TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
■
PRPC JIVAT
N° RG 22/05507 -
N° Portalis 352J-W-B7G-CWXLE
N° MINUTE :
Assignation du :
02 Mai 2022
04 Mai 2022
JUGEMENT
rendu le 20 Juin 2024
DEMANDEUR
Monsieur [B] [X]
[Adresse 7]
[Localité 6]
représenté par Me Marie-Eléonore AFONSO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0979
DÉFENDEURS
FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DE TERRORISME ET D AUTRES INFRACTIONS
[Adresse 8]
[Localité 9]
représenté par Me Patricia FABBRO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0082
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE L’INDRE
Service recours contre tiers
[Adresse 1]
[Localité 5]
défaillante
PARTIE INTERVENANTE VOLONTAIRE
Madame [J] [U]
[Adresse 7]
[Localité 6]
représentée par Me Marie-Eléonore AFONSO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E0979
Décision du 20 Juin 2024
PRPC JIVAT
N° RG 22/05507
N° Portalis 352J-W-B7G-CWXLE
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Géraldine CHARLES, Première Vice-Présidente adjointe
Emmanuelle GENDRE, Vice-Présidente
Maurice RICHARD, Magistrat à titre temporaire
assistés de Véronique BABUT, Greffier
DEBATS
A l’audience du 25 Avril 2024 tenue en audience publique
Après clôture des débats, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 20 Juin 2024.
JUGEMENT
- Réputé contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile
EXPOSE DU LITIGE
M. [B] [X], né le [Date naissance 2] 1985, et, Mme [J] [U], née le [Date naissance 3] 1988, ont été victimes de l’attentat commis [12] à [Localité 13] le 13 novembre 2015. Ils assistaient au concert des EAGLES OF DEATH METAL. Ils se trouvaient dans la fosse quand la fusillade a éclaté, le couple est resté au sol pendant plusieurs minutes, au milieu des tirs. Lorsque les terroristes sont montés à l’étage, M. [B] [X] a pu s’enfuir par la porte la plus proche,contrairement à sa compagne, qui est retournée s’allonger dans la fosse et a finalement été blessée à la jambe.
Le fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions a reconnu aux requérants la qualité de victime pour leur verser plusieurs provisions d’un montant de 85.610 € au bénéfice de M. [B] [X] et de 30.000 € au bénéfice de Mme [J] [U].
Le docteur [K] a été désigné par le fonds de garantie pour examiner M. [X] et l’a vu à deux reprises, en présence du docteur [I], médecin conseil de M. [B] [X], du docteur [C], médecin conseil du fonds de garantie et de Mme [W], neuropsychologue.
Par rapport daté du 25 juin 2019, le docteur [K] a retenu les conclusions suivantes :
«- Déficit fonctionnel temporaire :
- 75% du 13 au 20 novembre 2015
- 50% du 21 novembre 2015 au 7 février 2016
- 33% du 8 février 2016 au 8 février 2017
- 25% du 9 février 2017 au 7 novembre 2018
Arrêt complet d’activités professionnelles imputable : du 13 novembre 2015 au 15 février 2016.
Consolidation : 7 novembre 2018
Déficit fonctionnel permanent : 15%
Souffrances endurées : 5/7 «incluant l’intensité traumatique de l’événement, mais surtout l’importance du syndrome de stress post-traumatique jusqu’à la date de stabilisation médico-légale, considérant également les contraintes thérapeutiques régulières liées aux soins ».
Préjudice de mort imminente majeur
Préjudice professionnel : «cet homme a dû abandonner son activité de chauffeur poids lourds, transportant des produits inflammables et dangereux. A noter que la victime, après un certain nombre de mois de chômage et d’activités ponctuelles dans lesquelles il souhaitait s’orienter, a finalement retrouvé une activité de chauffeur poids lourds, restreinte avec des déplacements limités au niveau départemental, et transport de produits non dangereux».
Préjudice d’agrément : «l’intéressé n’ayant pu reprendre son activité de musculation en salle,
Monsieur [X] n’étant plus à même de participer à des activités culturelles ou de loisirs dans le cadre de réunions faisant intervenir de nombreuses personnes (cinéma, concerts,
théâtre etc…)»
Préjudice sexuel «sous forme d’une diminution de la libido et de troubles fluctuants de l’érection».
Aide humaine temporaire : «Une aide humaine s’est avérée par contre nécessaire, au décours immédiat de l’attentat, avec des besoins que l’on peut estimer à 3 heures par jour durant la période de gêne temporaire partielle de classe IV (du 13 novembre au 20 novembre 2015), à 2 heures de manière hebdomadaire, pendant la période de gêne temporaire partielle de classe III, Monsieur [X] ayant été assisté par ses proches, notamment par son frère, pour la réalisation de certaines tâches domestiques et ménagères, certains déplacements, l’entourage ayant assuré également une présence rassurante et affective».
Les pourparlers n’ont pas abouti, M. [B] [X] a décliné l’offre du fonds de garantie en date du 23 janvier 2020.
Mme [J] [U] a été examinée à trois reprises par le docteur [K], en présence des docteurs [F] et [I] pour la victime, du docteur [C] pour le fonds de garantie et de Mme [W]. L’expert a conclu comme suit le 20 juillet 2020 :
«- Attentat du 13 novembre 2015.
- Hospitalisation imputable à le HIA de [10] à [Localité 11], Service de Chirurgie Orthopédique, du 13 au 20 novembre 2015.
- Gène temporaire totale : du 13 au 20 novembre 2015.
- Gêne temporaire partielle de classe 3 : du 21 novembre 2015 au 21 janvier 2016.
- Gène temporaire partielle de classe 2 : du 22 janvier 2016 au 31 janvier 2020.
- Arrêt de travail imputable : du 13 novembre 2015 au 17 avril 2016.
- CONSOLIDATION : 31 janvier 2020.
- AIPP : 15% (QUINZE POUR CENT).
- SOUFFRANCES ENDURÉES : 5,5/7.
- PRÉJUDICE ESTHÉTIQUE permanent : 2/7.
- Besoins d'aide humaine temporaires décrits dans le corps du rapport.
- Préjudice d'agrément et retentissement sexuel évoqués.»
Les pourparlers n’ont pas abouti, Mme [J] [U] a décliné l’offre du fonds de garantie en date du 23 janvier 2020.
***
Par assignations délivrées le 02 mai 2022 au fonds de garantie et le 04 mai 2022 à la CPAM de l’Indre, suivies de conclusions signifiées par voie électronique le 12 décembre 2023, auxquelles il est expressément référé conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, M. [B] [X] et Mme [J] [U] demandent au tribunal de :
«DÉCLARER Monsieur [B] [X] et Madame [J] [U] recevables et bien fondés en leurs demandes,
FAIRE APPLICATION du barème de capitalisation publié à la Gazette du Palais le 31 octobre 2022 au taux de -1%.
ALLOUER à Monsieur [B] [X] en indemnisation de son préjudice corporel consécutif aux actes de terrorisme dont il a été victime le 13 novembre 2015, au titre de ses préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux, les sommes suivantes :
Préjudices patrimoniaux :
- Frais divers : 5 300,00 euros
- Tierce personne passée : 872,00 euros
- Pertes de gains professionnels actuelles : 39.769,53 euros
- Pertes de gains professionnels futures : 729.967,07 euros
- Incidence professionnelle : 100.000,00 euros
Préjudices extrapatrimoniaux :
- Déficit fonctionnel temporaire : 8.146,50 euros
- Souffrances endurées : 35.000,00 euros
- Déficit fonctionnel permanent : 37.500,00 euros
- Préjudice d’agrément : 10.000,00 euros
- Préjudice sexuel : 15.000,00 euros
- Préjudice d’établissement : 10.000,00 euros
- Préjudice d’angoisse de mort imminente : 50.000,00 euros
- Préjudice exceptionnel spécifique des victimes de terrorisme : 80.000,00 euros
ALLOUER à Monsieur [X], en sa qualité de victime par ricochet de Madame [J] [U], la somme de 15.000 euros au titre de son préjudice d’affection.
ALLOUER à Monsieur [X], en sa qualité de victime par ricochet de Madame [J] [U], la somme de 30.000 euros au titre de son préjudice d’attente et d’inquiétude.
ALLOUER à Madame [J] [U] en indemnisation de son préjudice corporel consécutif aux actes de terrorisme dont il a été victime le 13 novembre 2015, au titre de ses préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux, les sommes suivantes :
- Préjudices patrimoniaux :
- Frais divers : 6.500,00 euros
- Tierce personne passée : 4.142,00 euros
- Préjudices extrapatrimoniaux :
- Déficit fonctionnel temporaire : 14.676,75 euros
- Souffrances endurées : 40.000,00 euros
- Préjudice esthétique temporaire : 2.000,00 euros
- Préjudice esthétique permanent : 5.000,00 euros
- Déficit fonctionnel permanent : 37.500,00 euros
- Préjudice d’agrément : 10.000,00 euros
- Préjudice sexuel : 15.000,00 euros
- Préjudice d’établissement : 10.000,00 euros
- Préjudice d’angoisse de mort imminente : 60.000,00 euros
- Préjudice exceptionnel spécifique des victimes de terrorisme : 80.000,00 euros
ALLOUER à Madame [U] en sa qualité de victime par ricochet de Monsieur [X], la somme de 15.000 euros au titre de son préjudice d’affection.
RAPPELER que les condamnations seront assorties des intérêts au taux légal.
ORDONNER la capitalisation des intérêts dus pour une année entière à compter de la date du présent mémoire,
DÉBOUTER le FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET AUTRES INFRACTIONS de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions.
ALLOUER à Monsieur [B] [X] et Madame [J] [U] la somme de 10.173,20 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
DÉCLARER la décision commune et opposable aux organismes sociaux».
***
Par conclusions signifiées par voie électronique le 10 octobre 2023, auxquelles il est expressément référé conformément à l’article 455 du code de procédure civile, le fonds de garantie demande au tribunal de :
«Indemniser Monsieur [B] [X] en fixant les indemnités suivantes :
- Frais divers : 5.300 €
- Présence humaine : 604,50 €
- Perte de gains professionnels actuelle : 6.998 €
- Perte de gains professionnels future : REJET
- Incidence professionnelle : REJET
- Déficit fonctionnel temporaire : 8.146 €
- Souffrances endurées : 30.000 €
- Préjudice d’angoisse : 10.000 €
- Déficit fonctionnel permanent : 31.350 €
- Préjudice d’agrément : REJET
- Préjudice sexuel : 5.000 €
- Préjudice d’établissement : REJET
Constater l’offre du Fonds de Garantie de payer à Monsieur [B] [X] :
- PESVT : 30.000 €,
Allouer à Monsieur [B] [X] la somme de 30.000 € au titre du PESVT.
- Préjudice d’affection : 5.000 €
- Préjudice d’attente et d’inquiétude : 6.000 €
Débouter Monsieur [B] [X] du surplus de ses demandes, plus amples ou contraires.
Déduire les provisions versées à Monsieur [B] [X] à hauteur de 85.610 €.
Indemniser Madame [J] [U] en fixant les indemnités suivantes:
- Frais divers : 6.500 € sous réserve
- Présence humaine : 3.488 €
- Déficit fonctionnel temporaire : 11.118,75 €
- Souffrances endurées : 35.000 €
- Préjudice d’angoisse : 20.000 €
- Déficit fonctionnel permanent : 31.350 €
- Préjudice esthétique temporaire : REJET
- Préjudice esthétique permanent : 3.600 €
- Préjudice d’agrément : REJET
- Préjudice sexuel : 5.000 €
- Préjudice d’établissement : REJET
Constater l’offre du Fonds de Garantie de payer à Madame [J] [U] :
- PESVT : 30 000 €,
Allouer à Madame [J] [U] la somme de 30 000 € au titre du PESVT.
- Préjudice d’affection : 3.000 €
Débouter Madame [J] [U] du surplus de ses demandes, plus amples ou contraires.
Déduire les provisions versées à Madame [J] [U] à hauteur de 30.000 €.
Laisser les dépens à la charge du Trésor public»
Postes de préjudice
DEMANDES
OFFRES
M. [X]
frais divers:
5300€
5.300€
tierce personne temporaire:
871€
604,50€
pertes de gains actuels:
39.763,53€
6.998€
perte de gains futurs:
729.967,07€
rejet
incidence professionnelle:
100 000€
rejet
déficit fonctionnel temporaire:
8.146,50€
8.146,50€
souffrances endurées: préjudice d’angoisse de mort:
35.000€ pour les souffrances
50.000€ pour l’angoisse de mort
30.000€ pour les souffrances endurées
10.000€ pour l’angoisse de mort
déficit fonctionnel permanent:
37.500€
31.350€
préjudice d’agrément:
10.000€
rejet
préjudice sexuel:
15.000€
5.000€
préjudice d’établissement:
10.000€
rejet
PESVT:
80.000€
30.000€
en tant que victime par ricochet:
* préjudice d’affection:
* préjudice d’attente et d’inquiétude:
15.000€
30.000€
5.000€
10.000€
ces sommes avec intérêts au taux légal et capitalisation annuelle à compter des dernières conclusions
Mme [U]:
frais divers:
6.500€
6.500€
tierce personne temporaire:
4.142€
3.488€
préjudice esthétique temporaire:
2.000€
rejet
préjudice esthétique définitif:
5.000€
3.600€
déficit fonctionnel temporaire:
14.676,75€
11.118,75€
souffrances endurées:
préjudice d’angoisse de mort:
40.000€
60.000€
35.000€
20.000€
déficit fonctionnel permanent:
37.500€
31.350€
préjudice d’agrément:
10.000€
rejet
préjudice sexuel:
15.000€
5.000€
préjudice d’établissement:
10.000€
rejet
PESVT:
80.000€
30.000€
en tant que victime par ricochet:
* préjudice d’affection:
15.000€
3.000€
article 700 du CPC:
10.173,20€
rejet
La CPAM de l’Indre, régulièrement assignée, n’a pas constitué avocat, la présente décision sera donc réputée contradictoire à l’égard de tous.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 janvier 2024, l’affaire a été appelée à l’audience de plaidoiries du 25 avril 2024, mise en délibéré au 20 juin 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
I- Sur le droit à indemnisation
Aux termes de l’article L126-1 du code des assurances, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou tout militaire, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3.
Selon l'article 421-1 du code pénal, "constituent des actes de terrorisme, lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, les infractions suivantes et notamment les atteintes volontaires à la vie, les atteintes à l'intégrité de la personne, l'enlèvement et la séquestration".
Il n’est pas contesté que M. [B] [X] et Mme [J] [U], qui se trouvaient dans [12] lors de l’acte terroriste, ont la qualité de victime au sens des articles précités.
II- Sur l'évaluation du préjudice de M. [B] [X]
Au vu de l'ensemble des éléments produits aux débats, le préjudice subi par M. [B] [X], né le [Date naissance 4] 1979, âgé de 29 ans lors des faits et de 32 ans à sa consolidation, sera réparé ainsi que suit.
Il sera utilisé le barème de capitalisation sollicité publié dans la Gazette du Palais du 31 octobre 2022, le mieux adapté aux données sociologiques et économiques actuelles, à savoir celui fondé sur les tables d'espérance de vie de 2017-2019 publiées par l'INSEE et sur un taux d’actualisation de référence de 0%.
Préjudices patrimoniaux
1. Dépenses de santé actuelles
La créance de la CPAM n’est pas communiquée. En tout état de cause, M. [B] [X] ne forme aucune demande à ce titre.
2. Tierce personne temporaire
Il convient d'indemniser les dépenses destinées à compenser les activités non professionnelles particulières qui ne peuvent être assumées par la victime directe durant sa maladie traumatique, comme l'assistance temporaire d'une tierce personne pour les besoins de la vie courante, étant rappelé que l’indemnisation s'entend en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée.
Le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être subordonné à la production de justificatifs des dépenses effectives.
Le docteur [K] a retenu un besoin «de 3 heures par jour durant la période de gêne temporaire partielle de classe IV (du 13 novembre au 20 novembre 2015), à 2 heures de manière hebdomadaire, pendant la période de gêne temporaire partielle de classe III, Monsieur [X] ayant été assisté par ses proches, notamment par son frère, pour la réalisation de certaines tâches domestiques et ménagères, certains déplacements, l’entourage ayant assuré également une présence rassurante et affective».
Sur la base de 18 € de l’heure, adapté à la situation de la victime, il lui sera alloué :
43,6 heures x 18 € = 784,80 €
3. Perte de gains actuels
Il s'agit de compenser les répercussions de l'invalidité sur la sphère professionnelle de la victime jusqu'à la consolidation de son état de santé. L'évaluation de ces pertes de gains doit être effectuée in concreto au regard de la preuve d'une perte de revenus établie par la victime jusqu'au jour de sa consolidation.
M. [B] [X] expose qu’il percevait, en qualité de chauffeur poids lourds transportant des produits inflammables, un net annuel arrondi à 20.000 €, perte calculée sur ses revenus 2014 (19 595€). Il estime qu’il aurait dû percevoir la somme de 69.925,18 € actualisée au jour du jugement, en retenant une revalorisation basée sur le SMIC horaire- indice juillet 2023. De cette somme, il déduit 27.510,50 € correspondant aux salaires perçus de 2016 à 2018 et y ajoute la somme de 2.645,15 € d’indemnités journalières perçues du 16 novembre 2015 au 7 février 2016.
Le fonds de garantie offre la somme de 6.988 € prenant comme référence les revenus de l’année 2015, soit 18.120 €, qu’il compare aux revenus postérieurs, dont il déduit les aides au retour à l’emploi (soit 4.703 € en 2016, 7.976 € en 2017 et 5.045 € en 2018), soit une perte de 6.998€.
Sur ce,
M. [B] [X] a déclaré respectivement un net annuel de 19.595 € et 18.120€ selon avis d’imposition pour l’année 2014 et 2015, soit une moyenne de 18 857,50€, qui servira de salaire annuel de référence.
M. [B] [X] en sollicite la revalorisation pour tenir compte de la progression salariale indexée sur l’indice des prix à la consommation hors tabac de juillet 2023, qui ne correspond cependant pas nécessairement à l’évolution moyenne des salaires de l’époque. Il n’y sera pas fait droit sur la période concernée du 13 novembre 2015 au 7 novembre 2018.
Selon l’article R.422-8 du code des assurances “l’offre d’indemnisation des dommages résultant d’une atteinte à la personne faite à la victime d’un acte de terrorisme indique l’évaluation retenue par le fonds pour chaque chef de préjudice et le montant des indemnités qui reviennent à la victime compte tenu des prestations énumérées à l’article 20 de la loi du 5 juillet 1985 et des indemnités de toute nature reçues ou à recevoir d’autres débiteurs du chef du même préjudice”.
Il s’ensuit que l’allocation de retour à l’emploi versée à la victime par pôle emploi, qui constitue une prestation indemnitaire dès lors qu’elle répare pour partie les pertes de gains, s’agissant d’un revenu de remplacement versé par l’assurance-chômage , doit être déduite de la somme à revenir à M. [B] [X].
Ce dernier a perçu les sommes suivantes, salaires et chômage inclus :
- 2016: 14.215 €
- 2017: 15.337 €
- 2018: 17.810 € ramenés à 15 682,50 € jusqu’au 7 novembre 2018
soit la somme de 45.234,50 €
Dès lors, sa perte de gains s’établit ainsi que suit :
Il sera donc retenu un salaire de référence de 56 308,50€
(18 857,50€ x 2,986 ans = 56 308,50€)
Le calcul définitif étant :
56 308,50€- 45.234,50 € - 2.645,15 € (IJ) = 8.428,85 € au titre de sa perte de gains actuels.
4. Perte de gains futurs
Il s'agit de compenser les répercussions de l'invalidité sur la sphère professionnelle de la victime à partir de la consolidation de son état de santé. L'évaluation de ces pertes de gains dits futurs doit être effectuée in concreto au regard de la preuve d'une perte de revenus établie par la victime, à compter de la date de la consolidation de son état de santé, le 7 novembre 2018.
M. [B] [X] expose et justifie avoir effectué sa carrière professionnelle dans des sociétés de transports de produits dangereux ainsi qu’au sein d’une entreprise de transports scolaires, à compter du 1er octobre 2017 jusqu’à l’attentat. A partir du 13 novembre 2015, il a été incapable de reprendre la même activité, a exercé différents métiers dans d’autres secteurs, entrecoupés de période de chômage (agent d’accueil dans un restaurant du 1er avril 2016 au 31 octobre 2016, agent d’entretien sur une base de plein air à mi-temps du 3 avril au 2 octobre 2017, conducteur de bus scolaire à mi-temps du 29 août au 31 décembre 2017, agent d’entretien du 14 mai au 30 juin 2018, intérimaire du 1er juillet au 31 août 2018, chauffeur poids lourd en CDI du 20 août 2018 à juillet 2019 dans la société TRICOCHE SOMEVIA, puis, de nouveau, chauffeur 2 jours par semaine à compter du 1er août 2020 chez TRICOCHE SOMEVIA, enfin, agent d’accueil dans un office de tourisme à temps partiel du 9 mai au 15 novembre 2022).
Il précise qu’il est au chômage depuis le 20 décembre 2022.
Il produit plusieurs témoignages de personnes l’ayant côtoyé dans ces différentes entreprises, qui attestent de sa fragilité au travail. Il fait valoir que ses possibilités de gains sont ainsi réduites.
Pour évaluer son préjudice, il prend comme référence la somme annuelle de 19.861 €, actualisée à 23.256 € en 2023, correspondant à la moyenne de ses salaires de 2014 et de 2015. Il calcule sa perte comme suit :
- du 7/11/ 2018 au 30/3/2024 : 64,20 mois x 1.938 € = 124.419,60 €
Revenus perçus jusqu’au jour de l’audience : 59.375,50 € (2127,50 € en 2018, 18.230 € en 2019, 9.548 € en 2020, 14.418 € en 2021, 15.052€ en 2022)
Soit une perte de 65.044,10 € (124.419,60 € - 59.375,50 €)
- à compter du 1er avril 2024 :
12.272,48 € par an x 54,180 = 664.922,97 €
Soit une perte totale de 729.967,07 €
Le fonds de garantie n’offre aucune somme. Il considère que le parcours professionnel de M. [B] [X] était instable avant l’attentat, qu’il a en fait repris son travail de chauffeur routier avant de l’abandonner de nouveau, mais que rien ne permet d’affirmer que cette situation a été dictée par des impératifs médicaux ou une inaptitude constatée par la médecine du travail.
La position du fonds de garantie n’est toutefois pas en cohérence avec les éléments objectifs du dossier ;
-étant établi qu’à compter de l’année 2007, M. [B] [X] a régulièrement travaillé pour le compte de sociétés de livraison de produits dangereux et qu’il n’était donc pas instable sur le plan professionnel ;
-qu’au vu des constatations du docteur [K], qui a conclu à un taux élevé de 15% sur le plan psychiatrique, il a été indiqué que seule une activité de chauffeur poids lourds à temps partiel avait pu être reprise ;
-qu’au vu des conclusions de Mme [W] :“les troubles neuropsychologiques et psychologiques constituent un préjudice professionnel en termes d’incapacité (travailler seul) et de limitation (fatigabilité)... Il est dans l’incapacité de reprendre son activité professionnelle antérieure”.
Au vu de ces éléments, il est établi que M. [B] [X] est bien fondé à solliciter l’examen de sa situation , au regard de la perte de gains professionnels futurs, le cas échéant, imputable de manière directe et certaine aux conséquences de l’attentat l’ayant contraint à des aléas professionnels justifiés par sa fragilité et son absence de formation antérieure.
La méthode présentée par M. [B] [X] pour évaluer ses pertes de gains futurs peut être validée en partie et il lui sera alloué, à partir d’un salaire de référence de 18.857,50€, actualisé à 21.759,08 € (ancien indice des prix INSEE- “ensemble des ménages hors tabac” au jour de la consolidation-103,14 /nouvel indice au jour de la liquidation-119,01) soit un salaire mensuel de référence de 1813,25€
- du 7/11/ 2018 au 30/3/2024 : 64,20 mois x 1813,25 € = 116 411,08€
- Revenus perçus jusqu’au jour de l’audience : 59.375,50 €
(2127,50 € en 2018, 18.230 € en 2019, 9.548 € en 2020, 14.418 € en 2021, 15.052€ en 2022)
Soit une perte de 57 035,57 € (116 411,08 € - 59.375,50 €)
- à compter du 1er avril 2024 (M. [B] [X] est alors âgé de 38 ans) et jusqu’à l’âge de 64 ans, correspondant à l’âge légal de la retraite:
10 761,43 € par an (57 033,57 €/5,3) x 24,937 = 268 357,77 €
Soit une perte totale de 325.393,34€
5. Incidence professionnelle
Ce poste d'indemnisation a pour objet d'indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle, ou de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu'elle exerçait avant le dommage au profit d'une autre qu'elle a du choisir en raison de la survenance de son handicap. Ce poste indemnise également la perte de retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap, c'est-à-dire le déficit de revenus futurs, estimé imputable à l'accident, qui va avoir une incidence sur le montant de la pension auquel pourra prétendre la victime au moment de sa prise de retraite.
M. [B] [X] fait valoir qu’il a dû abandonner son activité de chauffeur poids lourds transportant des produits inflammables et dangereux en raison de son angoisse, métier pour lequel il avait obtenu les diplômes nécessaires. Il expose que, par la suite, il a exercé différents emplois n’ayant aucun lien avec sa qualification initiale, avant de reprendre une activité de chauffeur poids lourds transportant des matières non dangereuses et à temps partiel. Il estime donc être dévalorisé sur le marché du travail réclamant la somme de 100.000€.
Le fonds de garantie réplique que la victime a repris son activité de chauffeur poids lourds en CDI, que, depuis le 20 août 2018, elle exerce une activité de chauffeur pour la société TRICOCHE SOMEVIA ayant ainsi stabilisé sa situation professionnelle pour conclure au rejet de sa demande.
Il peut être retenu, au vu notamment des attestations circonstanciées et pièces médicales versées, que M. [B] [X] ne peut plus exercer totalement le métier de son choix, que sa carrière professionnelle s’en est trouvée entravée, qu’à ce jour, il n’est pas établi qu’il ait repris une activité professionnelle de même nature et au même rythme en raison de sa fatigabilité et de ses angoisses, et ce, en lien avec le traumatisme résultant de l’attentat.
Il lui sera alloué, à titre de réparation, la somme de 30.000 €, l’incidence professionnelle étant caractérisée.
6. Frais divers
Il s’agit des frais autres que médicaux pris en charge par la victime. Par exemple, l'assistance de la victime lors des opérations d'expertise par un, ou des, médecin conseil en fonction de la complexité du dossier, en ce qu'elle permet l'égalité des armes entre les parties à un moment crucial du processus d'indemnisation, doit être prise en charge dans sa totalité.
M. [B] [X] réclame la somme de 5.300 € correspondant aux honoraires suivants :
- docteur [F], qui l’a assisté lors de l’expertise du docteur [K] : 2.000 €
- docteur [V] [I], qui l’a assisté lors de la seconde expertise du docteur [K] : 1.200 €
- Mme [W], qui a réalisé un bilan neuropsychologique et qui l’a assisté lors de la seconde expertise du docteur [K] : 2.100 €.
Le fonds de garantie indique qu’il ne s’oppose pas à la demande, et la somme de 5.300 € sera dès lors allouée.
Préjudices extra-patrimoniaux
A/ Préjudices extra-patrimoniaux avant consolidation
1. Déficit fonctionnel temporaire
Il inclut pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d’agrément, éventuellement le préjudice sexuel temporaire.
Le docteur [K] a retenu l’existence d’un déficit fonctionnel de:
- 75% du 13 au 20 novembre 2015
- 50% du 21 novembre 2015 au 7 février 2016
- 33% du 8 février 2016 au 8 février 2017
- 25% du 9 février 2017 au 7 novembre 2018
M. [B] [X] indique qu’il accepte l’offre du fonds de garantie à hauteur de 8.146 €.
2. Souffrances endurées
M. [B] [X] sollicite l’allocation d’une somme de 35.000 € et le Fonds de Garantie offre la somme de 30.000 €.
Les souffrances endurées sont évaluées à 5/7 par le docteur [K] compte tenu de l’importance du stress post traumatique et des contraintes thérapeutiques liées aux soins. Il est rappelé que M. [X] s’est retrouvé allongé dans la fosse du Bataclan avec sa compagne, qu’il a simulé la mort pour espérer ne pas être abattu et qu’il a réussi à s’enfuir sans savoir où se trouvait sa compagne. En conséquence de quoi il lui sera alloué la somme de 35.000 €.
3. Préjudice d’angoisse de mort imminente
Il est rappelé que ce préjudice se distingue des souffrances endurées et qu’il vise à réparer l’angoisse de la victime confrontée à un danger mortel et qui prend conscience de voir sa mort imminente.
En l’espèce, ce préjudice a été qualifié de majeur par le docteur [K].
M. [B] [X] s’est en effet retrouvé dans la fosse alors que les terroristes tiraient dans la foule et qu’autour de lui, des gens étaient tués ou blessés. Il a indiqué “après la première partie, on a entendu des bruits de pétards... Vous essayez de vous raisonner. J’ai vu des tués à bout portant. Jusqu’à un moment des cris, des douilles tombaient par terre. J’ai reconnu le bruit car j’ai été militaire”.
Il est réclamé la somme de 50.000 € en réparation de ce préjudice tandis que le fonds de garantie offre celle de 10.000 €, considérant que le requérant a pu s’échapper de la salle assez rapidement.
Le tribunal retient l’intensité de l’angoisse vécue par le requérant au regard des scènes effroyables entrevues et réparera ce préjudice à hauteur de 40.000 €.
B/ Préjudices extra-patrimoniaux après consolidation
1. Déficit fonctionnel permanent
Ce préjudice a pour composante les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, les douleurs qui persistent depuis la consolidation, la perte de la qualité de la vie et les troubles définitifs apportés à ces conditions d'existence.
Il est sollicité la somme de 37.500 € alors que Le fonds offre la somme de 31.350 €.
En l’espèce, la victime présente désormais des syndromes dépressifs d’évolution chronique associés à des symptômes post traumatiques que l’expert a justement évalués au taux de 15%.
M. [X] étant âgé de 32 ans lors de la consolidation de son état, il lui sera alloué une indemnité de 37.500 €, calculée sur la base d’une valeur de point de 2.500 €.
2. Préjudice sexuel
Ce poste de préjudice à vocation à indemniser :
-un préjudice morphologique lié à l'atteinte aux organes sexuels résultant du dommage subi,
-un préjudice lié à l'acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel (perte de l'envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l'acte sexuel, perte de la capacité à accéder au plaisir),
-un préjudice lié à une impossibilité ou difficulté à procréer.
M. [B] [X] sollicite de ce chef la somme de 15.000 €, tandis que le fonds de garantie offre celle de 5.000 €.
Le docteur [K] a conclu à une diminution de la libido et à des troubles fluctuants de l’érection, tout comme Mme [W], qui a relevé que l’état dépressif avait entraîné une baisse significative de la libido.
Au vu de ces constatations, la somme de 5.000 € réparera ce préjudice.
3. Préjudice d’agrément
Ce préjudice vise à réparer le préjudice spécifique “lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs”. Il indemnise également les limitations ou les difficultés à poursuivre ces activités.
Il est sollicité la somme de 10.000 €, le fonds de garantie conclut au rejet.
Le docteur [K] a retenu ce préjudice en ce qui concerne la reprise de la musculation en salle et la participation à des activités culturelles ou de loisirs faisant intervenir un grand nombre de personnes (cinéma, concerts, théâtre...). Le préjudice est donc caractérisé, notamment pour ce qui est des activités où une foule est regroupée, et sera réparé à hauteur de 2.000 €.
4. Préjudice d'établissement
Il s'agit d'indemniser la perte d'espoir et de chance normale de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap et de l'âge de la victime.
M. [B] [X] explique que l’attentat a bouleversé la vie du couple et les projets de vie familiale compte tenu de son état dépressif. Il ajoute avoir renoncé, avec sa compagne, à avoir un enfant, alors que tous les deux étaient jeunes et très actifs, que le couple au demeurant a connu des périodes de séparation. Le fonds de garantie fait observer que ni le docteur [K] ni le docteur [C] n’ont évoqué un tel préjudice, que, par ailleurs, en l’absence d’atteinte sexuelle, le requérant est à même de réaliser un projet familial.
Si M. [B] [X] a bien évoqué ses problèmes de couple devant l’expert, qu’il estime en lien avec l’attentat, il ne peut en être déduit que son couple et son projet de vie familiale sont objectivement entravés de manière inexorable. La demande sera par conséquent rejetée.
5. Préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme
Le poste des préjudices permanents exceptionnels indemnise des préjudices extra-patrimoniaux atypiques, directement liés au handicap permanent qui prend une résonance particulière pour certaines victimes en raison soit de leur personne, soit des circonstances et de la nature du fait dommageable, notamment de son caractère collectif pouvant exister lors de catastrophes naturelles ou industrielles ou d'attentats.
Il est sollicité la somme de 80.000 €, offert 30.000 €.
En l’espèce, l’acte de terrorisme du 13 novembre 2015 a été commis dans des circonstances particulières de volonté affirmée et revendiquée par les terroristes d’intimidation et de terreur d’une Nation entière afin de porter atteinte à l’Etat français et à ses citoyens dans leur ensemble. Ces faits dramatiques ont, en outre, eu une résonance importante dans l’opinion publique et dans les médias de façon durable.
Ces faits à la dimension nationale et même internationale causent à M. [B] [X] de manière permanente un préjudice moral exceptionnel lié au caractère collectif de l’acte subi, aux motivations de ses auteurs, à la médiatisation des faits et ont eu une résonnance particulière pour lui du fait de sa présence sur les lieux de l’attentat.
La somme de 30.000 € offerte par le Fonds sera retenue, le demandeur ne justifiant pas d’un préjudice exceptionnel spécifique qui n’aurait pas déjà été indemnisé à un autre titre.
Préjudices par ricochet
1. préjudice d’affection
M. [B] [X] fait valoir la dégradation de son couple, consécutive à l’attentat. Ilévoque la blessure de sa compagne à la cuisse droite et des moments très difficiles par la suite, chacun ne comprenant plus l’autre.
Ce préjudice n’est pas contestable et sera réparé à hauteur de 5.000 €.
2. Préjudice d’attente et d’inquiétude
La période d’attente entre le moment où les requérants ont eu connaissance de l’attentat et celui où ils ont eu des nouvelles de leurs proches est indéniablement source d'un traumatisme et d’une souffrance morale particulière. Ce préjudice ne se confond pas avec le préjudice d'affection lequel indemnise le préjudice moral subi par les proches à la suite du décès ou des blessures de la victime. Il ne se confond pas davantage avec le préjudice exceptionnel spécifique des victimes de terrorisme.
M. [B] [X] fait valoir que sa compagne n’a pu le suivre quand lui a pu s’échapper, que ce n’est qu’au bout de cinq heures qu’il a enfin été informé qu’elle était blessée mais en vie.
Il est demandé la somme de 30.000 €, offerte celle de 10.000 €. La somme de 10.000 € indemnisera équitablement ce préjudice.
III- Sur l'évaluation du préjudice de Mme [J] [U]
Au vu de l'ensemble des éléments produits aux débats, le préjudice subi par Mme [J] [U], née le [Date naissance 3] 1988, âgée de 27 ans lors des faits et de 31 ans à sa consolidation, sera réparé ainsi que suit.
Il sera utilisé le barème de capitalisation sollicité publié dans la Gazette du Palais du 31 octobre 2022, le mieux adapté aux données sociologiques et économiques actuelles, à savoir celui fondé sur les tables d'espérance de vie de 2017-2019 publiées par l'INSEE et sur un taux d’actualisation de référence de 0%.
Préjudices patrimoniaux
1. Dépenses de santé actuelles
La créance de l’organisme social n’est pas produite mais Mme [J] [U] ne forme aucune demande à ce titre.
2. Tierce personne temporaire
Il convient d'indemniser les dépenses destinées à compenser les activités non professionnelles particulières qui ne peuvent être assumées par la victime directe durant sa maladie traumatique, comme l'assistance temporaire d'une tierce personne pour les besoins de la vie courante, étant rappelé que l’indemnisation s'entend en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée. Le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être subordonné à la production de justificatifs des dépenses effectives.
Le docteur [K] a indiqué :
“Il a existé des besoins d’aide humaine lors du retour à domicile, que l’on peut estimer à environ 3 heures par jours pendant une période d’un mois, considérant alors l’assistance pour certains gestes de toilettes et d’habillage, la réalisation des tâches domestiques et ménagère, les déplacements à l’extérieur du lieu de vie.
Ces besoins ont diminué par la suite, pouvant être évalués à 2 heures par jour le mois suivant, du 21 décembre 2015 au 21 janvier 2016, date à laquelle l’intéressé a repris progressivement la conduite automobile. Les besoins d’aide ont par la suite été moins importants, pouvant être estimés sur la base de 4 heures de manière hebdomadaire, pour la réalisation des tâches domestiques et ménagères lourdes, pendant une période de 4 mois supplémentaire, soit du 22 janvier au 22 avril 2016".
Sur la base de 18 € de l’heure, adapté à la situation de la victime, il lui sera alloué :
- du 21/11 au 20/12 2015 : 30 jours x 3 heures x 18 € = 1.620 €
- du 21/12/2015 au 21/1/2016 : 32 jours x 2 heures x 18 € = 1.152 €
- du 22/1/2016 au 22/4/ 2016 : 11,57 semaines (et non pas 16 ou 17 semaines comme l’écrivent les parties) : 11,57 semaines x 4 heures x 18€ = 833,04 €
Soit 3.605,04 €
3. Frais divers
Il s’agit des frais autres que médicaux pris en charge par la victime. Par exemple, l'assistance de la victime lors des opérations d'expertise par un, ou des, médecin conseil en fonction de la complexité du dossier, en ce qu'elle permet l'égalité des armes entre les parties à un moment crucial du processus d'indemnisation, doit être prise en charge dans sa totalité.
Mme [J] [U] sollicite la somme de 6.500 € correspondant aux honoraires suivants :
- docteur [F], qui l’a assistée lors de l’expertise du docteur [K] : 2.000 €
- docteur [V] [I], qui l’a assistée lors de la deuxième expertise du docteur [K] : 1.200 €
- docteur [H], qui l’a assistée lors de la troisième expertise du docteur [K]: 2.000 €
- Mme [W], qui a réalisé un bilan neuropsychologique et qui l’a assistée lors de la seconde expertise du docteur [K]: 1.300 €.
Le fonds de garantie indique qu’il ne s’oppose pas à la demande. Il sera ainsi alloué la somme de 6.500 €.
Préjudices extra-patrimoniaux
A/ Préjudices extra-patrimoniaux avant consolidation
1. Déficit fonctionnel temporaire
Il inclut pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d’agrément, éventuellement le préjudice sexuel temporaire.
Le docteur [K] a retenu :
- Gène temporaire totale : du 13 au 20 novembre 2015.
- Gêne temporaire partielle de classe 3 : du 21 novembre 2015 au 21 janvier 2016.
- Gène temporaire partielle de classe 2 : du 22janvier 2016 au 31 janvier 2020.
Sur la base de 30 € par jour, adapté à la situation décrite, il sera dès lors alloué :
8 jours x 30 € = 240 €
214 jours x 30 € x 50% = 3.210 €
1319 jours x 30 € x 25% = 9892,50 €
Soit 13.342,50 €.
2. Souffrances endurées
Mme [J] [U] sollicite l’allocation d’une somme de 40.000 € et le fonds de Garantie offre la somme de 35.000 €.
Les souffrances endurées sont évaluées évaluées à 5,5/7 par le docteur [K] compte tenu de l’importance du stress post traumatique et des contraintes thérapeutiques liées aux soins. Il est rappelé que Mme [U] a présenté deux plaies à la cuisse droite ayant nécessité une hospitalisation et a dû utiliser deux cannes jusqu’à mi-janvier 2016 et que par la suite elle a manifesté une souffrance psychique qualifiée d’invalidante par Mme [W].
En conséquence de quoi, il lui sera alloué la somme de 40.000 €.
3. Préjudice d’angoisse de mort imminente
Il est rappelé que ce préjudice se distingue des souffrances endurées et qu’il vise à réparer l’angoisse de la victime confrontée à un danger mortel et qui prend conscience de voir sa mort imminente.
En l’espèce, ce préjudice a été qualifié de majeur par le docteur [K]. Mme [J] [U] s’est en effet retrouvée dans la fosse alors que les terroristes tiraient dans la foule et qu’autour d’elle, des gens étaient tués ou blessés. Elle n’a pu s’échapper comme son compagnon, recevant une balle dans la cuisse droite qui l’a obligée à simuler la mort pour tenter de se sauver.
Il est réclamé la somme de 60.000 € en réparation de ce préjudice tandis que le fonds de garantie offre celle de 20.000 €.
Le tribunal retient l’intensité de l’angoisse vécue par la requérante au regard des scènes effroyables entrevues, la vue de sa blessure en même temps qu’elle tentait de ne pas bouger pour éviter d’être tuée et réparera ce préjudice à hauteur de 60.000 €.
4. Préjudice esthétique temporaire
Il est sollicité par la requérante la somme de 2.000 €, alors que le fonds de garantie s’oppose à la demande dans la mesure où le docteur [K] ne mentionne pas ce préjudice. Cependant, Mme [J] [U] a été touchée par deux balles à la cuisse droite, elle a été hospitalisée et a dû utiliser deux cannes durant deux mois.
Ce préjudice est ainsi constitué et sera réparé à hauteur de 1.000 €.
B/ Préjudices extra-patrimoniaux après consolidation
1. Déficit fonctionnel permanent
Ce préjudice a pour composante les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, les douleurs qui persistent depuis la consolidation, la perte de la qualité de la vie et les troubles définitifs apportés à ces conditions d'existence.
Il est sollicité la somme de 37.500 € alors que le fonds offre la somme de 31.350 €.
En l’espèce, la victime présente désormais des syndromes dépressifs d’évolution chronique associés à des symptômes post traumatiques que l’expert a justement évalués au taux de 15%.
Mme [J] [U] étant âgée de 31 ans lors de la consolidation de son état, il lui sera alloué une indemnité de 37.500 € calculée sur la base d’une valeur de point de 2.500 €.
2. Préjudice sexuel
Ce poste de préjudice à vocation à indemniser :
-un préjudice morphologique lié à l'atteinte aux organes sexuels résultant du dommage subi,
-un préjudice lié à l'acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel (perte de l'envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l'acte sexuel, perte de la capacité à accéder au plaisir),
-un préjudice lié à une impossibilité ou difficulté à procréer.
Mme [J] [U] sollicite de ce chef la somme de 15.000 €, tandis que le fonds de garantie offre celle de 5.000 €. Le docteur [K] a conclu à une diminution de la libido et la requérante lui a indiqué qu’elle n’avait plus de désir ni de vie sexuelle depuis l’attentat.
Au vu de ces constatations, la somme de 5.000 € réparera ce préjudice.
3. Préjudice esthétique permanent
Le docteur [K] l’a quantifié à 2/7 en raison des cicatrices sur la cuisse droite, notamment la postérieure de 3cm de long sur 1cm de large “déprimée, pigmentée, bien visible, relativement disgracieuse”.
Mme [J] [U] sollicite la somme de 5.000 €. La somme de 3.600€, offerte par le fonds de garantie, indemnisera ce préjudice.
4. Préjudice d’agrément
Ce préjudice vise à réparer le préjudice spécifique “lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs”. Il indemnise également les limitations ou les difficultés à poursuivre ces activités.
Il est sollicité la somme de 10.000 €, le fonds de garantie conclut au rejet, en l’absence de justificatifs.
Le docteur [K] a retenu ce préjudice en ce qui concerne la difficulté à participer à des activités culturelles ou de loisirs en présence d’une foule. Le préjudice est donc caractérisé, notamment pour ce qui est des activités où une foule est regroupée, et sera réparé à hauteur de 2.000€.
5. Préjudice d'établissement
Il s'agit d'indemniser la perte d'espoir et de chance normale de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap et de l'âge de la victime.
Mme [J] [U] expose que l’attentat a bouleversé la vie du couple et les projets de vie familiale compte tenu de son état dépressif. Elle ajoute qu’elle a renoncé à avoir un enfant «dans un monde où l’on se fait fusiller lorsqu’on est au concert».
Le fonds de garantie fait observer que ni le docteur [K] ni le docteur [C] n’ont évoqué un tel préjudice tandis qu’en l’absence d’atteinte sexuelle, la requérante est à même de réaliser un projet familial.
Si Mme [J] [U] a bien évoqué ces difficultés devant le docteur [C], qu’elle estime en lien avec l’attentat, il ne peut en être tiré comme conclusion que son couple et son projet de vie familiale sont objectivement entravés de manière inexorable. La demande sera par conséquent rejetée.
6. Préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme
Le poste des préjudices permanents exceptionnels indemnise des préjudices extra-patrimoniaux atypiques, directement liés au handicap permanent qui prend une résonance particulière pour certaines victimes en raison soit de leur personne, soit des circonstances et de la nature du fait dommageable, notamment de son caractère collectif pouvant exister lors de catastrophes naturelles ou industrielles ou d'attentats.
Il est sollicité la somme de 80.000 €, offert 30.000 €.
En l’espèce, l’acte de terrorisme du 13 novembre 2015 a été commis dans des circonstances particulières de volonté affirmée et revendiquée par les terroristes d’intimidation et de terreur d’une Nation entière afin de porter atteinte à l’Etat français et à ses citoyens dans leur ensemble. Ces faits dramatiques ont, en outre, eu une résonance importante dans l’opinion publique et dans les médias de façon durable.
Ces faits à la dimension nationale et même internationale causent à Mme [J] [U], de manière permanente, un préjudice moral exceptionnel lié au caractère collectif de l’acte subi, aux motivations de ses auteurs, à la médiatisation des faits et ont eu une résonnance particulière pour elle du fait de sa présence sur les lieux de l’attentat.
La somme de 30.000 € offerte par le Fonds sera donc retenue, Mme [J] [U] ne justifiant pas d’un préjudice exceptionnel spécifique qui n’aurait pas déjà été indemnisé à un autre titre.
Préjudices par ricochet
Préjudice d’affection
Mme [J] [U] fait valoir la dégradation de son couple, consécutive à l’attentat. Elle évoque son désarroi devant la perte d’élan vital de son conjoint. Ce préjudice n’est pas contestable et sera réparé à hauteur de 5.000 €.
IV- SUR LES AUTRES DEMANDES
Les sommes allouées produiront intérêts à compter du présent jugement.
De droit, la capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions prévues à l’article 1343-2 du code civil.
Si les requérants peuvent bénéficier, de droit, de l’aide juridictionnelle totale en leur qualité de victime de terrorisme, ils ne sont pas tenus de demander à bénéficier de ce droit.
Il convient, en conséquence, de leur allouer la somme de 2.500 € au titre des frais et honoraires non compris dans les dépens.
Rien ne justifie d'écarter l'exécution provisoire dont la présente décision bénéficie de droit, conformément aux dispositions des articles 514 et 514-1 du code de procédure civile, s'agissant en effet d'une instance introduite après le 1er janvier 2020.
Le fonds de garantie, partie succombante, sera condamné aux dépens.
PAR CES MOTIFS
Le tribunal statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire mis à disposition au greffe et en premier ressort,
Dit que M.[B] [X] et Mme [J] [U] ont été victimes d’un acte de terrorisme le 13 novembre 2015 et qu’il relève des dispositions des articles L126-1 et L422-1 et suivants du code des assurances ;
Condamne le Fonds de Garantie des victimes d'actes de Terrorisme et d'autres Infractions à payer à M. [B] [X] les sommes suivantes en réparation de son préjudice corporel, provisions non déduites:
- 5.300 € au titre des frais divers
- 784,80 € au titre de la tierce personne temporaire
- 8.146 € au titre du déficit fonctionnel temporaire
- 8.428,85 € au titre des pertes de gains actuels
- 325 393,34€ € au titre des pertes de gains futurs
- 30.000 € au titre de l’incidence profesionnelle
- 35.000 € au titre des souffrances endurées
- 40.000 € au titre du préjudice d’angoisse de mort imminente
- 37.500 € au titre du déficit fonctionnel permanent
- 2.000 € au titre du préjudice d’agrément
- 5.000 € au titre du préjudice sexuel
- 30.000 € au titre du préjudice exceptionnel des actes de victime de terrorisme ;
- 5.000 € au titre de son préjudice d’affection
- 10.000 € au titre du préjudice d’attente et d’inquiétude.
Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de ce jour;
Dit que les sommes allouées produiront intérêts dans les conditions prévues à l’article 1343-2 du code civil
Condamne le Fonds de Garantie des victimes d'actes de Terrorisme et d'autres Infractions à payer à Mme [J] [U] les sommes suivantes en réparation de son préjudice corporel, provisions non déduites:
- 6.500 € au titre des frais divers
- 3.605,04 € au titre de la tierce personne temporaire
- 13.342,50 € au titre du déficit fonctionnel temporaire
- 1.000 € au titre du préjudice esthétique temporaire
- 40.000 € au titre des souffrances endurées
- 60.000 € au titre du préjudice d’angoisse de mort imminente
- 37.500 € au titre du déficit fonctionnel permanent
- 3.600 € au titre du préjudice esthétique définitif
- 2.000 € au titre du préjudice d’agrément
- 5.000 € au titre du préjudice sexuel
- 30.000 € au titre du préjudice exceptionnel des actes de victime de terrorisme ;
- 5.000 € au titre de son préjudice d’affection.
Dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de ce jour;
Dit que les sommes allouées produiront intérêts dans les conditions prévues à l’article 1343-2 du code civil ;
Déboute M. [B] [X] et Mme [J] [U] de leurs autres demandes plus amples ou contraires ;
Condamne le fonds de garantie à payer à M. [B] [X] et à Mme [J] [U] la somme globale de 2.500 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Ordonne l’exécution provisoire du présent jugement ;
Condamne le fonds de garantie aux dépens de l'instance.
Fait et jugé à Paris le 20 Juin 2024
La GreffièreLa Présidente