TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] C.C.C.F.E. + C.C.C.
délivrées le :
à Me IBARA (B0923)
Me ATTALI-MULLER (A0421)
■
18° chambre
2ème section
N° RG 22/08846
N° Portalis 352J-W-B7G-CXP6Y
N° MINUTE : 7
Assignation du :
11 Mai 2021
JUGEMENT
rendu le 27 Juin 2024
DEMANDERESSES
S.A.S. PAKITA PARIS (RCS Paris 801 629 999)
[Adresse 2]
[Localité 5]
S.A.R.L. SEARSH (RCS Paris 492 542 592), prise en la personne de Me [Y] [G], ès-qualités de liquidateur amiable
[Adresse 4]
[Localité 6]
représentées par Me Rochfelaire IBARA, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #B0923
DÉFENDEURS
Madame [R] [A]
[Adresse 3]
[Localité 7]
Monsieur [O] [A]
[Adresse 1]
[Localité 8]
représentés par Me Laurence ATTALI-MULLER, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #A0421
Décision du 27 Juin 2024
18° chambre 2ème section
N° RG 22/08846 - N° Portalis 352J-W-B7G-CXP6Y
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Lucie FONTANELLA, Vice-présidente
Maïa ESCRIVE, Vice-présidente
Cédric KOSSO-VANLATHEM, Juge
assistés de Henriette DURO, Greffier
DÉBATS
A l’audience du 21 Mars 2024 tenue en audience publique.
Après clôture des débats, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 27 Juin 2024.
JUGEMENT
Rendu publiquement
Contradictoire
En premier ressort
Sous la rédaction de Lucie FONTANELLA
EXPOSÉ DU LITIGE
Par acte sous seing privé du 1er juillet 2010, madame [E] [N] veuve [A], ainsi que monsieur [O] [A] et madame [R] [A] ont consenti à la société SARAHDAVID un bail commercial portant sur des locaux sis [Adresse 2] à [Localité 5], pour une durée de trois, six, neuf ans se terminant le 30 juin 2019 et moyennant un loyer hors taxes et droits de 3 700 € par mois, soit 44 400 € par an, payable mensuellement et d'avance.
Les locaux sont désignés de la façon suivante : " Une boutique au rez-de-chaussée à gauche de l'entrée de l'immeuble avec une pièce au premier étage d'environ 20 m² étant précisé que l'accès à cette pièce située au premier étage se fera exclusivement par l'intérieur du magasin, une cave au sous-sol avec accès par la boutique ".
Par acte notarié du 10 janvier 2013, la société SARAHDAVID a cédé son droit au bail à la S.A.R.L. SEARSH.
Celle-ci a, à son tour, cédé son droit au bail à la S.A.S. PAKITA PARIS par acte sous seing privé du 15 janvier 2015, à effet rétroactif au 1er janvier 2015.
Par lettre recommandée avec accusé de réception présentée le 12 janvier 2021, les consorts [A] ont mis en demeure la locataire de payer, dans les huit jours, une somme de 10 640 € correspondant au solde du loyer de mai 2020, au loyer de décembre 2020 et au loyer de janvier 2021.
Ils ont exposé dans ce courrier que la carence de la locataire dans le paiement des loyers induisait des problèmes financiers (notamment le paiement d'une pension pour madame [A], en EHPAD), que les retards de paiement étaient récurrents et antérieurs aux fermetures admnistratives touchant son activité depuis le 15 mars 2020 et ont rappelé avoir déjà consenti la remise des loyers d'avril et de novembre 2020, un étalement, partiellement réglé, de celui de mai 2020 et une révision de loyer, réduit de 500 € par mois, à partir de décembre 2020.
Par lettre datée du 21 janvier 2021, la S.A.S. PAKITA PARIS lui a répondu qu'elle était sur le point de vendre son bail commercial, qu'elle ne manquerait pas de donner suite à son courrier par la voie de son conseil maître Rochfelaire IBARA et l'invitait à contacter celui-ci.
Par courrier électronique du 10 février 2021, cet avocat a sollicité des bailleurs divers documents relatifs à la propriété des locaux loués et à leur changement d'usage au 1er janvier 1970.
Par lettre recommandée du 09 mars 2021 avec accusé de réception, le conseil des bailleurs a mis en demeure la locataire de payer un arriéré locatif de 18 320 €, terme de mars 2021 inclus, exposant avoir tenté à maintes reprises, et sans succès, de se rapprocher d'elle, mais que ses clients n'étaient pas opposés à un règlement amiable.
Madame [E] [N] veuve [A] est décédée le 18 mars 2021, laissant ses deux enfants, monsieur [O] [A] et madame [R] [A], pour lui succéder.
Par lettre datée du 30 mars 2021, le conseil de la locataire a répondu à celui des bailleurs être toujours dans l'attente des documents réclamés, indiquant qu'ils étaient indispensables à la régularisation de la vente du fonds et que sa cliente apurerait l'arriéré locatif à cette occasion.
Par acte extrajudiciaire du 28 avril 2021, monsieur [O] [A] et madame [R] [A] ont fait délivrer à la locataire un commandement de payer un arriéré locatif de 22 160 € visant la clause résolutoire du bail ainsi que les articles L.145-41 et L.145-17 du code de commerce.
Par acte du 11 mai 2021, la S.A.S. PAKITA PARIS et la S.A.R.L. SEARSH, représentée par son liquidateur amiable monsieur [Y] [G], ont assigné madame [E] [N] veuve [A], ainsi que monsieur [O] [A] et madame [R] [A] devant le tribunal judiciaire de PARIS.
Par acte extrajudiciaire du 23 août 2021, monsieur [O] [A] et madame [R] [A] ont fait délivrer à la locataire un nouveau commandement de payer un arriéré locatif de 37 520 € visant la clause résolutoire du bail ainsi que les articles L.145-41 et L.145-17 du code de commerce.
Par ordonnance du 04 juillet 2022, l'affaire a été radiée du rôle des audiences en raison d'un défaut de diligence des parties.
Elle a été rétablie le 19 juillet 2022, le conseil des demanderesses ayant adressé des conclusions le 14 juillet précédent et sollicité la remise de l'affaire au rôle.
Dans leurs dernières écritures notifiées par RPVA le 14 juillet 2022, la S.A.S. PAKITA PARIS et la S.A.R.L. SEARSH, représentée par son liquidateur amiable monsieur [Y] [G], sollicitent du tribunal de :
-prononcer la nullité :
*des baux commerciaux des 17 novembre 1993 et 1er juillet 2010 et leur tacite reconduction pour violation des conditions de validité des obligations conventionnelles ainsi que des dispositions de l'article L.631-7 du code de la construction et de l'habitation,
*des actes de cession de droit au bail consentis le 28 novembre 1994, le 02 octobre 2003, le 02 octobre 2009, le 1er juillet 2010 et le 15 janvier 2015 respectivement par TSIPOR, DAVID II, CHINANOU, SARAHDAVID, SEARSH et PAKITA PARIS pour violation des dispositions de l'article L.631-7 du code de la construction et de l'habitation,
Décision du 27 Juin 2024
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-prononcer en conséquence la nullité, ou à défaut la caducité, du commandement de payer visant la clause résolutoire signifié le 22 avril 2021 pour violation des dispositions des articles L.145-41 du code de commerce et L.631-7 du code de la construction et de l'habitation,
-condamner, in solidum, madame [E] [N] veuve [A], ainsi que monsieur [O] [A] et madame [R] [A] à lui payer une somme totale de 1 313 625 €, dont :
*11 250 € à titre de restitution du dépôt de garantie,
*1 252 375 € à titre de restitution des loyers, charges, impôts et taxes,
*50 000 €, sauf à parfaire, à titre de restitution des impenses,
-donner acte à la S.A.S. PAKITA PARIS de son offre d'indemnisation de la jouissance et de l'occupation des locaux sis [Adresse 2] à [Localité 9], qui ne saurait être distincte de l'évaluation du mètre carré des locaux d'habitation proposée par l'observatoire des loyers parisiens (OLAP),
-juger, le cas échéant, que les consorts [A] ne sont pas restituables consécutivement à l'annulation des baux en raison de l'application des principes généraux du droit " fraus omnia corrompit " et " nemo auditur propriam turpitadem allegens ",
-ordonner la compensation à due concurrence des créances réciproques, connexes et liquides, des consorts [A] dont le montant total ne pourra excéder les cinq dernières années d'occupation des lieux et les créances de restitution des loyers et charges locatives, dépôt de garantie,
-condamner, in solidum, madame [E] [N] veuve [A], ainsi que monsieur [O] [A] et madame [R] [A] aux dépens de l'instance, lesquels comprendront le coût du placement et de la signification de l'assignation, ainsi que des éventuels frais d'expertise judiciaire ordonnée dans le cadre de la présente instance, outre leur condamnation in solidum à payer à la S.A.S. PAKITA PARIS une somme de 10 000 € au titre de ses frais irrépétibles,
-de débouter les défendeurs de l'ensemble de leurs demandes, y compris de retrait de l'exécution provisoire.
Dans leurs dernières écritures du 09 décembre 2022, monsieur [O] [A] et madame [R] [A] sollicitent du tribunal :
-le rejet des demandes de la S.A.S. PAKITA PARIS et de la S.A.R.L. SEARSH,
À titre principal,
-de constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail, et, en conséquence, la résiliation du bail à compter du 29 mai 2021 ou à défaut à compter du 24 septembre 2021,
-d'ordonner l'expulsion de la S.A.S. PAKITA PARIS et de tous occupants de son chef dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, avec l'assistance de la force publique s'il y a lieu, et sous astreinte de 500 € par jour de retard, à compter du prononcé de l'ordonnance et jusqu'au départ définitif,
-d'ordonner le transport et la séquestration de tous les meubles garnissant les lieux dans tel garde meuble qu'il plaira au bailleur, en garantie des sommes qui pourront lui être dues,
-de condamner la S.A.S. PAKITA PARIS à leur payer :
*une somme de 107 960 € représentant le montant des loyers et charges arriérés, terme de décembre 2022 inclus, et toute autre somme due au jour du prononcé de la décision,
*une indemnité d'occupation de 4 440 € TTC par mois, taxes et prestations payables en sus, le tout majoré de 10%, à compter du 29 mai ou du 24 septembre 2021 et jusqu'à la libération effective des lieux, caractérisée par la remise des clefs,
À titre subsidiaire,
-la résiliation judiciaire du bail du 1er juillet 2010,
En tout état de cause,
-de condamner la S.A.S. PAKITA PARIS à leur payer :
*une somme de 107 960 € représentant le montant des loyers et charges arriérés, terme de décembre 2022 inclus, et toute autre somme due au jour du prononcé de la décision,
*une indemnité d'occupation de 4 440 € TTC par mois, taxes et prestations payables en sus, le tout majoré de 10%, à compter du 24 septembre 2021 et jusqu'à la libération effective des lieux, caractérisée par la remise des clefs,
-d'ordonner l'expulsion de la S.A.S. PAKITA PARIS et de tous occupants de son chef dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, avec l'assistance de la force publique s'il y a lieu, et sous astreinte de 500 € par jour de retard, à compter du prononcé de l'“ordonnance” et jusqu'au départ définitif,
-d'ordonner le transport et la séquestration de tous les meubles garnissant les lieux dans tel garde meuble qu'il plaira au bailleur, en garantie des sommes qui pourront lui être dues,
-d'ordonner le règlement des intérêts légaux en application de l'article 1343-2 du code civil, avec capitalisation, à compter du 1er janvier 2020,
-de condamner la S.A.S. PAKITA PARIS à leur payer :
*le prix du bail pendant le temps nécessaire à la relocation sans préjudice des dommages et intérêts qui pourraient résulter de leur abus,
*une indemnité de 20 000 € pour procédure abusive,
*une somme de 10 000 € au titre de leurs frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris l'indemnité de procédure et le coût des commandements de payer des 28 avril et 23 août 2021.
La clôture de la mise en état a été prononcée par ordonnance du 27 février 2023.
Pour un exposé exhaustif des prétentions des parties, le tribunal se réfère expressément à leurs écritures par application de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il y a lieu au préalable de préciser que le tribunal n'a pu prendre en compte les conclusions n°3 des demanderesses, figurant dans leur dossier déposé au tribunal, dès lors que celles-ci, auxquelles aucun accusé de réception du réseau RPVA n'est joint, ne figurent pas dans les écritures échangées sur ledit réseau RPVA, de sorte qu'il n'est pas justifié de leur notification régulière entre avocats, telle que prévue par les articles 748-1 et suivants du code de procédure civile.
Sur la demande d'annulation du bail
Il est soutenu en demande que le bail commercial litigieux est nul en ce qu'il a été consenti en violation des dispositions d'ordre public de l'article L.631-7 du code de la construction et de l'habitation, dès lors que la partie louée au premier étage était un appartement affecté à un usage d'habitation au 1er janvier 1970, qui ne pouvait postérieurement être loué pour un autre usage sans autorisation administrative ni compensation.
Les demanderesses expliquent notamment que les locaux avaient été loués en 1961 avec la description d' “une boutique au rez-de-chaussée gauche (lot 13) et un appartement de quatre pièces principales au 1er étage dudit immeuble, sur rue avec les dépendances (lot 14)”, la locataire étant, aux termes du bail du 15 octobre 1961, domiciliée au [Adresse 2], de sorte que ledit bail était mixte, et que la fiche de révision foncière souscrite sur déclaration modèle C le 22 septembre 1970 par la propriétaire mentionnait " 3 ateliers et un appartement ", tandis que la cave louée (lot 10) n'était que postérieurement au 1er janvier 1970 décrite comme une réserve, alors qu'elle était affectée à l'usage de l'appartement.
Elles ajoutent que les défendeurs ne rapportent pas la preuve d'un usage effectif renversant la présomption légale d'affectation à l'habitation des locaux, telle qu'elle ressort du titre de propriété de leur auteur monsieur [J] [A], des stipulations du règlement de copropriété de l'immeuble et des déclarations d'usage de la bailleresse du 22 septembre 1970.
Elles en déduisent l'existence d'un vice du consentement et d'un manquement des bailleurs à l'obligation de délivrance du bien loué entachant de nullité le bail conclu en 2010 mais également le bail antérieurement conclu le 17 novembre 1993 et les actes de cession de bail conclus entre les locataires successifs, considérant que la solidarité entre ces locataires successifs leur confère un pouvoir de représentation mutuelle liée à leur communauté d'intérêts leur donnant qualité et intérêt légitime à agir aux fins d'annulation de ces actes.
Les défendeurs répliquent que les demanderesses n'ont contesté la validité du bail que pour faire obstacle à une demande de règlement d'un arriéré locatif, alors que les loyers ne sont plus du tout payés et que la société PAKITA continue d'exercer son activité dans les lieux loués.
Ils font valoir qu'il est prouvé, au vu des pièces fournies, que les locaux loués, tant la boutique, que la cave et les pièces du premier étage étaient effectivement affectés à un usage commercial au 1er janvier 1970.
Ils reprochent aux demanderesses de tenter de manipuler le tribunal en voulant faire croire qu'un monsieur [D] [L] aurait habité le lot n°14 à cette date alors que le numéro 14 dans la déclaration visée n'est pas le numéro de lot de copropriété, mais un numéro d'ordre, l'intéressé habitant en réalité au sixième étage, ou que le lot n°10, la cave, aurait été occupée par un monsieur [X], qui occupait en fait un bien situé au cinquième étage, ladite cave étant quant à elle reliée par une trappe à la boutique.
L'article L.631-7 du code de la construction et de l'habitation, dispose que :
" La présente section est applicable aux communes de plus de 200 000 habitants et à celles des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Dans ces communes, le changement d'usage des locaux destinés à l'habitation est, dans les conditions fixées par l'article L. 631-7-1, soumis à autorisation préalable.
Constituent des locaux destinés à l'habitation toutes catégories de logements et leurs annexes, y compris les logements-foyers, logements de gardien, chambres de service, logements de fonction, logements inclus dans un bail commercial, locaux meublés donnés en location dans les conditions de l'article L. 632-1 ou dans le cadre d'un bail mobilité conclu dans les conditions prévues au titre Ier ter de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986.
Pour l'application de la présente section, un local est réputé à usage d'habitation s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. Cette affectation peut être établie par tout mode de preuve. Les locaux construits ou faisant l'objet de travaux ayant pour conséquence d'en changer la destination postérieurement au 1er janvier 1970 sont réputés avoir l'usage pour lequel la construction ou les travaux sont autorisés.
Toutefois, lorsqu'une autorisation administrative subordonnée à une compensation a été accordée après le 1er janvier 1970 pour changer l'usage d'un local mentionné à l'alinéa précédent, le local autorisé à changer d'usage et le local ayant servi de compensation sont réputés avoir l'usage résultant de l'autorisation.
Sont nuls de plein droit tous accords ou conventions conclus en violation du présent article. "
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Il est constant que si l'affectation à l'usage de logement se présume pour les locaux construits à fin d'habitation, la preuve d'une autre affectation au 1er janvier 1970 peut être apportée par tout moyen.
L'usage autre que d'habitation s'apprécie in concreto, soit en considération de l'usage effectif des locaux, indépendamment de leur désignation dans un titre de propriété ou un titre locatif.
En l'espèce, les parties ont notamment produit aux débats :
-le bail consenti par monsieur [S] à madame veuve [V] le 15 octobre 1947 portant sur " une boutique de l'immeuble [Adresse 2], close sur la rue par une devanture en tôle ondulée et d'un sous-sol carrelé avec escalier réunissant ces locaux " ;
-le " bail de locaux commerciaux ou industriels " consenti le 15 octobre 1961 par madame veuve [S] et mademoiselle [F] [S] à " madame [U] veuve en premières noces de monsieur [V] (…) demeurant à [Localité 5], [Adresse 2] " désignant les locaux loués comme " Une boutique sise au rez-de-chaussée gauche, et un appartement de quatre pièces principales au Ier étage du dit immeuble, sur rue, avec leurs dépendances " et mentionnant l'exercice d'un " commerce de confection en tous genres et bonneterie à l'exclusion de tout autre " ;
-un acte daté du 30 décembre 1964 de cession de droit au bail par madame [U] veuve [V] " demeurant à [Localité 10] [Adresse 11] " à monsieur [J] [A] et à son épouse madame [E] [N], décrivant les lieux loués au [Adresse 2] comme " une boutique située au rez-de-chaussée gauche et un appartement de quatre pièces principales au 1er étage dudit immeuble sur rue avec leurs dépendances dans lesquelles elle exerce le commerce de confection en tous genres et bonneterie à l'exclusion de tout autre ",
-une annonce de la cession de fonds de commerce entre madame [U] et les époux [A] (Petites Affiches),
-une fiche de révision foncière " déclaration modèle C " (locaux commerciaux) remplie et signée le 22 septembre 1970 par [F] [S] décrivant les lieux loués comme comprenant une boutique en rez-de-chaussée, un bureau et trois ateliers au premier étage et une réserve en sous-sol,
-un acte notarié du 14 décembre 1971 de vente par madame [P] [S] et madame [F] [S] à monsieur [J] [A] et à son épouse madame [E] [N] des locaux loués, décrits comme comprenant " Au sous-sol ; une cave (…) lot numéro dix ", " Au rez-de-chaussée ; une boutique à gauche de l'entrée de l'immeuble (…) lot numéro treize " et " Au premier étage ; un local sur rue comprenant ; deux ateliers, deux dépôts, toilette, water-closet (…) lot numéro quatorze ",
-une attestation de la mairie de PARIS du 27 mai 2021 selon laquelle aucune autorisation subordonnée à une compensation n'a été délivrée pour ces locaux depuis 1970, les locaux n'ont pas été proposés en compensation dans le cadre d'une opération de changement d'usage depuis 1970, l'administration n'a eu connaissance d'aucun local affecté temporairement à l'habitation dans cet immeuble entre le 1er janvier 1970 et le 10 juin 2005.
Le bail de 1947 ne donne aucun renseignement sur les locaux au premier étage mais permet de constater que la cave en sous-sol est affectée au commerce.
En tout état de cause, il peut difficilement être considéré que cette cave est susceptible d'être un local à usage d'habitation entrant dans le champ d'application de l'article L.631-7 et dont la location à un autre usage pourrait être sanctionné par une nullité du bail.
Le bail consenti à madame [U] veuve [V] le 15 octobre 1961 domicilie la locataire dans les lieux loués et fait mention d'un appartement au premier étage ; les demanderesses en déduisent que la locataire habitait ledit appartement, et que celui-ci avait donc un usage d'habitation avant le 1er janvier 1970.
Celles-ci se prévalent également de la fiche de révision foncière " déclaration modèle C " (locaux commerciaux) remplie et signée le 22 septembre 1970 par la propriétaire des lieux, madame [S], soutenant que celle-ci a écrit " trois ateliers et un appartement ".
Toutefois, si la locataire a déclaré, aux termes du bail de 1961, se domicilier dans les lieux loués, cette seule mention ne démontre pas qu'elle y habitait effectivement, les défendeurs relevant avec pertinence que son adresse était, dans le bail de 1947 et dans l'acte de cession de bail de 1964, au [Adresse 11].
En tout état de cause, il apparaît, au vu de l'acte de cession de bail du 30 décembre 1964, que les époux [A], qui lui ont succédé dans les lieux en 1965, et qui les occupaient au 1er janvier 1970, résidaient à une autre adresse.
L'occupation d'un logement des locataires hors des lieux loués est corroborée par une déclaration d'accident du travail de monsieur [J] [A] du 24 juillet 1967 et des attestations de versement de cotisations de la Caisse primaire d'assurance maladie des 03 décembre 1969 et 23 novembre 1970 mentionnant son adresse au 168, boulevard Sérurier.
L'affectation de l'appartement à un usage autre que d'habitation, soit de bureau et d'atelier de confection à la même époque, ressort de :
-la déclaration modèle C, précitée, remplie le 22 novembre 1970 par madame [F] [S] épouse [W], alors propriétaire des lieux loués, qui les décrivait au 1er janvier 1970 comme comportant, outre la boutique en rez-de-chaussée et la réserve (cave) en sous-sol, des locaux de 94 m² en premier étage incluant - atelier pour 37,8m², - réserve pour 18,5m², - bureau pour 13,2m², - réserve pour 8,5m² et - couloir pour 16m² ; contrairement à ce que soutiennent les demanderesses, la bailleresse n'a pas mentionné " 3 ateliers et un appartement ", mais écrit " un appartement " en face des mots " atelier " et " bureau ", dans la même colonne ; il est précisé que ce document, bien que postérieur à la date de référence du 1er janvier 1970, peut servir de preuve pour établir la situation à ladite date ;
-une réponse à une demande d'information de l'administration fiscale écrite par madame [F] [S] épouse [W] le 23 janvier 1973, confirmant ces déclarations concernant les locaux du premier étage et que l'appartement était à usage exclusivement commercial ;
-une police d'assurance souscrite par monsieur [A], en date du 27 avril 1970, indiquant qu'il déclare " exploiter un magasin de vente en gros de vêtements pour enfants (avec atelier de coupe) " " en rez-de-chaussée et Ier étage " et divers documents relatifs aux employés dans les lieux (livre des entrées et sorties du personnel, livre d'appointements et de salaires, déclaration nominative des salaires de 1969, état annuel nominatif de 1969, convocation à la médecine du travail de madame [K] de 1964 et de monsieur [V] de 1965), démontrant qu'outre des vendeurs, une secrétaire, des mécaniciens et des coupeurs étaient embauchés, certains ne travaillant pas à domicile mais dans les locaux loués ; il est expliqué à ce titre que l'activité exercée, qui ne consistait pas seulement à vendre des vêtements mais aussi à les confectionner, exigeait de disposer de locaux assez grands pour accueillir des tables de coupe, qui ne pouvaient être disposée qu'à l'étage au dessus du magasin, de même que le bureau pour le secrétariat.
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Il résulte de l'ensemble de ces pièces un faisceau d'éléments suffisants pour démontrer, au 1er janvier 1970, un usage effectif autre que d'habitation des locaux situés au premier étage, si bien que le tribunal ne saurait s'arrêter à la qualification d' " appartement " dans les titres de propriété ou locatifs afférents.
Il y a lieu en conséquence de constater que la demande d'annulation des baux litigieux n'est pas fondée, et en conséquence, de la rejeter.
Dès lors, les demandes subséquentes d'annulation des cessions de bail, ainsi que de restitutions des diverses sommes versées en exécution desdits baux, qui ne peuvent davantage prospérer, seront également rejetées.
Sur la demande d'annulation du commandement de payer
Le tribunal précise, pour la parfaite compréhension de son raisonnement, que les demanderesses n'ont demandé, dans le dispositif de leurs conclusions, que l'annulation d'un commandement du 22 avril 2021 (étant précisé que la pièce communiquée est un commandement du 28 avril 2021) même si dans les motifs de leurs écritures elles se sont prévalues de la nullité tant de cet acte que de celui délivré le 23 août 2021.
De plus, considérant que la demande de nullité indique de façon erronée la date du 22 avril au lieu de celle du 28 et qu'il s'agit d'une erreur purement matérielle, la présente juridiction la rectifie d'office, la partie adverse ayant répondu aux moyens en évoquant le seul acte du 28 avril.
*Au titre d'un " défaut de qualité et de capacité à agir des requérants "
Il est soutenu en premier lieu, au visa des articles 125 et 648 du code de procédure civile, de l'article L.145-41 du code de commerce et de l'article 815-3 du code civil, que les commandements de payer des 22 (28) avril et 23 août 2021 sont nuls dès lors que le décès de madame [A] est survenu le 18 mars 2021, que l'acte de notoriété, qui assure l'opposabilité de la qualité d'héritier aux tiers, n'a été établi que le 20 juillet 2021 et que lesdits commandements ont donc été notifiés sans que [O] et [R] [A] n'aient préalablement dénoncé leur qualité d'héritiers.
L'article 648 du code de procédure civile dispose que :
« Tout acte de commissaire de justice indique, indépendamment des mentions prescrites par ailleurs :
1. Sa date ;
2. a) Si le requérant est une personne physique: ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ;
b) Si le requérant est une personne morale: sa forme, sa dénomination, son siège social et l'organe qui la représente légalement.
3. Les nom, prénoms, demeure et signature du commissaire de justice ;
4. Si l'acte doit être signifié, les nom et domicile du destinataire, ou, s'il s'agit d'une personne morale, sa dénomination et son siège social.
Ces mentions sont prescrites à peine de nullité. »
Il est constant que la nullité des actes d'huissier de justice est régie par les dispositions qui gouvernent la nullité des actes de procédure.
L'article 114 du code de procédure civile dispose notamment qu' " aucun acte de procédure ne peut être déclaré nul pour vice de forme si la nullité n'en est pas expressément prévue par la loi, sauf en cas d'inobservation d'une formalité substantielle ou d'ordre public. La nullité ne peut être prononcée qu'à charge pour l'adversaire qui l'invoque de prouver le grief que lui cause l'irrégularité, même lorsqu'il s'agit d'une formalité substantielle ou d'ordre public. "
L'article 815-3 du code civil, cité par les demanderesses, énonce les actes qui peuvent être accomplis par les indivisaires à la majorité et ceux qui requièrent l'unanimité de leurs consentements.
Force est de constater en l'espèce que la qualité de bailleurs de [O] et d'[R] [A] préexistait au décès de leur mère et qu'un commandement de payer visant la clause résolutoire d'un bail constitue un simple acte conservatoire, qui en vertu de l'article 815-2 du code civil, peut être accompli par un indivisaire seul, de sorte qu'ils avaient, qu'ils aient ou non la qualité d'héritiers de leur mère, le pouvoir de le délivrer ; cette information était donc indifférente.
La demande de nullité de ce chef ne peut donc prospérer.
*Au titre d'une " absence de visa du bail commercial "
Les demanderesses soutiennent à ce titre que le commandement du 22 avril 2021 (du 28 avril 2021) est nul dès lors qu'il ne vise pas le bail, mais ne mentionne que la clause résolutoire contenue dans celui-ci, en indiquant seulement " Je vous rappelle que vous êtes locataire des locaux à usage commercial dépendant de l'immeuble sis [Adresse 2] [Localité 5] ".
Les défendeurs répliquent que le commandement a été délivré sur le fondement du seul bail existant et en cours, cédé à la locataire actuelle par acte du 15 janvier 2015, ce qu'elle ne pouvait ignorer et que le commandement du 23 août 2021 vise expressément le bail du 1er juillet 2010.
L'article L.145-41 du code de commerce dispose que :
" Toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai. "
Il convient de constater que la mention du bail contenant la clause résolutoire mise en œuvre par le commandement de payer n'est pas exigée par un texte et, surtout, que le défaut de cette précision ne fait aucunement grief en l'espèce à la locataire, qui ne pouvait ignorer de quel bail il s'agissait ; elle avait d'ailleurs, dans les mois précédents, informé les bailleurs de son intention de le céder, son conseil ayant alors réclamé diverses pièces afférentes à l'immeuble, parmi lesquelles ledit bail ne figurait pas, et a, moins de trois semaines plus tard, agi en nullité dudit bail, démontrant ainsi en avoir une parfaite connaissance.
La demande d'annulation de ce chef sera donc également rejetée.
*Au titre de " l'indétermination du décompte de la dette locative et la suspension du recouvrement forcé des loyers échus pendant la crise sanitaire "
Les demanderesses prétendent que les bailleurs ne pouvaient réclamer le paiement des loyers échus pendant le premier confinement et que la mise en œuvre de la clause résolutoire est privée d'effet si le bailleur a agi avec une déloyauté manifeste, faisant valoir que (dans l'ordre invoqué dans leurs écritures) :
-l'exception d'inexécution peut être opposée par la partie qui craint que la contre prestation de son obligation ne soit pas fournie,
-le débiteur d'une obligation est exonéré de son exécution en cas de force majeure,
-l'article 14 II de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020 pose un principe de suspension des poursuites et des actions aux fins de condamnation des locataires à raison des loyers échus pendant la première période de confinement,
-qu'en l'espèce, les bailleurs, qui ne justifient pas d'une mise en location commerciale régulière des locaux, ne peuvent garantir au preneur la jouissance paisible des lieux,
-qu'en prévention de leur défaillance, la locataire peut leur opposer une exception d'inexécution de son obligation de payer les loyers et charges jusqu'à nouvel ordre et en témoignage de sa bonne foi sera autorisée à consigner en CARPA le montant de l'indemnité d'occupation mensuelle des lieux sur la base des tarifs de l'observatoire des loyers parisiens (OLAP) pour les locaux à usage d'habitation,
-que la crise sanitaire de la pandémie de COVID-19 constitue un cas de force majeure,
-que l'empêchement résultant des mesures de confinement est assimilable à une destruction juridique de la chose louée pendant les premier et deuxième confinements,
-que pour cette raison, le commandement sera annulé en raison de l'inexactitude du quantum de la dette locative qu'il vise à concurrence des montants respectifs de 6 800 € et 37 784, 92 € sans plus ample précision sur la période de référence ni sur la nature de l'arriéré, suivant qu'il concerne le loyer ou les charges.
L'article 9 de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, prévoit que ses dispositions entreront en vigueur le 1er octobre 2016, les contrats conclus avant cette date demeurant soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public.
Le bail litigieux étant en l'espèce daté du 1er juillet 2010, soit antérieurement à l'entrée en vigueur, le 1er octobre 2016, des nouveaux textes du code civil issus de l'ordonnance du 10 février 2016, il convient de faire application des articles dudit code dans leur version antérieure.
Il est admis que le bailleur devant exécuter le bail de bonne foi en vertu de l'ancien article 1134 du code civil, dans sa version applicable en l'espèce, le locataire peut faire obstacle aux effets de la délivrance d'un commandement de payer s'il prouve que le propriétaire a fait un usage déloyal de ses prérogatives contractuelles.
Ainsi, le commandement délivré avec une intention malicieuse est de nul effet.
En application de l'ancien article 1184 du code civil, une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.
Néanmoins, en l'espèce, il est constaté que les locaux loués ont bien été mis à disposition de la locataire par les bailleurs et que les mesures d'interdiction de recevoir du public et les restrictions d'exploitation dues aux mesures sanitaires qui ont pu affecter son activité sont le seul fait du législateur.
Par ailleurs, le défaut de délivrance au titre d'une absence d'autorisation de changement de destination des locaux fondé sur l'article L.631-7 du code de la construction et de l'habitation ne saurait être constaté, alors que le tribunal a jugé ci-avant d'un usage commercial desdits locaux au 1er janvier 1970.
Il n'est donc pas justifié d'un manquement des bailleurs à leur obligation de délivrance justifiant que la locataire soit dispensée d'exécuter son obligation, en contrepartie, de payer les loyers.
Le moyen tiré de l'exception d'inexécution ne peut donc qu'être rejeté.
L'ancien article 1148 du code civil dispose que :
" Il n'y a lieu à aucun dommage et intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ".
Il est constant que le débiteur d'une obligation contractuelle de payer une somme d'argent ne peut s'exonérer en invoquant un cas de force majeure et que celle-ci ne profite pas au créancier d'une obligation qui n'a pu profiter de la contrepartie à laquelle il avait droit du fait d'un événement de force majeure ayant empêché son cocontractant de respecter ses engagements.
Le moyen fondé sur la force majeure ne peut donc prospérer, dès lors que la demanderesse est débitrice d'une obligation de paiement de sommes d'argent et que ce n'est pas l'exécution de son obligation que la force majeure aurait empêchée mais la contrepartie qu'elle en attendait, la jouissance des lieux loués.
Selon l'article 1722 du code civil :
" Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, selon les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement. "
Il est admis que la perte peut ne pas être matérielle mais " juridique " et résulter de l'impossibilité dans laquelle se trouve le preneur de jouir de la chose conformément à sa destination.
Mais il est maintenant constant que les mesures d'interdiction de recevoir du public et les restrictions sanitaires, mesures de police administrative générales et temporaires, sont sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué et ne peuvent donc être assimilées à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil.
Le moyen tiré de la perte de la chose louée ne permet donc pas davantage d'exonérer, totalement ou partiellement, la locataire de son obligation de paiement des loyers.
L'article 14 de la loi n°2020-1379 du 14 novembre 2020 dispose notamment que :
" I. - Le présent article est applicable aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique affectée par une mesure de police administrative prise en application des 2° ou 3° du I de l'article 1er de la loi n° 2020-856 du 9 juillet 2020 organisant la sortie de l'état d'urgence sanitaire ou du 5° du I de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique, y compris lorsqu'elle est prise par le représentant de l'Etat dans le département en application du second alinéa du I de l'article L. 3131-17 du même code. Les critères d'éligibilité sont précisés par décret, lequel détermine les seuils d'effectifs et de chiffre d'affaires des personnes concernées ainsi que le seuil de perte de chiffre d'affaires constatée du fait de la mesure de police administrative.
II. - Jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle leur activité cesse d'être affectée par une mesure de police mentionnée au I, les personnes mentionnées au même I ne peuvent encourir d'intérêts, de pénalités ou toute mesure financière ou encourir toute action, sanction ou voie d'exécution forcée à leur encontre pour retard ou non-paiement des loyers ou charges locatives afférents aux locaux professionnels ou commerciaux où leur activité est ou était ainsi affectée. "
Le décret n°2020-1766 du 30 décembre 2020 fixe les critères d'éligibilité au bénéfice de cette mesure :
" I. - Pour l'application de l'article 14 de la loi du 14 novembre 2020 susvisée, les personnes physiques et morales de droit privé mentionnées au I du même article sont celles remplissant les critères d'éligibilité suivants :
1° Leur effectif salarié est inférieur à 250 salariés ;
2° Le montant de leur chiffre d'affaires constaté lors du dernier exercice clos est inférieur à 50 millions d'euros ou, pour les activités n'ayant pas d'exercice clos, le montant de leur chiffre d'affaires mensuel moyen est inférieur à 4,17 millions d'euros ;
3° Leur perte de chiffre d'affaires est d'au moins 50 % appréciés selon les modalités fixées au II.
II. - Pour les mesures de police administrative prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire déclaré le 17 octobre 2020, le critère de perte de chiffre d'affaires mentionné au 3° du I du présent article correspond à une perte de chiffre d'affaires d'au moins 50 % durant la période comprise entre le 1er novembre 2020 et le 30 novembre 2020, laquelle est définie comme la différence entre, d'une part, le chiffre d'affaires au cours du mois de novembre 2020 et, d'autre part :
- le chiffre d'affaires durant la même période de l'année précédente ;
- ou, si l'entreprise le souhaite, le chiffre d'affaires mensuel moyen de l'année 2019 ;
- ou, pour les entreprises créées entre le 1er juin 2019 et le 31 janvier 2020, le chiffre d'affaires mensuel moyen sur la période comprise entre la date de création de l'entreprise et le 29 février 2020 ;
- ou, pour les entreprises créées entre le 1er février 2020 et le 29 février 2020, le chiffre d'affaires réalisé en février 2020 et ramené sur un mois ;
- ou, pour les entreprises créées après le 1er mars 2020, le chiffre d'affaires mensuel moyen réalisé entre le 1er juillet 2020, ou à défaut la date de création de l'entreprise, et le 30 septembre 2020
III. - Pour les entreprises ayant fait l'objet d'une interdiction d'accueil du public, le chiffre d'affaires du mois de novembre 2020 mentionné au II n'intègre pas le chiffre d'affaires réalisé sur les activités de vente à distance avec retrait en magasin ou livraison.
IV. - Lorsqu'elles sont constituées sous forme d'association, les personnes mentionnées au I ont au moins un salarié.
V. - Les conditions fixées aux 1° et 2° du I sont considérées au premier jour où la mesure de police administrative mentionnée au I de l'article 14 de la loi susvisée s'applique. Le seuil d'effectif est calculé selon les modalités prévues par le I de l'article L. 130-1 du code de la sécurité sociale et il est tenu compte de l'ensemble des salariés des entités liées lorsque l'entreprise locataire contrôle ou est contrôlée par une autre personne morale au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce. "
En l'espèce, force est de constater que la locataire se contente de viser la loi du 14 novembre 2020 et d'en conclure que les commandement de payer qui lui ont été délivrés sont nuls, sans aucunement préciser, comme il lui incombe, en quoi elle remplirait les conditions pour en bénéficier.
En outre, pour s'assurer d'avoir complètement répondu à son argumentation, le tribunal ajoute que la suspension des poursuites prévue par les textes susmentionnés n'emporte aucunement un effacement des dettes locatives concernées, dont le paiement reste dû.
En conséquence, le tribunal ne peut que constater que les demanderesses échouent à démontrer que la locataire n'était pas tenue de payer les loyers et charges contractuels objets des commandements de payer.
Aucun des arguments avancés ne permet de caractériser une mauvaise foi de la part des bailleurs.
Dès lors, les commandements litigieux ne sauraient être invalidés de ce chef.
En revanche, si l'inexactitude de la somme réclamée dans un commandement de payer n'affecte pas sa validité, celui-ci étant valable à concurrence du montant réellement dû, la mise en demeure doit être précise, afin que le débiteur soit parfaitement informé des manquements qui lui sont reprochés et qu'il soit en mesure d'y remédier efficacement dans le délai imparti ; ainsi, la nullité du commandement est encourue s'il ne précise pas les dates auxquelles se rapportent les sommes réclamées et leurs causes (loyers, charges, frais, etc) afin de permettre au preneur de vérifier le bien-fondé de la demande.
Or, force est de constater que le commandement délivré le 28 avril 2021 mentionne simplement des sommes totales correspondant à des " loyers et charges 2020 " et " loyers et charges 2021 ", sans aucun décompte détaillant les sommes dues (échéances mensuelles concernées, loyers ou charges).
Il convient en conséquence de constater que son imprécision, préjudiciable à la locataire qui ne peut vérifier l'exactitude de la somme réclamée, justifie que sa nullité soit prononcée.
En conséquence, il y a lieu de prononcer la nullité du commandement délivré le 28 avril 2021.
Il est noté toutefois que le commandement délivré le 23 août 2021 ne souffre pas d'une telle imprécision, dès lors qu'il vise un décompte qui y est effectivement annexé et détaille le calcul de la somme due en mentionnant les loyers échus impayés, ainsi que les règlements effectués par la locataire, laquelle a donc eu une parfaite connaissance de ce qui lui était réclamé et à quel titre.
Sur les demandes reconventionnelles des bailleurs
*Les demandes aux fins de résiliation du bail et d'expulsion de la locataire
L'article L.145-41 du code de commerce dispose que toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux.
En l'espèce, le bail comporte bien une clause prévoyant sa résiliation de plein droit en cas d'inexécution des obligations du locataire, et notamment de défaut de paiement du loyer et des charges.
Comme il a été jugé ci-dessus, le commandement de payer visant la clause résolutoire du bail délivré à la locataire le 23 août 2021 est valable et a pu produire ses effets.
La locataire ne fait pas état ni ne justifie du règlement de la dette d'arriéré de loyers dans le mois suivant la délivrance de ce commandement.
Il convient en conséquence de constater que les conditions de mise en œuvre de la clause de résiliation du bail sont réunies à la date du 24 septembre 2021 et d'ordonner l'expulsion de la locataire selon les modalités fixées au dispositif ci-après.
L'ordre de quitter les lieux ne sera pas assorti d'une astreinte, la faculté de recourir à la force publique constituant un moyen de contrainte suffisant.
L'enlèvement des meubles et effets se trouvant dans les lieux sera effectué selon les règles fixées par les articles L433-1 et suivants, et R433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution.
*Les demandes aux fins de paiement d'un arriéré locatif et d'une indemnité d'occupation
En application des articles 9 du code de procédure civile et 1315 ancien du code civil, il appartient au bailleur qui sollicite la condamnation du locataire au paiement de loyers, charges et accessoires, ou d'indemnités d'occupation, de produire les pièces justificatives permettant au tribunal de constater et de vérifier, outre l'existence de l'obligation du locataire, l'exactitude des sommes réclamées.
Il est d'usage en matière de baux ou d'occupation de lieux de fixer l'indemnité d'occupation à un montant compensant d'une part la valeur locative des lieux et d'autre part le préjudice résultant pour le propriétaire du maintien de l'occupant dans les lieux ; cette indemnité est en pratique fixée à un montant égal aux loyers et charges prévus par le bail.
Il est constant qu'à compter de la résiliation du bail par l'effet de la clause résolutoire, le locataire, occupant sans droit ni titre, ne doit plus payer les loyers et charges contractuels, mais une indemnité d'occupation, d'un montant équivalent ; dès lors, la somme réclamée au titre de l'occupation des lieux postérieure à la date d'effet de la clause résolutoire n'est pas une dette de loyers et charges contractuels, mais une indemnité d'occupation.
En l'espèce, il convient de constater que les bailleurs produisent un décompte des sommes dues arrêté au 1er décembre 2022 (échéance de décembre 2022 incluse) justifiant d'une créance au titre de l'arriéré de loyers et charges contractuels (jusqu'au 24 septembre 2021), puis à titre d'indemnité d'occupation, d'un montant de 107 960 €, qui ne fait l'objet d'aucune contestation, et sera donc retenu.
Pour la période postérieure, soit à compter du mois de janvier 2023, il convient de fixer l'indemnité d'occupation due par la société PAKITA PARIS au montant du loyer contractuel, soit 4 400 € par mois, n'étant pas justifié de la pertinence d'une majoration de 10%.
La société PAKITA PARIS sera en conséquence condamnée à payer aux bailleurs :
-une somme de 107 960 € à titre de loyers et charges contractuels, ainsi que d'indemnité d'occupation, arrêtée au 1er décembre 2022 (échéance de décembre 2022 incluse),
-une indemnité d'occupation mensuelle de 4 400 € à partir du 1er janvier 2023 et jusqu'à complète libération des lieux loués.
Conformément aux articles 1153 et 1153-1 anciens, devenus les articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, ces sommes produiront des intérêts au taux légal à compter du 23 août 2021 pour les sommes alors dues et, compte tenu de l'ancienneté de la dette ainsi que de la résistance de la locataire, à compter de chaque échéance mensuelle pour celles exigibles ultérieurement.
En vertu de l'article 1343-2 du code civil, les intérêts dus depuis plus d'un an seront capitalisés.
*Sur la demande d'indemnisation pendant le temps nécessaire à la relocation
Il est constant que celui qui réclame l'indemnisation d'un dommage doit prouver non seulement le fait qui en est à l'origine, et le lien de causalité entre ceux-ci, mais également justifier de la réalité et de l'importance de ce préjudice.
Or, en l'espèce, le préjudice lié à une éventuelle vacance des lieux le temps de trouver un nouveau preneur est futur et indéterminé et, surtout, hypothétique.
En conséquence, il ne peut être fait droit à la demande d'indemnisation à ce titre, qui sera rejetée.
*Sur la demande au titre d'une procédure abusive
Selon l'article 1240 du code civil, quiconque par sa faute cause un dommage à autrui lui en doit réparation.
L'action ou la défense en justice constituent un droit et ne dégénèrent en abus justifiant, si elles causent un préjudice, une condamnation à des dommages et intérêts qu'en cas de malice, mauvaise foi, erreur équipollente au dol ou légèreté blâmable.
En l'espèce, les défendeurs reprochent à la société PAKITA PARIS d'agir de mauvaise foi et à des fins dilatoires, de les " prendre en otage ", en initiant des procédures pour les empêcher de récupérer leur local et tenter de s'exonérer de tout paiement des loyers et/ou indemnités d'occupation, alors que la dette ne cesse d'augmenter ; ils font état d'une communication de ses pièces dans la présente procédure plus d'un an après la délivrance de l'assignation et d'une inertie ayant conduit, volontairement, au prononcé d'une radiation, mais aussi de son refus d'exécuter sa condamnation au paiement de la dette locative prononcée par ordonnance de référé du 24 août 2022, objet d'un appel interjeté hors délai les ayant contraints à se constituer et à conclure devant la cour, outre le déblocage d'une somme de 30 000 € la veille de l'audience de référé pour appuyer sa demande de consignation des loyers, alors que les saisies-attributions sur son compte bancaire ont été peu fructueuses.
Il est néanmoins constaté que les défendeurs ne caractérisent pas de préjudice, résultant des fautes reprochées à la locataire, distinct de l'augmentation de la dette locative, dont le retard de paiement est indemnisé, selon les articles 1231-6 et 1343-2 du code civil, par l'allocation d'intérêts de retard et par leur capitalisation, et des frais de procédure, déjà supportés par ladite locataire.
Ainsi, ils ne justifient pas du préjudice dont ils demandent l'indemnisation à hauteur de 20 000 €, alors que le tribunal ne peut sanctionner un comportement abusif par l'allocation d'une indemnité sans caractériser le dommage que l'indemnité est censée réparer.
Dès lors, la demande d'indemnité pour procédure abusive sera rejetée.
Sur les demandes accessoires
La société PAKITA PARIS, partie succombante, sera condamnée aux entiers dépens de l'instance, lesquels incluent le coût du commandement de payer du 23 août 2021 mais pas celui du 28 avril 2021, qui a été jugé nul, ainsi qu'à payer aux défendeurs une somme au titre de leur frais irrépétibles que les circonstances de la cause, notamment son attitude procédurale, commandent de fixer à 8 000 €.
Il est rappelé que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,
PRONONCE la nullité du commandement de payer visant la clause résolutoire du bail délivré le 28 avril 2021 par Monsieur [O] [A] et Madame [R] [A] à la S.A.S. PAKITA PARIS,
DÉBOUTE la S.A.S. PAKITA PARIS et la S.A.R.L. SEARSH de toutes leurs autres demandes,
CONSTATE l'acquisition, au 24 septembre 2021, de la clause résolutoire du bail commercial du 1er juillet 2010 portant sur des locaux sis [Adresse 2] à [Localité 5],
ORDONNE à la S.A.S. PAKITA PARIS et à tous occupants de son chef de libérer les lieux dans les quinze (15) jours suivant la signification de la présente décision,
ORDONNE, à défaut de libération volontaire des lieux dans ce délai, l'expulsion de la S.A.S. PAKITA PARIS ainsi que celle de tous occupants de son chef, si besoin avec le concours de la force publique et d'un serrurier,
DIT que l'enlèvement des meubles et effets se trouvant éventuellement dans les lieux sera effectué selon les règles fixées par les articles L.433-1 et suivants, et R.433-1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution,
CONDAMNE la S.A.S. PAKITA PARIS à payer à Monsieur [O] [A] et àMmadame [R] [A] :
-une somme de cent-sept-mille-neuf-cent-soixante euros (107 960 €) à titre de loyers, charges contractuels et indemnité d'occupation, arrêtée au 1er décembre 2022 (échéance de décembre 2022 incluse),
-une indemnité d'occupation mensuelle de quatre-mille-quatre-cents euros (4 400 €) à partir du 1er janvier 2023 et jusqu'à complète libération des lieux loués, caractérisée par l'expulsion ou la remise des clés des lieux vidés de tous effets de la locataire,
DIT que ces sommes produiront des intérêts au taux légal à compter du 23 août 2021 pour les sommes alors dues et à compter de chaque échéance mensuelle pour celles exigibles ultérieurement,
ORDONNE la capitalisation desdits intérêts, dès lors qu'ils seront dus depuis plus d'un an,
CONDAMNE la S.A.S. PAKITA PARIS aux entiers dépens de l'instance, lesquels comprendront le coût du commandement de payer du 23 août 2021, ainsi qu'à payer une somme de huit-mille euros (8 000 €) à Monsieur [O] [A] et à Madame [R] [A] en application de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE le surplus des demandes de Monsieur [O] [A] et de Madame [R] [A],
RAPPELLE que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit.
Fait et jugé à Paris le 27 Juin 2024
Le GreffierLe Président
Henriette DUROLucie FONTANELLA