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24/06/2024 | FRANCE | N°21/07019

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Loyers commerciaux, 24 juin 2024, 21/07019


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS




Loyers commerciaux


N° RG 21/07019
N° Portalis 352J-W-B7F-CUPCZ


N° MINUTE : 4

Assignation du :
19 Mai 2021


Jugement de fixation


[1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :








JUGEMENT
rendu le 24 Juin 2024

DEMANDEUR

Monsieur [J] [P]
[Adresse 3]
[Localité 14]

représenté par Maître Laure DE LA VASSELAIS, avocate au barreau de PARIS, avocate plaidante, vestiaire #B0343



DEFENDER

ESSE

S.E.L.A.R.L. [Adresse 2] PHARMACIE
[Adresse 2]
[Localité 14]

représentée par Maître Gina MARUANI, avocate au barreau de PARIS, avocate plaidante, vestiaire #P0428





COMPOSITION DU TRIBUNAL

Sophie ...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

Loyers commerciaux


N° RG 21/07019
N° Portalis 352J-W-B7F-CUPCZ

N° MINUTE : 4

Assignation du :
19 Mai 2021

Jugement de fixation

[1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

JUGEMENT
rendu le 24 Juin 2024

DEMANDEUR

Monsieur [J] [P]
[Adresse 3]
[Localité 14]

représenté par Maître Laure DE LA VASSELAIS, avocate au barreau de PARIS, avocate plaidante, vestiaire #B0343

DEFENDERESSE

S.E.L.A.R.L. [Adresse 2] PHARMACIE
[Adresse 2]
[Localité 14]

représentée par Maître Gina MARUANI, avocate au barreau de PARIS, avocate plaidante, vestiaire #P0428

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Sophie GUILLARME, 1ère Vice-présidente adjointe, Juge des loyers commerciaux
Siégeant en remplacement de Monsieur le Président du Tribunal judiciaire de Paris, conformément aux dispositions de l'article R.145-23 du code de commerce ;

assistée de Manon PLURIEL, Greffière lors des débats et de Camille BERGER, Greffière lors de la mise à disposition

DEBATS

A l’audience du 12 Mars 2024 tenue publiquement

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

FAITS ET PROCÉDURE

Par acte sous seing privé du 23 septembre 1997, Mme [M] [P] – aux droits de laquelle est venu M. [J] [P] – a donné à bail à ce dernier et à Mme [C] [K] – aux droits desquels est venue la société SELARL Pharmaciens d’Officine Grande Pharmacie de la [Adresse 2] suite à une cession de fonds de commerce du 29 décembre 1997 – les locaux commerciaux du lot n°159 – composés d’une boutique, d’une arrière-boutique, d’un bureau, d’un couloir, d’une cour ouverte et d’une cave – dépendant d’un immeuble situé au [Adresse 2].

Par acte sous seing privé du 1er mars 2007, M. [J] [P] les a ensuite donnés à bail renouvelé à la société SELARL susmentionnée, aux droits de laquelle se trouve aujourd’hui la SELARL [Adresse 2] Pharmacie.

Le bail initial et celui renouvelé ont été consentis pour une durée de neuf années entières et consécutives à compter respectivement du 1er mars 1997 puis du 1er mars 2006, moyennant le versement d’un loyer annuel en principal de 114.000 francs (soit 17.379 euros) puis, suite à l’avenant du 11 juin 1999 stipulant un supplément de loyer de 1.000 francs par mois en principal, d’un loyer principal de 24.744 euros/an HT HC.

Les lieux ont pour destination l’activité exclusive de «pharmacie et le commerce d’articles s’y rattachant et connexes».

Par décision de l’assemblée générale des copropriétaires du 16 septembre 1998 puis par attestation notariée de vente du 22 février 2000, les locaux du lot n°152 – contigus aux locaux litigieux et composés de l’ancienne loge du gardien et d’une courette attenante – ont été vendus à la SCI Medyk dont la gérante est également celle de la société [Adresse 2] Pharmacie. Par l’avenant au bail du 11 juin 1999 précédemment cité, le preneur a étéautorisé à pratiquer deux ouvertures entre les lots n°159 et 152.

En l’absence de diligence des parties, le bail s’est poursuivi par tacite prolongation à compter du 1er mars 2015.

Par acte d’huissier du 8 décembre 2017, la société [Adresse 2] Pharmacie a sollicité auprès du bailleur le renouvellement de son bail pour une durée de neuf années entières et consécutives à compter du 1er janvier 2018.

Par acte d’huissier du 16 février 2018, M. [J] [P] a accepté le principe du renouvellement aux clauses et conditions du bail expiré pour une durée de neuf années à compter du 1er janvier 2018, sauf à voir porter le loyer annuel en principal à la somme de 70.000 euros hors taxes hors charges.

Aux termes d’un mémoire notifié le 20 décembre 2019, le bailleur a sollicité la fixation du loyer du bail en renouvellement à la somme de 78.085 euros à compter du 1er janvier 2018.

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 4 mai 2021, M. [J] [P] a sollicité la révision triennale du loyer à compter du 4 mai 2021 pour un montant annuel de 82.000 euros en principal.

Aucun accord n’ayant été trouvé entre les parties, M. [J] [P] a fait assigner, par acte d’huissier du 19 mai 2021, la société [Adresse 2] Pharmacie devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Paris aux fins de constater le déplafonnement du loyer en renouvellement et de le fixer à la somme de 70.000 euros hors taxes hors charges à compter du 1er janvier 2018.

Aux termes d’un mémoire en révision triennale en date du 15 décembre 2021, le bailleur a sollicité la fixation du loyer révisé à la somme de 74.092,25 euros.

Par jugement du 9 février 2022, le juge des loyers commerciaux a constaté le principe de renouvellement du bail liant les parties à effet du 1er janvier 2018 et a désigné M. [L] [S] en qualité d’expert judiciaire pour évaluer le loyer en renouvellement à cette date.

Dans son rapport définitif déposé le 13 octobre 2023, l’expert judiciaire a conclu au déplafonnement du loyer en renouvellement et a estimé la valeur locative au 1er janvier 2018 à la somme de 62.400 euros hors taxes hors charges par an.

Par mémoire en ouverture du rapport, le bailleur a sollicité la fixation du loyer en renouvellement à la somme de 74.258 euros hors taxes hors charges par an au 1er janvier 2018.

Par acte de commissaire de justice du 31 octobre 2023, le bailleur a assigné le preneur devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Paris pour fixer le loyer révisé au 4 mai 2021 à la somme annuelle de 74.092,25 euros en principal, sauf à parfaire sur la base de loyer qui sera fixé en renouvellement au 1er janvier 2018.

C’est dans ces conditions et dans le cadre de la procédure en fixation du loyer en renouvellement que, par son dernier mémoire du 6 février 2024, M. [J] [P] demande au juge des loyers commerciaux de :

- juger que la règle du plafonnement d’où serait résulté un loyer de bail renouvelé de 29.519,06 euros (24.744 € x 110,78 (ILC 3° Tribunal 2017) : 92,86 (ILC 3° Tribunal 2005) doit être écartée,
- juger qu’il y a lieu à déplafonnement du loyer du bail renouvelé le 1er janvier 2018 entre M. [J] [P] et la SELARL [Adresse 2] Pharmacie portant sur les locaux situés [Adresse 2],
- fixer à la somme de 74.258 euros par an en principal le montant du loyer hors charges hors taxes dû par la SELARL [Adresse 2] Pharmacie à compter du 1er janvier 2018,
- juger que le dépôt de garantie sera réajusté en conséquence,
- condamner la SELARL [Adresse 2] Pharmacie au paiement des intérêts sur les rappels de loyers à compter du 1er janvier 2018 puis à compter de chaque échéance, conformément aux dispositions de l’article 1155 du code civil, avec capitalisation dans les conditions de l’article 1154 du même code,
- condamner la SELARL [Adresse 2] Pharmacie aux entiers dépens.

Au soutien de ses demandes, M. [J] [P] fait valoir :

- Sur les caractéristiques des locaux et les facteurs locaux de commercialité : que l’immeuble dans lequel se trouve les locaux litigieux est en bon état et que ces derniers possèdent un important linéaire de façade leur offrant ainsi une bonne visibilité ; qu’ils se situent dans une zone ayant une commercialité, chalandise et accessibilité avantageuses,
- Sur les motifs de déplafonnement du loyer en renouvellement :
*que les ouvertures pratiquées entre les lieux loués et ceux mitoyens rendent l’unité d’exploitation plus vaste et fonctionnelle et caractérisent dès lors une amélioration notable ; que, faute de communication par le preneur des plans, descriptifs et devis des travaux, le bailleur n’a délivré qu’une autorisation de principe et non un accord pour la réalisation effective de ces derniers et que, par conséquent, lesdits travaux n’ont pas été pris en compte dans la majoration du loyer mise en œuvre par l’avenant au bail du 11 juin 1999,
* qu’au cours des années 2003 et 2004, le preneur reconnaît avoir effectué d’importantes modifications de la devanture des locaux litigieux, de la cave et de l’aire de vente, que celles-ci engendrent une majoration des surfaces accessibles à la clientèle et une optimisation du sens de circulation au sein du commerce, qu’elles constituent ainsi des améliorations notables,
- Sur la détermination de la valeur locative : que les parties s’entendent sur une surface pondérée de 96 m²P ; qu’eu égard aux prix pratiqués par les locaux voisins, aux facteurs locaux de commercialité favorables et à l’activité du preneur dont la diversification via la vente complémentaire de produits parapharmaceutiques lui permet d’échapper à la réglementation stricte des activités pharmaceutiques, la valeur de référence s’élève à 700 euros par m²P ; qu’à l’aune de ces considérations et après abattement du fait de l’impôt foncier et des travaux de mise en conformité d’une part et majoration en vertu des ouvertures effectuées avec le local mitoyen d’autre part, la valeur locative est de 74.258 euros.

Par mémoire en réplique signifié par acte de commissaire de justice du 8 mars 2024, la société [Adresse 2] Pharmacie demande au juge des loyers commerciaux du tribunal de Paris de :

À titre principal :
- débouter M. [J] [P], bailleur en demande, de l’ensemble de ses prétentions puisque aucune cause de déplafonnement n’existe en l’espèce,
- juger que la valeur locative des locaux est inférieure au loyer plafond,

En conséquence :
- fixer le loyer du bail renouvelé à compter du 1er janvier, pour les locaux sis [Adresse 2] à la somme de 23.040 euros HT et HC / an,
- juger que le dépôt de garantie sera réactualisé dans ces conditions,

Subsidiairement :
- juger que le loyer du bail renouvelé à compter du 1er janvier 2018, pour les locaux sis [Adresse 2], doit être fixé au loyer plafonné selon la variation des indices conformément aux dispositions légales, soit à la somme annuelle de 29.330 euros HT et HC / an,
- juger que le dépôt de garantie sera réactualisé dans ces conditions,

En tout état de cause,
- condamner M. [J] [P] au paiement de 5.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [J] [P] aux entiers dépens qui comprendront les frais de l’expertise, en sa qualité de demanderesse,
- rappeler que l’exécution provisoire de la décision est de droit.

Au soutien de ses demandes, la société [Adresse 2] Pharmacie fait valoir :

- Sur les motifs de déplafonnement du loyer en renouvellement :
* qu’aucune modification des facteurs locaux de commercialité n’est notable et ne justifie un déplafonnement,
* que même à considérer les ouvertures réalisées avec le local mitoyen comme « une modification des caractéristiques des locaux litigieux », ces travaux ont déjà été pris en compte à l’occasion de la fixation d’un premier loyer en renouvellement ; qu’en les considérant comme des « améliorations », ils ont déjà fait l’objet d’une contrepartie financière,
* que les améliorations effectuées à partir de 2003 sont tantôt nécessaires à la mise en conformité du local à l’activité commerciale du preneur, tantôt de simples aménagements et réorganisations de l’espace, et que le bailleur ne rapporte pas la preuve des conséquences positives de ces améliorations,
- Sur la détermination de la valeur locative : que les parties s’entendent sur une surface pondérée de 96 m²P, ; qu’en considérant des locaux voisins n’ayant pas la même activité commerciale que le preneur, les valeurs de références du bailleur ne sont pas pertinentes ; qu’après abattement en raison de l’impôt foncier, des travaux de mise en conformité et de l’interdiction de mise en location gérance, la valeur locative est inférieure au loyer plafonné et s’élève à 23.040 euros hors taxes hors charges.

Pour un plus ample exposé des faits de la cause et moyens des parties, il est expressément renvoyé aux écritures déposées dans le dossier, qui ont été contradictoirement débattues à l'audience.

MOTIFS DU JUGEMENT


À titre liminaire, il convient de rappeler qu’en vertu du jugement du 9 février 2022, le juge des loyers commerciaux a constaté le principe du renouvellement du bail liant les parties à effet du 1er janvier 2018.

Sur le déplafonnement du loyer

Selon les articles L.145-33 et L.145-34 du code de commerce, le prix du bail renouvelé doit être fixé soit à la valeur locative si celle-ci est inférieure au prix résultant de l’application des indices, soit au loyer plafond si cette valeur locative est supérieure à celui-ci, à moins d’une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4° de l’article L.145-33 du même code, c’est-à-dire des caractéristiques du local considéré, de la destination des lieux, des obligations respectives des parties et des facteurs locaux de commercialité. En outre, en vertu de l’article R.145-8 du même code, les améliorations peuvent également justifier un déplafonnement du loyer en renouvellement.

En l’espèce, le bailleur ne conteste pas le constat dressé par le rapport d’expertise du 13 octobre 2023 selon lequel les locaux litigieux n’ont pas bénéficié d’une modification notable des facteurs locaux de commercialité.

Parallèlement, la société [Adresse 2] Pharmacie a, après obtention de l’autorisation du bailleur par avenant du 11 juin 1999, pratiqué deux ouvertures entre les lots n°159 et 152. Elle a, par ailleurs entrepris, à partir de 2003, des travaux aussi bien internes qu’externes.

Par conséquent, le déplafonnement éventuel du loyer en renouvellement ne pourra être prononcé qu’au titre d’une modification des caractéristiques du local litigieux et des améliorations ayant été entreprises.

L’article R.145-3 du code de commerce dispose que « les caractéristiques propres au local s'apprécient en considération 1° de sa situation dans l'immeuble où il se trouve, de sa surface et de son volume, de la commodité de son accès pour le public ; 2° de l'importance des surfaces respectivement affectées à la réception du public, à l'exploitation ou à chacune des activités diverses qui sont exercées dans les lieux ; 3° de ses dimensions, de la conformation de chaque partie et de son adaptation à la forme d'activité qui y est exercée ; 4° de l'état d'entretien, de vétusté ou de salubrité et de la conformité aux normes exigées par la législation du travail [et] 5° de la nature et de l'état des équipements et des moyens d'exploitation mis à la disposition du locataire ».

Ainsi, la jurisprudence considère que les travaux modifiant la consistance des lieux par adjonction de surface sans augmentation de superficie, telle qu’une réunion de locaux, correspondent à une modification notable des caractéristiques d’un local.

Toutefois, de telles modifications peuvent constituer des améliorations dès lors qu’elles sont significatives, non financées par le bailleur, font l’objet d’une accession par ce dernier en fin de bail et ne correspondent pas à une simple mise en conformité du local avec leur destination.

En outre, de jurisprudence constante, « lorsque des travaux caractérisent à la fois une modification notable et une amélioration des lieux loués, le second caractère doit prévaloir sur le premier ».

En l’espèce, les deux ouvertures réalisées par le preneur ont engendré la réunion entre les lieux loués et les locaux mitoyens. Si celles-ci caractérisent indubitablement une modification des caractéristiques propres au local litigieux, elles participent à l’extension de l’unité d’exploitation par l’usage du lot n°152 comme réserve et zone de passage.

En 2003, le preneur a entrepris des travaux portant sur l’extérieur et l’intérieur des locaux litigieux. Si l’aménagement de la cave en réserve ne correspond qu’à une simple réorganisation des lieux et si la mise en place d’un monte-charge permanent est nécessaire à la conformité du local à l’activité commerciale du preneur – laquelle s’articule autour du transport et la manipulation quotidienne de produits médicaux – les travaux réalisés sur la façade, dont l’ampleur a été constatée par l’architecte d’intérieur [O] [N], ainsi que l’agrandissement objectif de l’aire de vente, indifférent de ses conséquences effectives, constituent immanquablement une meilleure adaptation des locaux à leur destination.

Par conséquent, eu égard à la clause d’accession stipulée au bail de 1997 et à celui renouvelé de 2007, les travaux effectués par le preneur caractérisent, certes une modification des caractéristiques des locaux tel qu’allégué par le preneur, mais sont, a fortiori, des améliorations susceptibles de justifier le déplafonnement du loyer en renouvellement.

En vertu de l’article R.145-3 du code de commerce, la modification des caractéristiques des locaux loués est un motif de déplafonnement lors du renouvellement qui suit la réalisation des travaux. Elle ne peut être prise en considération une seconde fois lors d’un nouveau renouvellement du bail et ne peut être invoquée pour la première fois s’il elle ne l’a pas été lors du renouvellement qui suit sa réalisation.
Les améliorations ne justifient, quant à elles, un déplafonnement qu’à l’occasion du second renouvellement qui suit leur réalisation lorsque le bailleur n’en a pas assumé directement ou indirectement la charge. En outre, elles ne peuvent conduire à un déplafonnement dès lors qu’elles ont déjà fait l’objet d’une contrepartie financière.

L’article 1353 du code civil dispose par ailleurs que « celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation ».

En l’espèce, s’agissant des travaux d’ouverture, ceux-ci ont été effectués en 2000. Dès lors qu’ils constituent des améliorations et que le bail initial a été renouvelé une première fois en 2007, le bailleur peut les invoquer aux fins de déplafonner le loyer du bail renouvelé le 1er janvier 2018. Or, si l’avenant du 11 juin 1999 énonce un supplément de loyer de 1.000 francs conditionné à l’autorisation du bailleur sur la réalisation des travaux, elle-même conditionnée à la communication par le preneur des plans, descriptifs et devis de ces derniers, le bail en renouvellement du 1er mars 2007 indique sans équivoque que « le preneur a été autorisé par avenant du 11 juin 1999 à faire communiquer ces locaux avec ceux de la SCI Medyk ». Ainsi – quand bien même de telles stipulations prouvent l’existence d’une obligation incombant au preneur, à charge pour celui-ci de démontrer en être libéré – le bailleur reconnaît l’accord donné au preneur et, indirectement, l’application de la majoration du loyer et la contrepartie conclue vis-à-vis de l’amélioration réalisée.

S’agissant des travaux conduits à partir de 2003, ils n’ont pas été assumés par le bailleur et ont été suivis par un premier renouvellement du bail en 2007. Eu égard à leur qualification d’amélioration ainsi que développé supra, ils constituent dès lors un motif de déplafonnement lors du second renouvellement du bail.

Par conséquent, alors que les travaux d’ouverture ne peuvent constituer un motif de déplafonnement du loyer en renouvellement, il en est autrement pour les travaux réalisés en 2003 et 2004, de sorte qu’il y a lieu de faire droit à la demande du bailleur tendant à la fixation du loyer litigieux à la valeur locative à compter du 1er janvier 2018.

Sur la détermination de la valeur locative

En vertu L.145-33 du code de commerce, « le montant des loyers des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative. À défaut d’accord, cette valeur est déterminée d’après 1° les caractéristiques du local considéré 2° la destination des lieux 3° les obligations respectives des parties 4° les facteurs locaux de commercialité 5° les prix couramment pratiqués dans le voisinage. Un décret en Conseil d’État précise la consistance de ces éléments ».

La méthode d’appréciation des caractéristiques du local, de la destination des lieux, des facteurs locaux de commercialité, des prix couramment pratiqués dans le voisinage ainsi que les correctifs éventuels à apporter à la valeur locative sont spécifiés aux dispositions des articles R145-3 à R145-8 du code de commerce. L’article R.145-7 du code de commerce précise en effet que « les prix couramment pratiqués dans le voisinage, par unité de surfaces, concernent des locaux équivalents eu égard à l'ensemble des éléments mentionnés aux articles R. 145-3 à R. 145-6. À défaut d'équivalence, ils peuvent, à titre indicatif, être utilisés pour la détermination des prix de base, sauf à être corrigés en considération des différences constatées entre le local loué et les locaux de référence. Les références proposées de part et d'autre portent sur plusieurs locaux et comportent, pour chaque local, son adresse et sa description succincte. Elles sont corrigées à raison des différences qui peuvent exister entre les dates de fixation des prix et les modalités de cette fixation ».

Il ressort des conclusions de l’expert judiciaire, faisant suite à ses constatations objectives non discutées sur ce point les éléments suivants :

Les locaux loués sont situés dans un immeuble situé dans le [Localité 14], au nord-est de la [Adresse 24].

La [Adresse 23] est une large place (env. 252 m de diamètre) avec un square central encerclé par plusieurs voies de circulation automobile ; elle constitue l’un des carrefours les plus importants de la capitale avec douze rues, boulevards ou avenues, notamment la [Adresse 28] menant à la [Adresse 22], le [Adresse 17] menant à la [Adresse 25], [Adresse 19] menant à la [Adresse 27] ou encore [Adresse 20] menant au cimetière du [21].

L’emplacement est très bien desservi par les transports en commun, avec la station "Nation" et de nombreuses lignes de bus à proximité immédiate, et aisé d’accès par le réseau routier (proximité d’axes importants) ; l’expert note en revanche l’absence de parking public à proximité immédiate (le plus proche, "Picpus Nation", sis [Adresse 15], étant à environ 400 m).

M. [S] conclut qu’il s’agit d’un quartier excentré de la capitale, principalement résidentiel, avec des bureaux et établissements d’enseignement, bénéficiant d’une bonne animation commerciale – avec de nombreux commerces en pied d’immeuble, tant de proximité que des enseignes nationales, dont plusieurs locomotives (Castorama, Darty, Printemps ou encore Monoprix) – et d’une importante chalandise piétonne.

L’immeuble dont dépendent les locaux est un immeuble ancien d’assez belle facture, édifié à l’angle de [Adresse 18] et de la [Adresse 23], avec façade ouvragée en pierre et sous enduit peint, élevé sur sous-sol, d’un rez-de-chaussée (avec commerces), de quatre étages droits et d’un cinquième étage en léger retrait derrière un balcon filant ; couverture en zinc ; ravalement et gros œuvre en bon état apparent.

Les locaux bénéficient d’une bonne visibilité, grâce à un linéaire de façade d’environ 9 m sur un carrefour dégagé (face à l’une des sorties de la station "Nation"), avec une devanture en aluminium prise dans le bâti comprenant deux larges accès clientèle (portes vitrées coulissantes automatiques en léger retrait équipées de rideaux métalliques), un accès livraisons (simple porte sécurisée) et des vitrines, le tout sous un store-banne surmonté d’enseignes et logos lumineux en bandeau "PARAPHARMACIE PHARMACIE CITYPHARMA", outre une large croix lumineuse en drapeau au niveau du R+1.

Les locaux se développent sur deux niveaux (RDC/R-1) reliés entre eux (par monte-charges et escalier intérieur assez raide) – et communiquent avec des locaux mitoyens avec lesquels ils forment une unité d’exploitation plus vaste – avec :

Au rez de chaussée :
Un niveau d’environ 125,5 m², de configuration assez régulière et de belle hauteur, presqu’intégralement aménagé en aire de vente, à l’exception de divers locaux annexes (au fond et en retour, avec accès via les locaux mitoyens).
Au R-1 :
Un niveau d’environ 25,7 m², de configuration irrégulière et d’assez faible hauteur, à usage de réserve.

L’expert judiciaire a estimé la surface utile des locaux à 151,20 m² et la surface pondérée à 96 m²b, sur laquelle les parties s’accordent.

Les parties sont en revanche en désaccord sur l’estimation de la valeur locative notamment au regard des valeurs de référence.

L’expert judiciaire a retenu :

- trois fixations judiciaires :
* bail de janvier 2014, pour des locaux situés [Adresse 9]), d’une surface de 33,3 m²B, loyer de 17.844 €, prix unitaire de 550 € (-471 €d’impôt foncier), activité ATOL - Optique
* bail d’avril 2014, pour des locaux situés [Adresse 6]), d’une surface de 64,58 M²b, loyer de 40.000 €, prix unitaire de 620 €, activité DOLCE - Chaussures,
* bail de décembre 2014, pour des locaux situés [Adresse 12]
(75011), d’une surface 42,48 m²B (partie boutique), loyer de 30.550 € (Indemnité d’occupation) prix unitaire de 550 €, activité :MAISON DE QUALITE - Boulangerie-Pâtisserie,

- trois baux en renouvellement amiables déplafonnés :
* bail de juin 2014, [Adresse 1], angle [Adresse 16], d’une surface de 158,6 m²B, loyer de 95.000 €, prix unitaire de 599 €, activité CREDIT FONCIER - Agence bancaire,
* bail de juillet 2015, [Adresse 8], d’une surface de 138 m²B, loyer de 69.000€, prix unitaire de 500 €, activité Crédit Agricole- Agence bancaire
* bail de février 2017, [Adresse 11], surface de 60,3 M²B, loyer de 30.000€ (locaux mitoyens des locaux principaux), prix unitaire de 498 €, activité CHEZ PROSPER - Café-Restaurant,

- trois locations nouvelles pures :
* bail de mai 2017, [Adresse 5], angle [Adresse 29], surface de 72 m²B, loyer de 89.000 €, loyer unitaire de 1.236 €, activité : GRAND AUDITION - Audioprothésiste,
* bail d’avril 2018 (à titre indicatif), [Adresse 7]), surface de 42,50 m²B, loyer de 36.000 €, loyer unitaire de 847 €, activité : NOTRE JOUR - Fleuriste,
* bail de mai 2018 (à titre indicatif), [Adresse 10], surface de 111 M²B, loyer de 90.000 €, prix unitaire de 811 €, activité LE CARRE VOLTAIRE - Restaurant,

- trois loyers décapitalisés :
* bail de juin 2014, [Adresse 6], surface 120,6 m²B, loyer 100.000 €+ 80.000 € décapitalisé au coef. 8, prix unitaire facial : 829 €, prix unitaire reconstitué : 912 €, activité CALZEDONIA - Equipement de la personne,
* bail de octobre 2016, [Adresse 13], surface de 75 m²B, loyer de 69.000 €, + 250.000 € décapitalisé au coef. 8, prix unitaire facial : 920 €, prix unitaire reconstitué : 1.337 €, activité : YVES ROCHER - Produits et Institut de beauté,
* bail de mai 2018, (à titre indicatif), [Adresse 4], surface de 62 m²B, loyer 35.000 € + 500.000 € décapitalisé au coef. 8, prix unitaire facial : 565 €, prix unitaire reconstitué : 1.573 €, activité INTIMISSIMI - Lingerie.

La société [Adresse 2] Pharmacie critique ces références en indiquant qu’aucune d’elles ne concerne l’activité qu’elle exerce, alors que les marges des officines sur les médicaments sont réglementées.

M. [P] soutient quant à lui qu’il y a lieu de privilégier des références portant sur des locaux situés [Adresse 26] ; il cite notamment une référence judiciaire cependant trop ancienne eu égard à la date du bail renouvelé puisque datant d’avril 2010.

En outre si d’une part, la réglementation étatique d’une activité pharmaceutique tend à affirmer indéniablement la spécificité de cette dernière et si, d’autre part, les dispositions du code du commerce n’exigent pas d’établir une valeur de référence en excluant les prix pratiqués trop anciens dès lors qu’aucune modification des facteurs locaux de commercialité n’est intervenue, les critères d’équivalence de l’article susmentionné ne se bornent pas qu’à prendre en considération l’activité commerciale, mais se fondent sur la comparaison d’une multiplicité de facteurs – tel que les caractéristiques propres au local, la destination qui lui est affectée ou les facteurs locaux de commercialité – et conduisent à des corrections en cas d’absence de similitudes.

Or en l’espèce le rapport d’expertise judiciaire réalise une synthèse pertinente de ces éléments, valorisant les locaux ayant une position géographique et des caractéristiques similaires et corrigeant les différences constatées. A l’inverse, l’allégation du bailleur tendant à souligner la renommée de l’enseigne « Citypharma » constitue un moyen inopérant dès lors que l’établissement de la valeur locative se fonde sur la nature de l’activité et non la prospérité de celle-ci.

Sous le bénéfice de ces observations, il sera retenu la valeur une valeur de référence telle que préconisée par l’expert de 650 euros par m²P.

Par conséquent, il y a lieu de fixer la valeur locative de base à la somme annuelle de 62.400 euros (96 x 650).

Sur les abattements

L’article R.145-8 du code de commerce dispose que « les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative ».

L’impôt foncier et les travaux de mise en conformité mis à la charge des preneurs par le bail sans contrepartie constituent un facteur de diminution de la valeur locative. En outre, si la clause d’interdiction de sous-location et de cession du seul droit au bail est une clause usuelle qui ne justifie pas une diminution de la valeur locative, tel n’est pas le cas de l’interdiction du recours à la location-gérance qui restreint significativement les droits du preneur.

En l’espèce, aucune partie ne conteste l’application d’une décote en raison de l’impôt foncier. Toutefois, la valeur locative doit être déterminée au 1er janvier 2018 et ne peut prendre en compte l’évolution future du coût foncier. Dès lors, seul l’abattement de 1.310 euros déterminé à ce titre par l’expert sera retenu.

Par ailleurs, si aucune partie ne conteste également l’application d’un abattement en raison de travaux de mise en conformité, une telle décote doit être appréciée in concreto et ne peut se déduire d’un autre cas d’espèce. Il sera donc fait droit au bailleur et un abattement, conforme aux conclusions de l’expert, de 2% sera appliqué.

En outre, le bail litigieux stipule qu’il est interdit au preneur de « sous-louer en tout ou partie [les lieux loués] et de céder son droit au présent bail, si ce n’est en totalité à l’acquéreur de son fonds de commerce […] ». Dès lors que lesdites stipulations n’engendrent aucunement une interdiction de location-gérance, les allégations du preneur, tendant à l’obtention d’un abattement du fait de cette « interdiction », sont erronées et celui-ci ne pourra se prévaloir d’un tel abattement.

Enfin, la communication des locaux loués a déjà fait l’objet d’un supplément de loyer , ainsi que rappelé supra, de sorte qu’il il sera fait droit à la demande du preneur tendant à écarter une majoration de ce chef.

À l’aune de ces considérations, la valeur locative du loyer en renouvellement sera fixée, au 1er janvier 2018, à la somme annuelle de 59.868,20 euros hors taxes hors charges ([96 x 650 – 1.310] x 0,98 = 59.868,20), arrondie à 59.900 euros HT TC.

Sur les autres demandes

L’article 1231-7 du code civil énonce « qu’en toute matière, la condamnation à une indemnité emporte intérêts au taux légal même en l'absence de demande ou de disposition spéciale du jugement. Sauf disposition contraire de la loi, ces intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n'en décide autrement ». L’article 1343-2 du même code dispose quant à lui que « les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise ».

En l’espèce, des intérêts ont couru sur le différentiel entre le loyer effectivement acquitté et le loyer finalement dû par la société Pharmacie [Adresse 2], à compter du 19 mai 2021, date de l’assignation valant mise en pour les loyers échus avant cette date, et à compter de chaque échéance pour les loyers échus postérieurement à cette date, avec capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.

En revanche, il n’entre pas dans les pouvoirs du juge des loyers commerciaux, tels que fixés par l’article R. 145-23 du code de commerce, de condamner le preneur à payer au bailleur la somme correspondant au différentiel entre le montant du loyer provisionnel acquitté par le preneur et le montant du loyer fixé par le présent jugement, ainsi que les intérêts courant sur cette somme.

De même, le juge des loyers commerciaux, qui ne peut connaître que de la fixation du loyer renouvelé ou révisé, n'a pas pouvoir de se prononcer sur le réajustement du dépôt de garantie.


Sur les demandes accessoires

La procédure et l’expertise ayant été nécessaires pour fixer les droits respectifs des parties, il convient d’ordonner le partage des dépens, en ce inclus les frais d’expertise. En raison du partage des dépens, les demandes formées au titre des frais irrépétibles seront rejetées.

Il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire dont le prononcé est de droit.

PAR CES MOTIFS

Le juge des loyers commerciaux, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire et en premier ressort,

Fixe à la somme de 59.900 euros HT et HC par an le loyer du bail renouvelé à compter du 1erjanvier 2018 portant sur les locaux dépendant d’un immeuble situé au [Adresse 2] donnés à bail par M. [J] [P] à la SELARL [Adresse 2] Pharmacie,

Déclare le juge des loyers commerciaux sans pouvoir pour dire que le dépôt de garantie sera réajusté en conséquence,

Dit qu’ont couru des intérêts au taux légal sur le différentiel de loyers dû à compter 19 mai 2021 pour les loyers échus avant cette date et à compter de chaque échéance pour les loyers échus postérieurement à cette date, avec capitalisation des intérêts,

Dit le juge des loyers commerciaux sans pouvoir pour condamner la SELARL [Adresse 2] Pharmacie à payer à M. [J] [P] les intérêts sur la somme correspondant au différentiel entre le montant du loyer provisionnel acquitté par le preneur et le montant du loyer fixé par le présent judgement,

Dit n’y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes,

Partage les dépens par moitié entre les parties, en ce inclus les coûts de l'expertise judiciaire.

Rappelle que l’exécution provisoire est de droit.

Fait et jugé à PARIS, le 24 juin 2024.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
C. BERGER S. GUILLARME


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Loyers commerciaux
Numéro d'arrêt : 21/07019
Date de la décision : 24/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-24;21.07019 ?
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