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20/06/2024 | FRANCE | N°20/05190

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 18° chambre 2ème section, 20 juin 2024, 20/05190


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
C.C.C.
délivrées le :
à Me CHOLAY (B0242)
Me BERLEAND (D0212)




18° chambre
2ème section


N° RG 20/05190

N° Portalis 352J-W-B7E-CSGPD

N° MINUTE : 3


Assignation du :
19 Juin 2020







JUGEMENT
rendu le 20 Juin 2024




DEMANDERESSE

S.E.L.A.R.L. PHARMACIE [B] (RCS de Paris 810 281 063)
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Me Martine CHOLAY, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vesti

aire #B0242, Me Jérôme HABOZIT, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant




DÉFENDERESSE

Madame [X] [G]
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représentée par Me Philippe BERLEAND, avocat au barreau de PA...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
C.C.C.
délivrées le :
à Me CHOLAY (B0242)
Me BERLEAND (D0212)

18° chambre
2ème section

N° RG 20/05190

N° Portalis 352J-W-B7E-CSGPD

N° MINUTE : 3

Assignation du :
19 Juin 2020

JUGEMENT
rendu le 20 Juin 2024

DEMANDERESSE

S.E.L.A.R.L. PHARMACIE [B] (RCS de Paris 810 281 063)
[Adresse 1]
[Adresse 1]

représentée par Me Martine CHOLAY, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #B0242, Me Jérôme HABOZIT, avocat au barreau de LYON, avocat plaidant

DÉFENDERESSE

Madame [X] [G]
[Adresse 2]
[Adresse 2]

représentée par Me Philippe BERLEAND, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #D0212

Décision du 20 Juin 2024
18° chambre 2ème section
N° RG 20/05190 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSGPD

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Lucie FONTANELLA, Vice-présidente
Maïa ESCRIVE, Vice-présidente
Cédric KOSSO-VANLATHEM, Juge

assistés de Henriette DURO, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 07 Mars 2024 tenue en audience publique devant Lucie FONTANELLA, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile.

Après clôture des débats, avis a été donné aux avocats, que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2024 prorogé au 20 Juin 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement
Contradictoire
En premier ressort
_________________

EXPOSÉ DU LITIGE

Selon actes sous seing privé des 06 janvier et 31 mars 2015, Madame [X] [G] a vendu à la S.E.L.A.R.L. PHARMACIE [B] une officine de pharmacie sise [Adresse 1], pour un prix de 700 000 € se composant comme suit :
-695 000 € au titre des biens incorporels,
-5 000 € au titre des biens corporels.

Il a également été convenu que la cessionnaire paierait le prix des marchandises existant dans l'officine au moment de la reprise, dont inventaire a été fait le 31 mars 2015 et dont le montant a été fixé à 52 220,98 € HT, payable en quatre échéances trimestrielles égales et à terme échu, le premier paiement devant intervenir trois mois après l'entrée en jouissance.

La cessionnaire a payé la première de ces échéances mais a refusé de payer les suivantes, considérant que la cédante lui devait une indemnisation pour un préjudice résultant de déclarations inexactes lors de la vente de l'officine.

Dans une plainte auprès du conseil de l'ordre des pharmaciens de Paris datée du 30 mars 2016, sa gérante, Madame [B], exposait :
-que le prix d'acquisition de la pharmacie correspondait à 84% du chiffre d'affaires TTC généré, la venderesse y ayant déclaré le chiffre d'affaire réalisé les trois dernières années,
-que l'acte de cession contenait des déclarations de la cédante selon lesquelles :
" les chiffres d'affaires ont été réalisés dans le respect des règles déontologiques de la profession, en l'absence de toute fourniture à une collectivité quelconque, exclusivement par la vente au détail, dans les locaux de l'officine de pharmacie, par prélèvement sur le stock, pour l'usage personnel des acheteurs et non dans un but d'exportation, et sans aucune rétrocession à qui que ce soit sauf quantités infimes et qu'en tout état de cause, ces éventuelles rétrocessions sont en diminution des achats et non en vente. "
" D'une façon générale, il ne délivre aucun produit dont le mode de délivrance et la nature sont en contradiction avec le code de la santé publique et les règles en vigueur régissant l'exercice de la pharmacie d'officine et qu'aucune infraction pénale à sa connaissance y compris envers les CPAM et mutuelles n'a jamais été commise dans l'officine objet des présentes. "
-qu'elle avait constaté dès la prise de possession de l'officine le 1er avril 2015 une chute du chiffre d'affaires de 17,3%, alors que le prévisionnel prévoyait une progression de +8% et que le nombre de clients augmentait depuis le changement de direction,
-qu'en examinant l'historique des délivrances du 1er janvier 2014 au 30 avril 2015, elle a constaté, d'une part, que la cédante avait délivré des " produits listés " (notamment des hypnotiques et anxiolytiques, dont elle donnait une liste de sept noms) sans ordonnance à des clients réguliers et à une clientèle de passage, d'autre part, qu'elle avait pratiqué une surfacturation sur plusieurs mois, en facturant plus de produits médicamenteux que l'ordonnance médicale ou les préconisations d'usage ne le prévoyaient à des clients, dont elle donnait une liste de cinq noms, et, enfin, qu'elle n'avait pas respecté la règle du tiers-payant contre générique,
-que selon son expert-comptable, son préjudice s'élevait, a minima, à 92 462 € et que si elle avait été avertie des pratiques de la venderesse, elle n'aurait pas acquis le fonds de commerce,
-que Madame [X] [G] s'était donc livrée à des pratiques de délivrance contraires aux dispositions du code de la santé publique et avait manqué à l'obligation de loyauté entre pharmaciens en lui déclarant que le chiffre d'affaires généré par la pharmacie avait été réalisé conformément aux règles déontologiques alors qu'une partie substantielle de ce chiffre d'affaires avait été réalisée de manière illicite et ne pourrait être reproduite.

Madame [X] [G] a assigné la S.E.L.A.R.L. PHARMACIE [B] devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris afin de paiement des échéances impayées sur le prix d'acquisition du stock et de sommes réglées à la société LIXXBAIL dans le cadre d'un contrat de crédit-bail dont la reprise par la cessionnaire était prévue par l'acte de cession de la pharmacie ; par ordonnance du 09 février 2017, le président du tribunal de commerce s'est déclaré incompétent, au profit du tribunal de grande instance de Paris.

Par décision du 27 mai 2019, la chambre de discipline du conseil régional de l'ordre des pharmaciens a rejeté la plainte de madame [B], aux motifs, en premier lieu, que le comportement de madame [G] ne révélait aucun fait contraire à l'article R.4235-34 du code de la santé publique et que le litige d'ordre commercial entre les deux pharmaciennes ne relevait pas de sa compétence, et, en second lieu, que les documents produits au soutien de ladite plainte ne démontraient aucune surfacturation de médicaments ou délivrance sans ordonnance.

Madame [X] [G] a réassigné la S.E.L.A.R.L. PHARMACIE [B] devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris qui, par ordonnance du 16 juillet 2021, a condamné cette dernière à payer à la demanderesse une provision au titre du solde du prix de cession des marchandises en stock, mais a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande au titre de loyers et indemnités versés à la société LIXXBAIL, compte tenu d'une contestation sérieuse.

Entretemps, par acte du 19 juin 2020, la S.E.L.A.R.L. PHARMACIE [B] a assigné Madame [X] [G] devant le tribunal judiciaire de PARIS.

Par décision du 08 octobre 2021, la chambre de discipline du conseil national de l'ordre des pharmaciens, saisie d'un appel interjeté contre la décision du 27 mai 2019, a infirmé celle-ci en prononçant une sanction d'avertissement à l'encontre de Madame [X] [G], motifs pris de la délivrance de médicaments sans ordonnance, étant démontré que des dizaines de boîtes de médicaments avaient été délivrées sans identification des patients et médecins prescripteurs, ainsi que d'une surfacturation, reconnue pour une ordonnance d'Exforge, le grief d'un manquement à la confraternité n'étant en revanche pas retenu.

Par ordonnance du 06 septembre 2002, le juge de la mise en état a rejeté la demande de désignation d'un expert afin d'analyser la comptabilité de la pharmacie lors des quatre exercices précédant la vente litigieuse et de déterminer les chiffres d'affaires générés par la vente des médicaments délivrés sans prescription médicale, le volume du chiffre d'affaires de ventes accessoires qui aurait pu être généré par la même clientèle sur ces périodes, si ces constatations ont eu une incidence sur les chiffres d'affaires, les résultats d'exploitation et le taux de marge indiqués aux bilans pour les trois exercices visés à l'acte de vente et pour le bilan de clôture avant cession au 31 mars 2015, dans l'affirmative, rétablir, sans tenir compte des chiffres d'affaires générés par les pratiques illicites, le résultat d'exploitation et le taux de marge du fonds de commerce de l'officine cédée, en conséquence déterminer sa valeur réelle au jour de la cession et donner tous éléments d'appréciation des différents préjudices qui pourraient avoir été subis par la cessionnaire, d'une manière plus générale de faire toutes constatations utiles à la solution du litige.

Dans ses dernières écritures du 14 novembre 2022, la S.E.L.A.R.L. PHARMACIE [B] sollicite du tribunal :
À titre principal,
-de juger que son consentement a été vicié par un dol,
-de condamner la défenderesse à lui payer :
*une indemnité de 114 913 € en réparation du préjudice résultant de la surévaluation du prix de vente de l'officine de pharmacie,
*une indemnité de 42 353 € en réparation du préjudice lié à la baisse d'activité postérieure à la cession,
À titre subsidiaire, de désigner un expert judiciaire avec pour mission :
-d'analyser la comptabilité de la pharmacie lors des quatre exercices précédant la vente litigieuse,
-de déterminer les chiffres d'affaires générés par la vente des médicaments délivrés sans prescription médicale,
-de déterminer le volume du chiffre d'affaires de ventes accessoires qui aurait pu être généré par la même clientèle sur ces périodes,
-de déterminer si ces constatations ont eu une incidence sur les chiffres d'affaires, les résultats d'exploitation et le taux de marge indiqués aux bilans pour les trois exercices visés à l'acte de vente et pour le bilan de clôture avant cession au 31 mars 2015,
-dans l'affirmative, de rétablir, sans tenir compte des chiffres d'affaires générés par les pratiques illicites, le résultat d'exploitation et le taux de marge du fonds de commerce de l'officine cédée, en conséquence déterminer sa valeur réelle au jour de la cession et donner tous éléments d'appréciation des différents préjudices qui pourraient avoir été subis par la cessionnaire, d'une manière plus générale de faire toutes constatations utiles à la solution du litige,
En tout état de cause,
-de condamner la défenderesse à lui payer une somme de 5 000 € au titre de ses frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières écritures du 14 novembre 2021, Madame [X] [G] sollicite du tribunal :
-de débouter la demanderesse de l'ensemble de ses prétentions,
-reconventionnellement, de la condamner à lui payer :
*une somme de 10 405,14 € correspondant aux loyers impayés et à l'indemnité de résiliation dus à la société LIXXBAIL,
*une somme de 104,05 € au titre de la clause pénale,
*une indemnité forfaitaire de 40 € en application du décret n°2012-1115 du 02 octobre 2012,
*outre la capitalisation des intérêts,
-la condamnation de la demanderesse à lui payer une somme de 3 000 € au titre de ses frais irrépétibles, ainsi qu'aux dépens,
-d'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

L'ordonnance de clôture de la mise en état a été rendue le 12 avril 2023, l'affaire renvoyée à l'audience de plaidoiries du 07 mars 2024 et mise en délibéré au 06 juin 2024, prorogé au 20 juin 2024.

Pour un exposé exhaustif des prétentions des parties, le tribunal se réfère expressément à leurs écritures par application de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L'article 9 de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, prévoit que ses dispositions entreront en vigueur le 1er octobre 2016, les contrats conclus avant cette date demeurant soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public.

La cession litigieuse étant en l'espèce datée des 06 janvier et 31 mars 2015, soit antérieurement à l'entrée en vigueur, le 1er octobre 2016, des nouveaux textes du code civil issus de l'ordonnance du 10 février 2016, il convient de faire application des articles du dit code dans leur version antérieure.

Sur la demande d'indemnisation pour dol

La demanderesse soutient, à l'appui de sa demande à ce titre, que les déclarations de la venderesse dans l'acte de cession, relatives au chiffre d'affaires du dernier exercice à partir duquel le prix de vente de la pharmacie est calculé, se sont révélées mensongères puisqu'ils n'ont pas été réalisés dans le respect des règles déontologiques de la profession et du code de la santé publique, l'historique des ventes de certains médicaments sur la période du 1er janvier 2011 au 30 avril 2015 démontrant la vente de plusieurs centaines de boîtes de médicaments sans ordonnance, alors qu'ils ne pouvaient être vendus que sur prescription, étant précisé qu'elle a limité ses recherches aux produits les plus dangereux, soumis à la réglementation la plus stricte.

Elle considère que la défenderesse lui a dissimulé volontairement ces ventes qui ont permis d'augmenter le chiffre d'affaires ainsi que le taux de marge que l'officine avait la capacité de générer, en attirant et en fidélisant une clientèle cherchant à s'approvisionner illégalement, et, par conséquent, de surévaluer artificiellement le prix de cession du fonds, manquant à ses obligations de loyauté et d'information pré-contractuelle, elle-même n'étant pas en mesure de déceler ces pratiques à la simple remise des documents comptables de la pharmacie et ne les ayant découvertes qu'après la vente, lorsque le fonds s'est révélé inapte à générer le résultat attendu et qu'elle a fait des investigations approfondies dans le logiciel de gestion interne de la pharmacie.

Elle conclut que cela a entraîné une erreur déterminante de son consentement à l'achat puisque si elle avait été informée de ces pratiques illégales, elle n'aurait pas acquis le fonds, ou à un moindre prix et qu'ayant refusé de faire de même, alors qu'elle a poursuivi l'activité dans les quatre mois suivant la vente dans les mêmes conditions, le chiffre d'affaires a baissé de 16,5%, lui causant des préjudices correspondant au paiement d'un prix d'achat surévalué d'autant ainsi qu'à une perte de marge brute réalisée, dans les mêmes proportions, auprès de la clientèle à laquelle elle a refusé les délivrances irrégulières.
Décision du 20 Juin 2024
18° chambre 2ème section
N° RG 20/05190 - N° Portalis 352J-W-B7E-CSGPD

La défenderesse réplique que la baisse du chiffre d'affaires après l'acquisition de la pharmacie résulte, en plus d'une conjoncture économique défavorable à l'époque, d'une désorientation de la clientèle, habituée à une pharmacienne présente depuis vingt ans qui connaissait bien tous ses patients, la jeune pharmacienne, peu expérimentée, ayant changé toute l'organisation de la pharmacie, dans son apparence en réalisant des travaux dès son arrivée, et dans l'accueil des clients.

Elle conteste toute tromperie, indiquant avoir donné toute sa comptabilité à son successeur, qui a pu remonter quatre années en arrière, que les " anomalies " de délivrance, qui constituent des dépannages ou des facilités pour sa famille ou des clients qu'elle connaissait bien pour assurer une continuité de soins, n'ont eu aucune incidence sur le chiffre d'affaires de l'officine, dont la baisse dans les quelques mois suivant la vente peut résulter d'autres facteurs et n'est pas représentative, compte tenu d'une régression des chiffres d'affaires dans le quartier, et alors qu'elle a nettement progressé les années suivantes.

L'ancien article 1116 du code civil, dans sa version applicable en l'espèce, dispose que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles qu'il est évident que sans ces manœuvres l'autre partie n'aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé.

Le dol peut résulter de manœuvres ou de mensonges, mais également de la dissimulation intentionnelle par une partie d'une information dont elle connaît le caractère déterminant pour l'autre.

Le dol ne se présume pas et n'est caractérisé que lorsque quatre conditions cumulatives sont réunies :
- un dol matérialisé par des manœuvres, mensonges ou réticences,
- émanant du futur cocontractant,
- une intention de tromper,
- la provocation d'une erreur déterminante du consentement de l'autre partie.

La demanderesse, qui fait valoir que la cédante l'a volontairement trompée sur le chiffre d'affaires de la pharmacie, et donc sur son prix, en omettant de l'informer sur des ventes irrégulières de médicaments, qui ont généré une surévaluation artificielle du prix de cession, puis entraîné une baisse de son chiffre d'affaires lorsqu'elle a refusé de perpétuer cette pratique, produit notamment aux débats :
-des listes (extraites du logiciel de la pharmacie) de médicaments délivrés de janvier 2011 à mars 2015, mentionnant le nom des produits, leur prix unitaire, la quantité vendue, le nom du patient ainsi que celui du médecin prescripteur, sur lesquelles apparaissent des ventes de centaines de boîtes de médicaments sans ordonnance,
-une lettre de son expert comptable, JOYCE S.A., du 16 juillet 2015, observant une baisse du chiffre d'affaires de la pharmacie, du 1er avril au 30 juin 2015 (151 475 € TTC), de 17,31% par rapport à son chiffre d'affaires du 1er avril au 30 juin 2014 (183 186 € TTC), " alors que sur cette période la baisse de la profession est estimée au niveau de 4% ",
-la plainte qu'elle a déposée auprès du conseil de l'ordre des pharmaciens et l'acte d'appel contre la décision de première instance, dénonçant des délivrances de médicaments sans ordonnance, mais aussi une surfacturation à cinq clients et un exemple de non-respect de la règle de tiers-payant contre générique,
-des éléments démontrant sa situation comptable et financière,
-une étude INTERFIMO Édition 2021 du prix de cession des pharmacies évoquant notamment une évolution du chiffre d'affaires des pharmacies de 0% entre 2014 et 2015,
-la décision de la chambre de discipline du Conseil national de l'ordre des pharmaciens du 08 octobre 2021 qui a prononcé un avertissement après avoir constaté la délivrance de médicaments sans ordonnance et une surfacturation reconnue par l'ancienne pharmacienne.

Le tribunal relève que la défenderesse ne conteste pas la réalité des ventes sans ordonnance ou des surfacturations.

En outre, la déclaration de la cédante dans l'acte de vente selon laquelle elle n'a procédé à aucune délivrance de produit " en contradiction avec le code de la santé publique et les règles en vigueur régissant l'exercice de la pharmacie d'officine " est nécessairement mensongère.

Néanmoins, pour que le dol soit caractérisé, il convient encore de rechercher si elle a, ainsi, intentionnellement trompé sa cocontractante et provoqué une erreur d'appréciation du chiffre d'affaires généré par la pharmacie dans des conditions de vente régulières, sans laquelle celle-ci n'aurait pas contracté dans les mêmes conditions.

Il convient au préalable de relever, s'agissant des griefs de surfacturation et de " non-respect de la règle de tiers-payant contre générique ", que ces faits, ne concernent que quelques patients et donc que les ventes correspondantes n'ont pu avoir d'influence sur l'appréciation du chiffre d'affaires de la pharmacie, qui était de l'ordre de 183 186 € TTC pour le deuxième trimestre 2014, les pièces y afférentes n'étant d'ailleurs pas communiquées par la demanderesse mais par la défenderesse.

Concernant les listes de vente de médicaments dont certains ont été vendus sans ordonnance, il y a lieu de rappeler que selon les articles 9 et 146 du code de procédure civile, il incombe à la demanderesse de fournir tous les éléments au soutien de ses prétentions, le tribunal ne pouvant ordonner une expertise pour suppléer sa carence dans la charge de la preuve pour justifier d'une tromperie et d'un préjudice en résultant.

Ainsi, il lui appartient de chiffrer, à partir des listes de médicaments vendus par son prédécesseur, toutes en sa possession, le chiffre d'affaires généré par les ventes irrégulières, afin de démontrer qu'elles représentent une part conséquente des ventes et du chiffre d'affaires, et que leur connaissance aurait remis en question l'appréciation de ce dernier.

Leur proportion par rapport au total des ventes ne saurait, comme elle entend le faire, se calculer à partir d'une comparaison du chiffre d'affaires réalisé sur les premiers mois suivant l'achat avec le chiffre d'affaires réalisé sur la même période l'année précédente.

Or, il est observé, à l'examen des listes de médicaments communiquées, qu'elles ne concernent que certains médicaments, et parfois de périodes courtes, pour certaines antérieures à l'année précédant la cession litigieuse, étant noté que si la demanderesse explique qu'elle n'a pas produit l'ensemble des éléments en sa possession, elle est censée avoir fourni les plus probants ; par exemple, la liste concernant le ZOLPIDEM ne porte que sur la période de janvier à avril 2015, celle du LEXOMIL la période de janvier à avril 2014, celle du CIALIS 5mg de février 2011 à juin 2014, le VIAGRA 50mg de mars 2011 à décembre 2012, le VIAGRA 100mg de janvier 2011 à avril 2013, le CIALIS 20mg de janvier 2011 à février 2014.

En outre, si ni la demanderesse, ni le tribunal, n'ont procédé au fastidieux calcul du nombre total de boîtes concernées et du chiffre d'affaires généré par ces ventes irrégulières, il est manifeste, à l'examen des listes produites, du prix de chaque boîte (la plupart se situant entre 2 € et 6 € seulement, à l'exception de quelques médicaments pour les troubles de l'érection, allant de 35 € à 119 €) et du chiffre d'affaires global de la pharmacie, supérieur à 150 000 € par trimestre, que, même si les délivrances sans ordonnance concernent des centaines de boîtes de médicaments, le chiffre d'affaires en résultant, qui est de l'ordre de plusieurs milliers d'euros sur trois ans, n'est pas significatif au regard de celui de la totalité des ventes de la pharmacie.

Dans ces conditions, il n'apparaît pas que les ventes de médicaments irrégulières ont représenté une part significative des ventes et que le chiffre d'affaires qu'elles ont généré est suffisamment conséquent pour que la défenderesse ait pu considérer qu'elle trompait la cessionnaire sur ledit chiffre d'affaires en ne l'alertant pas de leur existence.

La comparaison du chiffre d'affaires réalisé juste après la vente avec celui de la même période un an avant est d'autant moins pertinente que la baisse dont se plaint la demanderesse peut s'expliquer par d'autres facteurs, tels qu'une réaction de la clientèle aux changements dans la pharmacie (accueil différent, nouvelle pharmacienne) ou une baisse plus générale des chiffres d'affaires des pharmacies du secteur.

La défenderesse produit, à ce titre, diverses attestations de clients, notamment celles d'[Z] [C] du 13 juin 2016, de [F] [E] du 18 avril 2016, de [P] [U]-[CY] du 25 mars 2016, de [S] [J] du 23 mars 2016, de [A] [M] du 21 mars 2016, de [I] [K] du 30 avril 2016, de [W] [N] du 20 mars 2016, d'[O] [XI] du 19 avril 2016, de [L] [H] du 26 mars 2016 et de [R] [V], témoignant de la perte d'attrait de la pharmacie depuis qu'elle n'est plus gérée par madame [G], qui était particulièrement accueillante et à l'écoute.

Elle fournit également un éditorial INTERFIMO de mars 2016 évoquant, en 2015, une évolution du chiffre d'affaires des pharmacies " proche de zéro " mais aussi une stabilité apparente qui " recouvre des disparités très importantes entre pharmacies " et une attestation de [Y] [D] née [T], du 20 mars 2016, témoignant de ce que " Pharmacien titulaire d'une pharmacie à [Localité 3] ", son " chiffre d'affaires a baissé de 15 à 20% selon les mois depuis avril 2015. Cette baisse est due à la baisse du prix des médicaments, la fréquentation de la pharmacie n'ayant pas changé ".

Dans ces conditions, n'étant pas établi que la baisse du chiffre d'affaires effectivement réalisé par l'acquéreur est en lien avec une perte de clients attirés par des pratiques irrégulières auxquelles elle a mis fin, et ne trouve pas sa cause dans d'autres facteurs, l'erreur d'appréciation du chiffre d'affaires généré par la pharmacie dans des conditions de vente régulières, évoquée par la demanderesse, n'est pas caractérisée.

Par conséquent, à défaut de preuve, d'une part, de l'intention de la venderesse de tromper sa cocontractante et, d'autre part, de l'erreur évoquée par la demanderesse, il n'est pas justifié de la réunion des conditions du dol.

Il n'est pas davantage établi que le prix payé pour l'acquisition de la pharmacie ne correspond pas au prix réel du fonds ni que la différence entre le chiffre d'affaires effectivement généré par la demanderesse et celui produit à la même période un an plus tôt résulte de la perte de clients attirés par des pratiques irrégulières dont elle n'a pas été informée.

Dès lors, il n'est pas justifié du bien-fondé des demandes d'indemnisation de la S.E.L.A.R.L. PHARMACIE [B].

Il n'y a lieu de faire droit à la demande subsidiaire d'expertise, le tribunal, qui a déjà rappelé qu'il n'avait pas à suppléer la carence d'une partie dans la charge de la preuve, s'estimant en tout état de cause suffisamment éclairé par les pièces produites aux débats.

En conséquence, l'ensemble des demandes de la S.E.L.A.R.L. PHARMACIE [B] sera rejeté.

Sur la demande reconventionnelle de Madame [G]

Celle-ci réclame le remboursement d'une somme qu'elle a dû payer à la société LIXXBAIL au titre de loyers et indemnité de résiliation d'un contrat de crédit-bail, outre le paiement d'intérêts, d'une pénalité contractuelle et d'une indemnité forfaitaire, exposant que le juge des référés l'a déboutée de sa demande à ce titre.

Elle n'explique pas davantage cette prétention dans ses écritures, que le tribunal comprend à la lecture de l'ordonnance de référé du 16 juillet 2021, comme étant fondée sur une stipulation de l'acte du 06 janvier 2015 qui mentionne, au titre des déclarations du cédant, page 20 " qu'il existe différents contrats de gestion courante, conclus notamment avec les administrations et les services publics, ainsi que les contrats figurant en annexe qui seront repris et poursuivis par le cessionnaire. "

Le contrat LCL LEASING (LIXXBAIL) est mentionné dans l'" annexe 1 : contrats de location-crédit bail ".

La cessionnaire conteste devoir une quelconque somme à ce titre, faisant valoir que le matériel informatique objet du contrat de crédit-bail lui a été vendu, de sorte qu'elle n'a pas repris le contrat de crédit-bail, qu'il appartenait donc à la cédante de résilier, ainsi que de régler toute somme due de ce chef.

Force est effectivement de constater que la prévision d'une reprise du contrat de crédit-bail dans l'acte de cession est contredite par la clause " prix " qui indique qu'il porte, outre sur les éléments corporels, sur les " meubles, objets mobiliers, matériel, agencement et installation suivant état descriptif et estimatif ci-annexé " ; ledit état descriptif mentionnant un " Système Informatique : Dont : -Claviers -Écrans -Imprimantes -Unité Centrale -Scan -Lecteurs Carte Vitale -Lecteurs Code Barre ".

L'acte du 06 janvier 2015 stipule également que le fonds vendu est grevé d'une inscription au profit de LIXXBAIL pour l'opération de crédit-bail dont le cédant s'engage à obtenir mainlevée.

L'acte de cession comporte donc des stipulations contradictoires, qui prévoient à la fois la cession de la propriété du matériel informatique et la reprise du crédit-bail portant sur celui-ci.

Or le paiement d'un prix incluant les biens objets du crédit-bail emporte cession de ces éléments et a pour effet d'anéantir l'obligation de reprise dudit crédit-bail, à charge dès lors pour la cédante de supporter le coût de sa résiliation, étant prévu que le cédant doit " régler de ses deniers personnels le coût de la résiliation de tous contrats ayant pour objet la fourniture de services ou marchandises concernant l'exploitation du fonds qui ne serait pas repris par le cessionnaire ".

Dans ces conditions, les demandes reconventionnelles de la défenderesse, fondées sur un engagement de reprise du contrat de crédit-bail qui a été privé d'effet, seront rejetées.

Sur les demandes accessoires

Chacune des parties succombant en ses prétentions, il convient de leur laisser la charge définitive des dépens qu'elles ont exposés dans l'instance et de rejeter leurs demandes au titre de leurs frais irrépétibles.

Il est rappelé que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit, sans qu'il soit nécessaire d'en faire mention dans le dispositif de la décision.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,

DÉBOUTE la S.E.L.A.R.L. PHARMACIE [B] de l'ensemble de ses demandes,

DÉBOUTE Madame [X] [G] de l'ensemble de ses demandes,

DIT que chacune des parties gardera la charge définitive des dépens qu'elle a exposés dans la présente instance.

Fait et jugé à Paris le 20 Juin 2024

Le GreffierLe Président
Henriette DUROLucie FONTANELLA


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 18° chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 20/05190
Date de la décision : 20/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-20;20.05190 ?
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