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06/06/2024 | FRANCE | N°20/12187

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 18° chambre 2ème section, 06 juin 2024, 20/12187


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
C.C.C.F.E. + C.C.C.
délivrées le :
à Me LE FEVRE (D0353)
Me REMOVILLE (C2546)




18° chambre
2ème section


N° RG 20/12187

N° Portalis 352J-W-B7E-CTKIE

N° MINUTE : 1


Assignation du :
02 Décembre 2020





JUGEMENT
rendu le 06 Juin 2024





DEMANDERESSE

S.A.S. LEFORT ET RAIMBERT (RCS de Nanterre 562 129 635)
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Me Marie-Véronique LE FEVRE, avocat au barreau

de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #D0353



DÉFENDERESSE

S.A.S. KARAVEL (RCS de Paris 532 321 916)
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Me Yves REMOVILLE, avocat au barreau de PARIS, av...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
C.C.C.F.E. + C.C.C.
délivrées le :
à Me LE FEVRE (D0353)
Me REMOVILLE (C2546)

18° chambre
2ème section

N° RG 20/12187

N° Portalis 352J-W-B7E-CTKIE

N° MINUTE : 1

Assignation du :
02 Décembre 2020

JUGEMENT
rendu le 06 Juin 2024

DEMANDERESSE

S.A.S. LEFORT ET RAIMBERT (RCS de Nanterre 562 129 635)
[Adresse 1]
[Localité 4]

représentée par Me Marie-Véronique LE FEVRE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #D0353

DÉFENDERESSE

S.A.S. KARAVEL (RCS de Paris 532 321 916)
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Me Yves REMOVILLE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C2546

Décision du 06 Juin 2024
18° chambre 2ème section
N° RG 20/12187 - N° Portalis 352J-W-B7E-CTKIE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Lucie FONTANELLA, Vice-présidente
Maïa ESCRIVE, Vice-présidente
Cédric KOSSO-VANLATHEM, Juge

assistés de Henriette DURO, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 07 Mars 2024 tenue en audience publique devant Lucie FONTANELLA, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile.

Après clôture des débats, avis a été donné aux avocats, que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement
Contradictoire
En premier ressort
_________________

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous seing privé du 11 avril 2012, la S.A.R.L. LEFORT & RAIMBERT a consenti à la S.A.S. KARAVEL un bail portant sur des locaux à usage de bureaux sis [Adresse 2]), pour une durée de neuf années à compter du 15 mai 2012 se terminant le 14 mai 2021.

Par avenant du 20 mars 2015, les parties sont convenues d'étendre le bail à d'autres locaux dans le même ensemble immobilier.

Par avenant du 18 décembre 2018, les parties sont convenues d'une " transformation " du bail en " location meublé avec services pour la totalité des surfaces louées " et ont encore étendu le bail à d'autres locaux dans le même ensemble immobilier, portant le loyer total à 368 707,28 € HT et HC, indexé annuellement.

Après une sommation signifiée le 16 octobre 2020 de payer le solde de loyers et charges des premier, deuxième et troisième trimestres 2020, d'un montant de 254 398,80 €, la bailleresse a fait procéder à deux saisies conservatoires de créance le 04 novembre 2020 de cette même somme :
-d'une part, sur un compte de la locataire dans les livres de la S.A. BNP PARIBAS, qui a déclaré que le compte était créditeur de 12 641 682,66 €,
-d'autre part, sur un compte de la locataire dans les livres de la S.A. SOCIÉTÉ GÉNÉRALE, qui a déclaré que le compte était créditeur de 2 145 115,46 €.

Par acte du 02 décembre 2020, la S.A.S. LEFORT ET RAIMBERT a assigné la S.A.S. KARAVEL devant le tribunal judiciaire de PARIS.

Dans ses dernières écritures du 05 octobre 2022, la S.A.S. LEFORT ET RAIMBERT sollicite :
-la condamnation de la défenderesse à lui payer une somme de 254 398,80 € arrêtée au 16 octobre 2020, avec intérêts au taux légal à compter de la même date, au titre des arriérés de loyers et charges,
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-sa condamnation aux entiers dépens de l'instance ainsi qu'à lui payer une somme de 5 000 € au titre de ses frais irrépétibles,
-d'ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Dans ses dernières écritures du 02 janvier 2023, la S.A.S. KARAVEL sollicite :
-le rejet des demandes de la bailleresse aux motifs qu'elle ne produit qu'une grille de répartition incomplète des charges à l'appui de ses demandes et a manqué à son obligation de bonne foi dans l'exécution du contrat de bail,
-subsidiairement, la fixation du montant des loyers hors charges et hors taxes au titre des deuxième et troisième trimestres 2020 à la somme globale de 100 000 € ,
-la condamnation de la bailleresse à lui payer une somme de 48 470,92 € à titre de remboursement de sommes facturées jusqu'au premier trimestre 2022 inclus pour une prestation d'hôtesse d'accueil non stipulée au bail,
-la condamnation de la bailleresse à lui payer une indemnité de 10 000 € en réparation du préjudice résultant d'un exercice abusif de son droit de réaliser des travaux,
-la compensation des éventuelles créances réciproques,
-la condamnation de la demanderesse aux entiers dépens de l'instance ainsi qu'à lui payer une somme de 5 000 € au titre de ses frais irrépétibles.

Pour un exposé exhaustif des prétentions des parties, le tribunal se réfère expressément à leurs écritures par application de l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture de la mise en état a été prononcée par ordonnance du 28 mars 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de paiement de la bailleresse

La demanderesse sollicite la condamnation de sa locataire à lui payer une somme au titre du solde des loyers et charges des premier, deuxième et troisième trimestres 2020, exposant que ses mises en demeure étant demeurées infructueuses, et la négociation pour échelonner amiablement l'impayé n'ayant pas abouti, elle a dû faire pratiquer des saisies conservatoires qu'elle entend faire valider.

Elle oppose à la locataire, qui lui reproche une exécution de mauvaise foi du contrat de bail, qu'elle lui a proposé une remise de loyer à hauteur de 20 000 € sans y être tenue et que celle-ci a les moyens de payer mais cherche à échapper à ses obligations locatives alors qu'elle a perçu des aides de l'État et loue des locaux à usage de bureaux et non de commerce.

La locataire fait valoir qu'elle exerce une activité d'agence de voyages, que le secteur du tourisme a connu une crise majeure avec les mesures de restrictions sanitaires prises dans le cadre de la lutte contre la pandémie de covid 19, qu'elle a subi une importante diminution de son chiffre d'affaires, qu'elle a sollicité de sa bailleresse une remise de loyers pour l'aider à franchir ce cap difficile, mais que celle-ci a soit gardé le silence, soit refusé, soit ne lui a proposé que des étalements, qu'elle ne lui a finalement fait qu'une proposition de remise de 20 000 € qu'elle a rapidement retirée après avoir constaté que les saisies conservatoires sur ses comptes bancaires, qui ont bloqué indûment une somme totale de 508 797,60 €, étaient fructueuses, avant de rompre les discussions et de l'assigner devant le tribunal.

Elle explique que ces saisies, dont l'une a été levée sous la menace d'une action judiciaire, ont mis en péril son activité, qu'elle a dû faire appel aux services du ministère de l'économie et des finances pour débloquer ses comptes et que l'importante trésorerie sur ces comptes ne lui appartenait pas mais était quasi-essentiellement constituée d'avoirs consentis à ses clients qui devaient, au plus tard en septembre 2021, soit financer des voyages remplaçant ceux qui avaient été annulés, soit être remboursés auxdits clients.
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En vertu de l'ancien article 1134 du code civil, devenu ses articles 1103 et 1104, les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et doivent être exécutées de bonne foi.

Il est constant que la bonne foi exige des parties un comportement loyal dans l'exécution du contrat, de sorte que l'exercice abusif d'une prérogative contractuelle peut être sanctionné en privant d'effet l'acte accompli de façon déloyale, ou que la faute ainsi commise peut justifier l'indemnisation du dommage en résultant.

En l'espèce, la défenderesse concluant à titre principal au rejet, subsidiairement à la réduction à 100 000 €, de la créance de loyers, il convient d'examiner le bien-fondé de ses moyens à ce titre avant de statuer sur la demande de paiement à son encontre.

La locataire reproche à sa bailleresse, sur le fondement de la bonne foi contractuelle, de lui avoir refusé une remise de loyer et d'avoir pratiqué une saisie conservatoire sur ses comptes bancaires, ce alors qu'elles étaient en négociation et sans prendre en compte sa situation économique.

Toutefois, le refus de consentir une remise de loyer à un locataire qui fait état de difficultés économiques et le recours à des actes d'exécution forcée à défaut de paiement de sommes contractuellement dues ne sont pas constitutifs de comportements déloyaux de la part d'un bailleur.

Il est observé que dans un mail du 25 novembre 2020, le mandataire de la bailleresse a expliqué que celle-ci était prête à consentir un étalement de la dette ainsi qu'une franchise de 20 000 € correspondant à vingt jours de loyers, mais que la locataire n'a " pas dénié accepter ni l'étalement ni la franchise, estimant que cela n'était pas suffisant ", que ce positionnement était " incompréhensible " alors qu'elle disposait " d'une trésorerie de presque quinze millions d'euros ".

Si la locataire lui a répondu par mail, dès le lendemain, que cet argent était celui de ses clients " pour la majeure partie ", force est de constater qu'elle n'a jamais sollicité la mainlevée de la saisie à ce titre (la demande de mainlevée qu'elle évoque ne concernant que la levée de la saisie auprès de la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE, car celle effectuée auprès de la BNP était suffisante) ni démontré que la part des fonds sur ces comptes qui ne revenait pas à ses clients ne permettait pas d'apurer sa dette.

En outre, il n'apparaît pas que la saisie a été pratiquée de façon déloyale, en ce que la bailleresse aurait surpris malicieusement sa locataire en lui laissant croire qu'elle n'allait pas poursuivre le paiement de sa créance, alors qu'elle n'a proposé qu'une remise partielle qui a été refusée, et il n'est pas prouvé que cette saisie aurait effectivement, ainsi que le soutient la défenderesse, provoqué une mise en péril de son activité.

Enfin, et en tout état de cause, le tribunal ne saurait sanctionner une mauvaise foi de la bailleresse qu'en privant d'effet un acte accompli de façon déloyale ou en indemnisant un préjudice en résultant, ce qui n'est pas demandé par la locataire, et non en dispensant celle-ci de l'exécution de ses obligations contractuelles, comme elle le sollicite, en lui accordant, par un rejet de la demande de paiement de l'arriéré locatif ou une réduction de celui-ci, une remise de dette que sa créancière lui a refusée.

Dans ces conditions, la défenderesse sera déboutée de ses prétentions tendant au rejet, ou subsidiairement, à la réduction, de sa condamnation au paiement d'un arriéré locatif.

Il y a donc lieu d'examiner la demande à ce titre.

En application de l'article 9 du code de procédure civile et de l'ancien article 1315, devenu l'article 1353 du code civil, il incombe au bailleur qui sollicite la condamnation du locataire au paiement de loyers, charges et accessoires, de produire les pièces justificatives permettant au tribunal de constater et de vérifier, outre l'existence de l'obligation du locataire, l'exactitude des sommes réclamées.

Il doit notamment fournir un décompte reprenant tous les loyers, charges ou autres sommes dues impayées et les règlements effectués par le locataire, ainsi que les justificatifs (factures, appels de charges, avis d'imposition, relevés individuels et généraux de copropriété, etc...) des sommes réclamées, afin que le tribunal puisse vérifier le calcul de la somme réclamée et en apprécier la pertinence.

En l'espèce, l'article 7 du bail prévoit un remboursement du bailleur par le locataire des diverses charges et dépenses d'entretien et de fonctionnement afférentes à l'immeuble, y compris tous travaux de réparation, de réfection ou de remplacement y ayant trait sur les parties communes, taxes sur les bureaux, foncière, sa quote-part étant déterminée selon une grille de répartition en millième agréée par le preneur, celui-ci renonçant à contester une nouvelle grille qui s'y substituerait et devant payer lesdites charges par provisions trimestrielles, le bailleur devant procéder à une régularisation annuelle en effectuant un arrêté des comptes et en fournissant au preneur un décompte exact des charges locatives pour l'année.

La locataire s'oppose également à la demande de paiement de la bailleresse au motif qu'elle ne prouve pas, comme il lui appartient, l'existence et la répartition des charges dont elle réclame le paiement, expliquant que la grille de répartition entre les locataires prévue à l'article 7 du bail n'y est pas annexée, qu'elle ne connaît pas la part des tantièmes attachés à son lot, que la grille de répartition pour l'ensemble des lots n'a pas été communiquée, que la clé de la répartition des charges n'a pas été modifiée suite à la création d'un local technique pour les seuls besoins de la bailleresse et que les régularisation annuelles de charges ne comportent pas de détail, de sorte qu'elle ne peut vérifier que les charges qui lui sont imputées sont justes.

La bailleresse réplique que sa locataire prend prétexte de la présente procédure pour contester une répartition des charges non discutée jusqu'alors et qu'elle ne se serait aperçue qu'en 2021 que la grille aurait dû lui être remise en 2012.

Force est toutefois de constater que si elle a produit aux débats, en réponse aux contestations de la locataire, le tableau précisant les tantièmes de charges attribués à chacun des lots de l'immeuble (pièce 18) ainsi qu'un tableau précisant le montant des charges payées par lots au 10 novembre 2021, elle n'a pas fourni d'élément complet et exploitable, permettant de constater l'exact calcul des charges imputées à la locataire en 2020.

En effet, il lui incombait de fournir à sa locataire un document reprenant l'ensemble des charges de l'immeuble ainsi que les tantièmes des lots qui lui sont loués et la part de charges qui leur est imputée, afin qu'elle puisse vérifier ce calcul, la simple mention dans la facture du 1er avril 2021 d'un solde de charges locatives de 3 242 € pour l'année 2020 sans aucune précision expliquant ce montant n'étant pas suffisante.

En conséquence, il convient de constater que la bailleresse échoue à rapporter la preuve des charges contestées par la locataire.

En revanche, il y a lieu de relever que ses contestations ne portent que sur les charges d'entretien et de fonctionnement de l'immeuble et leur régularisation ; le coût de l'assurance, les frais de gestion, les taxes foncière et de bureau, notamment, n'étant pas évoqués, lesdites contestations sont limitées aux charges stricto sensu, objets d'acomptes (provisions) trimestriels de 8 500 €.
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En outre, il ressort d'un examen attentif des pièces fournies par la bailleresse que la somme réclamée au titre du solde du premier trimestre 2020 ne correspond pas aux sommes facturées sur cette période, qui ont été payées par la locataire (y compris les charges contestées) mais à un solde antérieur au 1er janvier 2020 reporté dans la facture des sommes exigibles à cette date, qui n'est aucunement discuté en défense.

Il apparaît dès lors que les charges contestées et non justifiées correspondent, dans les sommes réclamées par la bailleresse, aux seules " acomptes " de 8 500 € facturées au titre des provisions sur charges des deuxième et troisième trimestres 2020.

En conséquence, le surplus des sommes réclamées par la bailleresse n'étant pas contesté, il convient de condamner la locataire à lui payer au titre des arriérés de loyers et charges arrêtés au 16 octobre 2020 : 254 398,80 € - (8 500 € x2) = 237 398,80 €.

Conformément à l'ancien article 1153 du code civil, devenu son article 1231-6, cette somme produira des intérêts au taux légal à compter du 16 octobre 2020.

La demanderesse sera déboutée du surplus de sa demande au titre des arriérés de loyers et charges arrêtés au 16 octobre 2020.

Sur les demandes reconventionnelles de la locataire

Celle-ci réclame en premier lieu une indemnité de 10 000 € à sa bailleresse, lui reprochant de réaliser quasiment chaque année des travaux, non nécessaires mais d'embellissement, qui provoquent des nuisances sonores pendant le travail de ses salariés et les mettent en danger faute de sécurisation suffisante des chantiers.

Elle fait valoir que celle-ci, abusant de son droit de réaliser des travaux dans l'immeuble et de la clause de souffrance figurant au bail, engage sa responsabilité extracontractuelle.

La bailleresse répond qu'il n'est pas anormal qu'elle effectue des travaux d'entretien et d'amélioration dans l'immeuble, que la locataire, qui y est installée depuis vingt ans, s'y est agrandie, n'a pas été dérangée, que ses extensions dans de nouveaux locaux ont également été précédées de travaux et que les poussières dans les parties communes ont été retirées avec diligence.

L'article 1724 du code civil dispose que :
" Si, durant le bail, la chose louée a besoin de réparations urgentes et qui ne puissent être différées jusqu'à sa fin, le preneur doit les souffrir, quelque incommodité qu'elles lui causent, et quoiqu'il soit privé, pendant qu'elles se font, d'une partie de la chose louée.
Mais, si ces réparations durent plus de vingt et un jours (antérieurement " quarante jours "), le prix du bail sera diminué à proportion du temps et de la partie de la chose louée dont il aura été privé.
(...) ".

L'article 6.14 du bail stipule que :
" Le preneur devra supporter sans pouvoir réclamer ni indemnité ni dommages-intérêts et ce, quelle qu'en soit la durée, même si elle excède quarante jours, et ce, par dérogation à l'article 1724 du code civil, les réparations à la charge du bailleur ainsi que tous autres travaux et notamment les améliorations nécessaires ou utiles, soit dans les locaux loués, soit dans les autres parties de l'immmeuble, même s'ils ne doivent pas profiter au preneur (...) ".

Il est constant que les clauses dites " de souffrance " sont valables mais ne peuvent affranchir le bailleur de son obligation de délivrance des lieux loués, et ne reçoivent pas application en cas d'impossibilité totale d'exploiter les lieux loués pendant les travaux ou lorsque le locataire subit une gêne anormale dans son exploitation.
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Tel est notamment le cas lorsque les travaux ont entraîné un trouble excessif et durable résultant des insuffisances et lacunes du bailleur, tant dans le domaine de la sécurité que de la discipline de chantier, que des désagréments liés aux bruits et au défaut d'entretien des parties communes pendant une longue période.

En l'espèce, la locataire produit, au soutien de sa demande à ce titre ;
-une lettre de sa bailleresse du 14 février 2014 l'informant de la réalisation de travaux pendant deux mois pour la réalisation d'un local technique, impliquant la pose d'un échafaudage et la privation du local vélo,
-des échanges de mails avec la bailleresse en mars 2014 avec des photographies, la locataire lui demandant de l'informer de l'impact de ces travaux sur ses locaux et du planning de leur réalisation et faisant part de l'inquiétude de ses équipes concernant les nuisances sonores engendrées, la présence de l'échafaudage devant la fenêtre de son directeur général et " la cour faisant caisse de résonnance " puis lui demandant d'intervenir en urgence pour mettre en place un périmètre de sécurité avec une signalisation appropriée, à la suite de la chute d'une barre métallique lors de l'installation de l'échafaudage, tombée à quelques centimètres d'une collaboratrice présente dans la cour ; la bailleresse lui répondant le jour-même en lui indiquant les mesure de sécurité prises,
-un mail qu'elle a adressé à la bailleresse en date du 21 juin 2021, avec des photographies en annexe, lui reprochant de faire deux chantiers depuis près de quinze jours, avec des travaux très lourds provoquant des nuisances sonores importantes (marteau-piqueur), sans l'avoir prévenue au préalable et un empilement de gravats dans la cour avec du matériel de chantier, réclamant en conséquence une remise sur le deuxième trimestre d'a minima 50%.

Il ressort de ces éléments, notamment des photographies des travaux réalisés en 2021, montrant d'importantes destructions dans les locaux voisins, qui ont nécessairement requis l'usage d'engins bruyants, ainsi que de la présence d'un échafaudage dans la cour pendant deux mois en 2014, que la locataire a subi au cours de ces chantiers de fortes nuisances sonores de nature à empêcher l'exploitation des locaux loués où elle exerce une activité de nature intellectuelle.

Ainsi, la bailleresse, l'ayant privée de la faculté de jouir des locaux loués conformément à leur destination, a manqué à son obligation de délivrance et sera condamnée à lui verser à ce titre une indemnité qu'il convient de fixer à 10 000 €.

La locataire réclame, en second lieu, la restitution d'une somme de 48 470,92 € au titre de la facturation indue d'une prestation d'hôtesse d'accueil, faisant valoir qu'elle n'a pas remplacé le travail de la gardienne partie en retraite, qu'elle n'est pas prévue par le bail et n'est d'aucune utilité pour elle, ajoutant que l'avenant d'extension du 18 décembre 2018 ne s'applique qu'aux locaux qu'il concerne et ne chiffre ce poste qu'à 350 € par trimestre.

La bailleresse réplique simplement que la prestation d'hôtesse d'accueil est prévue par le dernier avenant d'extension du bail.

Le tribunal constate que l'acte du 18 décembre 2018 ne concerne pas seulement les locaux nouvellement pris à bail par la locataire mais l'ensemble de ceux-ci ; il est d'ailleurs intitulé " Avenant d'extension et de transformation en location meublé avec services pour la totalité des surfaces louées selon bail en date du 11 avril 2012, lui-même modifié par avenant d'extension de surface en date du 20 mars 2015 ".

Ledit acte stipule à son article troisième, prévoyant le loyer et les charges applicables à " la totalité des locaux mis à disposition du preneur " " Étant à rappeler que l'immeuble dispose d'un service d'hôte d'accueil situé au rez-de-chaussée du bâtiment C. Le coût trimestriel de ce service avec l'augmentation des surfaces louées aux présentes s'élèvera donc à trois cent cinquante (350,00) €uros auquel s'ajoute la TVA au taux en vigueur au jour du règlement et sera indexé chaque année (...) ".

Ainsi, le coût de cette prestation est très clairement mis à la charge de la locataire par le contrat de bail liant les parties.

En revanche, ce coût est fixé à 350 €, outre la TVA, par trimestre, ce pour la totalité des locaux ; la bailleresse pouvait donc facturer une prestation trimestrielle de 420 € à ce titre (aucun élément sur une augmentation par indexation n'étant fourni) mais le surplus des sommes facturées à ce titre n'était pas dû et doit être remboursé à la locataire.

Il est précisé que cette dernière ne détaille pas le calcul de la somme de 48 470,92 € qu'elle réclame à titre de paiement indu mais que cette somme n'est aucunement contestée ; elle sera donc retenue.

Soit, au vu des factures produites par la locataire, et du troisième trimestre 2018 au premier trimestre 2022 (inclus) :
48 470,92 € - (420 € x 15 trimestres) = 42 170,92 €.

La bailleresse sera condamnée à payer cette somme à la locataire en remboursement de l'excédent des sommes payées ou réclamées au titre de la prestation " hôte(sse) d'accueil " jusqu'au premier trimestre 2022 inclus.

Le surplus de la demande à ce titre sera rejeté.

Il y a lieu d'ordonner la compensation entre les sommes réciproquement dues entre les parties.

Sur les demandes accessoires

La défenderesse, qui succombe principalement, sera condamnée aux dépens de l'instance ; il y a lieu en revanche, au vu des circonstances de la cause, de laisser à chacune des parties la charge définitive de ses frais irrépétibles, en rejetant leurs demandes à ce titre.

Il est rappelé que l'exécution provisoire est de droit.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,

CONDAMNE la S.A.S. KARAVEL à payer à la S.A.S. LEFORT ET RAIMBERT une somme de deux-cent-trente-sept-mille-trois-cent-quatre-vingt-dix-huit euros et quatre-vingts centimes (237 398,80 €) au titre des arriérés de loyers et charges arrêtés au 16 octobre 2020, outre les intérêts au taux légal produits par cette somme depuis le 16 octobre 2020,

CONDAMNE la S.A.S. LEFORT ET RAIMBERT à payer à la S.A.S. KARAVEL une somme de quarante-deux-mille-cent-soixante-dix euros et quatre-vingt-douze centimes (42 170,92 €) au titre de l'excédent des sommes payées ou réclamées pour une prestation " hôte(sse) d'accueil ", jusqu'au premier trimestre 2022 inclus,

CONDAMNE la S.A.S. LEFORT ET RAIMBERT à payer à la S.A.S. KARAVEL une indemnité de dix-mille euros (10 000 €) à titre d'indemnisation de son trouble de jouissance,

ORDONNE la compensation entre les sommes réciproquement dues par les parties,

CONDAMNE la S.A.S. KARAVEL aux dépens de l'instance,

DÉBOUTE chacune des parties du surplus de ses demandes,

RAPPELLE que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Fait et jugé à Paris le 06 Juin 2024

Le GreffierLe Président
Henriette DUROLucie FONTANELLA


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 18° chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 20/12187
Date de la décision : 06/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-06;20.12187 ?
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