TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
■
PRPC JIVAT
N° RG 23/01315
N° Portalis 352J-W-B7G-CYP6K
N° MINUTE :
Assignation du :
19 Janvier 2023
20 Janvier 2023
JUGEMENT
rendu le 20 Juin 2024
DEMANDEUR
Monsieur [U] [X]
[Adresse 3]
[Localité 6]
représenté par Me Aurélie COVIAUX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L.71
DÉFENDEURS
FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D’AUTRES INFRACTIONS
[Adresse 4]
[Localité 7]
représenté par Me Patricia FABBRO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0082
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES HAUTS DE SEINE
[Adresse 2]
[Localité 5]
défaillante
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Géraldine CHARLES, Première Vice-Présidente adjointe
Emmanuelle GENDRE, Vice-Présidente
Maurice RICHARD, Magistrat à titre temporaire
assistés de Véronique BABUT, Greffier
Décision du 20 Juin 2024
PRPC JIVAT
N° RG 23/01315
N° Portalis 352J-W-B7G-CYP6K
DÉBATS
A l’audience du 25 Avril 2024 tenue en audience publique
Après clôture des débats, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 20 Juin 2024.
JUGEMENT
- Réputé contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
EXPOSE DU LITIGE
M. [U] [X], né le [Date naissance 1] 1981, a été victime de l’attentat survenu le 13 novembre 2015 [8] à [Localité 10]. Il se trouvait avec son amie Mme [F] [Y] au balcon au niveau de la rangée centrale au moment de l’attaque, est resté dissimulé entre les rangées de fauteuils du balcon jusqu’à ce qu’il soit découvert par l’un des terroristes qui lui a intimé l’ordre de se lever en le menaçant. Il a ensuite assisté aux tirs visant les personnes dans la fosse, à l’explosion d’un terroriste sur la scène après l’intervention de policiers de la BAC et aux échanges de tirs, qui ont suivi.
Il a fait partie des onze otages séquestrés avec les deux terroristes restant dans un couloir des loges [8] durant deux heures et demi, a été choisi comme interlocuteur pour communiquer avec les forces de police avant l’assaut final, se trouvant alors au milieu des tirs croisés des terroristes et des forces de l’ordre, avant d’être évacué.
Le compte rendu des Urgences de l’hôpital de [9] mentionne :
«Plaies superficielles infracentimétriques dos, bras, coude gauche avec éclats de balles superficiels dont certains saillants à l’extérieur. (…) Nettoyage des lésions, retrait de deux éclats de balle triceps droit et derrière l’oreille droite, pas de suture, pansement.»
Il a subi une intervention le 16 novembre 2015 pour l’ablation de corps étrangers au niveau du poignet, du coude droit et de chacun des bras, puis une nouvelle intervention le 23 novembre 2015, pour l’ablation de six éclats supplémentaires de balle avec suture, conservant encore toutefois de nombreux corps étrangers métalliques.
Le 18 novembre 2015, une incapacité totale de travail a été fixée à hauteur de 4 jours d’un point de vue somatique et supérieure à 30 jours s’agissant du retentissement psychologique.
Un examen médical contradictoire a été diligenté le 29 novembre 2016 par les Dr [T] en présence du Dr [G], médecin conseil de M. [U] [X].
Il a également été examiné par le Dr [D], sapiteur psychiatre, le 3 mars 2017, lequel a rendu un avis définitif après consolidation le 3 février 2019.
Aux termes de son rapport de synthèse du 28 mai 2019, le Dr [T] a conclu ainsi :
Périodes de GTT : le 16/11/2015 et le 23/11/2015Périodes de GTP :. de classe IV (75%) : du 13/11/2015 au 29/11/2015
. de classe III (50%) : du 30/11/2015 au 30/08/2016
. à 33% du 01/09/2016 au 31/01/2018
De classe II à 25% : du 1/02/2018 au 5/10/2018
Arrêt de travail imputable : du 14/11/2015 au 29/11/2015Consolidation médico légale : le 5/10/2018 ;AIPP : 14% en global à la fois sur le plan psychologique et orthopédiqueSouffrances endurées : 6,5/7 en incluant les souffrances sur le plan psychologiquePAMI : majeurDommage esthétique permanent : 1,5/7Préjudice esthétique temporaire : pendant toute la période de soins locaux ;Retentissement sur les activités d’agrément : il ne peut plus assister à une projection en salle de cinéma ou à un concert dans une petite salleRetentissement professionnel : il conviendra de retenir les difficultés qu’a eues le blessé pour l’entretien d’embauche et l’aménagement du poste de travail lié aux contraintes de soins, mais il n’y a pas de retentissement professionnel à titre définitif ;Aide humaine temporaire non médicalisée :. 4h par jour du 13/11/2015 au 22/11/2015 en tenant compte d’une aide de substitution et une aide de présence rassurante
. 3H par jour du 23/11/2015 au 29/11/2015
. 1h par jour du 30/11/2015 au 30/08/2016
Pas d’aide humaine au-delà ni à titre viagerPréjudice sexuel : l’expert psychiatre a mentionné les dires du blessé, à savoir « il dit ne pas avoir la tête à cela»
Par actes d’huissier régulièrement signifiés les 19 et 20 janvier 2023, M. [U] [X] a fait assigner le FGTI, ainsi que la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) des Hauts-de-Seine devant cette juridiction aux fins de voir reconnaître et indemniser ses préjudices.
Dans ses dernières écritures signifiées le 27 septembre 2023, auxquelles il est référé expressément conformément à l’article 455 du code de procédure civile, M. [U] [X] demande à la juridiction de :
Condamner le Fonds de garantie à l’indemniser de l’intégralité des préjudices qu’il conserve de l’attentat terroriste survenu le 13 novembre 2015 ;Condamner le Fonds de garantie à lui verser en réparation de ses préjudices les sommes suivantes en deniers ou en quittances :. préjudices patrimoniaux temporaires : frais divers :8.779,77 euros ;
. préjudices patrimoniaux permanents : incidence professionnelle : 15.000 euros
. Préjudices extrapatrimoniaux temporaires :
Déficit fonctionnel temporaire : 11.503,20 euros
Préjudice d’angoisse de mort imminente : :100.000 euros
Souffrances endurées : 80.000 euros
Préjudice esthétique temporaire : 3.000 euros
. préjudices extrapatrimoniaux permanents :
Déficit fonctionnel permanent : 32.200 euros
Préjudice d’agrément : 4.000 euros
Préjudice esthétique permanent : 4.000 euros
Préjudice sexuel : 4.000 euros
Préjudice exceptionnel des victimes de terrorisme : 30.000 euros
Condamner le Fonds de garantie à lui verser en réparation de ses préjudices la somme de 293.482,97 eurosCondamner le Fonds de garantie à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;Condamner le Fonds de garantie aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Aurélie COVIAUX dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile. Déclarer le jugement à intervenir commun à la Caisse primaire d’assurance maladie des Hauts-de-Seine ;Dire n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire.
Aux termes de ses dernières écritures récapitulatives régulièrement signifiées le 1er décembre 2023, auxquelles il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, le FGTI demande notamment au tribunal de :
Indemniser M. [U] [X] en fixant les indemnités suivantes : .Frais divers : 650 euros
. présence humaine : 5.040 euros
. incidence professionnelle : 5.000 euros
. déficit fonctionnel temporaire : 9.586 euros
. préjudice esthétique temporaire : 500 euros
. souffrances endurées : 50.000 euros
. préjudice d’angoisse : 40.000 euros
. déficit fonctionnel permanent : 29.260 euros
. préjudice d’agrément : 3.000 euros
. préjudice esthétique permanent : 1.650 euros
. préjudice sexuel : 2.000 euros
Constater l’offre du fonds de garantie de payer à M. [U] [X] un PESVT de 30.000 eurosConstater l’accord de M. [U] [X] sur ce montantAllouer à M. [U] [X] la somme de 30.000 euros au titre du PESVTDébouter M. [U] [X] du surplus de ses demandes plus amples ou contrairesDéduire les provisions versées à M. [U] [X] à hauteur de 90.440 euros ;Laisser à la charge du Trésor Public les dépens de l’instance.
La caisse primaire d’assurance maladie des HAUTS DE SEINE, quoique régulièrement assignée, n’a pas constitué avocat. Le présent jugement, susceptible d’appel, sera donc réputé contradictoire.
La clôture de la présente procédure a été prononcée le 14 décembre 2023.
L'affaire a été plaidée à l’audience du 25 avril 2024 et mise en délibéré au 20 juin 2024.
MOTIFS
I- SUR LE DROIT A INDEMNISATION
Aux termes de l’article L 126-1 du code des assurances, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou tout militaire, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L 422-1 à L 422-3.
Selon l'article 421-1 du code pénal, "constituent des actes de terrorisme, lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, les infractions suivantes et notamment les atteintes volontaires à la vie, les atteintes à l'intégrité de la personne, l'enlèvement et la séquestration".
Il n'est pas contesté et il résulte en tout état de cause de l'analyse de la procédure que M. [U] [X], né le [Date naissance 1] 1981, a été victime le 13 novembre 2015 de l’attentat ayant frappé la capitale et plus précisément au niveau de la salle [8].
Par conséquent, le FGTI sera condamné à indemniser M. [U] [X] des conséquences dommageables de l’attentat.
II- SUR L’EVALUATION DU PREJUDICE
Au vu de l'ensemble des éléments versés aux débats, les préjudices subis par M. [U] [X] qui était âgé de 34 ans lors de l'attentat, 36 ans à la date de consolidation de son état de santé, et exerçant la profession d’ingénieur informaticien lors des faits, sera réparé ainsi que suit, étant observé qu'en application de l'article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, d'application immédiate, le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge.
Préjudices patrimoniaux :
A titre liminaire, M. [U] [X] sollicite l’actualisation des préjudices patrimoniaux à savoir les frais divers et l’assistance par tierce personne provisoire sur la base de l’évolution de l’indice INSEE des prix à la consommation «ensemble des ménages hors tabac».
Le Fonds de garantie s’y oppose sur le fondement de l’article 1343 du code civil et ajoute que la revalorisation d’une somme ne peut s’appliquer dès lors que les sommes n’ont pas été engagées par M. [U] [X] qui a bénéficié d’une prise en charge directe de frais par le fonds et de provisions.
En l’espèce, il ressort des écritures que M. [U] [X] a perçu des provisions à hauteur de 90.440 euros, le premier versement étant intervenu en avril 2016. Ces versements ayant permis à M. [U] [X] de faire face aux dépenses engagées à la suite de l’attentat, celui-ci n’apparaît pas fondé à solliciter l’actualisation de ces préjudices du fait de la dépréciation monétaire. La demande d’actualisation de ces postes de préjudice sera par conséquent rejetée.
- Dépenses de santé avant consolidation
Les dépenses de santé sont constituées de l’ensemble des frais hospitaliers, de médecins, d’infirmiers, de professionnels de santé, de pharmacie et d’appareillage en lien avec l’accident.
Aux termes du relevé de créance définitive en date du 26 août 2021, les prestations en nature versées par la caisse primaire d’assurance maladie de Hauts-De-Seine se sont élevées à la somme de 2.441,50 euros au titre de frais hospitaliers, de frais médicaux, de frais pharmaceutiques.
Ce poste de préjudice n'étant constitué que des débours de la CPAM, M. [U] [X] ne sollicite aucune indemnité complémentaire.
- Frais divers
L'assistance de la victime lors des opérations d'expertise par un, ou des, médecin conseil en fonction de la complexité du dossier, en ce qu'elle permet l'égalité des armes entre les parties à un moment crucial du processus d'indemnisation, doit être prise en charge dans sa totalité. De même, ces données peuvent justifier d'indemniser les réunions et entretiens préparatoires. Les frais d'expertise font partie des dépens.
M. [U] [X] sollicite la somme de 650 euros, soit 739,13 euros après actualisation au titre des honoraires médecin conseil correspondant aux frais d’assistance du Dr [W]. Le FGTI offre la somme de 650 euros correspondant aux honoraires du Dr [W].
Au vu de ces éléments compte tenu du rejet de la demande d’actualisation, il y a lieu d’allouer la somme de 650 euros à M. [U] [X].
- Assistance tierce personne provisoire
Il convient d'indemniser les dépenses destinées à compenser les activités non professionnelles particulières qui ne peuvent être assumées par la victime directe durant sa maladie traumatique, comme l'assistance temporaire d'une tierce personne pour les besoins de la vie courante, étant rappelé que l’indemnisation s'entend en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée.
Le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être subordonné à la production de justificatifs des dépenses effectives.
M. [U] [X] sollicite la somme de 6.828,78 euros, soit 8.040,64 euros après actualisation sur la base d’un tarif horaire de 18 euros et s’oppose à la distinction d’indemnisation selon la nature du besoin d’assistance identifié par les experts. Le FGTI lui offre la somme de 5.040 euros sur la base d’un tarif horaire de 15 euros.
En l'espèce, il ressort du rapport d'expertise ce qui suit s'agissant de l'assistance tierce-personne provisoire :
4h par jour du 13/11/2015 au 22/11/2015 en tenant compte d’une aide de substitution et une aide de présence rassurante, soit 4 heures x 10 jours = 40 h ;3h par jour du 23/11/2015 au 29/11/2015, soit 3h x 7 jours = 21 h ;1 h par jour du 30/11/2015 au 30/08/2016, soit 275 h.
Il y a lieu de retenir un taux horaire de 18 euros sur une période de 365 jours, ce taux incluant la prise en compte des jours fériés et des congés payés et est adapté à la situation de la victime à ce stade. Il sera donc alloué la somme suivante : (40h x 18 euros) + (21h x 18 euros) + (275hx 18 euros) = 720 euros + 378 euros + 4.950 euros = 6.048 euros.
- Perte de gains professionnels avant consolidation
Il s'agit de compenser les répercussions de l'invalidité sur la sphère professionnelle de la victime jusqu'à la consolidation de son état de santé. L'évaluation de ces pertes de gains doit être effectuée in concreto au regard de la preuve d'une perte de revenus établie par la victime jusqu'au jour de sa consolidation.
M. [U] [X] fait état de pertes de gains durant son arrêt de travail du 14 au 29 novembre 2015 qui ont été entièrement compensées par les indemnités journalières versées à hauteur de 689,92 euros.
Ce poste de préjudice n'étant constitué que des débours de la CPAM, il ne revient à la victime aucune indemnité complémentaire.
- Incidence professionnelle
Ce poste d'indemnisation a pour objet d'indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle, ou de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu'elle exerçait avant le dommage au profit d'une autre qu'elle a dû choisir en raison de la survenance de son handicap. Ce poste indemnise également la perte de retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap, c'est-à-dire le déficit de revenus futurs, estimé imputable à l'accident, qui va avoir une incidence sur le montant de la pension auquel pourra prétendre la victime au moment de sa prise de retraite.
M. [U] [X] sollicite la somme de 15.000 euros. Il expose que le Dr [T] après consultation du sapiteur psychiatre, qui n’a retenu aucun retentissement professionnel à titre définitif, ne l’a pas réexaminé pour établir le rapport de synthèse. Il rappelle qu’au moment des attentats, il était salarié au sein de la société TECH’ADVANTAGE et avait postulé le 2 novembre 2015 pour un poste au sein de la société DASSAULT AVIATION. Il explique avoir été reçu pour un entretien d’embauche le 25 novembre 2015, entretien qu’il n’a pu mener à bien au regard de la proximité avec les attentats et de l’intervention chirurgicale du 23 novembre 2015. Il fait valoir qu’il a conservé son ancien emploi jusqu’au 24 avril 2018, date à laquelle il a finalement intégré la société DASSAULT SYSTEMES. Il explique avoir finalement obtenu le poste qu’il convoitait au sein de la société DASSAULT AVIATION le 7 juin 2021. Outre ce retard de carrière, il sollicite l’indemnisation de la pénibilité accrue dans l’exercice de son métier, liée aux troubles cognitifs et psychotraumatiques et aux troubles du sommeil qu’il subit toujours.
Le FGTI offre la somme de 5.000 euros relevant qu’aucune incidence professionnelle n’a été retenue à titre définitif étant précisé que les difficultés lors de l’entretien de novembre 2015 n’ont fait que retarder le projet professionnel de M. [U] [X].
Le rapport d’expertise de synthèse a relevé : «il conviendra de retenir les difficultés qu’a eues le blessé pour l’entretien d’embauche et l’aménagement du poste de travail lié aux contraintes de soins mais il n’y a pas de retentissement professionnel à titre définitif».
Il est justifié d’un dépôt de candidature auprès de la société DASSAULT AVIATION et il est produit un courrier électronique relatif à l’organisation de 3 entretiens de recrutement le 25 novembre 2015. Au regard de la concomitance entre l’attentat dont M. [U] [X] a été victime et cette opportunité professionnelle, il apparaît en effet difficilement concevable que celui-ci ait pu se présenter aux entretiens dans des conditions favorables. Il sera en conséquence tenu compte du retard dans l’obtention d’un poste auquel il a finalement accédé selon les écritures le 7 juin 2021.
Par ailleurs, le Dr [D], sapiteur psychiatre, a retenu un déficit fonctionnel permanent à hauteur de 11% en raison d’un «trouble psychotraumatique qui s’est chronicisé, à un niveau important, une modification de son rapport aux autres et à l’existence, des troubles du caractère, un trouble du sommeil, des troubles neurocognitifs qui sont maintenant discrets».
Ainsi, compte tenu ces constatations, bien que M. [U] [X] ait pu poursuivre dans la même voie professionnelle qu’avant les attentats, il y a lieu de retenir que les conséquences traumatiques ont un impact sur l’exercice de son activité et qu’il éprouve de ce fait une pénibilité et une fatigabilité plus importante induites par les séquelles relevées.
Ainsi, compte tenu de l’âge de M. [U] [X], 36 ans au moment de la consolidation de son état de santé, il sera alloué la somme de 8.000 euros à ce titre.
2- Préjudices extra-patrimoniaux :
- Déficit fonctionnel temporaire
Ce poste de préjudice indemnise l'invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique. Le déficit fonctionnel temporaire inclut pour la période antérieure à la date de consolidation, l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d'hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique.
M. [U] [X] sollicite la somme de 11.503,20 euros sur la base d’une indemnité de 30 euros par jour pour un déficit total. Il rappelle, à ce titre, avoir subi plusieurs interventions pour le retrait de corps étrangers, des soins locaux jusqu’au 10 décembre 2015, des troubles ORL par la persistance d’acouphènes, un retentissement psychologique majeur, des préjudices d’agrément, sexuel et une incidence professionnelle temporaires.
Le FGTI offre la somme de 9.586 euros sur la base d’un montant journalier de 25 euros pour un déficit total.
En l'espèce, il ressort du rapport d'expertise ce qui suit s'agissant du déficit fonctionnel temporaire :
. total le 16 novembre 2015 et le 23 novembre 2015, soit 2 jours ;
. 75% du 13 novembre 2015 au 29 novembre 2015, soit 15 jours ;
. 50% du 30 novembre 2015 au 30 août 2016, soit 275 jours ;
. 33% du 1er septembre 2016 au 31 janvier 2018, soit 518 jours ;
. 25% du 1er février 2018 au 5 octobre 2018, soit 247 jours.
Les expertises révèlent qu’à la suite de l’attentat, durant la période de déficit temporaire, M. [U] [X] a présenté des blessures par éclats de projectiles et un trouble psychotraumatique complet se traduisant par des troubles de l’attention, de la concentration, une perte totale de l’insouciance et la confiance qu’il pouvait avoir antérieurement dans l’existence, une perturbation fondamentale et durable de son système de valeurs, et, d’une certaine façon, de son fonctionnement psychique organisé. Il a bénéficié d’un suivi psychothérapeutique durant plusieurs années.
Aussi sur la base d’une indemnisation de 30 euros par jour pour un déficit total, adaptée à la situation décrite, il sera alloué la somme suivante : (2 jours x 30 euros) + (15 jours x 30 euros x 75%) + (275 jours x 30 euros x 50%) + (518 jours x 30 euros x 33%) + (247 jours x 30 euros x 25%) = 60 euros + 337,50 euros + 4.125 euros + 5.128,20 euros + 1.852,50 euros = 11.503,20 euros.
- Souffrances endurées
Il s'agit de toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, c'est-à-dire du jour de l'accident à celui de sa consolidation. A compter de la consolidation, les souffrances endurées vont relever du déficit fonctionnel permanent et seront donc indemnisées à ce titre.
M. [U] [X] sollicite la somme de 80.000 euros à ce titre. Il rappelle que sur le plan orthopédique, il a été blessé par des éclats de balles et des projections métalliques dans plusieurs parties du corps et a dû subir des soins et plusieurs interventions, précisant avoir développé des surinfections. Il ajoute avoir souffert de troubles ORL durant plusieurs semaines après les faits avec une baisse de l’acuité auditive gauche. Sur le plan psychologique, comme en témoignent les certificats médicaux initiaux, il a présenté un trouble psychotraumatique important ayant nécessité un suivi du 22 février 2016 jusqu’à la consolidation.
Le FGTI offre la somme de 50.000 euros.
En l'espèce, il ressort de l’expertise que, d’un point de vue somatique, M. [U] [X] a reçu des éclats de balles et projectiles ayant conduit à une première intervention d’ablation de corps étrangers au bras, au coude, à la main avec des soins antibiotiques, antalgiques et infirmiers pour la cicatrisation. Il a subi une nouvelle intervention le 23 novembre 2015 pour l’ablation de six corps étrangers avec de nouvelles prescriptions de soins jusqu’au 10 décembre 2015. Il a en outre présenté des troubles ORL.
Du point de vue du retentissement psychique, il a présenté un trouble psychotraumatique majeur, complet et des troubles cognitifs (expertise du Dr [D] du 5 mars 2017) et un suivi psychothérapique à compter du 22 février 2016 et jusqu’à la fin de l’année 2018.
Les souffrances ont été cotées à 6,5/7 par l’expert.
Dans ces conditions, il convient d'allouer la somme de 60.000 euros à ce titre.
- Préjudice d'angoisse de mort imminente
L'angoisse liée à une situation ou à des circonstances exceptionnelles résultant de la commission d'un acte de terrorisme soudain et brutal provoquant chez la victime, pendant le cours de l'événement, une très grande détresse et une angoisse dues à la conscience d'être confrontée à la mort caractérise une souffrance psychique spécifique. Cette souffrance est, par ailleurs, spécifique du fait du contexte collectif de l'infraction subie qui a amplifié ce sentiment d'angoisse, notamment du fait du nombre de personnes impliquées, de leurs réactions, ainsi qu'en raison de l’importante couverture médiatique en temps réel de cet acte de terrorisme.
M. [U] [X] sollicite la somme de 100.000 euros. Il rappelle qu’il a fait partie des 11 victimes retenues en otage dans les locaux [8] ; il se réfère à l’enregistrement audio réalisé dans la salle, joint à la procédure pénale, retraçant les circonstances dans lesquelles, avec son amie [F] [Y], ils ont été repérés par les terroristes, menacés et pris en otages. Il précise être resté dans la salle du début des attaques à 21h47 jusqu’à son évacuation vers 0h20, avoir assisté à l’assassinat des personnes couchées dans la fosse, à l’intervention du commissaire de la BAC 75 et à l’explosion de [H] [V] avant d’être enfermé avec 10 autres otages dans un couloir des loges à l’étage pendant plus de deux heures avec les deux terroristes munis de gilets explosifs.
Il ajoute avoir été alors envoyé par les terroristes pour récupérer les chargeurs dans la salle principale, avoir été désigné pour rapporter les bruits qu’il entendait depuis la salle principale, puis avoir été choisi comme interlocuteur des forces de l’ordre au début de l’intervention. Lors de l’assaut final, il a subi les tirs croisés, a reçu des éclats de balles percutant le bouclier RAMSES à côté duquel il se trouvait.
Le FGTI lui offre la somme de 40.000 euros.
En l'espèce, M.[U] [X] s’est retrouvé au centre d’une véritable scène de guerre. En outre, il ressort des éléments de la procédure qu’il a fait partie des victimes de l’attentat prises en otage dans le couloir des loges [8] ayant ainsi vécu l’attaque vers 21h45, jusqu’à l’évacuation par les forces de l’ordre à 0h20. Durant cette période, il a été personnellement menacé de mort tout comme l’amie qui l’accompagnait, il a assisté à l’exécution de victimes dans la fosse, a été soumis aux injonctions des terroristes afin qu’il récupère leurs munitions, qu’il rende compte des mouvements extérieurs ou qu’il serve d’interlocuteur avec les forces de l’ordre. Il a de ce fait été soumis pendant plus de deux heures à la crainte constante de mourir du fait des menaces répétées des terroristes et du risque d’actionnement de leurs ceintures explosives. Il s’est enfin trouvé particulièrement exposé lors de l’assaut final des forces de l’ordre, alors qu’il était derrière la porte par laquelle les forces d’intervention ont pénétré dans le couloir et donc à proximité immédiate des tirs en réplique des terroristes, comme en témoignent les nombreux éclats de projectiles qu’il a reçus.
Dans ces conditions, la particulière gravité de ce traumatisme le concernant sera réparée à hauteur de 70.000 euros.
- Préjudice esthétique temporaire
Ce préjudice est lié à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers, et ce jusqu'à la date de consolidation.
M. [U] [X] sollicite la somme de 3.000 euros. Il fait valoir qu’il a présenté des plaies multiples au dos, au thorax, aux bras, au poignet droit et à la nuque, des ecchymoses au genou droit et à la cuisse gauche et une contusion au niveau thoracique. Il a porté des pansements et une attelle au poignet.
Le FGTI offre la somme de 500 euros.
M. [U] [X] a présenté plusieurs cicatrices en raison des plaies par impacts métalliques dans la région thoracique, dans la région dorsale, au bras droit, dans la région paracervicale gauche. Il a en outre bénéficié de soins de cicatrisation, a subi une infection sur un impact dorsal et a dû porter une attelle au poignet droit, à la suite de l’intervention du 16 novembre 2015.
Dans ces conditions, il convient d'allouer une somme de 2.000 euros à ce titre.
- Déficit fonctionnel permanent
Ce préjudice a pour composante les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, les douleurs qui persistent depuis la consolidation, la perte de la qualité de la vie et les troubles définitifs apportés à ces conditions d'existence.
M. [U] [X] sollicite la somme de 32.200 euros tandis que le FGTI offre la somme de 29.260 euros.
En l'espèce, l’expert a retenu un taux de déficit fonctionnel permanent de 14% en global sur le plan psychologique (11%) et orthopédique (3%). Du point de vue orthopédique, le Dr [T] a retenu des séquelles tenant à un prurit cicatriciel et des acouphènes. Il conserve par ailleurs des éclats métalliques qui n’ont pas été ôtés et qui interdisent tout examen d’IRM à l’avenir. Du point de vue psychique, le Dr [D] retient un trouble psychotraumatique chronicisé, à un niveau important, une modification de son rapport aux autres et à l’existence, des troubles du caractère, un trouble du sommeil, des troubles neurocognitifs qui sont maintenant discrets.
La victime étant âgée de 36 ans lors de la consolidation de son état, il lui sera alloué une indemnité de 32.200 euros.
- Préjudice esthétique permanent
Ce préjudice est lié à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers, et ce de manière pérenne à compter la date de consolidation.
M. [U] [X] sollicite la somme de 5.000 euros tandis que le FGTI offre la somme de 1.650 euros.
En l'espèce, il est coté à 1,5/7 par l'expert en raison de notamment :
- d’une cicatrice au niveau de la tabatière anatomique qui mesure 1 cm et large de quelques millimètres, légèrement hyperchromique, un peu dépressive ;
- d’une cicatrice sur la face externe de l’avant-bras près du pli de flexion du coude mesurant globalement 3 cm en échelle, blanchâtre, une peu surélevée ;
- d’une cicatrice sur la face externe du bras au quart inférieur, horizontale, de 2 cm, rosée, large de 2 à 3 mm ;
- d’une cicatrice au niveau du V deltoïdien, 1,5 cm, quelques mm, blanchâtre,
- d’une cicatrice en arrière de la précédente, d’un 1/2 cm sur quelques mm, même aspect
- d’une cicatrice sur la face postérieure de l’avant-bras au tiers inférieur d’1/2 cm légèrement hyperchromique
- d’une cicatrice au niveau de la région thoracique postérieure paradorsale en regard de T8, 2cm x 1cm dyschromique, un peu dépressible, souple, purigineuse
- d’une cicatrice au niveau de la région thoracique latérale inférieure de 2 cm
- de quelques petites cicatrices également d’impact, une autre au niveau de l’épineuse de L1, ½ cm
- d’une petite cicatrice au-dessus de la crête iliaque antéro-supérieure droite, blanchâtre d’1/2 cm
Dans ces conditions, il convient d'allouer une somme de 3.000 euros à ce titre.
- Préjudice d'agrément
Ce préjudice vise à réparer le préjudice spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs ainsi que les limitations ou difficultés à poursuivre ces activités. Ce préjudice particulier peut être réparé, en sus du déficit fonctionnel permanent, sous réserve de la production de pièces justifiant de la pratique antérieure de sports ou d’activités de loisirs particuliers.
M. [U] [X] sollicite la somme de 4.000 euros en raison de l’impossibilité de se rendre au cinéma et des difficultés persistantes pour assister à des concerts ou se rendre au théâtre. Le FGTI offre la somme de 3.000 euros.
En l'espèce, le rapport de synthèse a noté que M. [U] [X] ne peut plus assister à une projection en salle de cinéma ou à un concert dans une petite salle.
M. [U] [X] produit une carte d’abonnement au cinéma.
Dans ces conditions, au regard de la limitation des activités de loisirs de M. [U] [X] imputable aux attentats, il convient de lui allouer la somme de 3.000 euros à ce titre.
- Préjudice sexuel
La victime peut être indemnisée si l’accident a atteint, séparément ou cumulativement mais de manière définitive, la morphologie des organes sexuels, la capacité de la victime à accomplir l’acte sexuel (perte de l'envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l'acte sexuel, perte de la capacité à accéder au plaisir), et la fertilité de la victime.
M. [U] [X] sollicite la somme de 4.000 euros tandis que le FGTI offre la somme de 2.000 euros.
En l'espèce, l'expert a retenu les dires de M. [U] [X] à ce sujet à savoir qu’il n’avait «pas la tête à cela».
Dans ces conditions, au regard du préjudice allégué en cohérence avec les séquelles constatées et l’âge de M. [U] [X] au jour de la consolidation, il convient d'allouer la somme de 3.000 euros à ce titre.
- Préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme
Ce poste de préjudice exceptionnel est destiné à prendre en compte la spécificité de la situation des victimes d'un acte de terrorisme et notamment l'état de stress post traumatique et les troubles liés au caractère de cet événement, en raison des circonstances particulières de commission des faits et de leur résonance.
M. [U] [X] sollicite la somme de 30.000 euros correspondant à la somme offerte par le FGTI.
En l’espèce, l’acte de terrorisme du 13 novembre 2015 a été commis dans des circonstances particulières de volonté affirmée et revendiquée par les terroristes d’intimidation et de terreur d’une nation entière afin de porter atteinte à l’Etat français et à ses citoyens dans leur ensemble. Ces faits dramatiques ont, en outre, eu une résonance importante dans l’opinion publique et dans les médias de façon durable.
Ces faits à la dimension nationale et même internationale causent à M. [U] [X] de manière permanente un préjudice moral exceptionnel lié au caractère collectif de l’acte subi, aux motivations de ses auteurs, à la médiatisation des faits et ont eu une résonnance particulière pour elle du fait de sa présence sur les lieux de l’attentat.
Il sera ainsi alloué à M. [U] [X] une somme de 30.000€ en réparation de ce chef de préjudice, somme offerte par le FGTI.
III- SUR LES AUTRES DEMANDES
Le FGTI prendra à sa charge les dépens de l’instance.
En outre, il sera condamné à payer à M. [U] [X] une somme de 2.500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
En application de l’article 514 du code de procédure civile en vigueur au jour de l’assignation, l’exécution provisoire est de droit.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en premier ressort,
Dit que M. [U] [X] a été victime d'un acte de terrorisme le 13 novembre 2015 à [Localité 10] et qu'il relève des dispositions des articles L126-1 et L422-1 et suivants du code des assurances ;
Condamne le Fonds de Garantie des victimes d'actes de Terrorismes et d'autres Infractions à payer à M. [U] [X] les sommes suivantes en réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, provisions non-déduites :
- frais divers : 650 euros ;
- assistance par tierce personne temporaire : 6.048 euros
- incidence professionnelle: 8.000 euros
- déficit fonctionnel temporaire: 11.503,20 euros
- souffrances endurées: 60.000 euros
- préjudice d’angoisse de mort imminente : 70.000 euros
- préjudice esthétique temporaire: 2.000 euros
- déficit fonctionnel permanent: 32.200 euros
- préjudice esthétique permanent: 3.000 euros
- préjudice d’agrément: 3.000 euros ;
- préjudice sexuel: 3.000 euros
- préjudices permanents exceptionnels: 30.000 euros
Ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ;
Déclare le présent jugement commun à la Caisse Primaire d'Assurance-Maladie des Hauts-de-Seine ;
Condamne le FGTI aux dépens de l’instance et dit que Maître COVIAUX pourra les recouvrer directement pour ceux dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision ;
Condamne le FGTI à payer à M. [U] [X] la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Rappelle que la présente décision bénéficie de l'exécution provisoire de droit ;
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Fait et jugé à Paris le 20 Juin 2024
Le GreffierLa Présidente