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25/06/2024 | FRANCE | N°24/53422

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Service des référés, 25 juin 2024, 24/53422


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS








N° RG 24/53422 - N° Portalis 352J-W-B7I-C4YNX

N° : 1/MC
Assignation du :
03 Mai 2024 Dénonciation à Parquet du : 10 mai 2024

[1]

[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:


ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 25 juin 2024



par Sophie COMBES, Vice-Présidente au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Marion COBOS, Greffier.



DEMANDEUR

Monsieur [U] [Y]
[Adresse 5]
[Local

ité 8]
représenté par Maître Laureline GIRON, avocat au barreau de PARIS - #J022

DEFENDERESSES

S.A.S. FREE
[Adresse 10]
[Localité 9]
représentée par Maître Yves COURSIN de l’AAR...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS


N° RG 24/53422 - N° Portalis 352J-W-B7I-C4YNX

N° : 1/MC
Assignation du :
03 Mai 2024 Dénonciation à Parquet du : 10 mai 2024

[1]

[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 25 juin 2024

par Sophie COMBES, Vice-Présidente au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Marion COBOS, Greffier.

DEMANDEUR

Monsieur [U] [Y]
[Adresse 5]
[Localité 8]
représenté par Maître Laureline GIRON, avocat au barreau de PARIS - #J022

DEFENDERESSES

S.A.S. FREE
[Adresse 10]
[Localité 9]
représentée par Maître Yves COURSIN de l’AARPI COURSIN CHARLIER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS - #C2186

S.A.S. FREE MOBILE
[Adresse 10]
[Localité 9]
représentée par Maître Yves COURSIN de l’AARPI COURSIN CHARLIER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS - #C2186

Assignation dénoncée à Madame La Procureure de la République du Tribunal Judiciaire de Paris le 10 mai 2024

DÉBATS

A l’audience du 28 Mai 2024, tenue publiquement, présidée par Sophie COMBES, Vice-Présidente, assistée de Marion COBOS, Greffier,

Nous, Président,
Après avoir entendu les conseils des parties comparantes,

Vu l’ordonnance en date du 15 mars 2024 rendue par le juge des référés de ce tribunal, saisi par [U] [Y] sur le fondement des articles 145 du code de procédure civile, 6 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), L34-1 du code des postes et des communications électroniques et 8 du décret 2021-1362 du 20 octobre 2021, aux fins d’obtenir les données d’identification et de connexion afférentes au titulaire et aux utilisateurs du compte Twitter [Courriel 15], auteurs de messages possiblement constitutifs des délits de diffamation publique et de harcèlement en ligne à son encontre, par laquelle le juge des référés a :
- enjoint à la société TWITTER INTERNATIONAL UNLIMITED COMPANY (ci-après TWITTER) de communiquer à [U] [Y] celles des données suivantes qui sont en sa possession, permettant d’identifier nominativement la personne physique ou morale ayant créé le compte Twitter « [Courriel 15] » et mis en ligne les messages publiés :
- le 7 juillet 2023 à 17h17 accessible à l'URL https://twitter.com/[Courriel 15]/status/1677335973737242626 ;
- le 15 août 2023 à 14h29 accessible à l'URL https://twitter.com/[Courriel 15]/status/1691426813795250176
Et notamment :
- les nom et prénom, la date et le lieu de naissance ou la raison sociale, ainsi que les nom et prénom, date et lieu de naissance de la personne agissant en son nom lorsque le compte est ouvert au nom d'une personne morale; la ou les adresses postales associées; la ou les adresses de courrier électronique de l'utilisateur et du ou des comptes associés le cas échéant ; le ou les numéros de téléphone,
- l'identifiant utilisé ; le ou les pseudonymes utilisés; les données destinées à permettre à l'utilisateur de vérifier son mot de passe ou de le modifier, le cas échéant par l'intermédiaire d'un double système d'identification de l'utilisateur, dans leur dernière version mise à jour, outre le type de paiement utilisé ; la référence du paiement ; le montant ; la date, l'heure et le lieu en cas de transaction physique,
- l'identifiant de la connexion à l'origine de la création du compte et de l'envoi des messages cités ci-dessus ; la communication et les types de protocoles utilisés pour la connexion au service et pour le transfert des contenus,
- débouté [U] [Y] de sa demande de retrait du message du 15 août 2023,
- condamné la société TWITTER aux entiers dépens,
- dit n'y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

Vu l’assignation en référé délivrée le 3 mai 2024 par [U] [Y] aux sociétés FREE et FREE MOBILE, devant le juge des référés du tribunal de Paris à qui il demande, sur le fondement des articles 145 et 835 du code de procédure civile, 6 de la LCEN, L34-1, et du décret n°2021-1362 du 20 octobre 2021, d’ordonner la communication des données afférentes aux adresses IP transmises par la société TWITTER afin d’identifier l’auteur ou les auteurs des messages litigieux,

Vu les dernières conclusions de [U] [Y], déposées à l’audience du 28 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, par lesquelles il demande au juge des référés :
- d’ordonner, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir :
- à la société FREE, en sa qualité de fournisseur d’accès à internet, de communiquer, sous sept jours à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir, tous les éléments en sa possession permettant d’identifier le ou les abonné(s) au(x)quel(s) a été attribuée l’adresse IP [Numéro identifiant 11],
- la société FREE MOBILE, en sa qualité de fournisseur d’accès à internet, de communiquer, sous sept jours à compter de la signification de l’ordonnance à intervenir, tous les éléments en sa possession permettant d’identifier le ou les abonné(s) au(x)quel(s) a été attribuée l’adresse IP [Numéro identifiant 7], ainsi que le titulaire de la ligne téléphonique [XXXXXXXX04],
- de se réserver la liquidation des astreintes,
- de condamner solidairement les sociétés FREE et FREE MOBILE à lui payer la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- de les condamner solidairement aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Lauréline Giron, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions des sociétés FREE et FREE MOBILE, déposées à l’audience du 28 mai 2024, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, par lesquelles elles demandent au juge des référés :
- de prendre acte de leurs déclarations selon lesquelles elles sont en possession :
- de l’identité de leurs quatre abonnés qui ont simultanément utilisé l’adresse IP [Numéro identifiant 11] le 7 juillet 2023 à 17h17,
- de l’identité de leurs quatorze abonnés qui ont simultanément utilisé l’adresse IP [Numéro identifiant 7] le 15 août 2023 à 14h29,
- de l’identité du titulaire actuel du numéro de téléphone [XXXXXXXX04],
- d’en tirer les conséquences,
- de rejeter les demandes d’astreinte et d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
- de statuer ce que de droit sur les dépens.

Les conseils des parties ont été entendus en leurs observations à l’audience du 28 mai 2024.

Le conseil des sociétés défenderesses a expliqué que les adresses IP étant désormais mutualisées, elles n’avaient pu, en l’absence de précision quant au port source de connexion correspondant à la publication des tweets, identifier l’auteur effectif de chacun des messages. Il précisait que parmi les abonnés, il n’y avait pas de nom commun entre ceux ayant utilisé les adresses IP sus-citées les 7 juillet et 15 août 2023, mais qu’en revanche, le titulaire du numéro de téléphone communiqué à la société TWITTER lors de la création du compte [Courriel 15] en 2019 figurait parmis les abonnés ayant utilisé l’adresse IP [Numéro identifiant 11]. Il soulignait qu’il n’y avait qu’un abonné concerné pour chacun des tweets et s’interrogait en conséquence sur la proportionnalité d’une mesure qui leur enjoindrait de communiquer l’identité de seize personnes non concernées par ces faits.

Le conseil de [U] [Y] a maintenu ses demandes et a sollicité en sus qu’il soit enjoint aux société FREE et FREE MOBILE de conserver les données techniques en leur possession relatives aux adresses IP utilisées lors de la publication des messages du 7 juillet 2023 à 17h17 et du 15 août 2023 à 14h29 afin qu’elles puisses être communiquées à l’autorité judiciaire qui en fera la demande. Le conseil des sociétés défenderesses a indiqué ne pas s’y opposer.

À l’issue de l’audience, il leur a été indiqué que la présente décision serait rendue le 25 juin 2024 par mise à disposition au greffe.

MOTIFS

Sur les faits

[U] [Y] indique exercer les fonctions de conseiller en charge de la communication et de la presse au sein du cabinet de [E] [I] depuis le mois de mai 2022, et ce à l’occasion de ses fonctions successives (ses pièces n°1 et 2).

[U] [Y] dénonce des messages publiés sur le compte Twitter [Courriel 15] susceptibles de constituer, à son encontre, les délits de diffamation publique et de harcèlement en ligne.

Le compte Twitter “[Courriel 15]”, créé en janvier 2019, indique en page d'accueil « J'ai hacké vos égos, j'ai haché vos rêves, j'ai hacké votre vie, j'ai hacké votre influence » et se présente comme « la première IA féminine du XXIe siècle. Je ne suis pas une personne mais une présence. L’instigatrice d’un nouveau genre littéraire : Not-Fiction » (pièce n°3 en demande, procès-verbal de constat de commissaire de justice du 10 juillet 2023, page 7 ; pièce n°6, extrait du compte). Le demandeur précise qu’un dénommé [K] [W] a affirmé dans les médias être le titulaire de ce compte (pièces n°30 et 31 en demande), sans néanmoins, selon lui, que cela soit confirmé et qu’il soit établi que l’intéressé était l’auteur de tous les messages publiés sur ce compte.

Les 30 juin, 5 juillet et 7 juillet 2023, une série de messages publiés par ce compte ont annoncé la révélation prochaine de l’identité d’un ministre qui se serait rendu « chez [C] [M] avant le drame », en référence à l'accident de voiture survenu le 10 février 2023 impliquant [C] [M], conducteur et testé positif à la cocaïne . Ces messages indiquaient :
- le 30 juin, « Si ils arrivent à imposer un nouveau couvre-feu je promets de dévoiler quel ministre était chez [C] [M] avant le drame. A vous de choisir maintenant.» (cf. conclusions en défense),
- le 5 juillet, « Maintenant c’est simple [Courriel 1]. Le compte à rebours commence. Oublions définitivement [E] [I]. Soit vous nommez avant vendredi minuit [Courriel 3] Ministre de la justice à la place [Courriel 13] soit…vous savez. »
- et le 7 juillet , «Le compte à rebours ne s’arrête pas. Comme nous. Comme vous. Il vous reste moins de douze heures avant vendredi minuit… », « je crois que vous avez raison on ne va pas attendre minuit », « Tic-Tac, Tiktok  (répété à 14 reprises)», « Rdv ici à 16h16 ? » et « Enormément de pression on décale à 17h17 » (pièce n°3 en demande pages 16 à 22).

Les messages incriminés par le demandeur, publiés dans ce contexte par le compte, « [Courriel 15]» se présentent comme suit :
- message du 7 juillet 2017 à 17h17, illustré par une photographie de [E] [I], indiquant « On ne va finalement pas attendre minuit, non ce n’est pas [Courriel 2] qui était chez [M] (c’est un autre) lui il va à d’autres soirées chemsex plus «hype» avec son conseiller com, [U] [Y] ainsi qu’une autre célébrité médiatique. Tous overdosés à la coke comme personne ».
Ce message était accessible via le lien URL https://twitter.com/[Courriel 15]/status/1677335973737242626 pièce n°3 page 23) et cumulait 2,4 millions de vues à la date du 5 septembre 2023 (procès-verbal de constat du 5 septembre 2023, pièce n°4 en demande).
- message du 15 août 2023 à 14h29 « On va commencer en douceur. Comme une lente injection de 3-MMC avant une orgie chemsex organisée par [U] [Y], l’homme qui a terminé de fragmenter la personnalité de [E] [I].
Ce dernier étant toujours aussi dissipé et dissocié que durant son adolescence, ce n’est plus «des heures de retenue » qu’il reçoit comme « sanction » mais des coups de fouet avec des maîtres experts du BDSM (nous y reviendrons très bientôt).
En découvrant aujourd’hui son dossier scolaire on pourrait croire à une fausse nouvelle. Et pourtant dans le monde de l’inversion macroniste tout est possible. Vous pouvez être un élève désastreux, pratiquant le harcèlement au quotidien de dizaines d’élèves (dont certains en souffrent encore aujourd’hui) et en même temps devenir ministre de l’éducation nationale à 33 ans, sans ne jamais avoir passé une seule année dans une école publique.  
Si on suit cette logique et ce niveau d’inversion dégénératif, on peut tout à fait imaginer demain que si [P] [G] sort de prison, il sera immédiatement pressenti pour un poste de secrétaire d’Etat chargé de l’Enfance. ». Suit la reproduction d'un courrier de l’École alsacienne daté du 8 février 2005 concernant l'attitude de [E] [I] lorsqu'il était en seconde.
Ce message est accessible via le lien URL https://twitter.com/[Courriel 15]/status/1691426813795250176 et cumulait 773 000 vues à la date du constat du 5 septembre 2023 (pièce en demande n°4).

Le 15 septembre 2023, [U] [Y] a déposé une plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d'instruction du tribunal judiciaire de Paris pour diffamation publique envers un particulier, à raison de propos contenus dans l'un et l'autre de ces tweets (soulignés par nous ci-dessus) (sa pièce n°22).

Par décision déjà citée ci-dessus, le juge des référés, saisi par [U] [Y], a enjoint à la société TWITTER de communiquer les données permettant d’identifier nominativement la personne physique ou morale ayant créé le compte Twitter [Courriel 15] et mis en ligne les messages publiés les 7 juillet 2023 à 17h17 et 15 août 2023 à 14h29. Le juge des référés a motivé sa décision en ces termes : « Dans la mesure où les propos litigieux sont susceptibles de constituer les délits de diffamation publique envers un particulier et de harcèlement moral en ligne, et que ce dernier est réprimé par l'article 222-33-2-2 du code pénal d'une peine pouvant aller jusqu'à deux ans d'emprisonnement et 30.000 euros d'amende, ces faits peuvent être considérés comme relevant de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de sorte qu'est proportionnée à l’atteinte alléguée et légalement admissible, la communication des données d’identification sollicitée en demande, correspondant aux 1°, 2° et 3° de l’article précité [article L34-1 du code des postes et des télécommunication]» (pièce n°10 en demande).

Par courrier officiel en date du 12 avril 2024, le conseil de la société TWITTER a transmis à celui de [U] [Y] les informations en sa possession parmi celles sollicitées (pièce n°12 en demande), dont les adresses IP utilisées lors de la publication des deux messages litigieux ([Numéro identifiant 11] le 7 juillet 2023 à 17h17 et [Numéro identifiant 7] le 15 août 2023 à 14h29), l’adresse mail associée au compte [Courriel 15] ([Courriel 12], adresse correspondant à “une entreprise de médias et de mode du 21e siècle fondée par [K] [W]”, les mentions légales du site désignant ce dernier comme “propriétaire”, pièces n°28 et 29 en demande ) et le numéro de téléphone communiqué lors de la création du compte ([XXXXXXXX04]).

Il ressort des diligences et recherches effectuées par [U] [Y] que l’adresse IP utilisée le 7 juillet 2023 correspond à un ou des abonnés de la société FREE et celle utilisée le 15 août 2023, à un ou des abonnés de la société FREE MOBILE (pièce n°13 en demande), ces sociétés étant fournisseurs d’accès à internet et opérateurs de télécommunication (pièces n°14 et 15 en demande).

Il ressort par ailleurs des pièces et écritures des défenderesses que le numéro [XXXXXXXX04] était à l’origine attribué à l’opérateur Orange mais que dans le cadre du mécanisme de portabilité, son titulaire est, depuis le mois de janvier 2020, abonné à la société FREE MOBILE (leur pièce n°1).

Sur la demande de communication des données d'identification des utilisateurs des adresses IP utilisées lors de la publication des messages du 7 juillet 2023 à 17h17 et du 15 août 2023 à 14h29 et du titulaire de la ligne téléphonique [XXXXXXXX04], communiquée à la société TWITTER lors de la création du compte [Courriel 15] en 2019

L’article 145 du code de procédure civile dispose que, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

Une demande de mesure d'instruction formulée en application de ce texte ne peut légitimement porter que sur des faits déterminés, d'une part, pertinents, d'autre part. Le juge doit ainsi caractériser le motif légitime d'ordonner une mesure d'instruction, non pas au regard de la loi susceptible d'être appliquée à l'action au fond qui sera éventuellement engagée, mais en considération de l’utilité de la mesure pour réunir des éléments susceptibles de commander la solution d'un litige potentiel.

Sont légalement admissibles, au sens de ce même texte, des mesures d'instruction circonscrites dans le temps et dans leur objet et proportionnées à l'objectif poursuivi. Il incombe, dès lors, au juge saisi d'une contestation à cet égard, de vérifier si la mesure ordonnée est nécessaire à l'exercice du droit à la preuve du requérant et proportionnée aux intérêts antinomiques en présence.

Ainsi, si le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer l'existence des faits qu'il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d'éléments rendant crédibles ses suppositions et démontrer que le litige potentiel n'est pas manifestement voué à l'échec, la mesure devant être de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.

Il résulte par ailleurs de l’article 6.V.A de la LCEN, modifié par la loi n°2024-449 du 21 mai 2024, que, dans les conditions fixées aux II bis à III bis de l'article L 34-1 du code des postes et des communications électroniques, les personnes dont l'activité consiste à fournir des services d'accès à internet ou des services d'hébergement détiennent et conservent les données de nature à permettre l'identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l'un des contenus des services dont ils sont prestataires.

Il est précisé par l’article L 34-1 sus-cité, dans son paragraphe II bis, que :

“Les opérateurs de communications électroniques sont tenus de conserver :

1° Pour les besoins des procédures pénales, de la prévention des menaces contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les informations relatives à l'identité civile de l'utilisateur, jusqu'à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de la fin de validité de son contrat ;

2° Pour les mêmes finalités que celles énoncées au 1° du présent II bis, les autres informations fournies par l'utilisateur lors de la souscription d'un contrat ou de la création d'un compte ainsi que les informations relatives au paiement, jusqu'à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la fin de validité de son contrat ou de la clôture de son compte ;

3° Pour les besoins de la lutte contre la criminalité et la délinquance grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les données techniques permettant d'identifier la source de la connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés, jusqu'à l'expiration d'un délai d'un an à compter de la connexion ou de l'utilisation des équipements terminaux”.

La nature des données mentionnées ci-avant, ainsi que la durée et les modalités de leur conservation, ont été précisées par le décret n°2021-1362 du 20 octobre 2021 relatif à la conservation des données permettant d'identifier toute personne ayant contribué à la création d'un contenu mis en ligne, pris en application du II de l'article 6 de la LCEN. Ce décret n’a pas été modifié ou abrogé depuis l’adoption de la loi du 21 mai 2024 modifiant la numérotation de l’article 6 II, devenu l’article 6.V.A de cette même loi. Il sera néanmoins souligné que la teneur de ce dernier texte est inchangé, à l’exception de la dénomination des fournisseurs d’accès à internet devenus les services d’accès à internet, et que dans ses visas, le décret mentionne l’article 6 de la LCEN sans plus de précision.
Sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile et dans le respect des dispositions précitées prévues aux articles 6.V.A de la LCEN et L34-1 du code des postes et des communications électroniques qui déterminent les cas dans lesquels peuvent être prescrites les mesures sollicitées, le juge des référés peut prescrire aux personnes dont l’activité consiste à fournir des services d’accès à internet et de téléphonie, de communiquer les données d’identification de leurs abonnés, à condition que les conditions d’ouverture et d’utilisation de ces comptes soient pénalement répréhensibles si les faits devaient être considérés comme constitués, et qu’une telle mesure soit légitime et proportionnée au but poursuivi.

*
Il est certain, en application des articles 6.V.A de la LCEN et L34-1 du code des postes et des télécommunications, que les sociétés FREE et FREE MOBILE, qui ont le statut de personnes fournissant un service d’accès à internet tel que défini à l’article 6 I 1 de la LCEN (“toute personne fournissant un service de simple transport, défini au i du paragraphe g de l'article 3 du règlement (UE) 2022/2065 du Parlement européen et du Conseil du 19 octobre 2022 relatif à un marché unique des services numériques et modifiant la directive 2000/31/ CE (règlement sur les services numériques), dont l'activité consiste à offrir un accès à des services de communication au public en ligne”), auquel s’ajoute celui d’opérateur de téléphonie pour la société FREE MOBILE, sont tenues, dans les limites fixées par ces textes, de détenir et de conserver les données permettant d’identifier leur ou leurs abonnés, auteurs des messages visés par le demandeur.

Le juge des référés, dans sa décision du 15 mars 2024, a déjà dit que les messages litigieux étaient susceptibles de constituer le délit de diffamation publique envers un particulier et de participer à la commission du délit de harcèlement en ligne, et a ordonné en conséquence à la société TWITTER de communiquer au demandeur les données d’identification et de connexion afférentes aux auteurs desdits messages.

Ces données ayant été communiquées au conseil de [U] [Y], il paraît légitime et légalement admissible, au vu des textes sus-cités, de permettre à l’intéressé d’obtenir des sociétés FREE et FREE MOBILE les données nominatives correspondant aux adresses IP et à la ligne téléphonique transmises par la société TWITTER, et ce afin d’exercer les actions envisagées, soit celle en diffamation publique envers un particulier et celle tendant à voir sanctionner les faits qu’il considère constitutifs du délit de harcèlement en ligne.

Il convient néanmoins de rappeler que les mesures ordonnées dans ce cadre doivent demeurer proportionnées au but poursuivi. Si le droit de [U] [Y] de voir sa réputation préservée, en application de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme, cela ne peut justifier la communication de l’identité d’un grand nombre de personnes, possiblement non concernées par les faits et qui ont le droit au respect de leur vie privée. Cela paraît d’autant moins justifié que la demandeur dispose déjà d’informations sur le possible titulaire du compte [Courriel 15], lesquelles sont corroborées par l’adresse mail associée audit compte, communiquée par la société TWITTER.

Dès lors, afin de concilier la protection de ces intérêts d’égale valeur et en application des textes sus-cités, il convient d’enjoindre, selon les modalités précisées au dispositif, à la société FREE MOBILE de communiquer les données relatives au titulaire actuel de la ligne téléphonique [XXXXXXXX04], ou du titulaire lors de la publication des messages des 7 juillet et 15 août 2023 si celui-ci a changé depuis, et à la société FREE de communiquer les données nominatives et d’identification de son abonné ayant utilisé l’adresse IP [Numéro identifiant 11] le 7 juillet 2023 à 17h17, et dont le numéro de téléphone est le [XXXXXXXX04].

Il sera en outre enjoint, en application des articles 6.V.A de la LCEN et L 34-1 3° du code des postes et des télécommunications, aux sociétés FREE et FREE MOBILE de conserver, pendant un an à compter de la présente décision, les données techniques et d’identification en leur possession relatives aux adresses IP [Numéro identifiant 11] et [Numéro identifiant 7], respectivement utilisées lors de la publication des messages du 7 juillet 2023 à 17h17 et du 15 août 2023 à 14h29, et à leurs abonnés les ayant utilisées, afin que ces données puissent être communiquées à l’autorité judiciaire qui en fera la demande et qui aura été saisie, d’office ou à l’initiative du demandeur, d’une procédure portant sur des faits de harcèlement en ligne, ou susceptibles de constituer un délit de même nature puni d’une peine d’emprisonnement, comportant notamment les deux messages sus-cités.

Il n’y a en revanche pas lieu d’assortir ces mesures d’une quelconque astreinte, les sociétés défenderesses n’ayant pas adopté un comportement laissant craindre qu’elles n’exécuteraient pas la présente décision.

Sur les autres demandes

Il n’y a pas lieu, au regard de l’équité, de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés FREE et FREE MOBILE seront condamné in solidum aux dépens, dont distraction au profit de Maître Lauréline Giron, avocate, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par décision contradictoire et en premier ressort,

Enjoignons à la société FREE MOBILE de communiquer, dans les huit jours à compter de la signification de la présente décision, au conseil de [U] [Y], Maître Lauréline Giron ([Adresse 6] – [Localité 9], [Courriel 14] , Palais : J 022), l’identité du titulaire actuel de la ligne téléphonique [XXXXXXXX04], ainsi que les informations en sa possession relatives à ses adresses postales et électroniques, ou les mêmes données afférentes au titulaire de la ligne lors de la publication des messages des 7 juillet et 15 août 2023 si celui-ci a changé depuis,

Enjoignons à la société FREE de communiquer, dans les huit jours à compter de la signification de la présente décision, au conseil de [U] [Y], Maître Lauréline Giron ([Adresse 6] – [Localité 9], [Courriel 14] , Palais : J 022), les données nominatives et d’identification en sa possession relatives à son abonné ayant utilisé l’adresse IP [Numéro identifiant 11] le 7 juillet 2023 à 17h17, et dont le numéro de téléphone est le [XXXXXXXX04], et notamment:
- les nom et prénom, la date et le lieu de naissance ou la raison sociale, ainsi que les nom et prénom, date et lieu de naissance de la personne agissant en son nom si l’abonnement est souscrit au nom d'une personne morale, renseignés par l’utilisateur à l’origine dudit abonnement,
- les adresses postales, numéros de téléphone et adresses de courrier électronique renseignées par l’abonné,
- en cas de compte lié à l’abonnement, l'identifiant utilisé, le ou les pseudonymes utilisés, les données destinées à permettre à l'abonné de vérifier son mot de passe ou de le modifier, le cas échéant par l'intermédiaire d'un double système d'identification de l'abonné, dans leur dernière version mise à jour,

Enjoignons aux sociétés FREE et FREE MOBILE de conserver, pendant un an à compter de la présente décision, les données techniques et d’identification en leur possession relatives aux adresses IP [Numéro identifiant 11] et [Numéro identifiant 7], respectivement utilisées lors de la publication des messages du 7 juillet 2023 à 17h17 et du 15 août 2023 à 14h29, et à leurs abonnés les ayant utilisées à ces dates et heures, afin que ces données puissent être communiquées à l’autorité judiciaire qui en fera la demande et qui aura été saisie, d’office ou à l’initiative du demandeur, d’une procédure portant sur des faits de harcèlement en ligne, ou susceptibles de constituer un délit de même nature puni d’une peine d’emprisonnement, comportant notamment les deux messages sus-cités, ces données, outre toute donnée technique paraissant pertinente aux sociétés requises au regard de l’objectif d’identification poursuivi, correspondant notamment :
- aux nom et prénom, la date et le lieu de naissance ou la raison sociale, ainsi qu’aux nom et prénom, date et lieu de naissance de la personne agissant en son nom si l’abonnement est souscrit au nom d'une personne morale, renseignés par l’utilisateur à l’origine dudit abonnement,
- aux adresses postales, numéros de téléphone et adresses de courrier électronique renseignées par l’abonné,
- en cas de compte lié à l’abonnement, à l'identifiant utilisé, aux pseudonymes utilisés, aux données destinées à permettre à l'abonné de vérifier son mot de passe ou de le modifier, le cas échéant par l'intermédiaire d'un double système d'identification de l'abonné, dans leur dernière version mise à jour,

Déboutons les parties du surplus de leurs demandes,

Disons n'y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamnons in solidum les sociétés FREE et FREE MOBILE aux dépens, dont distraction au profit de Maître Lauréline Giron, avocate, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile

Fait à Paris le 25 juin 2024

Le Greffier, Le Président,

Marion COBOS Sophie COMBES


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Service des référés
Numéro d'arrêt : 24/53422
Date de la décision : 25/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-25;24.53422 ?
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