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24/06/2024 | FRANCE | N°23/50901

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Service des référés, 24 juin 2024, 23/50901


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS






N° RG 23/50901 - N° Portalis 352J-W-B7H-CYXA2

N°: 1-CB

Assignation du :
17 et 18 janvier 2023



ORDONNANCE DE REFERE
rendue le 24 juin 2024



par Emmanuelle DELERIS, Vice-présidente au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Clémence BREUIL, Greffier.

DEMANDERESSE

La S.C.I. [Adresse 5]
[Adresse 7]
[Localité 8]

représentée par Maître Tristan DUPRE DE PUGET de la SCP FISCHER TANDEAU DE

MARSAC SUR & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS - #P0147

DEFENDERESSES

Le Ministère de l’Intérieur – Préfecture de Police de [Localité 20]
[Adresse 4]
[Loc...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

N° RG 23/50901 - N° Portalis 352J-W-B7H-CYXA2

N°: 1-CB

Assignation du :
17 et 18 janvier 2023

ORDONNANCE DE REFERE
rendue le 24 juin 2024

par Emmanuelle DELERIS, Vice-présidente au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Clémence BREUIL, Greffier.

DEMANDERESSE

La S.C.I. [Adresse 5]
[Adresse 7]
[Localité 8]

représentée par Maître Tristan DUPRE DE PUGET de la SCP FISCHER TANDEAU DE MARSAC SUR & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS - #P0147

DEFENDERESSES

Le Ministère de l’Intérieur – Préfecture de Police de [Localité 20]
[Adresse 4]
[Localité 9]

La Direction Générale des Finances Publiques – Direction de l’Immobilier de l’Etat
[Adresse 14]
[Adresse 14]
[Localité 12]

L’Agent Judiciaire de l’Etat
[Adresse 13]
[Adresse 13]
[Localité 10]

représentés par Maître Renaud LE GUNEHEC de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS - #P0141

DÉBATS

2 copies exécutoires délivrées le :
+ 1 expert
A l’audience du 25 Avril 2024, tenue publiquement, présidée par Emmanuelle DELERIS, Vice-présidente, assistée de Clémence BREUIL, Greffier,

Nous, Président,

Après avoir entendu les parties représentées de leur conseil,

Par acte du 6 mai 2004, la société [19] a donné à bail civil à l'Etat, pour les besoins du Ministère de l'Intérieur, des locaux d'un ensemble immobilier sis [Adresse 5] à [Localité 21], affectés à usage de commissariat de police.

Par acte authentique du 20 octobre 2004, la SCI [Adresse 5] a acquis de la société [19] la propriété de l'ensemble immobilier sis [Adresse 5] à [Localité 21].

Ce bail a été tacitement reconduit avant d'être expressément renouvelé par acte du 11 mars 2014 pour une durée ferme de six à neuf années consécutives à compter du 1er janvier 2014 et jusqu'au 31 décembre 2022 au plus tard.

Par actes signifiés les 9 et 10 novembre 2022 à l'Etat, son représentant et la Direction de l'Immobilier de l'Etat (ci-après " la DIE "), la SCI [Adresse 5] leur a donné congé pour le 31 décembre 2022, terme du bail.

L'Etat n'a pas libéré les lieux loués au terme convenu au bail et c'est dans ce contexte que la SCI [Adresse 5] a, par exploits délivrés les 17 et 18 janvier 2023, fait citer le Ministère de l'intérieur- Préfecture de police de [Localité 20], la Direction générale des finances publiques- Direction de l'Immobilier de l'Etat et l'Agent Judiciaire de l'Etat devant le président du tribunal judiciaire de Paris, statuant en référés, aux fins de :

" Dire et juger que l'occupation sans droit ni titre dans les locaux sis [Adresse 5] constitue un trouble manifestement illicite,

En conséquence,

Ordonner l'expulsion sous astreinte de l'Etat (Ministère de l'Intérieur - Préfecture de Police de [Localité 20]), ainsi que tous les occupants de son chef, des lieux qu'il occupe sis [Adresse 5], en la forme ordinaire, et avec assistance de la force publique si besoin est,

Ordonner la séquestration des meubles et objets mobiliers garnissant les lieux en tel garde-meuble qu'il plaira au Président du tribunal judiciaire, désigné aux frais, risques et périls de l'Etat (Ministère de l'Intérieur - Préfecture de Police de [Localité 20]), de la Direction Générale des Finances Publiques - Direction de l'immobilier de l'Etat, ainsi que de l'Agent Judiciaire de l'Etat,

Condamner l'Agent Judiciaire de l'Etat, à titre provisionnel, à payer à la société [Adresse 5] la somme de 376.000 € HT HC par an, à titre d'indemnité d'occupation, à compter du 1er janvier 2023 et jusqu'à la parfaite libération des locaux, augmenté des charges et taxes, ainsi que de la TVA, dans les conditions prévues au bail civil du 11 mars 2014,

Ordonner que :

- le commissaire de justice qui sera chargé de procéder à l'expulsion du Preneur et / ou à la constatation de la restitution des clefs procède à un constat détaillé de l'état des Locaux au jour de leur restitution,
- le commissaire de justice susvisé soit accompagné d'un technicien, désigné sur la liste des experts judiciaires près la Cour d'appel de Paris ou la Cour de cassation, afin que celui-ci puisse émettre son opinion sur les travaux à entreprendre afin de remettre les Locaux en bon état de réparation de toutes natures,
- le commissaire de justice susvisé consigne les observations et opinions du technicien aux termes de son procès-verbal de constat,

En tout état de cause,

Condamner l'Agent Judiciaire de l'Etat, à payer à la société [Adresse 5] la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction sera faite au profit de la SCP FTMS Avocats par application de l'article 699 du même code. ".

L'affaire, appelée pour la première fois à l'audience du 16 février 2023, a fait l'objet de plusieurs renvois à la demande des parties, qui ont reçu l'injonction d'assister à un rendez-vous d'information sur la médiation.

Les parties n'ont pas souhaité entrer en médiation.

L'Etat a restitué les locaux appartenant à la SCI [Adresse 5] le 29 décembre 2023.

Par procès-verbal de constat des 23 et 29 décembre 2023, un huissier commis par la SCI [Adresse 5] a relevé des désordres affectant les locaux précédemment donnés à bail à l'Etat.

La SCI [Adresse 5] a maintenu ses demandes et l'affaire a été plaidée à l'audience du 25 avril 2024.

Par conclusions soutenues oralement à l'audience, la requérante demande au juge des référés de :
- Condamner l'Agent Judiciaire de l'Etat, à titre provisionnel, à payer à la SCI [Adresse 5] la somme de 6.157,60 euros HT HC au titre du solde de l'indemnité d'occupation de 373.939,72 euros HT HC due pour la période courant du 1er janvier 2023 au 29 décembre 2023 ;

- Condamner l'Agent Judiciaire de l'Etat, à titre provisionnel, à payer à la SCI [Adresse 5] une somme de 376.000 euros HT HC par an à titre d'indemnité d'occupation à compter du 30 décembre 2023 et jusqu'à l'achèvement des travaux de remise en état des locaux en conformité avec les stipulations du bail ;

- Ordonner une expertise judiciaire et nommer tout expert de son choix avec pour mission de :
o Se rendre dans les locaux sis [Adresse 5] anciennement occupés par l'Etat à usage de commissariat,
o Visiter les lieux, les décrire, et faire l'inventaire de son état au 29 décembre 2023, le cas échéant à l'aide des documents qui lui seront fournis,
o Convoquer les parties à une ou plusieurs réunions d'expertise,
o Se faire remettre tous documents qu'il estimera utiles à la réalisation de sa mission, et notamment les procès-verbaux établis le 29 décembre 2023, ainsi que l'ensemble des justificatifs des travaux d'entretien et de réparation que l'Etat aurait fait réaliser dans les locaux,
o Rechercher les éventuels désordres qui pourraient résulter d'un manquement de l'Etat à son obligation d'entretien et de réparation telle qu'elle résulte des stipulations du bail du 11 mars 2014, ainsi que de son obligation de restitution des locaux " en bon état de réparation de toutes natures ",
o Déterminer les travaux à réaliser, en les chiffrant, afin de remettre les locaux " en bon état de réparation de toutes natures " conformément aux obligations incombant au preneur aux termes du bail du 11 mars 2014,
o Se prononcer sur leur imputation entre les parties,

En tout état de cause,

- Débouter l'Agent Judiciaire de l'Etat , l'Etat (Ministère de l'Intérieur- Préfecture de police de [Localité 20]) et la Direction générale des finances publiques- Direction de l'Immobilier de l'Etat de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

-Condamner l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT à payer à la SCI [Adresse 5] la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction sera faite au profit de la SCP FTMS Avocats par application de l'article 699 du même code.

Par conclusions en réplique soutenues oralement à l'audience, les défendeurs demandent au juge des référés de :

A titre principal,

-Juger que les demandes formées par la SCI [Adresse 5] sont sans objet compte tenu du départ des services occupants le 29 décembre 2023, et dire par conséquent n'y avoir lieu à référé tant sur la demande d'expulsion que sur les demandes accessoires initiales à la demande d'expulsion,
- Juger que les nouvelles demandes formées par la SCI [Adresse 5] relatives à la fixation du montant de l'indemnité d'occupation postérieurement à la restitution des locaux et à la désignation d'un expert sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile sont irrecevables faute d'être rattachées à la demande initiale principale en expulsion par un lien suffisant, et l'en débouter,

A titre subsidiaire, que :

- La demanderesse soit condamnée au paiement d'une somme de 100.000 € à titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts dus au titre de la rupture brutale et abusive des pourparlers tendant au renouvellement du bail du 11 mars 2014 ;
- La demanderesse soit condamnée au paiement d'une somme de 585.000 € à titre de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice de jouissance depuis le 11 mai 2014 ;
- La demanderesse soit déboutée de sa demande au titre de l'indemnité d'occupation pour la période du 1er janvier 2023 au 29 décembre 2023 ;

A défaut, sur l'indemnité d'occupation pour la période du 1er janvier 2023 au 29 décembre 2023 : la fixer à la somme de 268.800 € annuels, augmentée des charges suivant la répartition prévue par le bail, et condamner la société [Adresse 5] à rembourser à l'Agent Judiciaire de l'Etat le surplus des sommes reçues depuis le 1er janvier 2023 ;
- Juger n'y avoir lieu à référé sur la demande tendant à mettre à la charge de l'Agent Judiciaire de l'Etat une indemnité d'occupation pour la période postérieure au 29 décembre 2023, date de la restitution des locaux au propriétaire ;
- Dire n'y avoir lieu à référé sur la demande d'expertise formée par la société [Adresse 5] sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ;

A titre infiniment subsidiaire sur la demande d'expertise de :
- Leur donner acte qu'ils formulent les plus expresses protestations et réserves s'agissant cette demande ;
- Si une expertise est ordonnée, commettre à cet effet un expert en bâtiment ayant pour mission notamment de se rendre dans les locaux, en faire l'inventaire, convoquer les parties à une ou plusieurs réunions d'expertise, adresser un pré-rapport, se faire remettre tous documents utiles, déterminer les travaux à réaliser conformément aux stipulations du bail, les chiffrer, et se prononcer sur le coefficient de vétusté à retenir.
- Débouter pour le surplus la demanderesse de ses demandes relatives à la mission de l'expert faute pour elle de justifier d'un intérêt légitime ;
- Juger que cette expertise sera diligentée aux frais intégralement avancés par la demanderesse.

Ils sollicitent en outre la condamnation de la SCI [Adresse 5] aux entiers dépens et à leur verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre le rejet de sa demande formée sur ce même fondement.

En application de l'article 446-1 du code de procédure civile, il est renvoyé à l'acte introductif d'instance et aux écritures des parties pour l'exposé des moyens qui y sont contenus.

La décision a été mise en délibéré au 6 juin 2024 et prorogée au 24 juin 2024.

MOTIFS

Sur les demandes principales

Il est constant que les lieux ont été libérés par le locataire le 29 décembre 2023, de sorte que la requérante abandonne sa demande d'expulsion.
Elle formule des demandes additionnelles au titre de la fixation et du paiement de l'indemnité d'occupation due, et en expertise au titre des travaux de remise en état à opérer.

Les défendeurs soulèvent l'irrecevabilité de ces demandes au visa de l'article 70 du code de procédure civile, qui dispose : " Les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant ".

Cependant, la demande de fixation de l'indemnité d'occupation, dont l'objet est de réparer le préjudice causé au bailleur du fait de l'indisponibilité de son bien et de la perte des loyers et charges, présente un lien suffisant avec la demande originaire en expulsion, dès lors qu'il s'agit d'indemniser le bailleur au titre de l'occupation des locaux au-delà de la date du 31 décembre 2022 visée dans le congé délivré le 10 novembre 2022.

La demande d'expertise, formulée au titre de la nécessité de faire réaliser des travaux au regard de l'état dégradé dans lequel les locaux auraient été restitués, présente également un lien suffisant avec la demande initiale en expulsion, s'agissant des suites juridiques de cette restitution.

Les demandes de la SCI du [Adresse 5] seront donc déclarées recevables.

Sur les demandes de provision à valoir sur l'indemnité d'occupation

Aux termes de l'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal peut accorder, en référé, une provision au créancier.

L'octroi d'une provision suppose le constat préalable par le juge de l'existence d'une obligation non sérieusement contestable au titre de laquelle la provision est demandée. Cette condition intervient à un double titre : elle ne peut être ordonnée que si l'obligation sur laquelle elle repose n'est pas sérieusement contestable et ne peut l'être qu'à hauteur du montant non sérieusement contestable de cette obligation, qui peut d'ailleurs correspondre à la totalité de l'obligation.
Cette condition est suffisante et la provision peut être octroyée, quelle que soit l'obligation en cause. La nature de l'obligation sur laquelle est fondée la demande de provision est indifférente, qui peut être contractuelle, quasi-délictuelle ou délictuelle.

Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.

En l'espèce, la requérante sollicite en premier lieu la condamnation de l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT à lui verser la somme provisionnelle de 6.157,60 euros HT HC au titre du solde de l'indemnité d'occupation de 373.939,72 euros HT HC due pour la période du 1er janvier 2023 au 29 décembre 2023.

Elle soutient que l'indemnité d'occupation doit être fixée au montant de la valeur locative du bien, qui ne correspond pas nécessairement au dernier loyer facturé, et se prévaut de l'estimation réalisée à sa demande par le cabinet [16] le 28 décembre 2022, fixant cette valeur pour des locaux en état d'usage à la somme de 317.600 euros, et à celle de 376.000 euros pour des locaux rénovés.

Elle fait encore valoir que le preneur s'est spontanément acquitté d'une somme de 367.782,12 euros hors charges au titre des loyers et indemnités d'occupation 2023

En réplique, l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT soutient en substance que rien ne justifie la fixation, au surplus par le juge des référés, d'une indemnité d'occupation dont le montant serait supérieur à celui du dernier loyer.

La SCI du [Adresse 5] produit une attestation de Monsieur [M] [K], expert-comptable, établissant les sommes versées par les défendeurs au titre de l'occupation des locaux pour les exercices 2022 et 2023, dont il résulte que les paiements effectués par la Préfecture de police ont été de :
- 87.469,17 euros versés le 15 décembre 2022, pour le 1er trimestre 2023,
- 96.421,89 euros versés le 4 avril 2023,
- 2.128,81 euros versés le 28 juin 2023 au titre de la régularisation des charges pour l'année 2021,
- 91.945,53 euros versés le 4 juillet 2023
- 91.945,53 euros versés le 3 octobre 2023
Ce qui correspond, à l'exception de la somme payée le 28 juin 2023, au paiement d'avance des 1er, 2eme, 3eme et 4ème trimestre 2023 pour un montant total de 367.782,12 euros.

Elle soutient, en se fondant sur l'estimation de la valeur locative des locaux établie par le cabinet [16], soit 376.000 euros HT HC, que les défendeurs lui doivent à ce titre la somme de 373.939,72 euros HC HT correspondant aux 363 jours d'occupation des locaux en 2023, et qu'en conséquence la somme provisionnelle de 373.939,72 - 367.782,12 euros = 6.157,60 euros doit lui être versée.

Cependant, rien ne permet d'établir que les défendeurs acquiescent à la fixation de l'indemnité d'occupation à la somme annuelle de 376.000 euros HC HT, et les termes du bail ne contiennent pas de clause particulière relative au moment de l'indemnité d'occupation due après la délivrance du congé.

La première demande provisionnelle de la SCI [Adresse 5] se heurte ainsi à une contestation sérieuse.

La requérante demande en second lieu la condamnation à titre provisionnel de l'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT à lui verser la somme de 376.000 euros HT HC par an à titre d'indemnité d'occupation à compter du 30 décembre 2023 et jusqu'à l'achèvement des travaux de remise en état des locaux.
Cependant, les lieux ayant été libérés le 29 décembre 2023, il n'y a pas lieu de condamner les défendeurs au paiement d'une indemnité d'occupation, dont l'objet est précisément d'indemniser le bailleur au titre du préjudice causé par l'indisponibilité de son bien.

La circonstance que la bailleresse estime devoir faire réaliser des travaux d'envergure dans les locaux loués, alors qu'il n'existe pas de consensus entre les parties pour désigner qui doit supporter de tels travaux, ni sur leur ampleur, ne caractérise pas une indisponibilité des locaux loués, de sorte que cette seconde demande de provision se heurte également à une contestation sérieuse.

En conséquence, il n'y a pas lieu à référés sur ces chefs de demande.

Sur la demande d'expertise

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

L'application de ce texte, qui subordonne le prononcé d'une mesure d'instruction à la seule démonstration d'un intérêt légitime à établir ou à préserver une preuve en vue d'un litige potentiel, n'implique aucun préjugé sur la recevabilité et le bien-fondé des demandes formées ultérieurement, sur la responsabilité des personnes appelées comme partie à la procédure, ni sur les chances du procès susceptible d'être engagé.

En l'espèce, la requérante soutient que le preneur a restitué les locaux dans un état particulièrement dégradé, pour n'avoir pas procédé à leur entretien pendant la durée du bail ni procédé à leur remise en état avant leur restitution, ce en violation des clauses du bail mettant à sa charge une obligation de maintenir et restituer les locaux en bon état de réparations.

En réplique, les défendeurs s'opposent à cette demande qui ne repose selon eux sur aucun motif légitime.

L'article 6 du bail stipule :
" 1) Le preneur entretiendra les locaux en bon état de réparations de toutes natures, étant rappelé que de convention expresse entre les parties, seuls les travaux énumérés ci-après restent à la charge du bailleur :
-Les grosses réparations définies à l'article 606 du code civil,
-Le ravalement de la façade,
-La réfection de l'étanchéité de la toiture.

2) Il rendra les locaux en bon état de réparations de toutes natures à la fin de la location.
(…)
6) Il ne pourra faire aucun changement ou modification dans la distribution des lieux loués sans l'autorisation expresse et par écrit du bailleur. Tous les changements qu'il aurait faits avec cette autorisation ainsi que tous embellissements et améliorations resteront à la fin du bail la propriété bailleur sans aucune indemnité, à moins que ce dernier ne demande le rétablissement des lieux en l'état d'origine (…). "

Les deux procès-verbaux de constat dressés le jour de la restitution des locaux d'une part par Maitre [T] [R] à la demande du bailleur, d'autre part par Maître [X] [V] à la demande de la Préfecture de police, établissent de façon concordante que les lieux sont affectés de nombreuses traces d'usure, s'agissant notamment des sols et de la peinture des murs, des huisseries, et des sanitaires, spécialement ceux attenants aux cellules. Il est également relevé de façon concordante que la façade de l'immeuble est en mauvais état.

La demanderesse produit en outre un courrier établi le 8 décembre 2023 par Monsieur [Z] [C], architecte [17], indiquant notamment qu'il sera nécessaire de refaire l'ensemble des réseaux électriques et des points d'eau et sanitaires ; de remplacer la chaudière et contrôler les organes de sécurité existants ; procéder au remplacement des revêtements de sols et à la réfection des faux plafonds ; de procéder à l'isolation des murs extérieurs et des combes, ainsi qu'au remplacement des fenêtres ; de refaire l'ensemble des peintures. Il évalue ces travaux, qu'il qualifie de rénovation, à la somme de 1.050.000 euros TTC.

La bailleresse produit également un devis établi le 17 avril 2024 par la société [15] aux fins de remise en état de l'immeuble, pour un montant de 836.672,40 euros.

Ces éléments caractérisent le litige en germe existant entre les parties quant à l'état de dégradation dans lequel les locaux ont été restitués et quant à la détermination de la partie à laquelle incombera la charge des travaux de remise en état, étant précisé qu'il n'appartient pas au juge des référés d'interpréter les clauses du bail, ni que de qualifier la nature des travaux à réaliser.

La détermination et le chiffrage du coût des travaux dans le cadre contradictoire d'une expertise apparaît nécessaire, les pièces produites par la requérante étant insuffisamment probantes notamment en ce qu'elles sont relatives à des travaux de rénovation complète, qui ne sauraient être intégralement supportés par le locataire sortant.

Le motif légitime prévu par l'article 145 du code de procédure civile apparaît ainsi caractérisé et il sera fait droit à la demande d'expertise dans les termes précisés au dispositif.

La bailleresse supportera la charge de la consignation à valoir sur les honoraires de l'expert.

Sur les demandes reconventionnelles

Les défendeurs sollicitent la condamnation de la demanderesse à leur verser :
- La somme de 100.000 euros à titre de provision à valoir sur les dommages et intérêts dus au titre de la rupture brutale et abusive des pourparlers tendant au renouvellement du bail du 11 mai 2014,
- La somme de 585.000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice de jouissance depuis le 11 mai 2014.

Ils font ainsi valoir d'une part, que la bailleresse a commis une faute engageant sa responsabilité civile à leur égard pourleur avoir brutalement délivré congé alors que des pourparlers étaient en cours depuis plusieurs mois quant aux conditions de renouvellement du bail, d'autre part qu'elle a manqué à son obligation d'assurer la jouissance paisible des lieux, l'immeuble étant affecté de nombreux désordres structurels.

Cependant, ces demandes impliquent de qualifier une faute de la SCI [Adresse 5] et de caractériser si les conditions d'engagement de sa responsabilité civile à l'égard de son locataire sont réunies, ce qui relève de l'office du juge du fond par un examen approfondi des circonstances de la présente cause, et non de l'office du juge des référés.

Aussi n-y-a-t-il pas lieu à référé sur ces demandes reconventionnelles.

Sur les demandes accessoires

Chacune des parties, qui succombe partiellement, conservera la charge de ses dépens et de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire en premier ressort,

Disons n'y avoir lieu à référé sur les demandes relatives au paiement d'une indemnité d'occupation à titre provisionnel ;

Disons n'y avoir lieu à référé sur les demandes reconventionnelles ;

Donnons acte des protestations et réserves formulées en défense ;

Ordonnons une mesure d'expertise et désignons en qualité d'expert :

Monsieur [O] [I]
[Adresse 6]
[Localité 11]
☎ :[XXXXXXXX03]

qui pourra prendre l'initiative de recueillir l'avis d'un autre technicien, mais seulement dans une spécialité distincte de la sienne,

avec mission, les parties régulièrement convoquées, après avoir pris connaissance du dossier, s'être fait remettre tous documents utiles, et avoir entendu les parties ainsi que tout sachant, de:
- se rendre sur les lieux [Adresse 5] après y avoir convoqué les parties ;
- Visiter les lieux, les décrire, faire l'inventaire de leur état au 29 décembre 2023, le cas échéant à l'aide des documents qui lui seront fournis,
- déterminer les travaux à réaliser afin de remettre les locaux " en bon état de réparations de toutes natures " comme prévu par le bail du 11 mars 2014 ; en évaluer le montant ;
- fournir tout renseignement de fait permettant au tribunal de statuer sur les éventuelles responsabilités encourues et sur les comptes entre les parties ;
- fournir tous éléments de nature à permettre ultérieurement à la juridiction saisie d'évaluer les préjudices de toute nature, directs ou indirects, matériels ou immatériels résultant des désordres, notamment le préjudice de jouissance subi ou pouvant résulter des travaux de remise en état ;
- faire toutes observations utiles au règlement du litige;

Disons que pour procéder à sa mission l'expert devra :
- convoquer et entendre les parties, assistées, le cas échéant, de leurs conseils, et recueillir leurs observations à l'occasion de l'exécution des opérations ou de la tenue des réunions d'expertise ;

- se faire remettre toutes pièces utiles à l'accomplissement de sa mission, notamment, s'il le juge utile, les pièces définissant le marché, les plans d'exécution, le dossier des ouvrages exécutés ;

-se rendre sur les lieux et si nécessaire en faire la description, au besoin en constituant un album photographique et en dressant des croquis ;

- à l'issue de la première réunion d'expertise, ou dès que cela lui semble possible, et en concertation avec les parties, définir un calendrier prévisionnel de ses opérations ; l'actualiser ensuite dans le meilleur délai :
* en faisant définir une enveloppe financière pour les investigations à réaliser, de manière à permettre aux parties de préparer le budget nécessaire à la poursuite de ses opérations ;
* en les informant de l'évolution de l'estimation du montant prévisible de ses frais et honoraires et en les avisant de la saisine du juge du contrôle des demandes de consignation complémentaire qui s'en déduisent, sur le fondement de l'article 280 du code de procédure civile, et dont l'affectation aux parties relève du pouvoir discrétionnaire de ce dernier au sens de l'article 269 du même code ;
* en fixant aux parties un délai impératif pour procéder aux interventions forcées ;
* en les informant, le moment venu, de la date à laquelle il prévoit de leur adresser son document de synthèse ;

- au terme de ses opérations, adresser aux parties un document de synthèse, sauf exception dont il s'expliquera dans son rapport (par ex : réunion de synthèse, communication d'un projet de rapport), et y arrêter le calendrier impératif de la phase conclusive de ses opérations, compte-tenu des délais octroyés devant rester raisonnable ;
* fixant, sauf circonstances particulières, la date ultime de dépôt des dernières observations des parties sur le document de synthèse ;
* rappelant aux parties, au visa de l'article 276 alinéa 2 du code de procédure civile, qu'il n'est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au-delà de ce délai;

Fixons à la somme de cinq mille euros (5000 euros) le montant de la provision à valoir sur les frais d'expertise qui devra être consignée par la SCI [Adresse 5] à la régie du tribunal judiciaire de Paris au plus tard le 26 août 2024 ;

Disons que, faute de consignation de la présente provision initiale dans ce délai impératif, ou demande de prorogation sollicitée en temps utile, la désignation de l'expert sera aussitôt caduque et de nul effet, sans autre formalité requise, conformément aux dispositions de l'article 271 du code de procédure civile ;

Disons que l'exécution de la mesure d'instruction sera suivie par le juge du contrôle des expertises, spécialement désigné à cette fin en application des articles 155 et 155-1 du même code ;

Disons que le terme du délai fixé par l'expert pour le dépôt des dernières observations marquera la fin de l'instruction technique et interdira, à compter de la date à laquelle il est fixé, le dépôt de nouvelles observations, sauf les exceptions visées à l'article 276 du code de procédure civile;

Disons que l'expert sera saisi et effectuera sa mission conformément aux dispositions des articles 232 à 255, 263 à 284-1 du Code de procédure civile et qu'il déposera l'original de son rapport au greffe du Tribunal judiciaire de Paris (Contrôle des expertises) avant le 26 février 2025, pour le rapport définitif, sauf prorogation de ces délais dûment sollicitée en temps utile de manière motivée auprès du Juge du contrôle ;

Disons que, dans le but de favoriser l'instauration d'échanges dématérialisés et de limiter la durée et le coût de l'expertise, le technicien devra privilégier l'usage de la plateforme OPALEXE et qu'il proposera en ce cas à chacune des parties, au plus tard lors de la première réunion d'expertise, de recourir à ce procédé pour communiquer tous documents et notes par la voie dématérialisée dans les conditions de l'article 748-1 du code de procédure civile et de l'arrêté du 14 juin 2017 validant de tels échanges ;

Disons n'y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes ;

Condamnons la SCI [Adresse 5] à supporter 50% des dépens ;

Condamnons le Ministère de l'intérieur- Préfecture de police de [Localité 20], la Direction générale des finances publiques- Direction de l'Immobilier de l'Etat et l'Agent Judiciaire de l'Etat à supporter 50% des dépens ;

Disons n'y avoir lieu à faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rappelons que l'exécution provisoire est de droit.

Fait à Paris le 24 juin 2024.

Le Greffier,Le Président,

Clémence BREUILEmmanuelle DELERIS

Service de la régie :
Tribunal de Paris, [Adresse 22]
☎ [XXXXXXXX02]
Fax [XXXXXXXX01]
✉ [Courriel 23]

Sont acceptées les modalités de paiements suivantes :

➢ virement bancaire aux coordonnées suivantes :
IBAN : [XXXXXXXXXX018]
BIC : TRPUFRP1
en indiquant impérativement le libellé suivant :
C7 "Prénom et Nom de la personne qui paye" pour prénom et nom du consignataire indiqué dans la décision + Numéro de RG initial

➢ chèque établi à l'ordre du régisseur du Tribunal judiciaire de Paris (en cas de paiement par le biais de l'avocat uniquement chèque CARPA ou chèque tiré sur compte professionnel)

Le règlement doit impérativement être accompagné d'une copie de la présente décision. En cas de virement bancaire, cette décision doit être envoyée au préalable à la régie (par courrier, courriel ou fax).

Expert : Monsieur [O] [I]

Consignation : 5000 € par S.C.I. [Adresse 5]

le 26 Août 2024

Rapport à déposer le : 26 Février 2025

Juge chargé du contrôle de l’expertise :
Service du contrôle des expertises
Tribunal de Paris, [Adresse 22].


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Service des référés
Numéro d'arrêt : 23/50901
Date de la décision : 24/06/2024
Sens de l'arrêt : Désigne un expert ou un autre technicien

Origine de la décision
Date de l'import : 03/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-24;23.50901 ?
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