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27/06/2024 | FRANCE | N°20/02476

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre 1ère section, 27 juin 2024, 20/02476


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Expédition exécutoire délivrée à : Me BEAUGENDRE #A262
Copie certifiée conforme délivrée à : Me DE GAULLE #K35




3ème chambre
1ère section

N° RG 20/02476
N° Portalis 352J-W-B7E-CR2N5

N° MINUTE :

Assignation du :
14 février 2020











JUGEMENT
rendu le 27 juin 2024
DEMANDERESSE

S.A.S. SMART RX, venant aux droits de la société ALLIANCE SOFTWARE
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Me Louis

DE GAULLE de la SELAS DE GAULLE FLEURANCE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0035


DÉFENDERESSE

S.A.S. OFFISANTE
[Adresse 3]
[Localité 2]

représentée par Me Sébastien B...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Expédition exécutoire délivrée à : Me BEAUGENDRE #A262
Copie certifiée conforme délivrée à : Me DE GAULLE #K35

3ème chambre
1ère section

N° RG 20/02476
N° Portalis 352J-W-B7E-CR2N5

N° MINUTE :

Assignation du :
14 février 2020

JUGEMENT
rendu le 27 juin 2024
DEMANDERESSE

S.A.S. SMART RX, venant aux droits de la société ALLIANCE SOFTWARE
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Me Louis DE GAULLE de la SELAS DE GAULLE FLEURANCE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0035

DÉFENDERESSE

S.A.S. OFFISANTE
[Adresse 3]
[Localité 2]

représentée par Me Sébastien BEAUGENDRE de la SELARL HUBERT BENSOUSSAN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0262 & Me Quentin MOUTIER de la SELARL ONELEGAL, avocat au barreau de TOURS, avocat plaidant

Décision du 27 juin 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 20/02476
N° Portalis 352J-W-B7E-CR2N5

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Anne-Claire LE BRAS, 1ère Vice-Présidente Adjointe
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, Juge,

assistés de Madame Lorine MILLE, Greffière lors des débats et de Madame Caroline REBOUL, Greffière lors de la mise à disposition.

DEBATS

A l’audience du 31 octobre 2023 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 29 février 2024.
Le délibéré a été prorogé en dernier lieu au 27 juin 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

1. La société Alliance software, filiale du groupe Cegedim, est spécialisée dans l’édition de logiciels de gestion d’officine de pharmacie. Elle édite une solution informatique complète de gestion d’officines “Smart Rx” distribuée par la société Smart RX, également filiale du groupe Cegedim.

2. Depuis le 25 novembre 2020, la société Alliance software et la société Smart RX sont dissoutes. Leurs patrimoines ont été transmis intégralement à la société Alliadis, devenue société Smart RX.

3. La société Smart RX expose être titulaire des droits d’auteur sur le logiciel “Smart RX” dans toutes ses versions existantes et ayant été éditées à ce jour (comprenant les licences d’accès clients), ainsi que sur les manuels d’instructions correspondants pour avoir eu l’initiative de leur création et les avoir divulgués sous son nom.

4. La société Offisanté est une société spécialisée dans les services d’e-santé. Elle expose fournir à ses clients, pharmaciens et groupements de pharmaciens, un service d’analyse des données de l’officine, ainsi qu’un service dit “Vigirupture” qui permet de prévenir et de gérer les risques de rupture de médicaments.

5. Le 16 septembre 2011, les sociétés Offisanté et Smart Rx ont signé un contrat de prestation informatique portant sur le développement, l’activation et la maintenance d’un module extracteur. Ce contrat a été modifié par un avenant du 05 mars 2012 et un second du 14 septembre 2016, avant d’ être poursuivi dans le cadre d’échanges de lettres pour une durée indéterminée. Il permet à la société Offisanté d’utiliser le logiciel édité par la société Smart Rx et installé chez les pharmaciens pour structurer l’extraction de données des officines qui le souhaitent, en contrepartie du paiement à la société Smart Rx d’une redevance mensuelle.

6. Le 30 août 2019, la société Smart Rx s’est vu notifier par la société Offisanté une demande de désactivation des pharmacies couvertes par le contrat du 16 septembre 2011 modifié. Elle expose que quelques jours plus tard, elle a été contactée par plusieurs officines licenciées du logiciel “Smart RX” à la suite d’un message d’erreur apparaissant sur le serveur du logiciel, et a constaté que plusieurs programmes anormaux du logiciel Smart RX ont été exécutés et ont généré des flux anormaux.

7. La société Smart Rx a été autorisée à faire pratiquer quatre saisies contrefaçon descriptives dans les locaux de quatre pharmacies, par trois ordonnances sur requête rendues le 13 décembre 2019 par le Président du tribunal judiciaire de Paris, le 20 décembre 2019 par le Président du tribunal judiciaire de Rennes et le 12 décembre 2019 par le Président du tribunal judiciaire de Lyon. Les opérations de saisie se sont déroulées les 17 et 22 janvier 2020.

8. La société Smart Rx a, par acte d’huissier de justice, en date du 14 février 2020, assigné la société Offisanté devant le tribunal judiciaire de Paris, en contrefaçon de son logiciel Smart RX et de concurrence déloyale et parasitaire.

9. Par ordonnance du 7 janvier 2021, le juge de la mise en état a autorisé la société Smart Rx à se faire remettre par les huissiers de justice ayant pratiqué les opérations de saisie contrefaçon l’ensemble des documents et fichiers saisis et dit que, le cas échéant, les parties pourront organiser entre elles un cercle de confidentialité lors de ces remises.

10. Par ordonnance du 27 janvier 2022, le juge de la mise en état a déclaré irrecevable l’exception de nullité de l’assignation soulevée par la société Offisanté et a rejeté les fins de non-recevoir soulevées par celle-ci.

11. Le 21 mars 2023, le juge de la mise en état a donné injonction aux parties de rencontrer un médiateur aux fins d’information sur l’objet et le déroulement d’une médiation, dès réception du présent bulletin et avant le 23 juin 2023.

12. L’instruction a été close le 21 mars 2023 et l’affaire plaidée l’audience du 31 octobre 2023.

13. Selon conclusions signifiées par voie électronique le 24 février 2023, la société Smart Rx demande au tribunal de :

-Interdire à la société Offisante l’usage du logiciel Smart Rx édité par la société demanderesse par reproduction ou pour tout usage détourné et non autorisé de celui-ci y compris afin de détourner les systèmes antipiratage et ce, sous astreinte de 50.000 € par infraction constatée et par jour de retard compter du 7 me jour suivant la signification du
jugement à intervenir ;
-Condamner la société Offisante à lui payer la somme de 485.126 euros au titre de l’indemnisation du préjudice pécuniaire subi du fait des actes de contrefaçon ;
-Condamner la société Offisante à lui payer la somme de 100.000 euros au titre de l’indemnisation du préjudice moral subi du fait des actes de contrefaçon ;
-ordonner la publication de la décision intervenir dans 2 supports, journaux ou revues, papier ou en ligne, au choix de la société Smart RX et aux frais de la société Offisante dans la limite de 5.000 € par publication, accompagnée de l’avis suivant :
“AVIS Par jugement en date du ____, le Tribunal judiciaire de Paris a condamné la société OFFISANTE pour avoir contrefait les droits d’auteur de la société SMART RX sur son logiciel Smart Rx en l’utilisant sans autorisation. Outre l’octroi de dommages et intérêts, le Tribunal a fait obligation à la société OFFISANTE de cesser toute utilisation non autorisée dudit logiciel. OFFISANTE a également été condamnée pour concurrence déloyale et parasitaire.”
-Ordonner la publication par la société Offisante de ce même message sur la page d’accueil de
son site internet (https://offisante.fr/), en haut à droite et en caractères apparents, pendant une période de 6 mois à compter de la signification du jugement à intervenir, ce sous astreinte de 1000 € par jour de retard ;
-Condamner la société Offisante lui payer la somme de 408.069 € titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la faute civile résultant de l’accès et du maintien frauduleux dans le système de traitement automatisé de données Smart Rx de la société Smart RX, de l’extraction frauduleuse de données dudit système et de la violation du secret des affaires ;
-Condamner la société Offisante lui payer une provision de 500.000 € sur l’indemnité au titre de son préjudice pécuniaire du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire, parfaire la date du jugement intervenir ;
-Désigner un expert judiciaire financier qu’il plaira avec pour mission : d’évaluer l’économie réalisée par la société Offisante, le chiffre d’affaires et la marge réalisés, se faire remettre tout document permettant d’établir les calculs précités, conformément aux dispositions des articles
263 et suivants du Code de procédure civile et avec dépôt d’un rapport au secrétariat-greffe du Tribunal dans les 3 mois de sa saisine, avec fixation de la somme de la provision ;
-Ordonner la production par la défenderesse de tout élément probant de nature à justifier du chiffre d’affaires et de la marge réalisés au titre de la mise à disposition de l’extracteur « Cèdre » aux clients de la société Smart RX et de la commercialisation des services de statistiques à tout tiers ;
-Condamner la société Offisante lui payer la somme de la somme de 50.000 € titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la dénonciation calomnieuse et téméraire son égard ;
-Déclarer irrecevables et infondées les demandes reconventionnelles de la société Offisante et débouter celle-ci de l’ensemble de ses demandes ;
-Condamner la société Offisante aux dépens, en ce compris les frais, émoluments, et honoraires d’huissiers et d’experts, d’un montant de 75.000 €, parfaire et lui verser la somme de 50.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

14. Aux termes de ses conclusions du 20 mars 2023, la société Offisante demande au tribunal de :

-écarter des débats les pièces versées par la société Smart Rx sous les numéros 27, 28, 24, 25, 54 et 55,
-débouter la société Smart Rx de l'ensemble de ses demandes et fins de non-recevoir non soulevées devant le juge de la mise en état,
-ordonner à la société Smart Rx d’avoir à désinstaller sans délai le programme informatique mis en place par elle aux fins d’empêcher le bon fonctionnement de l’extracteur Cèdre de la société Offisante chez les officines équipées du logiciel Smart RX,
-interdire à la société Smart RX de commettre ou de participer à tout acte, de quelque nature que ce soit, ayant pour objet d’entraver ou de fausser le transfert de données traitées par une officine vers la Société Offisante, lorsque ladite officine y a consenti ;
-interdire à la société Smart RX de commettre ou de participer à tout acte, de quelque nature que ce soit, ayant pour effet d’entraver ou de fausser le transfert de données traitées par une officine vers la Société Offisante, lorsque ladite officine y a consenti ;
-« le tout » sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée à compter de la signification du jugement à intervenir,
-condamner la demanderesse à lui payer la somme globale de 1.265.628 € en réparation des préjudices économiques infligés et la somme de 100.000 € en réparation du préjudice d’image subi ;
-condamner la demanderesse aux entiers dépens et à lui verser la somme de 40.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile

15. Il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions qui y sont contenus.

SUR CE

Sur la demande tendant à écarter certaines pièces des débats

Moyens des parties

16. La société Offisanté demande que soient écartées des débats les pièces n°24, 25, 27, 28, 54 et 55 produites par la société Smart RX.
-Les pièces n°24 et 25 sont des procès verbaux de constats réalisés dans des pharmacies parisiennes. La société Offisanté met en avant que les annexes de ces constats n’auraient pas été versées aux débats et qu’en conséquence, il serait impossible d’établir l’origine des codes utilisés par la suite par les experts dans les rapports faits. De plus, ces constats n’ont pu être réalisés que parce que la société Smart RX a informé préalablement les officines de la présence d’un logiciel malveillant sur son serveur qui nécessitait des constatations techniques en présence d’un huissier et d’un expert.
-Les pièces n°27 et 28 étaient des notes techniques dont la demanderesse a renoncé à se prévaloir.
-Les pièces n°54 et 55 correspondent à des rapports d’expertise privée commandée par la demanderesse hors sa présence.

17. La société Smart Rx soutient que c'est après avoir été contactée en septembre 2019 par certaines officines qu'elle a procédé à des investigations pour découvrir un répertoire caché sur le serveur du logiciel contenant des programmes avec la référence « offisante » ; qu'elle a fait procéder, en conséquence, à quatre saisies-contrefaçons autorisées par ordonnances de plusieurs juridictions ; qu'elle a, en outre, fait procéder à deux constats par un huissier de justice ; qu'elle dit que les analyses des experts [O] et [J] démontrent la matérialité des faits qu'elle invoque ; que c'est la « combinaison de l'ensemble de ces analyses et constats » qui lui permet de démontrer sans équivoque, selon son argument, les différentes atteintes à ses droits.

Motivation

18. L’article 9 du code de procédure civile dispose qu’il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

19. Il résulte de la lecture combinée de cet article et de l’article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales un principe de loyauté dans l’administration de la preuve.

20. L’huissier, ayant réalisé les constats versés par la demanderesse en pièce 24 et 25, a eu l’autorisation des officines pour accéder à leurs environnements numériques suite à l’envoi par la société Smart RX d’un mail à ces pharmacies leur indiquant : “Dans le cadre d’une vérification technique préventive, nous avons identifié un logiciel malveillant installé sur votre serveur. Dans ce cadre, pouvez-vous donner votre autorisation pour nous connecter à votre système, et procéder à toute constatation technique en présence d’un huissier et d’un expert. Cela n’aura aucun impact opérationnel sur votre fonctionnement opérationnel dans la pharmacie. Par avance, je vous remercie vivement de votre compréhension et me donner en retour votre accord”.

21. En qualifiant le logiciel recherché de malveillant, ce mail exerce une pression sur les officines aafin d'obtenir leur accord pour réaliser la constatation. Ce procédé dissimule aux pharmaciens le but réel de la manipulation informatique effectuée en prétendant protéger leur équipement informatique dans une démarche technique et non dans un but probatoire constituant un stratagème.

22. Les pièces n°24 et 25 de la société Smart Rx seront donc écartées des débats.

23. Concernant les notes techniques correspondants à d’anciennes pièces n°27 et 28 versées par la demanderesse, celles-ci ne sont plus présentées au soutien des demandes de la société Smart RX. Elles ne sont donc déjà plus dans la cause.

24. Cette demande est par conséquent sans objet.

25. Les expertises versées par la demanderesse en pièce n°54 et 55 ont été communiquées dans un délai utile à la défenderesse qui a pu les contester, dans le respect du principe du contradictoire. Il n’y a donc pas lieu de les écarter des débats.

26. La demande de rejet des pièces n°54 et 55 de la demanderesse formulée par la société Offisanté est donc rejetée.

Sur la demande principale

Sur la contrefaçon

Moyens des parties

27. La société Smart RX soutient que la défenderesse a utilisé, exécuté et reproduit son logiciel sans autorisation, et par conséquence contrefait son logiciel. Pour démontrer l’originalité, préalable nécessaire à une telle demande, la société Smart RX produit un rapport d’expertise en précisant que celui-ci ne contient pas le code source dans son intégralité afin d’en conserver le secret.

28. En réponse, la société Offisanté met en avant une absence de description des lignes de code arguées de contrefaçon par la demanderesse sur qui repose pourtant la démonstration de l’originalité de son oeuvre afin d’agir en contrefaçon de celle-ci. Les seuls éléments mis en avant par la société Smart RX seraient des fonctionnalités et algorithmes du logiciel qui ne peuvent faire l’objet d’une protection sur le fondement du droit d’auteur. Elle estime qu'il appartenait à la demanderesse de prouver l’originalité de la forme du code informatique constituant son logiciel.

Motivation

29. En vertu de l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous qui comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial.

30. Ce droit est conféré, en application de l'article L. 112-1 du même code, à l'auteur de toute œuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination. Sont notamment considérées comme œuvres de l'esprit, en vertu de l'article L. 112-2-13°, les logiciels, y compris le matériel de conception préparatoire.

31. Selon l'article L. 122-6 du code de la propriété intellectuelle « sous réserve des dispositions de l'article L. 122-6-1, le droit d'exploitation appartenant à l'auteur d'un logiciel comprend le droit d'effectuer et d'autoriser :
1° La reproduction permanente ou provisoire d'un logiciel en tout ou partie par tout moyen et sous toute forme. Dans la mesure où le chargement, l'affichage, l'exécution, la transmission ou le stockage de ce logiciel nécessitent une reproduction, ces actes ne sont possibles qu'avec l'autorisation de l'auteur ;
2° La traduction, l'adaptation, l'arrangement ou toute autre modification d'un logiciel et la reproduction du logiciel en résultant ;
3° La mise sur le marché à titre onéreux ou gratuit, y compris la location, du ou des exemplaires d'un logiciel par tout procédé. Toutefois, la première vente d'un exemplaire d'un logiciel dans le territoire d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen par l'auteur ou avec son consentement épuise le droit de mise sur le marché de cet exemplaire dans tous les Etats membres à l'exception du droit d'autoriser la location ultérieure d'un exemplaire ».

32. Le logiciel est, selon la définition publiée au Journal Officiel du 22 septembre 2000, « un ensemble des programmes, procédés et règles, et éventuellement de la documentation, relatifs au fonctionnement d'un ensemble de traitement de données ».

33. L'auteur d'un logiciel qui se prévaut de son originalité doit faire preuve dans sa réalisation d'un effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d'une logique automatique et contraignante, la matérialisation de cet effort résidant dans une structure individualisée.

34. En l'espèce, la société Smart RX appuie sa démonstration de l'originalité de son logiciel sur plusieurs extraits, ainsi désignés dans ses conclusions « evol.sgl », « fontmanager », « PatientService.java ».

35. Elle renvoie ensuite à plusieurs caractéristiques identifiées par référence au rapport de l'expert [Z] [J] : « En synthèse, le rapport de l’expert informatique [Z] [J] relève que :
- « le logiciel ‘’LGO Smart-Rx’’ fournit des fonctions permettant de gérer une officine pharmaceutique ;
- le ‘’LGO Smart-Rx’’ définit et organise une structure de données et de traitements composés en langage ‘’plpgsql’’ qui lui sont propres, au sein la base de données ‘’alliance’’ ; - le ‘’LGO Smart-Rx’’ protège certains éléments confidentiels utiles à la réalisation de son objet ;
- le ‘’LGO Smart-Rx’’ comporte des éléments issus de sa composition antérieure.
En l’espèce, le code source analysé matérialise la composition des traitements suivants, numérotés de 1 à 6 :
1. Transposition de chaînes encodées selon la page de code utf-8 vers la page de code ABAL,
2. Inversion de la convention d’ordonnancement des octets d’un entier, Ajout d’une colonne aux données,
3. Décomposition d’une colonne de données en deux autres colonnes et modification de la structure et de l’indexation des données.
4. Obtention et utilisation d’éléments secrets en vue du déchiffrement de certaines colonnes chiffrées
5. Obtention et utilisation d’éléments secrets en vue du déchiffrement de certaines colonnes chiffrées
6. Adaptation à la volée de requêtes SQL en vue de l’intégration d’un secret de déchiffrement ».

36. Le rapport de Monsieur [Z] [J], décrit la méthodologie retenue « la présente étude est focalisée sur l'analyse d'extraits de code sources du « LGO Smart-RX » présentant des ressemblances avec des éléments de code source extraits de l'archive Java « spall-1.0.1.jar ».
Dans ce cadre, nous avons mis en œuvre la méthode d'analyse suivante :
1) Exploitation d'éléments du code source matérialisant des choix structurels et conceptuels de création propre à l'auteur
2) Exploitation d'éléments du code source ressemblant à ceux retrouvés dans l’archive java (...)
3) Identification des éléments d'originalité issus du code source visé au point 1, selon deux axes principaux
a. Identification et analyse synthétique des éléments d'originalité.
b. Identification de l'existence de modalités alternatives de développement.
Compte tenu de la technicité de la matière, il nous a paru opportun de simplifier le plus possible l'exposé de l'analyse technique tout en l'étayant, sans divulguer l'exhaustivité du code source compte tenu de son caractère confidentiel ».

37. Il ressort de ces circonstances que les conditions de l'originalité sont potestatives du choix de la société Smart RX de communiquer à l'expert qu'elle a désigné des éléments de son code source et du positionnement arbitraire du technicien de sélectionner ceux qu'il estimait pertinents.

38. Les conclusions de l'expert, qui n'a pu se voir communiquer l'intégralité du code source, apparaissent d'une faible valeur probante.

39. En présence d'éléments pouvant relever du secret des affaires, il appartenait à la société Smart RX d'aménager la communication de ce code ou de ses extraits pertinents au cours de la procédure, le cas échéant en saisissant le juge de la mise en état d'un incident.

40. En l'absence de communication du code source, la juridiction n'est pas en mesure d'apprécier l'originalité du logiciel et l'effort personnalisé de l'auteur matérialisé dans une structure individualisée et l'éventuelle logique automatique et contraignante.

41. L'originalité du logiciel en litige n'est donc pas prouvée et la demande fondée sur sa contrefaçon rejetée.

Sur l'accès, le maintien et l'extraction frauduleux dans un système automatisé de données

Moyens des parties

42. La société Smart Rx soutient que la société Offisante s'est implanté dans son logiciel en modifiant des fichiers d'autorisation, a usurpé des identifiants d'accès et dissimulé ses activités par un fichier caché effaçant ses activités frauduleuses ; que ces circonstances constituent un accès, un maintien et une extraction frauduleux au sens des articles 323-1 et 323-3 du code pénal et une faute civile engageant sa responsabilité.

43. La société Offisante conteste l'accès, le maintien et l'extraction comme leur caractère frauduleux. Elle soutient qu'elle a implanté des scripts exécutables dans un « environnement d'exécution » correspondant à l'ensemble du système d'exploitation du pharmacien dont le système de base de donnée, « PostgreSQL » est sous licence open source ; que ce logiciel est distinct de Smart Rx ; que l'extracteur « Cèdre » est installé par les pharmaciens, « maîtres du système », ayant donné leur accord ce qui exclut la fraude ; que l'empêcher d'extraire les données serait selon son argument contraire au principe d'interopérabilité des données, qu'elle interprète comme les faisant relever du domaine public protégé par la liberté du commerce et de l'industrie reconnue par le Conseil constitutionnel, le règlement (UE) 2018/1807 et l'article L. 1110-4-1 du code de la santé publique.

Motivation

44. Aux termes de l'article 1240 du Code civil « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

45. Selon l'article 323-1 du code pénal « le fait d'accéder ou de se maintenir, frauduleusement, dans tout ou partie d'un système de traitement automatisé de données est puni de trois ans d'emprisonnement et de 100 000 € d'amende ».

46. Selon l'article 323-3 du code pénal « le fait d'introduire frauduleusement des données dans un système de traitement automatisé, d'extraire, de détenir, de reproduire, de transmettre, de supprimer ou de modifier frauduleusement les données qu'il contient est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende ».

47. Vu l'article L. 151-1 du code de commerce.

48. En l'espèce, le logiciel Smart Rx est décrit selon faits non contestés comme une solution de gestion informatique de la vente et de la délivrance de médicaments et produits de pharmacie. Il gère notamment les stocks, achats, caisses, prix de vente, l'administration, les référentiels, les statistiques, les établissements collectifs, les informations et processus réglementaires des pharmacies et peut exporter des tableaux de données.

49. Le logiciel Cèdre de la société Offisante, est présenté comme fonctionnant en lecture seule sans interface utilisateur. Il collecte les données de santé prééxistantes en analysant les fichiers clients, les saisies des achats et gestions des stocks de produits de santé et de para-santé ainsi que les saisies et enregistrements des ventes.

50. L'argumentation en demande repose sur la démonstration de ce que le logiciel Cèdre aurait accédé et se serait maintenu dans son logiciel afin d'extraire des données. La société Offisante explique que les données sont recueillies sur les serveurs des pharmacies, pas sur le logiciel Smart RX.

51. Or, les éléments de preuve devant démontrer cet état de fait dénoncé en demande reposent sur le rapport d'expertise de Monsieur [J] qui lui-même se fonde sur les constats de Maître [N] des 9 avril 2020, écartés dans les conditions qui précèdent.

52. Quatre procès-verbaux de saisie-contrefaçon sont versés aux débats mais dans des versions ne comportant pas les captures d'écran qui y sont mentionnées et qui ne permettent pas leur exploitation.

53. Il n'est donc pas démontré d'accès, de maintien ou d'extraction à un système de traitement automatisé de données au sein du logiciel Smart Rx dont les modalités de fonctionnement ne sont pas explicitées.

54. La demande indemnitaire sur ce fondement est rejetée.

55. S'agissant de l'atteinte au secret des affaires, il convient de relever, d'une part, que le code source n'étant pas communiqué au cours de la présente instance il n'est pas possible de vérifier que les conditions de l'article L. 151-1 précité sont réunies et, d'autre part, que l'atteinte dénoncée repose principalement sur les conclusions de l'expert précité qui reposent sur des pièces écartées des débats.

56. Il ressort de ces circonstances que l'atteinte au secret des affaires n'est pas démontrée.

57. La demande indemnitaire sur ce fondement est rejetée.

Sur la concurrence déloyale et parasitaire

Moyens des parties

58. La société Smart Rx développe trois arguments pour caractériser les faits de concurrence déloyale et parasitaire qu'elle dénonce : un détournement de clientèle, la désactivation de 85% des officines couvertes par le contrat et l'introduction du logiciel extracteur Cèdre dans le logiciel Smart Rx.

59. La société Offisante conteste les faits de concurrence déloyale et parasitaire en l'absence de caractère probant et de faits distincts de la contrefaçon dénoncée.

Motivation

60. Aux termes de l'article 1240 du Code civil « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

61. En l'espèce, les faits d'introduction du logiciel Cèdre dans le logiciel Smart Rx ne sont pas distincts de ceux identifiés par le moyen relatif à la contrefaçon. En tout état de cause les modalités de fonctionnement du logiciel Smart Rx ne sont pas explicitées et l'éventuelle incidence du logiciel Cèdre sur ce logiciel ne sont pas établies.

62. Les faits de détournement ne sont prouvés par aucun élément et constituent une affirmation sans démonstration en l'état des écritures en demande.

63. Les faits de désactivation des officines ont fait l'objet de demandes spécifiques de la société Smart Rx devant le tribunal de commerce de Paris qui, par jugement du 14 février 2022 et ne peuvent être indemnisés de nouveau.

64. La demande indemnitaire fondée sur la concurrence déloyale et parasitaire est donc rejetée.

Sur la dénonciation calomnieuse et téméraire

Moyens des parties

65. La société Smart Rx soutient que la circonstances que le tribunal soit confronté à des déclarations mettant en doute la transparence de son logiciel et des données collectées le conduisent nécessairement à user de l'article 40 du code de procédure pénale ce qui constitue une dénonciation calomnieuse selon elle. A tout le moins, elle considère que la dénonciation est « téméraire » au sens de la jurisprudence pour demander que la responsabilité civile de la société Offisante soit engagée.

66. La société Offisante expose que la société Smart Rx demande en réalité la réparation d'une atteinte à son honneur sans recourir aux dispositions d'ordre public de la loi du 29 juillet 1881. Elle conteste toute dénonciation calomnieuse et dit qu'aucun dommage n'est démontré.

Motivation

67. Aux termes de l'article 1240 du Code civil « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

68. La circonstance que la société Offisante interroge le fonctionnement du logiciel Smart Rx et les données collectées au soutient de ses moyens de défense et de ses demandes reconventionnelles ne peut conduire, en l'état de ses écritures, à une sanction judiciaire administrative ou disciplinaire et n'apparait pas constitutive d'une faute civile.

69. Aucun dommage n'est au surplus démontré par la société Smart Rx.

70. La demande indemnitaire est rejetée.

Sur la demande reconventionnelle

Sur la fin de non-recevoir

71. Vu les articles 122 et 480 du code de procédure civile,

72. Il est constant que le tribunal de commerce de Paris a statué par jugement du 14 février 2022 dans un litige opposant les mêmes parties. Les demandes reconventionnelles présentées par la société Offisante n'étaient toutefois pas soumises au tribunal de commerce qui ne les a pas tranchées dans son dispositif. La circonstance qu'un moyen de défense ait été fondé sur des arguments comparables à ceux du présent litige est, à cet égard, indifférente.

73. La fin de non-recevoir est écartée.

Sur les mesures de désinstallation et de blocage

Moyens des parties

74. La société Offisante soutient que la société Smart Rx a bloqué son logiciel d'extraction Cèdre ce qu'elle qualifie de voie de fait ; que l'empêcher d'extraire les données serait selon son argument contraire au principe d'interopérabilité des données, qu'elle interprète comme les faisant relever du domaine public protégé par la liberté du commerce et de l'industrie reconnue par le Conseil constitutionnel, le règlement (UE) 2018/1807 et l'article L. 1110-4-1 du code de la santé publique.

75. La société Smart Rx conteste avoir bloqué le logiciel d'extraction Cèdre et renvoie à la note technique de l'expert [O] versé à la procédure qui selon elle exclut son action à ce titre et les conclusions de l'expert [U] en sens contraire sont se prévaut la société Offisante.

Motivation

76. Aux termes de l'article 1240 du Code civil « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

77. En l'espèce, il convient d'apprécier les demandes de la société Offisante au regard des conditions de la responsabilité délictuelle, la notion de voie de fait développée par celle-ci s'interprétant en réalité comme soulignant la gravité de l'atteinte à son logiciel qu'elle dénonce.

78. Selon un contrat de prestation informatique du 16 septembre 2011, les parties s'accordent pour que la société Alliance Software, devenue Smart Rx, conçoive une solution informatique de collecte de données au profit de la société Offisante.

79. Après plusieurs années d'exécution, modifications par avenants et échanges écrits, les parties s'opposent sur le tarif devant être facturé à la société Offisante alors que la société Smart Rx souhaite augmenter les prix.

80. La société Offisante remet par courriel du 30 septembre 2019 une liste d'officines de pharmacie devant continuer de fonctionner avec le contrat. La société Smart Rx interprète ce courrier comme une demande de désactivation au sein des autres pharmacies.

81. Le tribunal de commerce dans son jugement du 14 février 2022 considère que la société Offisante est débitrice au titre de ce contrat et qu'elle a commis une rupture abusive partielle.

82. Postérieurement, la société Offisante développe une solution informatique qu'elle propose directement aux pharmaciens sans recourir à la société Smart Rx par un logiciel extracteur de données appelé Cèdre.

83. Un constat de maître [E], huissier de justice, du 7 mai 2020, relève qu'au sein d'une officine de pharmacie particulière, le logiciel Cèdre de la société Offisante ne fonctionne plus alors que le logiciel Smart Rx est également installé.

84. Une note technique de l'expert [Y] [O] du 6 juillet 2020 explique que la circonstance que l'application Smart Rx soit présente ne prouve pas qu'elle ait causé les modifications de fichiers ayant neutralisé le logiciel Cèdre.

85. Deux notes de l'expert [D] [U] du 27 mai 2020 et du 6 juillet 2020 soulignent au contraire que l'accumulation d'indices : création d'un script par l'utilisateur root qui est Smart Rx, un fichier « off clean run php » renommant un répertoire, des scipts labellisés « off clean run php », attribue nécessairement à la société Smart Rx la neutralisation du logiciel Cèdre.

86. Il ressort de ces éléments que le fonctionnement concret du logiciel Cèdre et l'explication technique de son interruption sont inconnus. Il est possible, à suivre l'expert [D] [U], que le logiciel Smart Rx ait été modifié dans son fonctionnement pour empêcher l'extraction des données par le logiciel Cèdre. Il est également possible que ce dysfonctionnement ait une cause inconnue ou qu'une incompatibilité existe entre les deux logiciels alors qu'il n'est pas contesté que les officines litigieuses sont équipées du logiciel Smart Rx pour leur gestion.

87. La société Offisante, a qui incombe la charge de la preuve, explique cependant que Cèdre ne fonctionne pas au moyen ou par le truchement technique du logiciel Smart Rx mais n'affecte que les serveurs des officines. A supposer cet état de fait établi, la société Offisante devrait démontrer que le fonctionnement du logiciel Smart Rx a pour effet de neutraliser le sien et que la société du même nom a accédé de manière frauduleuse à son système de traitement automatisé de données.

88. En l'état des pièces produites la faute de la société Smart Rx n'est pas démontrée. Le lien de causalité n'est pas non plus établi.

89. Les conditions de la responsabilité civile de la société Smart Rx n'apparaissant pas réunies, il convient de rejeter les demandes de la société Offisante.

Sur les demandes accessoires

90. La société Smart Rx, partie perdante est condamnée aux dépens et à payer à la société Offisante la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

Ecarte des débats les pièces n°24 et 25 de la société Smart Rx,

Déboute la société Smart RX de l’ensemble de ses demandes,

Déclare recevable la demande reconventionnelle,

Rejette la demande reconventionnelle,

Condamne la société Smart Rx à payer à la société Offisante la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Smart Rx aux entiers dépens,

Fait et jugé à Paris le 27 juin 2024

La Greffière La Présidente
Caroline REBOULAnne-Claire LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 3ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 20/02476
Date de la décision : 27/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-27;20.02476 ?
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