TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
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N° RG 23/51766 - N° Portalis 352J-W-B7H-CZD5Z
N° : 3 - MD
Assignation du :
21 Février 2023
[1]
[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 19 juin 2024
par Anne-Charlotte MEIGNAN, Vice-Président au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Maude DEAUVERNE, Greffier.
DEMANDEURS
Madame [E] [M] épouse [B]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Monsieur [U] [B] (décédé)
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Maître Aracelli CERDA de la SELARL CERDA AVOCATS, avocats au barreau de PARIS - #B0788
DEFENDERESSE
Le syndicat des copropriétaires de l’immeuble situé [Adresse 2] représenté par son syndic en exercice, la société CIAD
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Maître Victor RIOTTE de l’AARPI EVEY AVOCATS, avocats au barreau de PARIS - #G0027
DÉBATS
A l’audience du 22 Mai 2024, tenue publiquement, présidée par Anne-Charlotte MEIGNAN, Vice-Président, assistée de Maude DEAUVERNE, Greffier,
Nous, Président,
Après avoir entendu les conseils des parties,
Madame [E] [M], épouse [B], et Monsieur [U] [B] étaient propriétaires, jusqu'au 8 novembre 2022, des lots 213 et 218, 215 et 220 au sein de l'immeuble sis [Adresse 2], soumis au statut de la copropriété.
Le syndicat des copropriétaires a, par deux actes d'huissier du 23 novembre 2022, formé opposition à la vente des lots 213 et 218 à hauteur de 2612,94€ et à la vente des lots 215 et 220 à hauteur de 1810,61€.
C'est dans ces conditions que par exploit délivré le 21 février 2023, Monsieur et Madame [B] ont fait citer le syndicat des copropriétaires du [Adresse 2], devant le président du tribunal judiciaire de Paris, statuant en référé, au visa de l'article 835 du code de procédure civile.
L'affaire a fait l'objet de plusieurs renvois à la demande des parties, [U] [B] étant décédé le 16 mai 2023.
A l'audience du 22 mai 2024, et dans le dernier état de ses prétentions, Madame [M], veuve [B], conclut au rejet des prétentions adverses et sollicite de :
- ordonner la mainlevée des deux oppositions formées par le défendeur par acte d'huissier du 23 novembre 2022, et en conséquence, déconsigner les fonds séquestrés de 4423,55€ entre les mains de la SELARL NOTAIRES [Localité 5] CENTRES,
- ordonner que la somme de 4423,55€ en ce compris les frais d'huissier lui soit restituée,
- condamner le défendeur à lui verser la somme de 4800€ au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'au paiement des dépens.
En réponse, le syndicat des copropriétaires conclut au rejet des prétentions adverses et sollicite de :
-condamner la requérante au paiement de la somme provisionnelle de 1649,68€ au titre des charges de copropriété impayées pour les lots 215 et 220, ainsi que les frais nécessaires de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965, soit la somme de 182,95€,
-la condamner au paiement de la somme de 2438,76€ par provision au titre des charges de copropriété impayées pour les lots 213 et 218, ainsi que la somme de 196,20€ au titre de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965,
-la condamner au paiement de la somme de 2000€ à titre de dommages et intérêts,
-la condamner à lui verser la somme de 2500€ au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens,
-ordonner l'anatocisme dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,
-autoriser l'étude NOTAIRES MONTMARTRE (HUMBERT-SIMEON-BAUDRY-PIFFAUT-LE BOURG DE LAGUERENNE-ASSENS-DUGERT) à libérer les fonds, soit la somme de 4088,44€ entre ses mains,
Conformément aux dispositions de l'article 446-1 du code de procédure civile, il convient de se référer à l'acte introductif d'instance, aux écritures et aux notes d'audience pour un plus ample exposé des faits et des moyens qui y sont contenus.
MOTIFS
Sur la demande de mainlevée de l'opposition
La demande est fondée sur les dispositions de l'article 835 du code de procédure civile, qui dispose que le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le trouble manifestement illicite s'entend de toute perturbation résultant d'un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit.
Il appartient au requérant de démontrer l'existence d'une illicéité du trouble et son caractère manifeste.
Si l'article 835 ne permet pas au juge des référés de prononcer la nullité de l'acte d'opposition, il ne lui interdit pas d'en examiner la régularité pour apprécier le caractère manifestement illicite ou non du trouble susceptible d'en résulter et statuer sur une demande de mainlevée de l'opposition.
L'article 20 de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis dispose que, lors de la mutation à titre onéreux d'un lot, et si le vendeur n'a pas présenté au notaire un certificat du syndic ayant moins d'un mois de date, attestant qu'il est libre de toute obligation à l'égard du syndicat, avis de la mutation doit être donné par le notaire au syndic de l'immeuble par lettre recommandée avec avis de réception dans un délai de quinze jours à compter de la date du transfert de propriété. Avant l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la réception de cet avis, le syndic peut former au domicile élu, par acte extrajudiciaire, opposition au versement des fonds dans la limite ci-après pour obtenir le paiement des sommes restant dues par l'ancien propriétaire.
Cette opposition contient élection de domicile dans le ressort du tribunal judiciaire de la situation de l'immeuble et, à peine de nullité, énonce le montant et les causes de la créance.
Le notaire libère les fonds dès l'accord entre le syndic et le vendeur sur les sommes restant dues. A défaut d'accord, dans un délai de trois mois après la constitution par le syndic de l'opposition régulière, il verse les sommes retenues au syndicat, sauf contestation de l'opposition devant les tribunaux par une des parties. Les effets de l'opposition sont limités au montant ainsi énoncé.
Il résulte de l'article 5-1 du décret du 17 mars 1967 que, pour l'application des dispositions de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1965, il n'est tenu compte que des créances du syndicat effectivement liquides et exigibles à la date de la mutation.
L'opposition éventuellement formée par le syndic doit énoncer d'une manière précise :
1° Le montant et les causes des créances de toute nature du syndicat de l'année courante et des deux dernières années échues ;
2° Le montant et les causes des créances de toute nature du syndicat des deux années antérieures aux deux dernières années échues ;
3° Le montant et les causes des créances de toute nature du syndicat garanties par une hypothèque légale et non comprises dans les créances privilégiées, visées aux 1° et 2° ci-dessus ;
4° Le montant et les causes des créances de toute nature du syndicat non comprises dans les créances visées aux 1°, 2° et 3° ci-dessus.
En l'espèce, il résulte de la première opposition concernant les lots 213 et 218, dénoncée au notaire le 23 novembre 2022, qu'elle a été faite pour la somme de 2438,76€, se détaillant de la façon suivante :
" A/ Au Syndicat, au titre des provisions exigibles :
1- des provisions exigibles
- Dans le budget prévisionnel (D. art. 5. 1° a) : 1459,37€
- Dans les dépenses non comprises dans le budget prévisionnel (D.art 5.1° b) : 599,39€
B/ Au syndic, au titre des honoraires de mutation : 380€ ".
Le second acte d'opposition concernant les lots 215 et 220, dénoncée au notaire le 23 novembre 2022, a été fait pour la somme de 1649,68€, se détaillant de la façon suivante :
" A/ Au Syndicat, au titre des provisions exigibles :
1- des provisions exigibles
- Dans le budget prévisionnel (D. art. 5. 1° a) : 1152,56€
- Dans les dépenses non comprises dans le budget prévisionnel (D.art 5.1° b) : 117,12€
B/ Au syndic, au titre des honoraires de mutation : 380€ ".
Si ces deux actes d'opposition distinguent bien les créances dues selon leur nature conformément au décret, ils ne procèdent pas à la ventilation des sommes réclamées entre les deux lots concernés par chaque acte. Or, le syndic était tenu de donner le détail des charges réclamées lot par lot.
Dès lors, l'opposition faite par le syndicat des copropriétaires ne respecte pas les prescriptions de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1965, qui dispose qu'à peine de nullité, l'opposition énonce le montant et les causes de la créance, puisque la créance n'est pas détaillée lot par lot.
Il est exact que la sanction du non-respect des conditions de l'article 5-1 du décret du 17 mars 1967 n'entraîne pas la nullité de l'opposition mais prive seulement les créances du syndicat de leur caractère de créances privilégiées.
Toutefois, ce n'est pas l'article 5-1 du décret qui n'a pas été respecté, mais l'article 20 de la loi du 10 juillet 1965, lequel prescrit bien la nullité en cas de non respect de ses dispositions, de sorte que ces deux oppositions n'apparaissent pas régulières.
Dès lors, en privant Madame [B] de la perception de fonds qui lui reviennent, sans respecter, et ce de manière évidente, les prescriptions susmentionnées, les actes d'opposition du syndic lui causent un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser par la mainlevée demandée.
La présente décision constituant un titre exécutoire pour obtenir la libération des sommes détenues au titre de l'opposition, et dès lors, la déconsignation, il n'y a pas lieu de l'ordonner.
Sur la demande reconventionnelle
En vertu de l'article 835 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
L'octroi d'une provision suppose le constat préalable par le juge de l'existence d'une obligation non sérieusement contestable au titre de laquelle la provision est demandée. Cette condition intervient à un double titre : elle ne peut être ordonnée que si l'obligation sur laquelle elle repose n'est pas sérieusement contestable et ne peut l'être qu'à hauteur du montant non sérieusement contestable de cette obligation, qui peut d'ailleurs correspondre à la totalité de l'obligation.
Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
L'article 10 de la loi du 10 juillet 1965, les copropriétaires sont tenus de participer aux charges entraînées par les services collectifs et les éléments d'équipement commun en fonction de l'utilité que ces services et éléments présentent à l'égard de chaque lot. Ils sont également tenus de participer aux charges relatives à la conservation, à l'entretien et à l'administration des parties communes proportionnellement aux valeurs relatives des parties privatives comprises dans leur lot.
L'article 14-1 de la même loi dispose que pour faire face aux dépenses courantes de maintenance, de fonctionnement et d'administration des parties communes et équipements communs de l'immeuble, le syndicat des copropriétaires vote, chaque année, un budget prévisionnel. Les copropriétaires versent au syndicat des provisions égales au quart du budget voté. La provision est exigible le premier jour de chaque trimestre ou le premier jour de la période fixée par l'assemblée générale.
La défenderesse oppose le fait que si l'opposition a fait l'objet d'une mainlevée, c'est la preuve que les créances du syndicat des copropriétaires n'étaient pas justifiées. Toutefois, le syndicat des copropriétaires verse aux débats un certain nombre de justificatifs qui n'étaient pas joints à l'opposition et qu'il convient d'examiner.
* au titre des lots 215 et 220
En vertu de l'article 1353 du code civil, il appartient à celui qui réclame l'exécution d'une obligation de la prouver.
En l'espèce, le syndicat des copropriétaires produit un décompte de charges et deux procès-verbaux d'assemblée générale des 4 octobre 2021, approuvant le budget prévisionnel de l'année 2022, et 23 mai 2022, approuvant les comptes de l'exercice 2021.
Si les appels de fonds relatifs au remplacement de la descente d'eau usée et à l'installation des compteurs EF ne sont justifiés ni par une résolution de ces deux assemblées générales ni par les factures correspondantes, il résulte du décompte que ces appels ont fait l'objet d'un paiement par la requérante et ne sont pas réclamés par le syndicat des copropriétaires à l'exception de l'installation des compteurs EF, de sorte que seule la somme de 117,12€ sera déduite de la créance.
Dès lors, Madame [B] sera condamnée à verser au syndicat des copropriétaires la somme de 1532,56€ à titre de provision à valoir sur les charges de copropriété impayées au 18 octobre 2022.
Il n'y a pas lieu de mettre à sa charge le coût de l'acte d'opposition, celle-ci ayant fait l'objet d'une mainlevée.
* au titre des lots 213 et 218
Il résulte du décompte que sont sollicités, par le syndicat des copropriétaires, notamment les appels de fond relatifs au remplacement de la descente d'eau usée et le remplacement des compteurs dont Madame [B] ne s'est pas totalement acquittée. Dès lors, ces appels de fond, non justifiés par une résolution d'assemblée générale, les factures correspondantes ou une régularisation postérieure, seront déduits de la créance (à hauteur de 778,36€).
En conséquence, Madame [B] sera condamnée à verser au syndicat des copropriétaires la somme de 1660,40€ à titre de provision à valoir sur les charges de copropriété impayées au 18 octobre 2022.
Il n'y a pas lieu de mettre à sa charge le coût de l'acte d'opposition, celle-ci ayant fait l'objet d'une mainlevée.
Il n'y a pas non plus lieu d'ordonner à l'étude notariale le versement des fonds, compte tenu de la mainlevée des actes d'opposition litigieux.
* sur la demande de dommages et intérêts
A défaut de justifier de la réalité du préjudice subi par le syndicat des copropriétaires in concreto, notamment par la nécessité d'effectuer des appels exceptionnels pour palier les impayés, le syndicat des copropriétaires succombe à démontrer, avec l'évidence requise en référé, la réalité de son préjudice. Il n'y a pas lieu à référé sur cette demande.
Sur les demandes accessoires,
La requérante, qui se voit condamnée au paiement provisionnel des charges de copropriété, doit supporter la charge des dépens en vertu de l'article 696 du code de procédure civile.
Elle sera également condamnée à verser au syndicat des copropriétaires la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles, la réalité d'une créance de ce dernier à son encontre étant justifiée, et ce, en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par ordonnance contradictoire et en premier ressort, par mise à disposition au greffe le jour du délibéré, après débats en audience publique,
Renvoyons les parties à se pourvoir au fond ainsi qu'elles en aviseront, mais dès à présent par provision, tous les moyens des parties étant réservés :
Ordonnons la mainlevée de l'opposition formée par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 2] par acte d'huissier du 23 novembre 2022, au titre des lots 213 et 218 ;
Ordonnons la mainlevée de l'opposition formée par le syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 2] par acte d'huissier du 23 novembre 2022, au titre des lots 215 et 220 ;
Disons n'y avoir lieu d'ordonner la déconsignation des fonds ni la libération des fonds ;
Condamnons Madame [E] [B], née [M], à verser au syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 2] :
- la somme de 1532,56 euros à titre de provision à valoir sur les charges de copropriété impayées au 18 octobre 2022, concernant les lots 215 et 220 ;
- la somme de 1660,40 euros à titre de provision à valoir sur les charges de copropriété impayées au 18 octobre 2022, concernant les lots 213 et 218 ;
Ordonnons l'anatocisme de ces sommes dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;
Disons n'y avoir lieu à référé sur les demandes au titre de l'article 10-1 de la loi du 10 juillet 1965 ;
Disons n'y avoir lieu à référé sur la demande provisionnelle au titre des dommages et intérêts ;
Condamnons Madame [E] [B], née [M], à verser au syndicat des copropriétaires de l'immeuble sis [Adresse 2] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamnons Madame [E] [B], née [M], au paiement des dépens ;
Rappelons que la présente décision est exécutoire à titre provisoire.
Fait à Paris le 19 juin 2024,
Le Greffier,Le Président,
Maude DEAUVERNEAnne-Charlotte MEIGNAN