audience du 22 Avril 2024, tenue publiquement, présidée par Marie-Hélène PENOT, Juge, assistée de Marion COBOS, Greffier,
Nous, Président,
Après avoir entendu les conseils des parties comparantes,
Par acte sous seing privé en date du 30 janvier 2006, la société B & W EUROPE -aux droits de laquelle vient désormais la société civile de placement immobilier AESTIAM PIERRE RENDEMENT (ci-après : la société AESTIAM) - a consenti à la société à responsabilité limitée FAV en cours de constitution un bail commercial portant sur divers locaux dépendants d’un immeuble situé à [Adresse 2] et [Adresse 1] La société à responsabilité limitée FAV WASHINGTON a été immatriculée et a acquis la qualité de preneuse à bail.
Des loyers sont demeurés impayés.
La société bailleresse a notamment fait délivrer à la société défenderesse un commandement de payer visant la clause résolutoire signifié le 16 septembre 2021, à la suite duquel la société FAV WASHINGTON a saisi le tribunal judiciaire d’une action en opposition en parallèle de laquelle une action a été introduite par la bailleresse aux fins de constat de l’acquisition de la clause résolutoire, instances jointes desquelles les parties se sont désistées compte tenu de la signature d’un protocole d’accord. Un autre commandement de payer visant la clause résolutoire a été délivré le 7 juin 2022, à l’encontre duquel la SOCIÉTÉ FAV WASHINGTON a également formé une action en opposition.
Sur le fondement de ce second commandement, la société AESTIAM a saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, par exploit en date du 15 juillet 2022, aux fins de voir constater l’acquisition de la clause résolutoire et de voir condamner le preneur au paiement des arriérés au titres des loyers et charges dus par ce dernier. Les parties ont été invitées à rencontrer un conciliateur. Les discussions engagées dans ce cadre ont abouti à la signature d'un protocole d'accord en date du 21 décembre 2022, homologué par ordonnance du juge de la mise en état du 26 janvier 2023, signifiée à la société FAV WASHINGTON le 28 février 2023.
Déplorant le non-respect par le preneur des stipulations du protocole, la société AESTIAM a notifié à la société FAV WASHINGTON la déchéance du terme, par lettre recommandée en date du 8 septembre 2023 dont il a été accusé réception le 13 septembre 2023.
Par exploits des 27 septembre et 5 octobre 2023, la société AESTIAM a signifié à la société FAV WASHINGTON des commandements de quitter les lieux.
Par assignation signifiée le 15 novembre 2023, la société FAV WASHINGTON a assigné la société AESTIAM devant le tribunal judiciaire de Paris, demandant à titre principal la suspension de l'exécution du protocole d'accord, à titre subsidiaire la révision dudit protocole en ce qui concerne les délais de remboursement de l’arriéré locatif. L'affaire est pendante devant la 18ème chambre du tribunal judiciaire de Paris.
Par jugement en date du 18 janvier 2024, le juge de l’exécution a annulé les commandements de quitter les lieux des 27 septembre et 5 octobre 2023, au motif notamment que si l’ordonnance d’homologation est un titre exécutoire au sens de l’article L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution, elle ne constitue pas une décision de justice permettant l’expulsion au sens de l’article L. 411-1 du code des procédures civiles d’exécution. L'appel interjeté contre ce jugement est pendant devant la cour d'appel de Paris.
Par acte extrajudiciaire délivré le 2 février 2024, la société AESTIAM a attrait la société FAV WASHINGTON devant le Président du tribunal judiciaire de Paris aux fins, essentiellement, de voir prononcer l'expulsion de la société défenderesse des locaux sis [Adresse 2] et [Adresse 1].
Par exploits séparés du 19 février 2024, l’assignation a été dénoncée aux créanciers inscrits.
A l'audience du 22 avril 2024, la société AESTIAM soutient oralement ses conclusions, aux termes desquelles elle entend voir :
« DEBOUTER la société FAV WASHINGTON de ses demandes de fins de non-recevoir fondées sur le défaut d’intérêt à agir et l’estoppel.
DEBOUTER la société FAV WASHINGTON de ses demandes de délais rétroactifs ou délais pour quitter les lieux
CONSTATER, que le protocole d’accord homologué n’a pas été respecté par la société FAV WASHINGTON et que par conséquent la clause résolutoire est acquise à compter du 17 octobre 2021
ORDONNER l'expulsion sans délai de la société FAV WASHINGTON ainsi que celle de tous occupants de son chef des locaux commerciaux qu'elle occupe dans l'immeuble sis PARIS (75008) – [Adresse 2] et [Adresse 1], avec l'assistance d’un serrurier et de la force publique si besoin est.
ORDONNER la séquestration des biens et objets mobiliers garnissant les lieux loués selon les modalités prévues aux articles L 433-1 et L 433-2 du Code des procédures civiles d’exécution.
CONDAMNER la société FAV WASHINGTON à verser à la société AESTIAM PIERRE RENDEMENT la somme de 6 000 € en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
CONDAMNER la société FAV WASHINGTON aux entiers dépens, qui comprendront notamment les frais de signification de l’assignation ainsi que les frais de notification de l’assignation aux créanciers inscrits. »
La société AESTIAM affirme ses prétentions recevables, son intérêt actuel à agir étant constitué par la nécessité d’obtenir un titre exécutoire permettant l'expulsion de la société défenderesse, dans la mesure où le juge de l’exécution, dont la décision est revêtue de l’exécution provisoire de droit, a considéré que l’ordonnance d’homologation du protocole ne constituait pas un titre exécutoire autorisant l’expulsion du preneur.
Elle ajoute que l’estoppel ne peut lui être opposé, en ce que les demandes qu'elle formule concomitamment devant la juridiction d'appel et le juge des référés tendent aux mêmes fins et ne revêtent en conséquence aucun caractère contradictoire.
S’agissant de la demande d'expulsion, la société AESTIAM se prévaut de l’article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, et plus spécifiquement du trouble manifestement illicite constitué par l’occupation sans droit ni titre du preneur, en énonçant que le juge de l’exécution a reconnu à la décision d’homologation de l’accord du 21 décembre 2022 le caractère de titre exécutoire ; que le protocole prévoyait explicitement la suspension des effets de la clause résolutoire sous la condition du respect de délais de paiement par la société preneuse ; que celle-ci n'a pas respecté lesdits délais malgré de nombreuses mises en demeure ; qu'en conséquence, après dénonciation de la déchéance du terme par le bailleur et selon les termes du protocole, la clause résolutoire a repris ses effets et le bail est de plein droit résilié rétroactivement au 17 octobre 2021.
Elle précise, en réponse aux écritures adverses, que certaines violations du protocole sont antérieures aux événements invoqués par la société FAV WASHINGTON au soutien de ses demandes de suspension des effets du protocole ou de révision de celui-ci qu’elle qualifie au demeurant de fantaisistes, que les régularisations de charges n’ont jamais été contestées par le preneur antérieurement à la signature du protocole, et que la société FAV WASHINGTON a reconnu dans le protocole le montant des provisions. Elle ajoute qu’à supposer que le montant des provisions sur charges soit contestable, les mensualités impayées afférentes aux loyers courants n’ont pas été réglées selon les stipulations du protocole. Enfin, elle énonce que la demande de renouvellement de bail n’a aucune incidence sur les manquements antérieurs du preneur, qu’elle a en tout état de cause refusée par acte du 6 mars 2024.
S’opposant aux demandes subsidiaires d’octroi de délai de paiement et de délai pour quitter les lieux formulées par la société FAV WASHINGTON, elle expose notamment que ces prétentions se heurtent aux stipulations du protocole ainsi qu'aux dispositions de l'article 1343-5 du code civil et L. 412-4 du code des procédures civiles d’exécution.
Enfin, la société AESTIAM entend voir écarter des débats le moyen nouveau développée par la société FAV WASHINGTON dans ses dernières conclusions, arguant de la tardiveté de sa communication. A titre subsidiaire, elle répond à ce moyen en faisant valoir que la société défenderesse a explicitement renoncé, dans le protocole du 21 décembre 2022, à invoquer les dispositions de la loi du 14 novembre 2020, qu’elle s’est désistée de son instance et de son action introduite devant le juge du fond dans le cadre de laquelle elle soulevait cet argument, et qu’en tout état de cause les dispositions invoquées sont inapplicables au commandement de payer délivré le 16 septembre 2021 portant sur des loyers antérieurs à la période de crise sanitaire.
Aux termes de ses écritures oralement soutenues à l'audience, la société FAV WASHINGTON entend voir :
« - RECEVOIR la société FAV WASHINGTON en ses demandes, fins et conclusions ;
D’ORIENTER cette affaire en audience de règlement amiable (ARA) ;JUGER que les demandes de la société AESTIAM PIERRE RENDEMENT se heurtent à des contestations sérieuses ; Et, par conséquent,
JUGER n’y avoir lieu à référé ;DEBOUTER la société AESTIAM PIERRE RENDEMENT de l’intégralité de ses demandes ; JUGER irrecevables les demandes de la société AESTIAM PIERRE RENDEMENT et l’en débouter ;A titre subsidiaire :
- OCTROYER à la société FAV WASHINGTON les plus larges délais de paiement, qui ne sauraient être inférieurs à 24 mois, pour lui permettre de s’acquitter de l’arriéré locatif éventuellement dû et SUSPENDRE, pendant ce délai, la réalisation et les effets de la clause résolutoire,
A titre très subsidiaire :
- OCTROYER à la société FAV WASHINGTON les plus larges délais pour quitter les lieux ;
En tout état de cause :
DEBOUTER la société AESTIAM PIERRE RENDEMENT de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions, plus amples ou contraires aux présentes ;CONDAMNER la société AESTIAM PIERRE RENDEMENT à verser à la société FAV WASHINGTON la somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;CONDAMNER la société AESTIAM PIERRE RENDEMENT aux entiers dépens. »
En premier lieu, la société FAV WASHINGTON soulève deux fins de non-recevoir. D'une part, elle invoque le défaut d'intérêt à agir de la société AESTIAM, exposant que le présent litige a le même objet que l'instance actuellement pendante devant la cour d'appel de Paris saisie de l'appel interjeté contre le jugement du juge de l'exécution du 18 janvier 2024. D'autre part, elle énonce que la saisine du juge des référés, qui ne repose pas sur l'existence d'un titre exécutoire, contredit la position concurremment défendue par la société AESTIAM devant le juge de l'exécution et désormais la cour d'appel, contrevenant ainsi au principe de l'estoppel.
En deuxième lieu, sollicitant le rejet des prétentions adverses, la société FAV WASHINGTON conteste l’existence d’un trouble manifestement illicite en faisant valoir que la reconnaissance d’un tel trouble ne peut conduire qu’au prononcé de mesures conservatoires ou de remise en état distinctes des prétentions adverses. Elle soutient que les demandes de la société AESTIAM se heurtent à des contestations sérieuses tirées d’abord du caractère réputé non écrit de la clause résolutoire visée au commandement du 16 septembre 2021 du fait des dispositions de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020, ensuite de l'existence d'une instance pendante devant le juge du fond, introduite antérieurement à la présente instance, dans le cadre de laquelle elle sollicite la suspension rétroactive de l'exécution du protocole d'accord et à titre subsidiaire sa révision, enfin du défaut de justification des charges sollicitées et de sa demande de renouvellement du bail avec révision à la baisse du loyer, nécessitant ainsi un compte entre les parties.
La société FAV WASHINGTON soutient en outre que les retards de paiement qu'elle reconnaît sont postérieurs au mois de mai 2023 et font suite à une fermeture administrative de son établissement, aux émeutes survenues aux mois de juin et juillet 2023, ces circonstances imprévisibles l'ayant placée dans l'impossibilité de payer ses loyers. Elle affirme que ces circonstances justifient l’octroi des plus larges délais rétroactifs de paiement pour s’acquitter des sommes restant dues au titre du protocole et qu’elle a obtenu à ce titre un accord de principe de prêt de son établissement bancaire.
Quant à la demande de larges délais pour quitter les lieux, elle fait valoir que la fermeture soudaine de son établissement entraînerait à la fois la perte de son fonds de commerce, de sa clientèle et le licenciement de nombreux salariés.
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, pour plus ample informé de l’exposé et des prétentions des parties, il est renvoyé à l'assignation introductive d’instance et aux conclusions déposées par les parties.
MOTIFS DE LA DECISION
A titre liminaire, il est rappelé que les « demandes » tendant à voir « constater », « donner acte » ou « dire et juger » ne constituent pas des prétentions au sens des dispositions de l’article 4 du code de procédure civile et ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’une exécution forcée. Ces demandes -qui n’en sont pas et constituent en réalité un résumé des moyens- ne donneront pas lieu à mention au dispositif.
Il est également rappelé que les fins de non-recevoir ne constituent pas des contestations sérieuses au sens de l’article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, dans la mesure où elles ont trait à la recevabilité de l’action intentée par le demandeur et qu’à ce titre, il est nécessaire de les étudier préalablement aux défenses au fond soulevées par les parties.
Sur la demande d’orientation de l’affaire en audience de règlement amiable
L’article 774-1 du code de procédure civile dispose :
« Le juge saisi d'un litige portant sur des droits dont les parties ont la libre disposition peut, à la demande de l'une des parties ou d'office après avoir recueilli leur avis, décider qu'elles seront convoquées à une audience de règlement amiable tenue par un juge qui ne siège pas dans la formation de jugement dans les cas prévus par la loi.
Cette décision est une mesure d'administration judiciaire. Elle ne dessaisit pas le juge. »
En l’espèce, les parties ont été, dans le cadre d’une précédente procédure, invitées à rencontrer un conciliateur. La présente instance portant sur les conséquences du non-respect allégué du protocole d’accord transactionnel conclu subséquemment à la conciliation, l’orientation du dossier en audience de règlement amiable apparaît inopportune.
Sur la demande de rejet des conclusions en défense
En application de l’article 16 du code de procédure civile, le juge doit en toutes circonstances faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
En l’espèce, les conclusions déposées lors de l’audience du 22 avril 2024 par la partie défenderesse contiennent un nouveau moyen tiré de l’irrégularité du commandement de payer du 16 septembre 2021.
Si, comme le soutient à raison la partie demanderesse, l’invocation de ce moyen est tardive, la société AESTIAM a cependant été en mesure d’y répondre oralement au cours de l’audience, et n’a pas sollicité de renvoi sur ce fondement. Il est par ailleurs relevé que ce moyen a précédemment été soulevé par la société FAV WASHINGTON dans son assignation au fond du 13 octobre 2021, la société AESTIAM, qui est représentée par le même conseil dans les deux instances, ne pouvant ainsi arguer de son caractère inattendu.
Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’écarter des débats les dernières conclusions de la société FAV WASHINGTON.
Sur la recevabilité des prétentions de la société AESTIAM
En application de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
3.1 Sur le moyen tiré du défaut d’intérêt actuel à agir
En vertu de l’article 31 du code de procédure civile, « L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. »
Aux termes de l’article 32 du même code, « Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir. ».
En l’espèce, le jugement rendu par le juge de l’exécution le 18 janvier 2024 annule le commandement de quitter les lieux du 27 septembre 2023 délivré par la société AESTIAM, au motif qu’il a été délivré sur le fondement du protocole d’accord homologué entre les parties, qui ne fait toutefois pas partie des titres exécutoires permettant de fonder une mesure d’expulsion.
La société AESTIAM a interjeté appel de cette décision par déclaration du 1er février 2024.
Si, comme le soutient la partie défenderesse, la présente instance poursuit le même but que celle introduite devant la cour d’appel, à savoir l’obtention d’un titre exécutoire permettant l’expulsion du preneur, cela ne prive pas pour autant la demanderesse d’un intérêt actuel à agir, constitué par sa volonté de voir la société FAV WASHINGTON expulsée des locaux loués.
Il s’ensuit que la société AESTIAM dispose d’un intérêt actuel à agir.
3.2 Sur le moyen tiré de l’estoppel
La fin de non-recevoir tirée du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui sanctionne l'attitude procédurale consistant pour une partie, au cours d'une même instance, à adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui induisent en erreur son adversaire sur ses intentions.
Or en l’espèce, la société AESTIAM n’adopte pas de positions contraires ou incompatibles entre elles, en ce que les prétentions soulevées devant la présente juridiction et devant la cour d’appel tendent aux mêmes fins, puisqu’elles ont pour objectif d’obtenir un titre exécutoire permettant l’expulsion de la société FAV WASHINGTON.
Ainsi, le principe d’estoppel ne peut être valablement opposé à la société AESTIAM.
Dans ces conditions, les prétentions de la société AESTIAM sont recevables.
Sur la demande d’expulsion et les demandes subséquentes
Sur l’existence d’un trouble manifestement illicite
Aux termes de l’article 835, alinéa 1er, du code de procédure civile, le président du tribunal peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.
La seule méconnaissance d’une réglementation n’est pas suffisante pour caractériser l’illicéité d’un trouble.
Le juge des référés doit se placer, pour ordonner ou refuser des mesures conservatoires ou de remise en état, à la date à laquelle il prononce sa décision.
Il dispose d’un pouvoir souverain pour juger non seulement de l'imminence d'un dommage, mais aussi de la nécessité d'en prévenir la réalisation ; il en va de même s’agissant d’apprécier l'existence d'un trouble manifestement illicite et d’ordonner la mesure de remise en état qui lui paraît s'imposer pour le faire cesser.
Il est par ailleurs constant que l’occupation sans droit ni titre du bien d’autrui constitue un trouble manifestement illicite.
L’article 2044 du code civil définit la transaction comme un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.
L’article 2052 du même code dispose que la transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet.
En l’espèce, suite à la délivrance d’un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail, une instance a opposé les parties sur la validité dudit commandement, dans le cadre de laquelle la société FAV WASHINGTON a notamment invoqué les dispositions de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020.
Les parties ont signé un protocole d’accord transactionnel par acte sous seing privé en date du 21 décembre 2022, lequel a été homologué par le juge de la mise en état par ordonnance du 26 janvier 2023 qui a constaté que le protocole emportait désistement d’instance et d’action des parties. Ainsi, le protocole du 21 décembre 2022 constitue une transaction revêtue de la force exécutoire, ce point ne faisant l’objet d’aucune contestation.
Le protocole du 21 décembre 2022 fixe à la somme de 1 603 990,73 euros le montant des sommes dues par la société FAV WASHINGTON au titre des loyers et charges échues au 31 décembre 2022. Il mentionne l’abandon partiel par la société bailleresse de sa créance, celle-ci étant ramenée à la somme de 1 061 417,70 euros, sous condition de l’apurement de celle-ci en 48 mensualités égales et consécutives de 22 112,86 euros et du paiement à bonne date des loyers et charges courants payables mensuellement et d’avance, ce à compter du 5 janvier 2023 puis le 5 de chaque mois. Sous les mêmes conditions, il prévoit la renonciation du bailleur aux effets des commandements de payer.
L’article 3 du protocole du 21 décembre 2022 stipule :
« De convention expresse entre les Parties, à défaut de paiement ou de paiement partiel à bonne date (c’est-à-dire au plus tard le 5 de chaque mois) de deux échéances (étant précisé que les parties entendent par « échéance » l’addition d’une mensualité relative à l’Arriéré Locatif et/ou d’une échéance de loyers et charges courants) :
(…)- la clause résolutoire reprendra ses effets et le Bail sera définitivement et de plein droit résilié rétroactivement à effet au 17 octobre 2021 ;
Le Bailleur pourra poursuivre l’expulsion du Preneur et de tous occupants de son chef comme le recouvrement forcé des sommes dues par ce dernier sur la seule base du présent protocole sans avoir à introduire une nouvelle procédure judiciaire, le Preneur renonçant à solliciter des délais pour régler sa dette ou quitter les lieux.De convention expresse entre les Parties, les sanctions visées ci-dessus ne trouveront à s’appliquer qu’à défaut, pour le Preneur, d’avoir déféré dans les huit (8) jours du courrier recommandé avec accusé de réception que le Bailleur s’engage à lui adresser dès constat du défaut de paiement d’une échéance, même partiel. »
La transaction du 21 décembre 2022 prévoit expressément la renonciation par la société FAV WASHINGTON à son action en opposition au commandement de payer du 16 septembre 2021. Cet acte ayant un effet extinctif, la société FAV WASHINGTON ne peut plus contester la validité dudit commandement, de sorte que le moyen de défense tiré de l’invocation des dispositions de la loi n°2020-1379 est inopérant.
A titre surabondant, il est relevé que le commandement critiqué porte partiellement sur des dettes exigibles avant le 11 juillet 2020, de sorte que la contestation tirée de l’application de l’article 14 de la loi du 14 novembre 2020, qui concerne les loyers et charges échus à compter du 11 juillet 2020, est mal fondée.
L’effet extinctif attaché à la transaction homologuée fait également obstacle à la contestation du quantum de la créance, les parties ayant réglé le montant et le sort de la dette de loyers et charges échue au 31 décembre 2022 ne pouvant plus en contester le bien-fondé par la voie judiciaire.
La société FAV WASHINGTON reconnaît expressément ne pas avoir respecté l’échéancier fixé par le protocole d’accord transactionnel. Les décomptes versés aux débats établissent que les mensualités destinées à l’apurement de la dette arrêtée au 31 décembre 2022 augmentées des échéances courantes de loyers et charges n’ont pas été payées à leur date d’exigibilité, notamment en ce que l’échéance du mois d’avril 2023 a été payée au mois de mai 2023, et que le loyer afférent au mois de mai 2023 a pour partie été réglé au mois de juin 2023.
La société AESTIAM justifie de l’envoi de mises en demeure par courriers recommandés reçus les 13 mars puis 17 avril 2023. La société preneuse n’ayant pas régularisé sa situation dans les 8 jours de la réception de ces correspondances, la clause résolutoire a repris ses effets et le bail s’est trouvé rétroactivement résilié à effet au 17 octobre 2021, par application de l’article 3 du protocole d’accord transactionnel ayant force obligatoire entre les parties.
Par assignation délivrée le 15 novembre 2023, la société FAV WASHINGTON a sollicité du tribunal judiciaire statuant au fond, de suspendre à titre principal, l’exécution du protocole pour la période de mai 2023 au 31 décembre 2023, compte tenu de la survenue de circonstances imprévisibles affectant l’exécution dudit protocole pendant cette période, et à titre subsidiaire, la révision du protocole.
Toutefois, les violations du protocole ayant entraîné la résiliation rétroactive du bail sont antérieures aux circonstances invoquées, relatives à des événements survenus à compter du mois de mai 2023. Il s’ensuit que l’invocation de ces faits est indifférente à l’illicéité manifeste des inexécutions du protocole d’accord transactionnel.
Ils sont également antérieurs à la date d’effet de la demande de renouvellement du bail formulée par la société défenderesse, au demeurant refusée par la société AESTIAM.
Ainsi, l’inexécution répétée des obligations de la société défenderesse résultant du protocole d’accord du 21 décembre 2022, suivie de leur dénonciation conforme aux stipulations de l’article 3 dudit acte, ont, conformément à la volonté des parties qui s’est vue conférer force exécutoire par l’effet de son homologation judiciaire, entraîné la résiliation rétroactive du bail au 17 octobre 2021.
Dès lors, le maintien de la société FAV WASHINGTON dans les locaux loués constitue un trouble manifestement illicite qu’il appartient au juge des référés de faire cesser.
4.2 Sur les demandes subsidiaires de délais de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire, et de délais pour quitter les lieux
Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
En application des deux premiers alinéas de l’article L. 412-3 du code des procédures civiles d’exécution : « Le juge peut accorder des délais renouvelables aux occupants de lieux habités ou de locaux à usage professionnel, dont l'expulsion a été ordonnée judiciairement, chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales.
Le juge qui ordonne l'expulsion peut accorder les mêmes délais, dans les mêmes conditions. »
Selon l’article L. 412-4 du même code, « La durée des délais prévus à l'article L. 412-3 ne peut, en aucun cas, être inférieure à un mois ni supérieure à un an. Pour la fixation de ces délais, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l'occupant dans l'exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l'occupant, notamment en ce qui concerne l'âge, l'état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d'eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l'occupant justifie avoir faites en vue de son relogement. Il est également tenu compte du droit à un logement décent et indépendant, des délais liés aux recours engagés selon les modalités prévues aux articles L. 441-2-3 et L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation et du délai prévisible de relogement des intéressés. »
En l’espèce, la société AESTIAM oppose aux demandes subsidiaires formulées par la société FAV WASHINGTON les termes du protocole d’accord transactionnel du 21 décembre 2022. Cette argumentation ne constitue pas un moyen de défense au fond mais une fin de non-recevoir.
En application de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L’article 2044 du code civil définit la transaction comme un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.
L’article 2052 du même code dispose que la transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet.
En l’espèce, suite à la délivrance d’un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail, une instance a opposé les parties sur la validité dudit commandement, dans le cadre de laquelle la société FAV WASHINGTON a notamment sollicité à titre subsidiaire le bénéfice de délais de paiement et la suspension des effets de la clause résolutoire en application des articles 1343-5 du code civil et L145-41 du code de commerce.
Les parties ont signé un protocole d’accord transactionnel prévoyant la suspension des effets de la clause résolutoire sous la condition du respect par le preneur de délais de paiement, par acte sous seing privé du 21 décembre 2022, homologué par le juge de la mise en état par ordonnance du 26 janvier 2023 qui a constaté que le protocole emportait désistement d’instance et d’action des parties. Ainsi, le protocole du 21 décembre 2022 constitue une transaction revêtue de la force exécutoire, ce point ne faisant l’objet d’aucune contestation. Il stipule, en son article 3, que le preneur renonce à solliciter des délais pour régler sa dette ou quitter les lieux.
L’effet extinctif attaché à la transaction homologuée, qui constitue un titre exécutoire, fait en conséquence obstacle à la formulation de demandes de délais de paiement et de demandes de délais pour quitter les lieux, qui seront déclarées irrecevables.
Dès lors, il convient d’ordonner l’expulsion de la société défenderesse et de tous occupants de son chef des locaux sis [Adresse 2] et [Adresse 1], aux fins de mettre fin au trouble manifeste illicite.
Sur les demandes accessoiresSuccombant en ses prétentions, la société FAV WASHINGTON sera condamnée aux dépens, ceux-ci comprenant le coût de la signification de l’assignation à la partie défenderesse mais non celui de sa dénonciation aux créanciers inscrits qui ne constitue pas un dépens ni n'entretient de lien étroit et nécessaire avec l'instance dès lors qu'il correspond à une formalité destinée à préserver les seuls droits du bailleur.
Condamnée aux dépens, la société FAV WASHINGTON sera condamnée à payer à la société AESTIAM la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant en référé, par remise au greffe le jour du délibéré, après débats en audience publique, par décision contradictoire et en premier ressort,
Disons n’y avoir lieu à renvoi de l’affaire en audience de règlement amiable ;
Déclarons les dernières conclusions déposées par la société à responsabilité limitée FAV WASHINGTON recevables ;
Déclarons les demandes de la société civile de placement immobilier AESTIAM PIERRE RENDEMENT recevables ;
Constatons que les conditions d’acquisition de la clause résolutoire sont réunies à la date du 17 octobre 2021 ;
Déclarons irrecevable la demande subsidiaire formulée par la société à responsabilité limitée FAV WASHINGTON tendant à l’octroi de délais de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire ;
Déclarons irrecevable la demande subsidiaire formulée par la société à responsabilité limitée FAV WASHINGTON tendant à l’octroi de délais pour quitter les lieux ;
Ordonnons l’expulsion de la société FAV WASHINGTON et de tout occupant de son chef des lieux situés [Adresse 2] et [Adresse 1] avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d’un serrurier ;
Disons, en cas de besoin, que les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu’à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrits avec précision par l’huissier chargé de l’exécution, avec sommation à la personne expulsée d’avoir à les retirer dans un délai de quatre semaines à l’expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation du juge de l’exécution, ce conformément à ce que prévoient les dispositions du code des procédures civiles d’exécution sur ce point ;
Condamnons la société à responsabilité limitée FAV WASHINGTON aux dépens de l’instance ;
Condamnons la société à responsabilité limitée FAV WASHINGTON à payer à la société civile de placement immobilier AESTIAM PIERRE RENDEMENT la somme de cinq mille euros (5000 euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rappelons que la présente décision est exécutoire de droit à titre provisoire.
Fait à Paris le 28 juin 2024
Le Greffier,Le Président,
Marion COBOSMarie-Hélène PENOT