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10/06/2024 | FRANCE | N°22/06801

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 19eme contentieux médical, 10 juin 2024, 22/06801


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :


19ème contentieux médical

N° RG 22/06801

N° MINUTE :

Assignation du :
- 20 et 23 Mai 2022
- 07 Juin 2022

CONDAMNE

MR




JUGEMENT
rendu le 10 Juin 2024
DEMANDEUR

Monsieur [L] [H]
[Adresse 7]
[Localité 6]

Représenté par Maître Anaïs DEFOSSE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0240

DÉFENDERESSES

La CLINIQUE [9]
[Adresse 3]
[Localité 4]

Représentée par la SEL

ARL BOIZARD EUSTACHE GUILLEMOT ASSOCIES agissant par Maître Anaïs GUILLEMOT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0456

La CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES HAUTS DE SEINE
[Adresse ...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

19ème contentieux médical

N° RG 22/06801

N° MINUTE :

Assignation du :
- 20 et 23 Mai 2022
- 07 Juin 2022

CONDAMNE

MR

JUGEMENT
rendu le 10 Juin 2024
DEMANDEUR

Monsieur [L] [H]
[Adresse 7]
[Localité 6]

Représenté par Maître Anaïs DEFOSSE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0240

DÉFENDERESSES

La CLINIQUE [9]
[Adresse 3]
[Localité 4]

Représentée par la SELARL BOIZARD EUSTACHE GUILLEMOT ASSOCIES agissant par Maître Anaïs GUILLEMOT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0456

La CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DES HAUTS DE SEINE
[Adresse 2]
[Localité 6]

Non représentée

La MACIF
[Adresse 1]
[Localité 5]

Non représentée

Décision du 10 Juin 2024
19ème contentieux médical
RG 22/06801

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Laurence GIROUX, Vice-Présidente
Madame Emmanuelle GENDRE, Vice-Présidente
Monsieur Maurice RICHARD, Magistrat honoraire

Assistés de Madame Erell GUILLOUËT, Greffière, lors des débats et au jour de la mise à disposition au greffe.

DEBATS

A l’audience du 02 Avril 2024 présidée par Madame Laurence GIROUX tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 10 Juin 2024.

JUGEMENT

- Réputé contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE

Le 6 mars 2012, Monsieur [L] [H] était victime d’une chute dans les escaliers dans le cadre de son activité professionnelle à l’origine d’une luxation antéro interne de l’épaule gauche. Cette luxation était réduite sur place à l’hôpital [8].

Le 27 avril 2012, Monsieur [H] était vu en consultation par le Docteur [C], chirurgien orthopédiste exerçant au sein de l’HOPITAL [8], il identifiait une récidive de la luxation et concluait à une instabilité antéro interne clinique de l’épaule.

C’est dans ces conditions que le 21 juin 2012, Monsieur [H] a bénéficié d’une stabilisation gléno humérale sous arthroscopie au sein de l’HOPITAL [8], intervention réalisée par les Docteurs [C] et [T].

Les suites ont été marquées par l’existence de paresthésies modérées dans le territoire du nerf cubital et le 23 juillet 2013, Monsieur [H] a bénéficié de la réalisation d’une neurolyse du nerf ulnaire au sein de l’HOPITAL [8] par le Docteur [T].

Toutefois, les paresthésies et décharges électriques ont persisté et les examens réalisés ont révélé l’existence d’une butée médiale associée à une chambre de mobilité autour des vis.

Le 10 décembre 2013, Monsieur [H] a bénéficié de la réalisation d’un électromyogramme lequel a objectivé une récidive de la compression du nerf ulnaire au coude ainsi qu’une atteinte sensitive avec diminution de l’amplitude de 70%.

Dans ce contexte, le 17 juin 2014, il a été réalisé une nouvelle intervention consistant en la libération transposition antérieur du nerf ulnaire gauche, une arthroscopie de l’épaule, une arthrolyse et l’ablation de la vis par le Docteur [T].

Le 13 avril 2015, il a bénéficié à la clinique [9] d’une butée iliaque, d’une neurolyse du plexus sous claviculaire et de l’ablation de la vis . Le 26 avril 2015, il a été vu en consultation par le Docteur [O] au sein de l’HOPITAL [10] et ce médecin a procédé à la réalisation d’un drainage ainsi que d’un nettoyage chirurgical au sein de l’HOPITAL [10]. A cette occasion, le chirurgien a retrouvé un hématome liquidien dans le tissu cellulaire sous cutané.

Par la suite, les prélèvements sont revenus positifs à propionibactérium acnes et une antibiothérapie a été prolongée jusqu’au 10 juin 2015 en intraveineuse.

Conservant d’importantes gênes fonctionnelles, Monsieur [H] a saisi la Commission de conciliation et d’indemnisation d’ILE DE FRANCE d’une demande d’expertise médicale. Les Docteurs [X], [P] et [B], chirurgien orthopédiste, ont été désignés en qualité d’Experts.

Ces derniers ont conclu ainsi le 25 juillet 2016 :

« Le dommage correspond à une limitation douloureuse des amplitudes articulaires de l’épaule gauche associée à une perte de force et à une appréhension avec sensation de risque d’instabilité persistante lors de certains mouvements (rotation externe). Le mécanisme pathologique qui a abouti à ce dommage est lié pour 50% à l’échec de la première intervention par défaut de réalisation technique, ce qui a nécessité plusieurs interventions chirurgicales ; la seconde ré intervention s’étant compliquée d’une infection nosocomiale du site opératoire qui intervient pour 50% dans la responsabilité du dommage. »

« La réalisation de l’acte lors de la première intervention du 21 juin 2012 : butée coracoïdienne sous arthroscopie, n’est pas conforme d’un point de vue technique, du fait d’un défaut de positionnement patent de la butée coracoïdienne qui est excessivement médiale, trop à distance de l’interligne gléno humérale, et ne pouvant assurer la stabilisation antérieure de l’articulation gléno humérale. Ce défaut technique majeur est à l’origine de l’échec de cette procédure chirurgicale et a conduit aux ré interventions successives par la suite. »
« L’infection a compliqué la seconde reprise opératoire consécutive au défaut technique. Elle a imposé deux gestes opératoires supplémentaires et une antibiothérapie prolongée. Elle a aggravé les lésions tissulaires, augmentant d’autant les séquelles actuelles.”

Les Experts ont ensuite évalué les préjudices de Monsieur [H] de la façon suivante le 25 juillet 2016 :

« au défaut de réalisation technique de l’intervention du 21/06/2012
- DFT de 100% du 26 avril au 11 mai 2015 puis du 3 au 10 juin 2015 : imputable à l’infection
- DFT de 15% du 11 juin au 15 juillet : imputable à l’infection
- DFT de 12% du 16/07/2015 au 06/03/2016 imputable de manière mixte (ventilation 50%) au défaut de réalisation technique de l’intervention du 21/06/2012 et à l’infection.

Arrêt de travail depuis le 6 mars 2012

- Pour l’intervention du 21 juin 2012, arrêt de travail du 21/09/2012 au 13/04/2015 imputable au défaut de réalisation technique de l’intervention du 11/06/2012

- Pour l’intervention du 13 avril 2015 : arrêt de travail du 15/07/2015 au jour de l’expertise imputable de manière mixte (ventilation de 50%) au défaut de réalisation technique de l’intervention du 21/06/2012 et à l’infection du site opératoire consécutive à l’intervention du 13 avril 2015.

Souffrances endurées 3/7

Préjudice esthétique temporaire 0/7

Consolidation : 6 mars 2016

DFT strictement imputable à l’accident médical, l’affection iatrogène ou l’infection nosocomiale
- DFT de 15% du 8/08/2012 au 15/06/2014 : imputable au défaut de réalisation technique de l’intervention du 21/06/2012
- DFT de 100% : hospitalisation du 16 au 18 juin 2014 : arthrolyse et ablation d’une vis sous arthroscopie épaule gauche imputable au défaut de réalisation technique de l’intervention du 21/06/2012
- DFT de 15% du 16/06/2014 au 12/04/2015 : imputable au défaut de réalisation technique de l’intervention du 21/06/2012
- DFT de 25% du 16 avril 2015 au 25 avril 2015 : imputable

Aide humaine temporaire à raison de deux heures par jour pendant 45 jours dans les suites de chaque geste opératoire, donc les deux premiers liés au défaut technique puis, les deux derniers à l’infection nosocomiale.

DFP 12% compte tenu de la limitation des amplitudes articulaires de l’épaule et la persistance d’une instabilité douloureuse imputable de manière mixte (ventilation 50%) au défaut de réalisation technique de l’intervention du 21/06/2012 et à l’infection consécutive à l’intervention du 13 avril 2015.

Préjudice sexuel : perte de libido alléguée

Dépenses de santé futures : kinésithérapie d’entretien imputable par moitié.”

Dans son avis en date du 13 octobre 2016, la CCI de la région ILE DE France conclut ainsi :

« Il résulte de ce qui précède que l’échec de la première intervention a rendu nécessaire par la suite plusieurs interventions qui ont été susceptibles d’altérer les tissus et structures péri articulaires du fait des abords chirurgicaux successifs. Par ailleurs, la survenue de l’infection postopératoire – qui n’aurait pas eu lieu sans l’échec de la première intervention – a également entrainé des altérations tissulaires. En conséquence, la Commission estime que le dommage subi par Monsieur [H] est entièrement imputable au défaut de réalisation technique de la première intervention du 21 juin 2012. C’est donc sur le fondement de cette faute que l’HOPITAL [8] engage sa responsabilité. »

« En application de la théorie de l’équivalence des conditions, dans la mesure où l’infection ne serait pas survenue en l’absence de faute de l’AP-HP, l’échec de l’intervention du 21 juin 2012 rendant nécessaire les interventions ultérieures, l’indemnisation des conséquences de l’infection nosocomiale doit être mise à la charge de l’AP-HP. »

Dans les suites de cet avis, Monsieur [H] a présenté une demande d’indemnisation auprès de l’AP-HP, laquelle a accepté de prendre en charge seulement 50% des préjudices subis. Monsieur [H] a déposé une requête aux fins d’indemnisation devant le Tribunal administratif de Paris.

Par une décision en date du 18 juillet 2018, le Tribunal administratif de Paris a jugé que la responsabilité de l’AP-HP n’était engagée que pour ce qui concerne la faute commise lors de l’intervention du 21 juin 2012 et les frais éventuellement occasionnés par l’intervention du 13 avril 2015.

C’est dans ces conditions que Monsieur [H] sollicite devant le Tribunal de Céans la condamnation de la CLINIQUE [9] à l’indemniser des conséquences de l’infection qu’il impute à l’intervention du 13 avril 2015.

Par actes en date des 20, 23 mai 7 juin 2022 délivrés à la clinique [9], à la MACIF MUTUALITE et à la CPAM des Hauts de Seine, auxquels il est expressément référé conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, M. [H] demande au tribunal de :

CONDAMNER la Clinique [9] à réparer intégralement les préjudices subis par Monsieur [L] [H] consécutivement à l'infection nosocomiale survenue lors de l'intervention chirurgicale du 13 avril 2015.
CONDAMNER la Clinique [9] à payer à Monsieur [L] [H] les sommes suivantes :
- Frais divers : 3.097,85 Euros,
- Déficit Fonctionnel Temporaire : 1.685,50 Euros,
- Préjudice Esthétique Temporaire : 1.000 Euros,
- Souffrances Endurées : 5.000 Euros,
- Préjudice esthétique permanent : 1.500 Euros,
- Déficit Fonctionnel Permanent : 10.200 Euros,
- Préjudice sexuel : 2.500 Euros.
- Incidence professionnelle : 12.500 Euros.
CONDAMNER la Clinique [9] à verser à Monsieur [L] [H] la somme de 2.500 Euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
ORDONNER qu’en cas d’exécution forcée, les frais d’huissier seront supportés par le débiteur.
DECLARER le jugement à intervenir commun et opposable à :
· la CPAM des Hauts de Seine
· MACIF MUTUALITE
CONDAMNER la Clinique [9] aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Anaïs DEFOSSE, Avocate aux offres de droit en application de l’article 699 du Code de procédure civile.
ORDONNER l’exécution provisoire du jugement à intervenir.”

Par conclusions récapitulatives signifiées le 5 avril 2023, auxquelles il est expressément référé conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la clinique [9] demande au tribunal de :

“- Accueillir la concluante en ses présentes écritures et l’y déclarer bien-fondée;

- Constater l’absence de faute imputable à la Clinique [9];

A titre principal,

- Constater que l’infection nosocomiale est survenue du seule fait d’une faute de l’AP-HP ;

- Dès lors, débouter Monsieur [H] de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions en ce qu’elles sont formulées à l’encontre de la CLINIQUE [9] ;

A titre subsidiaire,

- Prendre acte de ce que la faute du chirurgien exerçant à titre salarié au sein de l’AP-HP est à l’origine d’une perte de chance de 70% d’éviter l’infection.
- Aussi, dire que seuls 30% des préjudices strictement en lien avec cette infection sont susceptibles d’être mis à la charge de la CLINIQUE [9] ;

- Dès lors, mettre à la charge de la Clinique 30% des sommes suivantes :
- 2.700 euros au titre du besoin en tierce personne
- 51.70 euros au titre des frais divers
- 1.110,80 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire
- 3.000 euros au titre des souffrances endurées
- 20.400 au titre du déficit fonctionnel permanent
- 1.000 euros au titre du préjudice sexuel

- Ramener à de plus justes proportions la somme à allouer au titre de l’article 700 du CPC ;

- Rejeter le surplus des demandes ;

A titre subsidiaire, limiter le montant global à allouer au titre de l’incidence professionnelle à la somme de 10.000 euros

- Statuer ce que de droit sur les dépens ; “

La CPAM des Hauts de Seine indique que sa créance s’élève à la somme de 103 142,42€, soit :
- frais médicaux et hospitaliers : 37 390,51€
- indemnités journalières versées du 21 septembre 2012 au 6 mars 2016 : 58 008,60€
- rente AT : 7615,61€
- frais post consolidation jusqu’au 3 juin 2016 : 127,10€.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 20 novembre 2023, l’affaire a été plaidée le 2 avril 2024 et mise en délibéré à ce jour.

La CPAM des Hauts de Seine et la MACIF MUTUALITE, régulièrement assignées, n’ayant pas constitué avocat, le présent jugement susceptible d’appel, sera réputé contradictoire à l’égard de toutes les parties.

MOTIFS DE LA DECISION

Position de M. [H]

Il rappelle qu’il a contracté l’infection nosocomiale au décours de son hospitalisation au sein de la clinique [9] du 13 au 15 avril 2015 et qu’il résulte de la décision rendue le 18 juillet 2018 par le tribunal administratif de Paris que son dommage est lié pour 50% à l’échec de la première intervention du 21 juin 2012 et pour 50% à la survenue de l’infection nosocomiale. Il demande en conséquence que la clinique [9] soit condamnée à l’indemniser de la moitié de ses préjudices.

Position de la clinique [9]

Elle constate que l’acte initial n’a pas été réalisé conformément aux règles de l’art et qu’il existe donc deux co-responsables, l’un fautif et l’autre non fautif, ce dont elle déduit que le recours entre co-obligés solidaires doit se faire selon les règles de la subrogation et les règles de droit commun, ce qui signifie que le recours du non fautif contre le fautif est intégral. Elle estime en conséquence que dans la mesure où l’infection ne serait pas survenue en l’absence du défaut de prise en charge de l’AP-HP, seule cette dernière est tenue d’indemniser les conséquences de l’infection nosocomiale, comme l’a conclu la CCI dans son avis du 13 octobre 2016. A titre subsidiaire, si le tribunal entendait retenir une part d’indemnisation à sa charge, elle estime que cette part ne saurait excéder 30%, le surplus étant exclusivement imputable au chirurgien exerçant au sein de l’AP-HP.

Sur ce,

Il résulte des dispositions des articles L.1142-1-I du code de la santé publique que, “hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. Les établissements, services et organismes mentionnés sont responsables des dommages résultant d’infections nosocomiales, sauf s’ils rapportent la preuve d’une cause étrangère”.

Dans sa décision rendue le 18 juillet 2018, le tribunal administratif de Paris, faisant application de cette disposition légale, a jugé que “s’il résulte de l’instruction que l’intervention réalisée le 13 avril 2015 a été rendue nécessaire par le défaut de positionnement commis lors de l’intervention du 21 juin 2012, cette première intervention n’a joué aucun rôle dans la survenance et les conséquences de l’infection nosocomiale contractée lors de l’intervention ultérieure. Dans ces conditions, l’AP-HP doit être condamnée à prendre en charge les préjudices découlant de la faute commise lors de l’intervention du 21 juin 2012, représentant 50% des dommages subis par M. [H], ainsi que les frais éventuellement engagés pourl’intervention du 13 avril 2015. En revanche, en l’absence de lien de causalité entre la faute de l’AP-HP et l’infection nosocomiale contractée à la clinique [9], l’AP-HP ne peut être tenue d’indemniser les préjudices découlant de l’infection nosocomiale. Il appartient à M. [H], s’il s’y croit fondé, de saisir les juridictions compétentes d’une action en responsabilité concernant l’infection contractée lors de l’intervention du 13 avril 2015”.

Il résulte de cette décision que la clinique [9] doit indemniser la totalité des préjudices de M. [H] en lien avec la seule infection nosocomiale en application des dispositions précitées de l’article L.1142-1-I du code de la santé publique. A titre subsidiaire, la clinique [9] estime que sa responsabilité ne saurait excéder 30% du surplus au motif qu’en l’absence de manquement du praticien hospitalier de l’AP-HP, l’intervention au cours de laquelle M. [H] a contracté une infection aurait pu être évitée. Cependant, l’infection du site opératoire survenue lors de l’intervention du 13 avril 2015 au sein de la clinique [9] est indépendante de la prise en charge initiale du requérant le 21 juin 2012, puis le 23 juillet 2013 et le 17 juin 2014 au sein de l’hôpital [8] et il n’existe aucun lien de causalité direct entre ces deux événements. Il appartient donc à la clinique [9] d’indemniser M. [H] de la totalité de ses préjudices en lien avec l’infection nosocomiale.

Sur les préjudices

Les conclusions de la CCI en date du 13 octobre 2016 sont les suivantes :

Consolidation : 6 mars 2016

DFT strictement imputable à l’accident médical, l’affection iatrogène ou l’infection nosocomiale

- DFT de 15% du 8/08/2012 au 15/06/2014 : imputable au défaut de réalisation technique de l’intervention du 21/06/2012

- DFT de 100% : hospitalisation du 16 au 18 juin 2014 : arthrolyse et ablation d’une vis sous arthroscopie épaule gauche imputable au défaut de réalisation technique de l’intervention du 21/06/2012

- DFT de 15% du 16/06/2014 au 12/04/2015 : imputable au défaut de
réalisation technique de l’intervention du 21/06/2012

- DFT de 25% du 16 avril 2015 au 25 avril 2015 : imputable au défaut de réalisation technique de l’intervention du 21/06/2012

- DFT total du 13 au 15 avril 2015 imputable au défaut de réalisation technique de l’intervention du 21/06/2012

- DFT total du 26 avril au 12 mai 2015 ( hospitalisation à l’hôpital [10]), puis en HAD du 3 au 10 juin 2015 imputable à l’infection du site opératoire

- DFT de 15% du 11 juin 2015 au 15 juillet 2015 (arrêt des antibiotiques) imputable à l’infection du site opératoire

- DFT de 12% du 16 juillet 2015 au 6 mars 2016 , imputable de manière mixte ( ventilation de 50%)

Aide humaine temporaire à raison de deux heures par jour pendant 45 jours dans les suites de chaque geste opératoire ( 21 juin 2012, 17 juin 2014, 13 avril 2015 et 26 avril 2015), donc les deux premiers liés au défaut technique ,puis, les deux derniers à l’infection nosocomiale.

DFP 12% compte tenu de la limitation des amplitudes articulaires de l’épaule et la persistance d’une instabilité douloureuse imputable de manière mixte (ventilation 50%) au défaut de réalisation technique de l’intervention du 21/06/2012 et à l’infection consécutive à l’intervention du 13 avril 2015.

Souffrances endurées 3/7

Préjudice esthétique temporaire: 0/7

Préjudice sexuel : perte de libido alléguée

Dépenses de santé futures : kinésithérapie d’entretien imputable par moitié.”

Au vu de l’ensemble des éléments produits aux débats, le préjudice de M. [H], âgé de 39 ans lors de sa consolidation sera évalué comme suit :

I/ Préjudices patrimoniaux

A/ Préjudices patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

1) Dépenses de santé actuelles

Elles correspondent aux frais médicaux, pharmaceutiques et d'hospitalisation déjà exposés tant par les organismes sociaux que par la victime. La CPAM des Hauts de Seine a pris en charge la somme de 1522,20€ du 12 au 15 avril 2015 et celle de 29 376€ du 26 avril au 12 mai 2015. M.[H] ne réclame aucune somme à ce titre.

2) Frais divers

M. [H] justifie de frais de location de télévision à hauteur de 24€ à la clinique [9] et demande également la somme de 13,85€ correspondant à la moitié des frais de photocopie de son dossier médical, l’autre moitié ayant été mise à la charge de l’AP-HP par le tribunal administratif. Le bien fondé de la demande est donc établi à hauteur de 37,85€.

3) Assistance tierce personne

Il convient d'indemniser les dépenses destinées à compenser les activités non professionnelles particulières qui ne peuvent être assumées par la victime directe durant sa maladie traumatique, comme l'assistance temporaire d'une tierce personne pour les besoins de la vie courante, étant rappelé que l’indemnisation s'entend en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée. Le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être subordonné à la production de justificatifs des dépenses effectives.

M. [H] a eu besoin d’une aide de deux heures par jour pendant 45 jours après chaque intervention, soit quatre interventions, dont deux liées à l’infection nosocomiale. Les parties s’accordent sur le fait que l’aide imputable à celle-ci est donc de 180 heures (90 jours x 2heures).
Sur la base de 17€ de l’heure M. [H] réclame la somme de 3060€ ( 90 jours x 2 heures x 17€ ) , tandis que la clinique [9] offre la somme de 810€ sur la base de 15€ de l’heure ( 90 jours x 2 heures x 15€ x 30%).
Sur la base d’un taux horaire de 17€ adapté à la situation de la victime il lui sera alloué:
90 jours x 2 heures x 17€ = 3060€.

B/ préjudices patrimoniaux définitifs

Incidence professionnelle

M. [H] sollicite la somme de 25 000€ , dont 12 500€ au titre de l’infection nosocomiale. Il fait valoir l’obligation dans laquelle il s’est trouvé d’effectuer une reconversion professionnelle, une formation de technicien informatique qui n’a pas débouché sur un emploi et son emploi actuel d’agent de voyage. Il met en avant sa dévalorisation sur le marché du travail et l’impossibilité désormais d’exercer certaines professions. M. [H] exerçait dans la vente de prêt à porter et assurait la réception des marchandises, impliquant le port de charges lourdes. Compte tenu de la limitation douloureuse des amplitudes articulaires de l’épaule gauche il subit une restriction de ses débouchés et perspectives professionnelles. En conséquence son préjudice sera réparé à hauteur de 12 500€.

II / Préjudices extra-patrimoniaux

A/ Préjudices extra-patrimoniaux temporaires (avant consolidation)

1) Déficit fonctionnel temporaire

Ce préjudice inclut, pour la période antérieure à la consolidation, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique, le préjudice temporaire d'agrément, éventuellement le préjudice sexuel temporaire.

M. [H] réclame la somme de 1685,50€ sur la base de 25€ par jour pour un déficit total, tandis que la clinique [9] offre celle de 1110,80€ sur la base de 20€ par jour.

Les conclusions de la CCI sont les suivantes :

- DFT de 15% du 8/08/2012 au 15/06/2014 : imputable au défaut de réalisation technique de l’intervention du 21/06/2012

- DFT de 100% : hospitalisation du 16 au 18 juin 2014 : arthrolyse et ablation d’une vis sous arthroscopie épaule gauche imputable au défaut de réalisation technique de l’intervention du 21/06/2012

- DFT de 15% du 16/06/2014 au 12/04/2015 : imputable au défaut de
réalisation technique de l’intervention du 21/06/2012

- DFT de 25% du 16 avril 2015 au 25 avril 2015 : imputable au défaut de réalisation technique de l’intervention du 21/06/2012

- DFT total du 13 au 15 avril 2015 imputable au défaut de réalisation technique de l’intervention du 21/06/2012

- DFT total du 26 avril au 12 mai 2015 ( hospitalisation à l’hôpital [10]), puis en HAD du 3 au 10 juin 2015 imputable à l’infection du site opératoire

- DFT de 15% du 11 juin 2015 au 15 juillet 2015 (arrêt des antibiotiques) imputable à l’infection du site opératoire

- DFT de 12% du 16 juillet 2015 au 6 mars 2016 , imputable de manière mixte ( ventilation de 50%)

Sur la base d’une indemnisation de 25 € par jour comme demandé pour un déficit total, compte tenu de la nature des blessures, les troubles dans les conditions d'existence subis par M. [H] jusqu'à la consolidation, justifient l'octroi d'une somme de 1685,50€, soit :
- du 26 avril 2015 au 11 mai 2015 et du 3 mai au 10 juin 2015 :
24 jours x 25€ = 600€
- du 11 juin au 15 juillet 2015:
35 jours x 25€ x 15% = 131,25€
- du 16 juillet 2015 au 6 mars 2016:
234 jours x 25€ x 12% x 50% = 351€
soit 1082,25€.

2) Souffrances endurées

Il s'agit d'indemniser ici les souffrances tant physiques que morales endurées du fait des atteintes à l'intégrité, la dignité et l’intimité et des traitements, interventions, hospitalisations subies depuis l'accident jusqu'à la consolidation.

Elles ont été évaluées par les experts à 3/7, imputables pour moitié au défaut de réalisation technique et pour moitié à l’infection nosocomiale ; dans ces conditions il sera alloué la somme de 3000€ en réparation de ce préjudice.

3) Préjudice esthétique temporaire

Ce préjudice est lié à la nécessité de se présenter dans un état physique altéré au regard des tiers.

Les experts n’ont pas retenu un tel préjudice ; cependant ils mentionnent dans les suites de l’intervention du 13 avril 2015 l’apparition d’un oedème local persistant ayant nécessité une reprise chirurgicale, à compter du 25 avril 2015. Ce préjudice est donc constitué et sera réparé à hauteur de la somme de 800€.

B/ Préjudices extra-patrimoniaux permanents

1) Déficit fonctionnel permanent

Ce poste de préjudice tend à indemniser la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel, ou intellectuel résultant de l'atteinte à l'intégrité anatomo-physiologique, à laquelle s'ajoute les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques, notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence (personnelles, familiales et sociales) dont la victime continue à souffrir postérieurement à la consolidation du fait des séquelles tant physiques que mentales qu'elle conserve.

En l’espèce, il convient de fixer la réparation de ce préjudice, évalué par les experts à 12% compte tenu de la limitation des amplitudes articulaires de l’épaule et la persistance d’une instabilité douloureuse, mais imputable pour moitié à l’infection nosocomiale, à la somme de 10 200€ ( 20 400x 50%), soit une valeur du point fixée à 1700€ pour un homme âgé de 39 ans à sa consolidation.

2) Préjudice esthétique permanent

Ce poste indemnise les éléments de nature à altérer l'apparence ou l'expression de la victime.

En l’espèce les experts n’ont pas retenu un tel préjudice et si M. [H] sollicite une réparation à hauteur de 1500€, il ne décrit pas en quoi consiste ce préjudice. La demande sera donc rejetée.

3) Préjudice sexuel

Ce poste de préjudice à vocation à indemniser :
-un préjudice morphologique lié à l'atteinte aux organes sexuels résultant du dommage subi,
-un préjudice lié à l'acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel ( perte de l'envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l'acte sexuel, perte de la capacité à accéder au plaisir),
-un préjudice lié à une impossibilité ou difficulté à procréer.

Les experts ont indiqué une perte de libido alléguée et le tribunal administratif n’a été saisi d’aucune demande. M. [H] sollicite la somme de 5000€ “dont 50% devront être mis à charge de la clinique” (2500 euros ) tandis que la clinique [9] offre celle de 1000€. Compte tenu du DFP de 12% dont la moitié imputable à l’infection nosocomiale, la perte de libido alléguée est vraisemblable et ce préjudice sera réparé à hauteur de 2000€.

SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

* Sur l’application de l’article 700 du code de procédure civile

Il convient de condamner la clinique [9] partie perdante du procès aux dépens et à payer à M. [H] sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, une somme qu’il apparaît équitable de fixer à 2500€.

* Sur l’exécution forcée et l’exécution provisoire

S’agissant de la demande d’exécution forcée , il n’appartient pas au tribunal de trancher un litige hypothétique.

Rien ne justifie d'écarter l'exécution provisoire dont la présente décision bénéficie de droit, conformément aux dispositions des articles 514 et 514-1 du code de procédure civile, s'agissant en effet d'une instance introduite après le 1er janvier 2020.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire mis à disposition au greffe et rendu en premier ressort,

DECLARE la clinique [9] responsable des conséquences dommageables de l'infection nosocomiale contractée par M. [L] [H] lors de l'intervention pratiquée le 13 avril 2015 ;

CONDAMNE en conséquence la clinique [9] à payer à M. [L] [H] les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal à compter du présent jugement :
- celle de 37,85€ au titre des frais divers
- celle de 3060€ au titre de la tierce personne
- celle de 1082,25€ au titre du déficit fonctionnel temporaire
- celle de 800€ au titre du préjudice esthétique temporaire
- celle de 3000€ au titre des souffrances endurées
- celle de 10 200€ au titre du déficit fonctionnel permanent
- celle de 2000€ au titre du préjudice sexuel
- celle de 12 500€ au titre de l’incidence professionnelle ;

DÉBOUTE M. [L] [H] de sa demande formée au titre du préjudice esthétique définitif ;

DECLARE le jugement commun à la CPAM des Hauts de Seine et à la MACIF;

CONDAMNE la clinique [9] à payer à M. [L] [H] la somme de 2500€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la clinique [9] aux entiers dépens ;

ACCORDE à Maître Anais DEFOSSE le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que le présent jugement est assorti de l'exécution provisoire ;

REJETTE le surplus des demandes, plus amples ou contraires.

Fait et jugé à Paris le 10 Juin 2024.

La GreffièreLa Présidente

Erell GUILLOUËTLaurence GIROUX


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 19eme contentieux médical
Numéro d'arrêt : 22/06801
Date de la décision : 10/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-10;22.06801 ?
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