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17/06/2024 | FRANCE | N°18/12277

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 19eme contentieux médical, 17 juin 2024, 18/12277


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:



19ème contentieux médical

N° RG 18/12277

N° MINUTE :

Assignations des :
- 25 Septembre 2018
- 11 Février 2022

CONDAMNE

PLL




JUGEMENT
rendu le 17 Juin 2024


DEMANDEUR

Monsieur [V] [H]
[Adresse 3]
[Localité 4]

Représenté par Maître Frédéric MENGÈS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0284

DÉFENDEURS

Monsieur [T] [B]
[Adresse 1]
[Localité 4]
>Représenté par Maître Ilan NAKACHE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0729

La CAISSE PRIMAIRE ASSURANCE MALADIE DE [Localité 6]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Non représentée







Décision du 17 Jui...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:

19ème contentieux médical

N° RG 18/12277

N° MINUTE :

Assignations des :
- 25 Septembre 2018
- 11 Février 2022

CONDAMNE

PLL

JUGEMENT
rendu le 17 Juin 2024

DEMANDEUR

Monsieur [V] [H]
[Adresse 3]
[Localité 4]

Représenté par Maître Frédéric MENGÈS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0284

DÉFENDEURS

Monsieur [T] [B]
[Adresse 1]
[Localité 4]

Représenté par Maître Ilan NAKACHE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0729

La CAISSE PRIMAIRE ASSURANCE MALADIE DE [Localité 6]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Non représentée

Décision du 17 Juin 2024
19ème contentieux médical
RG 18/12277

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur Pascal LE LUONG, Premier Vice-Président
Madame Laurence GIROUX, Vice-Présidente
Madame Sarah CASSIUS, Vice-Présidente

Assistés de Madame Erell GUILLOUËT, Greffière, lors des débats et au jour de la mise à disposition au greffe.

DÉBATS

A l’audience du 29 Avril 2024 tenue en audience publique devant Monsieur Pascal LE LUONG, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 17 Juin 2024.

JUGEMENT

- Réputé contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Entre 2008 et 2016, Monsieur [V] [H] a reçu des soins dentaires du Docteur [T] [B], chirurgien dentiste. A compter d’octobre 2013, Monsieur [H] a commencé à souffrir de rhinites, sinusites, céphalées et maux dentaires à répétition, signes d’une infection qu’il imputait aux travaux de Monsieur [B]. Ce dernier procédait à la mise en place ultérieure, d’une prothèse provisoire, dans l’attente d’une prochaine intervention. En juin 2016, Monsieur [H], sollicitait le Docteur [B], qui constatait l’existence de granulomes apicaux en maxillaires gauches, sous les dents 24 et 25 en pilier de bridge, l’infection s’étant développée au détriment de l’os. Le Docteur [B] adressait le patient au Docteur [W], pour avis, qui confirmait les constatations. Monsieur [H] consultait un autre chirurgien dentiste, le Docteur [S] qui l’orientait pour traitement vers un odondentiste. Ce dernier établissait un devis d’intervention et lui fixait un rendez-vous pour le 4 juillet 2016 en lui expliquant qu’il devait retourner voir, préalablement à toute intervention, le docteur [B] afin qu’il dépose le bridge qu’il avait posé sur les dents à traiter. Monsieur [B] effectuait un certain nombre de soins qui ne satisfaisaient pas Monsieur [H].

Par acte du 25 septembre 2018, Monsieur [H] saisissait le tribunal de grande instance de Paris afin qu’un expert soit désigné. Par ordonnance du 28 octobre 2019, le docteur [U] était désigné et déposait son rapport final le 12 mai 2020.

Aux termes de son rapport, l’expert retenait les postes de préjudice suivants :
- Date de consolidation : sera effective après la pose de 4 couronnes sur 4 implants, en remplacement des dents perdues. Il précise que cela devrait être réalisé d’ici 12 à 18 mois.

- Préjudices extra patrimoniaux avant consolidation 

- DFT : 10 % depuis juillet 2016 à ce jour, soit 3 ans et demi.
- Préjudices patrimoniaux avant consolidation :
- Souffrances endurées : 2/7,
- Préjudice esthétique temporaire : 2/7 (absence de prémolaire en position 24-25 à partir de juillet 2017)

- Préjudices permanents après consolidation :

- Préjudices patrimoniaux :

- Pas de tierce personne

- Préjudice professionnel : l’expert-comptable certifie une baisse d’activité de 40% en avril 2015 puis 16 % en mai 2015 et 25 % en juin 2016 dans son salon de thé pour lequel il n’a aucun salarié.

Préjudices extra patrimoniaux :

- Dépenses de santé futures : Un budget de 12.700 € pour la restauration du secteur maxillaire gauche. L’ensemble doit pouvoir être renouvelé tous les 12-15 ans, implants compris.

Par ordonnance du 28 février 2022, le juge de la mise a prononcé la révocation de l’ordonnance de clôture intervenue prématurément afin de permettre de prendre en compte la mise en cause de la CPAM qui, assignée en intervention forcée produisait son décompte définitif limité aux dépenses de santé futures restreintes à la reconstruction des quatre dents de Monsieur [H].
Par conclusions signifiées par RPVA le 14 novembre 2022, Monsieur [H] demande au tribunal de :

Rejeter la fin de non recevoir tirée de l’autorité de chose jugée de «l’engagement transactionnel» signé par Monsieur [H] le 3 juillet 2016.
Condamner Monsieur [T] [B] à verser à Monsieur [H] à titre de dommages intérêts avec intérêts au taux légal à compter de l’acte introductif d’instance :
- 10.000 € à titre des honoraires acquittés pour des soins inutiles et mutilants;
- 12.700 € au titre des frais de restauration du secteur maxillaire;
- 5.000 € au titre des souffrances endurées;
- 3.000 € au titre du préjudice esthétique;
-15.000 € au titre du préjudice professionnel;
- 10.000 € au titre de la résistance injustifiée;

Réserver les autres chefs de préjudice à la consolidation des dommages.
Ordonner la capitalisation des intérêts et l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
Condamner Monsieur [T] [B] à verser à Monsieur [V] [H] la somme de 10.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et le condamner aux entiers dépens dont l’intégralité des frais d’expertise.

Par conclusions reçues par RPVA le 28 août 2021, le docteur [T] [B] demande au tribunal de :

À titre principal,
CONSTATER l’autorité de la chose jugée en dernier ressort de l’engagement transactionnel signé le 3 juillet 2016 ;
DÉCLARER irrecevable l’action en responsabilité engagée par Monsieur [H] ;

À titre subsidiaire,
CONSTATER l’absence de faute commise par le Docteur [T] [B] ;
DÉBOUTER Monsieur [H] de son action en responsabilité civile pour faute sur le fondement de l’article L 1142-1 I du Code de la santé publique ;

À titre infiniment subsidiaire,
DÉBOUTER Monsieur [H] de ses demandes indemnitaires ;
CONDAMNER Monsieur [H] à verser à Monsieur [B] une somme de 3000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépends, dont l’intégralité des frais d’expertise.

La CPAM de [Localité 6], n’ayant pas constitué avocat, la décision sera réputée contradictoire.

L’ordonnance de clôture était rendue le 9 octobre 2023 et l’audience de plaidoiries se tenait le 29 avril 2024. La décision était mise en délibéré au 18 juin 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I/ SUR LA RESPONSABILITÉ

1/ Sur la qualité des soins

Il résulte des dispositions des articles L.1142-1-I et R.4127-32 du code de la santé publique que, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les praticiens ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. Tout manquement à cette obligation qui n'est que de moyens, n'engage la responsabilité du praticien que s'il en résulte pour le patient un préjudice en relation de causalité directe et certaine.

En application des dispositions de l'article R 4127-32 du code de la santé publique, le médecin : le praticien, dès lors qu'il a accepté de répondre à une demande de son patient, s'engage à lui assurer personnellement des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s'il y a lieu, à l'aide de tiers compétents.

Il incombe au médecin / praticien de mener des investigations utiles et d'interroger le patient, en particulier lorsqu'il présente des facteurs de risques, sur les symptômes qu'il présente.

Il ressort de l’expertise conduite par le docteur [U] qu’il n’a reçu aucune pièce de la part du docteur [B] ou de son conseil qui n’étaient pas présents à l’accédit alors qu’ils étaient dûment convoqués. Il indique également que la bouche du patient est en bon état après cicatrisation et bien entretenue. Il souligne que compte tenu de l’absence de dossier fourni par le docteur [B], il n’y a pas de document permettant d’attester d’une information particulière qui aurait été donnée au patient en particulier, sur la présence d’un instrument cassé dans la racine de la dent 25, initialement dévitalisée par ce chirurgien-dentiste et concernant le risque de fracture dentaire lié à la dépose d’une prothèse fixe.
L’expert estime qu’il semble exagéré de procéder à 3 dévitalisations simultanées sur 3 dents voisines, dans la mesure où Monsieur [H] ne présentait pas un risque carieux. Il n’y a pas de radiographie pré-, per-, post-, opératoire comme il se devrait. Il a découvert l’existence de deux lésions apicales sous-sinusiennes sur les dents 25-27 avec un instrument cassé dans la racine. La dent 26 a survécu deux ans après la pose des premières couronnes. Il conclut que “ces faits traduisent une pratique maladroite, approximative et mutilante pour le patient qui, finalement, perd 4 dents à l’issue des soins du Dr [B]”, dont le remplacement est imputable à ce dernier (dents 24, 25, 26 et 27).
Monsieur [V] [H] conclut sur la base de ce rapport qu’il y a un lien direct entre l’intervention du Docteur [T] [B] et son dommage, ce qui engage la responsabilité professionnelle de ce praticien en raison d’une pratique non conforme, ce que le tribunal doit également relever.
Par conséquent, il convient de considérer que ce dernier ne démontre pas avoir pris en charge son patient conformément aux règles de l’art et aux données acquises de la science.
Le tribunal considère donc que les actes effectués par le docteur [B] n’étaient pas conforme aux recommandations en vigueur à l’époque des faits, ce qui caractérise une faute du Docteur [T] [B]. Ainsi, le tribunal est en mesure de liquider les préjudices dont il est demandé réparation, peu important qu’un accord transactionnel ait été conclu le 3 juillet 2016 moyennant le remboursement d’une somme de 2.500 €.
Le docteur [B] sera donc tenu à l’indemnisation entière des préjudices de Monsieur [H].

II/ SUR LA RÉPARATION DES PRÉJUDICES

Au vu de l'ensemble des éléments produits aux débats, le préjudice subi par Monsieur [V] [H], et exerçant la profession de commerçant (salon de thé) lors de l’accident, sera réparé ainsi que suit, étant observé qu'en vertu de l'article L376-1 du code de la sécurité sociale, le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l’exclusion des préjudices à caractère personnel.

I/ Préjudices patrimoniaux
A/ Préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

1) Dépenses de santé actuelles

Elles correspondent aux frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation déjà exposés tant par les organismes sociaux que par la victime.
Monsieur [H] réclame une somme de 10.000 € au titre des honoraires acquittés. Il ressort des pièces versées aux débats que le docteur [B] lui a remboursé une somme de 2.500 €. Il conviendra de réserver cette demande, en l’absence de la production des décomptes définitifs de la CPAM et de sa mutuelle.

2) Pertes de gains professionnels actuels

Elles concernent le préjudice économique subi par la victime pendant la durée de son incapacité temporaire totale ou partielle de travail fixée par l'expertise.

Monsieur [V] [H] sollicite une indemnité de 15.000 € mais ne produit pas les avis d’imposition permettant d’évaluer la perte effective de revenus. Cette demande sera réservée.

B/ Préjudices patrimoniaux permanents

1) Dépenses de santé futures

Elles correspondent aux frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation exposés tant par les organismes sociaux que par la victime après la consolidation.
Monsieur [H] justifie qu’il devra débourser 12.700 € pour restaurer le secteur maxillaire gauche. Cette somme lui sera donc allouée.

II / Préjudices extra-patrimoniaux

A/ Préjudices extra-patrimoniaux temporaires (avant consolidation)
1) Déficit fonctionnel temporaire

Ce préjudice inclut, pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d'agrément, éventuellement le préjudice sexuel temporaire.

Ce préjudice sera réservé.
2) Souffrances endurées

Il s'agit d'indemniser ici les souffrances tant physiques que morales endurées du fait des atteintes à l'intégrité, la dignité et l’intimité et des traitements, interventions, hospitalisations subies depuis l'accident jusqu'à la consolidation.

En l’espèce, Monsieur [V] [H] sollicite la somme de 5.000€. L’expert a évalué ce poste à 2/7.Ce poste sera donc réparé par une somme fixée à 4.000 €.

3) Préjudice esthétique temporaire

Ce poste a été évalué à 2/7 par l’expert en raison de l’absence provisoire de prémolaire en position 24-25 à partir de juillet 2017. En conséquence, une indemnité de 500 € lui sera accordée à ce titre.

B/ Préjudices extra-patrimoniaux permanents

Les demandes seront réservées.

IV / SUR LES AUTRES DEMANDES

* Sur la résistance abusive

L’indemnisation des préjudices étant ventilée selon la nomenclature Dintilhac, cette demande sera rejetée.

* Sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile et les dépens

Il convient de condamner le Docteur [T] [B], partie perdante du procès, à payer à Monsieur [V] [H] une somme de 3000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Les indemnités allouées ci-dessus porteront intérêt au taux légal à compter de date du présent jugement. La capitalisation des intérêts sera ordonnée.

Par ailleurs, les dépens, incluant les frais d’expertise, seront mis à la charge du Docteur [T] [B], partie succombante.

* Sur l’exécution provisoire

L'ancienneté de l'accident justifie que soit ordonnée l'exécution provisoire de la présente décision.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire mis à disposition au greffe et rendu en premier ressort,
DÉCLARE le Docteur [T] [B] responsable des conséquences dommageables des interventions chirurgicales réalisées sur Monsieur [V] [H] en raison d’une indication opératoire fautive ;

CONDAMNE le docteur [T] [B] à payer à Monsieur [V] [H], les sommes suivantes à titre de réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, provisions non déduites, pour les postes énoncés ci-après :
- dépenses de santé futures : 12.700 €,
- souffrances endurées : 4.000 €,
- préjudice esthétique temporaire : 500 €
Ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts ;

REJETTE la demande formulée au titre de la résistance abusive ;

RÉSERVE les autres postes de préjudices ( dépenses de santé actuelles, préjudice esthétique définitif, déficit fonctionnel temporaire, pertes de gains professionnels actuels et futurs, incidence professionnelle) ;

CONDAMNE le docteur [T] [B] à payer à Monsieur [V] [H], la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

DÉCLARE le présent jugement commun à la CPAM de [Localité 6] ;

CONDAMNE le docteur [T] [B] aux dépens incluant les frais d’expertise ;

ORDONNE l’exécution provisoire de la présente décision ;

REJETTE le surplus des demandes, plus amples ou contraires ;

Fait et jugé à Paris le 17 Juin 2024.

La GreffièreLe Président

Erell GUILLOUËTPascal LE LUONG


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 19eme contentieux médical
Numéro d'arrêt : 18/12277
Date de la décision : 17/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 26/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-17;18.12277 ?
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