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20/06/2024 | FRANCE | N°23/58249

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Service des référés, 20 juin 2024, 23/58249


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS








N° RG 23/58249 - N° Portalis 352J-W-B7H-C27RJ

N° : 11

Assignation du :
06 Novembre 2023

[1]

[1] 3 Copies exécutoires
délivrées le :


ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 20 juin 2024



par François VARICHON, Vice-président au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assisté de Larissa FERELLOC, Greffier.
DEMANDERESSE

La SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE DES RABASSINS
[Adresse 1]
[Localité 4]r>
représentée par Maître Florian TOSONI, avocat au barreau de PARIS - #B1192


DEFENDERESSES

La SOCIETE ACCES VALE UR PIERRE
[Adresse 3]
[Localité 6]

représentée par Maître ...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS


N° RG 23/58249 - N° Portalis 352J-W-B7H-C27RJ

N° : 11

Assignation du :
06 Novembre 2023

[1]

[1] 3 Copies exécutoires
délivrées le :

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 20 juin 2024

par François VARICHON, Vice-président au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assisté de Larissa FERELLOC, Greffier.
DEMANDERESSE

La SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE DES RABASSINS
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Maître Florian TOSONI, avocat au barreau de PARIS - #B1192

DEFENDERESSES

La SOCIETE ACCES VALE UR PIERRE
[Adresse 3]
[Localité 6]

représentée par Maître Catherine FAVAT de la SELARL FBC AVOCATS, avocats au barreau de PARIS - #C1806

La HUMENSIS
[Adresse 2]
[Localité 5]

représentée par Maître Pierre LE BRETON de la AARPI KLEIN.WENNER, avocats au barreau de PARIS - #K0110

DÉBATS

A l’audience du 16 Mai 2024, tenue publiquement, présidée par François VARICHON, Vice-président, assisté de Larissa FERELLOC, Greffier,
Nous, Président, après avoir entendu les conseils des parties,

EXPOSE DU LITIGE

La société DES RABASSINS est propriétaire d’un appartement pourvu d’un toit-terrasse situé au dernier étage d’un immeuble édifié [Adresse 1].

Par acte du 25 mars 2021, la société DES RABASSINS, faisant valoir que l’installation d’équipements de climatisation sur le toit de l’immeuble voisin du [Adresse 2] générait d’importantes nuisances sonores, a fait assigner le syndicat des copropriétaires dudit immeuble devant le juge des référés de ce tribunal qui, par ordonnance du 10 juin 2021, a désigné M. [D] [G] en qualité d’expert judiciaire avec mission de rechercher l’origine, l’étendue et les causes des nuisances, de les décrire et de donner son avis sur les moyens d’y remédier.

Par ordonnance du 7 avril 2022, les opérations d’expertise ont été rendues communes à la société ACCES VALEUR PIERRE, propriétaire de l’immeuble du [Adresse 2] et des installations de climatisation litigieuses, ainsi qu’à la société HUMENSIS, locataire de l’ensemble dudit immeuble.

Par acte du 6 novembre 2023, la société DES RABASSINS a fait assigner la société ACCES VALEUR PIERRE et la société HUMENSIS devant le juge des référés de ce tribunal aux fins de voir ordonner aux défenderesses de mettre totalement à l’arrêt les installations de climatisation situées sur le toit de l’immeuble. C’est la présente instance.

Lors de l’audience du 23 novembre 2023, le juge a enjoint aux parties de rencontrer un médiateur en application de l’article 127-1 du code de procédure civile. Aucune médiation n’a toutefois été engagée par les parties à la suite de cette réunion.

L’expert judiciaire a déposé son rapport le 7 mars 2024.

Aux termes de ses conclusions déposées et développées oralement à l’audience, la société DES RABASSINS demande au juge de:

“Vu les articles 834 et 835 Code de Procédure Civile,

Vu l’article R1334-31 du Code de la Santé Publique,

Vu la théorie jurisprudentielle des troubles anormaux du voisinage,
SUBSIDIAIREMENT VU L’ARTICLE 1240 DU CODE CIVIL,

Vu les constatations déjà faites par Monsieur [G], Expert judiciaire et notamment sa présynthèse n°2 datée du 2 janvier 2023,

Vu les articles 750-1 et 700 du Code de Procédure Civile,

Accueillir l’ensemble des demandes, dires, fins et conclusions de la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE DES RABASSINS, juger celles-ci bien fondées et recevables (notamment quant aux deux moyens d’irrecevabilité soulevés par les défenderesses)

Rejeter a contrario l’ensemble des demandes, dires, fins et conclusions de ACCES VALEUR PIERRE et HUMENSIS

Juger que les désordres acoustiques émanant des installations de ventilation et climatisation de l’immeuble du [Adresse 2] sont établis et qu’ils constituent une gêne notoire pour la demanderesse.

Juger que ces désordres proviennent des installations de ventilation et climatisation installés sur le toit de l’immeuble du [Adresse 2]

Subsidiairement, sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, Juger que les installations de climatisation et ventilation susmentionnés génèrent des nuisances sonores contrevenant aux dispositions légales et réglementaires, et que le propriétaire et le locataire de celles-ci ne font strictement rien pour mettre fin à cette situation, commettant ainsi une faute civile générant un préjudice à la SCI demanderesse

Ordonner en tous les cas à compter de la signification de la décision à intervenir à ACCES VALEUR PIERRE et HUMENSIS de faire cesser tout trouble acoustique et toute violation de la réglementation en vigueur en matière acoustique provenant des installations de ventilation et climatisation installés sur le toit de son immeuble et par conséquent Ordonner la mise à l’arrêt total de l’installation de ventilation et climatisation installés sur le toit de l’immeuble sis [Adresse 2] appartenant à ACCES VALEUR PIERRE (dont la mise à l’arrêt totale du compresseur frigorifique du matériel CIAT) jusqu’à ce qu’une solution réparatoire pérenne soit entérinée par l’expert judiciaire Monsieur [G] et mise en œuvre par ACCES VALEUR PIERRE et/ou HUMENSIS selon les règles de l’art en vigueur.

Assortir cette obligation de mise à l’arrêt du matériel incriminé d’une astreinte de 2.000€ par jour à compter de la survenance de la décision à intervenir.

Assortir, une fois le matériel mis à l’arrêt et que cela aura été dûment constaté par voie d’huissier, cette obligation de maintien de mise à l’arrêt du matériel d’une astreinte par infraction constatée d’un montant de 25.000€ (pour chacune journée où une remise en fonctionnement du matériel objet du présent litige interviendrait).

Condamner en tout état de cause solidairement ACCES VALEUR PIERRE et HUMENSIS au paiement d’une somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile au profit de la SOCIETE CIVILE IMMOBILIERE DES RABASSINS.

Rappeler qu’en la matière l’exécution provisoire est de droit.

Condamner solidairement de ACCES VALEUR PIERRE et HUMENSIS au paiement des entiers dépens.”

Aux termes de ses conclusions déposées et développées oralement à l’audience, la société ACCES VALEUR PIERRE demande au juge de:

“ Vu les articles 122 et suivants du code de procédure civile,
Vu les articles 2224 et suivants du Code civil,
Vu l’article 750-1 du code de procédure civile,

A titre liminaire,

- Ecarter du débat les conclusions déposées par la SCI des Rabassins le 15 mai 2024 à 18 h 52 en raison de la violation du principe du contradictoire ;

A titre principal,
- Juger irrecevable la SCI des Rabassins en sa demande.

A titre subsidiaire,
- Débouter la SCI des Rabassins en toutes ses demandes, fins et prétentions.

En tout état de cause,
- Condamner la SCI des Rabassins aux entiers dépens de l’instance, ainsi qu’au paiement d’une somme de 5.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.”

Aux termes de ses conclusions déposées et développées oralement à l’audience, la société HUMENSIS demande au juge de:

“• ACCUEILLIR la société HUMENSIS en ses demandes légitimes et fondées ;

• DÉCLARER la SCI DES RABASSINS irrecevable en toutes ses prétentions tardives et consécutives à un trouble de voisinage ;

• CONFIRMER que l'action en responsabilité civile extra-contractuelle fondée sur un trouble anormal du voisinage aux fins de la cessation du trouble et/ou de la réparation du préjudice consécutif est soumise à une prescription de cinq (5) ans ;

• JUGER qu’ayant constaté, selon la déclaration de Monsieur [H] [E], gérant de la SCI DES RABASSINS, que les troubles de voisinage, en l’occurrence des nuisances sonores, sont apparus en 2015, la DEMANDERESSE ne pouvait ignorer que le délai de prescription avait expiré au plus tard le 31 décembre 2020, de sorte que l'action engagée le 6 novembre 2023 est prescrite ;

• JUGER en conséquence que l’action de la SCI DES RABASSINS est irrecevable ;

• JUGER que l’action de ladite SCI est, en outre, manifestement abusive ;

• CONDAMNER la SCI DES RABASSINS à payer à la société HUMENSIS une somme de cinquante mille euros (50.000 €) à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

• CONDAMNER la SCI DES RABASSINS à payer à la société HUMENSIS une somme de dix mille euros (10.000 €) au titre de ses frais irrépétibles ;

• CONDAMNER la SCI DES RABASSINS aux dépens de l’instance.”
Conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, à l'assignation introductive d’instance et aux écritures déposées par les parties.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande aux fins de voir écarter des débats les dernières conclusions de la société DES RABASSINS

La société ACCES VALEUR PIERRE demande au juge d’écarter des débats les dernières conclusions de la société DES RABASSINS au motif qu’elles ont été notifiées tardivement à son conseil, en violation du principe de la contradiction.

Aux termes de l’article 16 du code de procédure civile, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.

En l’espèce, les dernières conclusions de la société DES RABASSINS ont été notifiées au conseil de la société ACCES VALEUR PIERRE par le RPVA le 15 mai 2024 à 18h52 en vue d’une audience de plaidoiries prévue le 16 mai 2024 à 13h30. Les modifications apportées par la société DES RABASSINS par rapport à ses précédentes écritures figurent de façon apparente dans le document. Au vu de leur contenu, il convient de dire que défenderesse a disposé d’un temps suffisant pour en prendre utilement connaissance et y répliquer oralement lors de l’audience lors de laquelle l’affaire a été plaidée. Le principe de la contradiction n’ayant pas été méconnu, sa demande sera rejetée.

Sur la demande aux fins de voir ordonner la mise à l’arrêt des installations de ventilation et de climatisation installées sur le toit de l’immeuble

A l’appui de sa demande, la société DES RABASSINS explique:

- que l’expertise judiciaire a permis d’établir que le bruit généré par le système de ventilation installé sur le toit de l’immeuble voisin excédait très largement les niveaux d’émergence autorisés; que dans ces conditions, ses associés, qui occupent l’appartement, ne peuvent plus profiter du toit-terrasse;
- que depuis le 2 janvier 2023, l’expert a vainement demandé aux défenderesses de proposer des solutions réparatoires sur lesquelles il pourrait donner son avis; que compte tenu de l’inertie des défenderesses et de la persistance de son trouble de jouissance, la société DES RABASSINS est contrainte d’engager la présente procédure;
- que la situation qu’elle subit constitue un dommage imminent ainsi qu’un trouble manifestement illicite; que sa demande se fonde à la fois sur la théorie du trouble anormal de voisinage et sur la responsabilité extracontractuelle de l’article 1240 du code civil; qu’en effet, sur ce dernier point, il a été prouvé lors de l’expertise judiciaire que le matériel litigieux contrevient aux dispositions du code de la santé publique relatives au bruit et que les défenderesses n’ont rien pour proposer des solutions techniques à l’expert, l’ensemble de ces faits constituant une faute civile;

- que les fins de non-recevoir qui lui sont opposées sont infondées.

La société ACCES VALEUR PIERRE et la société HUMENSIS répliquent:

- que la demande de la société DES RABASSINS fondée sur la théorie du trouble anormal de voisinage est irrecevable à défaut pour la demanderesse d’avoir procédé à la tentative préalable de règlement amiable du litige requise par l’article 750-1 du code de procédure civile;
- que sa demande est également irrecevable du fait de l’acquisition de la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil dès lors que les nuisances sonores sont subies par la société DES RABASSINS depuis au plus tard la fin de l’année 2015 de sorte que son action est prescrite depuis le 31 décembre 2020;
- qu’à titre subsidiaire, la mise à l’arrêt total de l’équipement de chauffage-ventilation-climatisation affecterait gravement l’activité des salariés de la société HUMENSIS et présenterait de ce fait un caractère disproportionné par rapport aux troubles évoqués par la société DES RABASSINS; que la société ACCES VALEUR PIERRE n’a jamais refusé de réaliser des travaux pour mettre fin aux nuisances sonores; que l’expert, par son comportement, a empêché la société ACCES VALEUR PIERRE de rechercher une quelconque solution technique

1) Sur la recevabilité de la demande

a) Sur le défaut de mise en oeuvre d’une tentative de résolution amiable du litige

Aux termes de l’article 750-1 du code de procédure civile, en application de l'article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, à peine d'irrecevabilité que le juge peut prononcer d'office, la demande en justice est précédée, au choix des parties, d'une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d'une tentative de médiation ou d'une tentative de procédure participative, lorsqu'elle tend au paiement d'une somme n'excédant pas 5.000 € ou lorsqu'elle est relative à l'une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l'organisation judiciaire ou à un trouble anormal de voisinage.
Les parties sont dispensées de l'obligation mentionnée au premier alinéa dans les cas suivants :
1° Si l'une des parties au moins sollicite l'homologation d'un accord ;
2° Lorsque l'exercice d'un recours préalable est imposé auprès de l'auteur de la décision ;
3° Si l'absence de recours à l'un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l'urgence manifeste, soit aux circonstances de l'espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu'une décision soit rendue non contradictoirement, soit à l'indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l'organisation de la première réunion de conciliation dans un délai supérieur à trois mois à compter de la saisine d'un conciliateur ; le demandeur justifie par tout moyen de la saisine et de ses suites ;
4° Si le juge ou l'autorité administrative doit, en application d'une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation ;
5° Si le créancier a vainement engagé une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances, conformément à l'article L. 125-1 du code des procédures civiles d'exécution.

La tentative de résolution amiable du litige requise par les dispositions précitées n’est pas, par principe, exclue en matière de référé.

En l’espèce, la société DES RABASSINS fonde sa demande, en premier lieu, sur la théorie du trouble anormal de voisinage. Il s’ensuit que la saisine du juge devait être précédée d’une tentative de résolution amiable du litige selon l’une des modalités prévues par l’article 750-1 du code de procédure civile. Or, il est constant qu’une telle tentative n’a pas été mise en oeuvre par la demanderesse.

La société DES RABASSINS soutient que l’absence de recours à une tentative préalable de règlement amiable du litige était justifiée en l’espèce par une situation d’urgence manifeste au sens du 3° de l’article 750-1 du code de procédure civile. Il convient toutefois de relever que la société DES RABASSINS subit les nuisances sonores litigieuses depuis plusieurs années selon ses propres déclarations. En outre, il est notable que ces nuisances, pour réelles qu’elles soient, n’affectent que la jouissance du toit-terrasse de son lot et non celle du logement qui lui est associé. Au vu de ces éléments, la société DES RABASSINS ne rapporte pas la preuve d’une situation d’urgence manifeste.

La société DES RABASSINS fait valoir par ailleurs qu’il lui était impossible de mettre en place un mode de résolution amiable du litige car la société HUMENSIS a refusé de déférer à l’injonction de rencontrer un médiateur prononcée par le juge dans le cadre de la présente instance. La demanderesse ne peut toutefois tirer argument d’un fait survenu après l’introduction de l’instance pour justifier l’inexécution d’une mesure requise à peine d’irrecevabilité avant la saisine du juge.

Au vu de ces éléments, il convient de dire la société DES RABASSINS irrecevable en sa demande fondée sur l’existence alléguée d’un trouble anormal de voisinage.

Toutefois, cette même demande, fondée en second lieu sur les dispositions de l’article 1240 du code civil relatives au droit commun de la responsabilité extracontractuelle, est pour sa part recevable.

b) Sur la prescription

Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Il appartient à la partie qui se prévaut de la prescription de rapporter la preuve que ses conditions sont réunies.

En l’espèce, au vu des seuls éléments avancés par la société ACCES VALEUR PIERRE et la société HUMENSIS, celles-ci ne rapportent pas la preuve que les nuisances sonores litigieuses sont subies par la société DES RABASSINS depuis la fin de l’année 2015. Il est notable à cet égard que selon les déclarations du représentant de la société GUINIER rapportées dans le rapport de l’expert judiciaire, les essais du matériel litigieux ont débuté le 20 octobre 2016 et la réception est intervenue à la fin du mois de décembre 2016 “sans réserve sur le bruit au PV”.

Dans ces conditions, les nuisances n’ont pu débuter en 2015 ainsi que le soutiennent les défenderesses.

A défaut d’éléments probants produits par la société ACCES VALEUR PIERRE et la société HUMENSIS, il convient de considérer que la société DES RABASSINS subit les nuisances sonores depuis la fin du mois d’avril 2017, date avancée par l’intéressée. La prescription quinquennale ayant été interrompue par l’effet de l’assignation aux fins d’ordonnance commune délivrée aux défenderesses le 21 janvier 2022, il s’ensuit que la prescription n’était pas acquise lorsque la société DES RABASSINS les a de nouveau fait assigner devant ce juge par acte du 6 novembre 2023.

La fin de non-recevoir soulevée par les défenderesses sera donc rejetée.

2) Sur le bien-fondé de la demande

Aux termes de l'article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite se définit comme toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.

Aux termes de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Aux termes de l’article R. 1336-5 du code de la santé publique, aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l'homme, dans un lieu public ou privé, qu'une personne en soit elle-même à l'origine ou que ce soit par l'intermédiaire d'une personne, d'une chose dont elle a la garde ou d'un animal placé sous sa responsabilité.

Aux termes de l’article R. 1336-7 du code de la santé publique, l'émergence globale dans un lieu donné est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau du bruit résiduel constitué par l'ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l'occupation normale des locaux et au fonctionnement habituel des équipements, en l'absence du bruit particulier en cause.
Les valeurs limites de l'émergence sont de 5 décibels pondérés A en période diurne (de 7 heures à 22 heures) et de 3 décibels pondérés A en période nocturne (de 22 heures à 7 heures), valeurs auxquelles s'ajoute un terme correctif en décibels pondérés A, fonction de la durée cumulée d'apparition du bruit particulier :
1° Six pour une durée inférieure ou égale à 1 minute, la durée de mesure du niveau de bruit ambiant étant étendue à 10 secondes lorsque la durée cumulée d'apparition du bruit particulier est inférieure à 10 secondes ;
2° Cinq pour une durée supérieure à 1 minute et inférieure ou égale à 5 minutes ;

3° Quatre pour une durée supérieure à 5 minutes et inférieure ou égale à 20 minutes ;
4° Trois pour une durée supérieure à 20 minutes et inférieure ou égale à 2 heures ;
5° Deux pour une durée supérieure à 2 heures et inférieure ou égale à 4 heures ;
6° Un pour une durée supérieure à 4 heures et inférieure ou égale à 8 heures ;
7° Zéro pour une durée supérieure à 8 heures.

En l’espèce, aux termes de son rapport déposé le 7 mars 2024, l’expert judiciaire conclut ce qui suit:

“1. Rechercher l’origine, l’étendue et la cause des nuisances:
L’origine: les nuisances sonores sont directement liées au fonctionnement du système de climatisation situé sur la terrasse de l’immeuble voisin à celui des demandeurs.
L’étendue: les nuisances apparaissent à tout moment de la journée de façon intermittente.
La cause: la proximité du système de climatisation et le déficit d’isolation autour du matériel sont la cause principale des nuisances.

2. Examiner les troubles allégués dans l’assignation et les décrire:
Il s’agit d’un bruit de ventilateur. Il apparaît plus fréquemment lors des périodes de grands froids ou de fortes chaleurs.

3. Donner son avis sur l’existence d’une gêne sonore et, le cas échéant, sur l’importance de cette gêne.
La gêne sonore est avérée.

4. Fournir tous les éléments descriptifs de la gêne constatée.
Les mesures effectuées montrent des émergences importantes surtout lors du démarrage du matériel.
(...)
7. Caractériser d’éventuels manquements aux prescriptions législatives, réglementaires ou contractuelles et aux règles de l’art, pouvant avoir un lien avec les désordres allégués.
- les articles du code de la santé relatifs à la gêne de voisinage sont applicables. Au regard de cette réglementation, les mesures montrent des émergences dépassant les 5db admis en période diurne et par conséquence de 3 db admis en période nocturne.
Au démarrage du matériel, les émergences sont de 8 db en diurne sur le niveau global et de 7 à 11 db dans les bandes d’octave 125, 250, 500 et 1000 Hz.
En régime standard, les émergences de 7bd apparaissent à 500 Hz et dépassent de 2 db la limite admissible en diurne.
Ces niveaux d’émergence sont élevés et constituent une gêne sonore certaine.
- La conception d’implantation du système de climatisation n’a apparemment pas bénéficié d’une étude d’impact acoustique sur le voisinage et de préconisations suffisantes. Pour un chantier de cette ampleur, en ville, une étude est nécessaire.

8. Fournir tous les éléments permettant à la juridiction éventuellement saisie, de déterminer si les nuisances sont de nature à constituer un trouble anormal de voisinage:
La terrasse des demandeurs ne profite pas du calme attendu pour un lieu disposé en hauteur et orienté côté cour. Le bruit perçu depuis la terrasse venant du système de climatisation voisin est incongru. Il dépasse largement le bruit de la ville en nocturne et en diurne”.
Aux termes de leurs conclusions et déclarations, la société ACCES VALEUR PIERRE et la société HUMENSIS ne contestent ni l’existence des nuisances constatées par l’expert dans les termes précités, ni leur ampleur, ni leur cause.

La violation des dispositions précitées du code de la santé publique résultant du fonctionnement du système de ventilation dont la société ACCES VALEUR PIERRE est la propriétaire et la gardienne constitue un trouble manifestement illicite. Constitue un également un trouble manifestement illicite l’inertie fautive de la société ACCES VALEUR PIERRE qui n’a pris aucune mesure appropriée jusqu’à ce jour pour faire cesser les nuisances sonores dont elle connaît pourtant l’existence, la cause et l’étendue depuis plusieurs années. Il est notable à cet égard que l’expert judiciaire a pointé à plusieurs reprises, notamment dans son courriel du 14 février 2024, le caractère tardif et insatisfaisant des réponses apportées par la société ACCES VALEUR PIERRE à sa demande de devis de travaux réparatoires.

Il convient désormais de prescrire les mesures nécessaires pour mettre un terme à ces troubles.

Aux termes de son rapport, l’expert a proposé d’éloigner le matériel incriminé à l’autre bout du bâtiment voisin et/ou d’optimiser les écrans pour isoler les bruits générés par le matériel. A défaut d’étude de faisabilité et de devis de travaux produits par les défendeurs, il n’a pas validé de proposition de travaux précise et définitive.

La société DES RABASSINS demande au juge d’ordonner la mise à l’arrêt total de l’installation tant que les travaux nécessaires n’auront pas été réalisés.

Une telle décision aurait toutefois d’importantes conséquences négatives pour la société HUMENSIS dont le personnel bénéficie des prestations de climatisation et de chauffage délivrées par le système. En outre, il convient de prendre en considération le fait que les nuisances sonores subies par la société DES RABASSINS, pour réelles qu’elles soient, affectent uniquement la jouissance de son toit-terrasse et non celle du logement. Au vu de ces éléments, la mise à l’arrêt totale et immédiate de l’installation aurait des effets négatifs excessifs et disproportionnés au regard du trouble auquel il convient de remédier.

Dans ces conditions, il sera ordonné à la société ACCES VALEUR PIERRE d’effectuer tous travaux utiles en vue de mettre le fonctionnement de son installation en conformité avec les dispositions du code de la santé publique applicables aux bruits de voisinage et de mettre ainsi un terme aux nuisances sonores constatées par l’expert judiciaire, et ce dans le délai de 3 mois à compter de la signification de l’ordonnance. Compte tenu de l’inertie manifestée par la défenderesse, cette condamnation sera assortie d’une astreinte dans les conditions fixées au dispositif ci-après.

Il appartiendra à la société ACCES VALEUR PIERRE de justifier auprès de la société DES RABASSINS de la bonne exécution de l’injonction précitée par la remise du rapport d’un bureau d’étude acoustique, à l’établissement duquel la société DES RABASSINS devra apporter son concours si des mesures acoustiques doivent être effectuées dans son lot.

Sur la demande reconventionnelle de condamnation de la société DES RABASSINS au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive

La société HUMENSIS demande la condamnation de la société DES RABASSINS à lui payer la somme de 50.000 € de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Il résulte de la solution apportée au litige que la société DES RABASSINS n’a pas commis de faute en engageant la présente instance. La société HUMENSIS sera donc déboutée de sa demande indemnitaire.

Sur les demandes accessoires

La société ACCES VALEUR PIERRE sera condamnée aux dépens.

L’équité commande de la condamner à payer à la société DES RABASSINS la somme de 4.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’équité ne commande pas de faire droit aux demandes réciproques de la société DES RABASSINS et de la société HUMENSIS au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort,

Déboutons la société ACCES VALEUR PIERRE de sa demande de rejet des conclusions de la société DES RABASSINS notifiées à son conseil le 15 mai 2024,

Disons la société DES RABASSINS irrecevable en sa demande de mise à l’arrêt total de l’installation de ventilation et de climatisation située sur le toit de l’immeuble édifié [Adresse 2] fondée sur l’article 835 alinéa 1er du code de procédure civile et sur la théorie du trouble anormal de voisinage,

Disons la société DES RABASSINS recevable en sa demande aux mêmes fins fondée sur l’article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, sur l’article 1240 du code civil et sur les dispositions du code de la santé publique,

Déboutons la société ACCES VALEUR PIERRE et la société HUMENSIS de leur fin de non-recevoir fondée sur la prescription de l’action de la société DES RABASSINS,

Ordonnons à la société ACCES VALEUR PIERRE d’effectuer tous travaux utiles concernant son système de climatisation installé sur le toit de l’immeuble situé [Adresse 2] afin de mettre un terme aux manquements aux dispositions du code de la santé publique applicables aux bruits de voisinage relevés par M. [D] [G], expert judiciaire, aux termes de son rapport déposé le 7 mars 2024,

Et ce dans le délai de trois mois à compter de la signification de la présente ordonnance, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard passé ce délai, ladite astreinte courant pendant un délai de trois mois,

Disons qu’il appartiendra à la société ACCES VALEUR PIERRE de justifier auprès de la société DES RABASSINS de la bonne exécution de l’injonction précitée par la remise du rapport d’un bureau d’étude acoustique, à l’établissement duquel la société DES RABASSINS devra apporter son concours si des mesures acoustiques doivent être effectuées dans son lot,

Disons n’y avoir lieu à référé sur les autres demandes de la société DES RABASSINS,

Déboutons la société HUMENSIS de sa demande de condamnation de la société DES RABASSINS au paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive,

Condamnons la société ACCES VALEUR PIERRE à payer à la société DES RABASSINS la somme de 4.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboutons les parties de leurs demandes plus amples ou contraires au titre des frais irrépétibles,

Condamnons la société ACCES VALEUR PIERRE aux dépens de l’instance.

Fait à Paris le 20 juin 2024

Le Greffier, Le Président,

Larissa FERELLOC François VARICHON


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Service des référés
Numéro d'arrêt : 23/58249
Date de la décision : 20/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-20;23.58249 ?
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