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12/06/2024 | FRANCE | N°23/15454

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 17ème ch. presse-civile, 12 juin 2024, 23/15454


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :




17ème Ch. Presse-civile


N° RG 23/15454 - N° Portalis 352J-W-B7H-C3JNN

DC


Assignation du :
23 Novembre 2023







Minute n°





ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 12 Juin 2024

DEMANDEUR

Monsieur [F] [D]
[Adresse 1]
[Localité 3]

représenté par Maître Emmanuel JARRY de la SELARL VIGY LAW, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0209



DEFENDERES

SE

Association L’Observatoire du conspirationnisme Association déclarée sous le numéro SIREN 805 407 194 et le numéro RNA W751 225 511, représentée par son président domicilié en cette qualité
[Ad...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copies exécutoires
délivrées le :

17ème Ch. Presse-civile

N° RG 23/15454 - N° Portalis 352J-W-B7H-C3JNN

DC

Assignation du :
23 Novembre 2023

Minute n°

ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT
rendue le 12 Juin 2024

DEMANDEUR

Monsieur [F] [D]
[Adresse 1]
[Localité 3]

représenté par Maître Emmanuel JARRY de la SELARL VIGY LAW, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0209

DEFENDERESSE

Association L’Observatoire du conspirationnisme Association déclarée sous le numéro SIREN 805 407 194 et le numéro RNA W751 225 511, représentée par son président domicilié en cette qualité
[Adresse 4]
[Localité 2]

représentée par Me Ilana SOSKIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #B0054

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT

Delphine CHAUCHIS, Première vice-présidente adjointe
assistée deViviane RABEYRIN greffier lors des débats et de Faustine LAURANS, Greffier lors de la mise à disposition.

DEBATS

A l’audience du 24 avril 2024 , avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 12 Juin 2024.

ORDONNANCE

Mise à disposition
Contradictoire
en premier ressort

Vu l’assignation délivrée, à la demande de [F] [D], le 23 novembre 2023, à l’Observatoire du conspirationnisme, qui demande au tribunal judiciaire de Paris, au visa de l’article 1240 et 1241 du code civil, alléguant que le contenu d’une notice dédiée à [F] [D] sur le site internet Conspiracy Watch https://www.conspiracywatch.info/, était constitutif de dénigrement fautif :
- de juger que l’Observatoire du conspirationnisme s’est rendu coupable d’actes de dénigrement de produits, services et de personne au préjudice de [F] [D],
- de condamner l’Observatoire du conspirationnisme à payer à [F] [D] une somme de 40 000 euros de dommages et intérêts en réparation de son entier préjudice,
- de condamner l’Observatoire du conspirationnsime au retrait du contenu litigieux et à publier le dispositif du jugement à intervenir en première page du site web www.conspiracywatch.info (bannière figée en haut de la page d’accueil) selon des modalités précisées au dispositif de l’assignation et ce, sous astreinte,
- de condamner l’Observatoire du conspirationnisme à payer à [F] [D] une somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
- d’ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir, nonobstant appel,
- de condamner l’Observatoire du conspirationnisme aux entiers dépens.

Vu les conclusions d’incident de l’Observatoire du conspirationnisme, notifiées à l’audience du 6 mars 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions, qui demande au juge de la mise en état :
- in limine litis, de prononcer la nullité de l’assignation délivrée à la requête de [F] [D],
- de déclarer l’action de [F] [D] prescrite,
- de condamner [F] [D] à régler la somme de 3 000 euros à l’association Observatoire du conspirationnisme au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Les conseils ont été entendus en leurs observations sur l’incident à l’audience du 24 avril 2024.
A l’issue de l’audience, il a été indiqué aux conseils des parties que la présente décision serait rendue le 12 juin 2024, par mise à disposition au greffe.

MOTIFS

Sur la demande de requalification au soutien de l’exception de nullité de l’acte introductif d’instance :

L’Observatoire du conspirationnisme argue de ce que, sous couvert d’une éventuelle action en dénigrement pour tenter de contourner les dispositions protectrices de la loi de 1881, [F] [D] poursuit en réalité des propos dont il suppute le caractère potentiellement diffamatoire.
En l’absence de respect des exigences des dispositions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, la défenderesse à l’instance sollicite l’annulation de l’acte introductif.
Le conseil de [F] [D] a répondu oralement à cette demande en contestant cette analyse. Il a fait valoir que les propos poursuivis du site internet Conspiracy Watch ont pour conséquence de porter atteinte à la crédibilité de ses ouvrages et conférences. Dans ces conditions, il estime que les propos relatés doivent être analysés sous l’angle du dénigrement et non de la diffamation de sorte qu’il n’y a pas lieu à requalification ni à modification des demandes.

*

Les abus de la liberté d'expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet l88l ne pouvant être réparés sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile, il appartient au juge saisi d'une action fondée sur l'article 1240 du code civil, de restituer aux faits allégués leur exacte qualification au regard du droit de la presse, sans s'arrêter à la dénomination retenue par le requérant, par application des dispositions de l'article 12 du code de procédure civile.
Seule l'existence de faits distincts justifie que les dispositions de la loi sur la liberté de la presse n'excluent pas l'application des dispositions du code civil.
En application de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme, conférant une valeur conventionnelle à la liberté d’expression, il appartient plus particulièrement au juge de veiller, en application de l’article 12 précité, à ce que toute action susceptible d’y porter atteinte soit exactement qualifiée afin de s’assurer du respect des exigences de la loi du 29 juillet 1881, laquelle assure de façon équilibrée la protection de la liberté d’expression et la sanction de ses abus en définissant précisément ces derniers et en garantissant au défendeur d’être mis à même de préparer utilement sa défense dès la réception de l’assignation.
*
En l’espèce, il convient de déterminer si l’assignation vise uniquement des propos constitutifs d’actes de dénigrement définis comme ceux consistant en la divulgation d’une information de nature à jeter le discrédit sur les produits, les services ou les prestations d’une personne physique ou morale et non la personne elle-même, ou si elle a tend à voir réparer, en réalité, un dommage causé par une atteinte à la réputation telle que protégée au titre de la sanction de la diffamation publique envers particulier prévue par les dispositions des articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881.

[F] [D] se présente comme un auteur et dessinateur français spécialisé dans les domaines de l’anatomie et de la musculation. Il s’est notamment fait connaître du grand public avec la parution de son ouvrage “Guide des mouvements de musculation : Approche anatomique” en 1998, régulièrement réédité jusqu’en 2021. Il indique en page 4 de l’acte introductif d’instance, faire l’objet d’une notice de présentation sur le site web français www.conspiracywatch.info qu’il estime constitutive d’un acte de dénigrement à son encontre.
Après avoir reproduit le contenu de la notice et l’article litigieux dans laquelle il est inséré, [F] [D] estime que “la notice contient 14 phrases dont chacune, (...) renvoie à un média, une initiative ou une personnalité hautement controversé auxquels [il]est associé afin de jeter le discrédit sur ses compétences, son travail et les services qu’il propose”.
Au titre de la discussion, le demandeur avance qu’en faisant l’objet d’une notice sur le site Conspiracy Watch, “l’internaute assimile l’idée selon laquelle Monsieur [F] [D] alimente la complosphère”, puis que le contenu de l’article associe de manière systématique et massive le demandeur à “des figures antisémites” et “négationnistes”. Il déplore que ne soient répertoriés que ses seuls “rapprochements avec des idées d’extrémistes et controversées” dans le but de “renforcer le sentiment de radicalité de [F] [D]”.
Après avoir présenté en détail l’analyse des passages qui lui sont consacrés sur le site incriminé, il conclut que l’ensemble de la notice vise à “convaincre l’internaute de sa qualité d’imposteur antisémite, complotiste, conspirationniste, négationniste” ce qui a pour conséquence de le décrédibiliser et dénigrer sa personne ainsi que “son travail et ses connaissances” avec pour objectif de “détourner la clientèle et le public” de lui “qui jouit d’une grande notoriété et visibilité sur Internet”.
Enfin, le demandeur dénonce la mise en place d’une “entreprise de dénigrement” à son égard par le site Conspiracy Watch et l’invitation faite aux internautes de “ se méfier des propos et des ouvrages de Monsieur [F] [D], de tout conseil et de toute parole qui viendrait de ce personnage dont le portrait est ridiculisé et raillé sur le net”.

Il résulte donc de l’analyse de l’acte introductif d’instance que le demandeur déplore, en l’espèce, la publication de propos qui visent non pas les ouvrages, produits et services offerts par ce dernier mais ses opinions et affinités politiques supposées, qui, par l’effet d’opprobe ainsi créé, est susceptible d’engager certains internautes à se détourner de ses prestations. Le demandeur déplore lui-même, en page 8 de l’assignation, les conséquences de cette publication “quant à la crédibilité accordée à ses ouvrages et ses conférences, plus encore à sa réputation et à son image”.
Ainsi, la personnalité et les affinités de [F] [D] sont ici en cause et non pas les produits et services qu’il propose, de sorte qu’il y a eu lieu de considérer que, sous couvert d’invoquer la commission d’actes de dénigrement, le demandeur critique en réalité les attaques dont il ferait l’objet à raison de prétendus liens avec des personnalités d’extrême-droite, négationnistes, antisémites et complotistes qu’il qualifie de “controversées”.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, il doit être considéré que l’action introduite devant le présent tribunal par [F] [D] relève, en réalité, des dispositions de la loi du 29 juillet 1881.

Il convient de requalifier l’action qu’il a engagée en l’espèce en ce sens et de considérer que l’assignation qu’il a fait délivrer doit être annulée dans la mesure où elle ne répond pas aux critères posés par les dispositions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881, notamment quant aux exigences de visa des textes applicables et de précision des propos poursuivis ou encore de la notification préalable au ministère public.
Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de statuer sur les autres moyens.

Sur les demandes formées au titre des frais irrépétibles :

Le demandeur succombant à l’instance, il supportera les entiers dépens de celle-ci, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Sa demande au titre des frais irrépétibles exposés sera rejetée.

Il convient, en équité, de le condamner à payer à l’Observatoire du conspirationnisme la somme globale de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Nous, juge de la mise en état,

Statuant publiquement, par ordonnance mise à disposition au greffe, contradictoire en premier ressort.

Faisons droit à la demande tendant à voir requalifier l’action en dénigrement engagée par [F] [D] à l’encontre de l’Observatoire du conspirationnisme en une action soumise aux dispositions de l’article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881,

Déclarons nulle l’assignation délivrée par [F] [D], le 23 novembre 2023, à l’Observatoire du conspirationnisme ,

Disons n’y avoir lieu à statuer sur les autres moyens,

Condamnons [F] [D] aux dépens,

Rejetons les demandes formées par ce dernier au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamnons [F] [D] à payer à l’Observatoire du conspirationnisme la somme globale de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile

Faite et rendue à Paris le 12 juin 2024

Le Greffier La Juge de la mise en état


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 17ème ch. presse-civile
Numéro d'arrêt : 23/15454
Date de la décision : 12/06/2024
Sens de l'arrêt : Prononce la nullité de l'assignation

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-12;23.15454 ?
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