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06/06/2024 | FRANCE | N°20/09342

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 18° chambre 2ème section, 06 juin 2024, 20/09342


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
C.C.C.F.E. + C.C.C.
délivrées le :
à Me RAMBERT (P0175)
Me EPINAT (P0349)
C.C.C.
délivrée le :
à Me JOB (P0254)




18° chambre
2ème section


N° RG 20/09342

N° Portalis 352J-W-B7E-CS3LT

N° MINUTE : 2


Assignation du :
01 Septembre 2020







JUGEMENT
rendu le 06 Juin 2024
DEMANDERESSE

S.A.S CENTAURUS DUCS DE BOURGOGNE
[Adresse 28]
[Localité 19]

représentée par Maître Jean-Marie JOB de la S.E.L.

A.R.L. JTBB AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0254


DÉFENDEURS

Monsieur [O] [P]
[Adresse 17]
[Localité 22]

Monsieur [H] [J]
[Adresse 5]
[Localité 26]

Monsieur [...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
C.C.C.F.E. + C.C.C.
délivrées le :
à Me RAMBERT (P0175)
Me EPINAT (P0349)
C.C.C.
délivrée le :
à Me JOB (P0254)

18° chambre
2ème section

N° RG 20/09342

N° Portalis 352J-W-B7E-CS3LT

N° MINUTE : 2

Assignation du :
01 Septembre 2020

JUGEMENT
rendu le 06 Juin 2024
DEMANDERESSE

S.A.S CENTAURUS DUCS DE BOURGOGNE
[Adresse 28]
[Localité 19]

représentée par Maître Jean-Marie JOB de la S.E.L.A.R.L. JTBB AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0254

DÉFENDEURS

Monsieur [O] [P]
[Adresse 17]
[Localité 22]

Monsieur [H] [J]
[Adresse 5]
[Localité 26]

Monsieur [X] [P]
[Adresse 1]
[Localité 27]

Monsieur [B] [S]
[Adresse 8]
[Localité 24]

Madame [N] [P]
[Adresse 3]
[Localité 16]

Monsieur [HL] [P]
[Adresse 11]
[Localité 20]

Monsieur [D] [P]
[Adresse 15]
[Localité 24]

Madame [K] [P] épouse [S]
[Adresse 6]
[Localité 24]

Monsieur [GX] [P]
[Adresse 9]
[Localité 21]

Madame [G] [E]
[Adresse 5]
[Localité 26]

Monsieur [C] [E]
[Adresse 5]
[Localité 26]

Madame [Z] [S]
[Adresse 2]
[Localité 23]

représentés par Maître Virginie RAMBERT de la S.C.P. GAMBULI & RAMBERT, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0175

PARTIES INTERVENANTES

Monsieur [F] [L]
[Adresse 4]
[Localité 29]

Monsieur [R] [L]
[Adresse 14]
[Adresse 14]
[Localité 18]

Madame [A] [L]
[Adresse 13]
[Localité 7]

Madame [V] [L] épouse [I]
[Adresse 12]
[Localité 25]

représentés par Maître Anne EPINAT de la S.E.L.A.R.L. TCH AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0349
Décision du 06 Juin 2024
18° chambre 2ème section
N° RG 20/09342 - N° Portalis 352J-W-B7E-CS3LT

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Lucie FONTANELLA, Vice-présidente
Maïa ESCRIVE, Vice-présidente
Cédric KOSSO-VANLATHEM, Juge

assistés de Henriette DURO, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 07 Mars 2024 tenue en audience publique devant Lucie FONTANELLA, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seule l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile.

Après clôture des débats, avis a été donné aux avocats, que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 06 Juin 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement
Contradictoire
En premier ressort

_________________

La S.A.S. CENTAURUS DUCS DE BOURGOGNE exerce une activité d'hôtellerie dans un immeuble sis [Adresse 10] à [Localité 30], selon un bail commercial renouvelé le 02 juillet 2013 et moyennant un loyer annuel de 314 000 € HT et HC, payable par trimestre et d'avance.

Les locaux loués appartiennent en indivision, d'une part, pour les 5/6ème, à monsieur [HL] [P], madame [N] [P], monsieur [GX] [P], madame [G] [E], monsieur [C] [E], monsieur [H] [J], monsieur [O] [P], monsieur [X] [P], madame [Z] [S], monsieur [B] [S], monsieur [D] [P] ès-qualités d'usufruitier et messieurs [Y] et [T] [P] en qualité de nus-propriétaires, et d'autre part, pour le 1/6ème restant, à monsieur [F] [L], monsieur [R] [L], madame [A] [L] et madame [V] [L] épouse [I].

Par lettre en date du 24 mars 2020, la locataire, a informé les bailleurs de ce qu'elle entendait, " en application des dispositions de l'article 1218 du code civil et de la jurisprudence " et " à raison du cas de force majeure que constitue le coronavirus et les mesures de restriction de circulation imposées, notamment, par les autorités françaises et européennes, suspendre à compter du 15 juin 2020, l'exécution des obligations que le bail qui nous lie met à notre charge et, notamment, le paiement du loyer ".

En juin 2020, la locataire a assigné les bailleurs devant le juge des référés du tribunal judiciaire de PARIS, lequel, par ordonnance du 17 novembre 2020, a rejeté sa demande d'autorisation de suspendre le paiement de ses loyers, l'a condamnée au paiement provisionnel desdits loyers mais a ordonné le report du paiement de cette somme dans la limite de vingt-quatre mois ainsi que la suspension des effets de la clause résolutoire pendant ce délai.

Par actes extrajudiciaires des 31 juillet et 21 août 2020, les bailleurs constituant l'indivision [P] ont fait délivrer à la locataire des commandements de payer l'arriéré locatif visant la clause résolutoire du bail.

Par actes des 31 août, 1er, 02 et 03 septembre 2020, la locataire a assigné monsieur [HL] [P], madame [N] [P], monsieur [GX] [P], madame [G] [E], monsieur [C] [E], madame [K] [P] épouse [S], monsieur [H] [J], monsieur [O] [P], monsieur [X] [P], monsieur [D] [P], madame [Z] [S], monsieur [B] [S] devant le tribunal judiciaire de PARIS.

Par conclusions du 04 juin 2021, monsieur [F] [L], monsieur [R] [L], madame [A] [L] et madame [V] [L] épouse [I] sont intervenus volontairement dans la procédure.

Par acte extrajudiciaire du 09 novembre 2021, les bailleurs constituant l'indivision [L] ont fait délivrer à la locataire un commandement de payer l'arriéré locatif visant la clause résolutoire du bail.

Par ordonnance du 02 février 2022, le juge de la mise en état a notamment :
-rejeté la demande de la locataire tendant au report de deux années du paiement des loyers des premier, deuxième et troisième trimestres 2021,
-condamné celle-ci à payer aux consorts [P] une provision de 100 000 € à valoir sur l'arriéré desdits loyers,
-autorisé celle-ci à payer la provision en 12 versements mensuels,
-condamné celle-ci à payer aux consorts [L] une provision de 30 000 € à valoir sur l'arriéré desdits loyers,
-autorisé celle-ci à payer la provision en 12 versements mensuels,
-enjoint aux consorts [P] de rencontrer un médiateur pour les informer sur la mesure de médiation.

Dans ses dernières écritures du 23 septembre 2022, la S.A.S. CENTAURUS DUCS DE BOURGOGNE sollicite du tribunal :
À titre principal :
-la réduction du montant du loyer contractuel comme suit :
*réduire à néant le montant du loyer dû au titre de la période comprise entre le 14 mars et le 15 juin 2020,
*réduire de 70% de son montant contractuel le loyer dû au titre de la période comprise entre le 15 juin et le 30 octobre 2020,
*réduire à néant le montant du loyer dû au titre de la période comprise entre le 30 octobre 2020 et le 19 mai 2021,
*pour la période postérieure à la levée des mesures, de réduire le montant du loyer à proportion de la perte de son chiffre d'affaires enregistrée chaque trimestre par rapport au même trimestre de l'exercice clos le 31 décembre 2019,
-d'ordonner que le loyer reviendra à son montant contractuel normal lorsque son chiffre d'affaires aura été supérieur ou égal à celui de l'exercice 2019 pendant deux trimestres consécutifs,
À titre subsidiaire,
-d'être définitivement dispensée du paiement du loyer dû au titre de la période comprise entre le 14 mars et le 15 juin 2020
-de réduire le montant du loyer dû au titre de la période comprise entre le 15 juin et le 30 octobre 2020 à 30% de son montant contractuel,
-d'être définitivement dispensée du paiement du loyer dû au titre de la période comprise entre le 30 octobre 2020 et le 19 mai 2021,

-de réduire le montant du loyer dû au titre de la période comprise entre le 19 mai 2021 et le 30 septembre à 30% de son montant contractuel,
En tout état de cause, de juger que les commandements de payer des 31 juillet, 21 août 2020 et 09 novembre 2021 n'étaient pas justifiés et qu'il n'y a donc pas lieu à l'acquisition de la clause résolutoire,
Plus subsidiairement,
-reporter de deux années le paiement des loyers arriérés, soit la somme de 277 809,03 €, ou, à tout le moins, lui accorder les plus larges délais pour s'en acquitter,
-suspendre en conséquence les effets de la clause résolutoire insérée dans le bail commercial et des commandements de payer,
-de condamner solidairement les consorts [P] et [L] à lui payer une somme de 10 000 € au titre de ses frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens avec distraction au profit de son conseil.

Dans leurs dernières écritures du 10 mai 2022, monsieur [HL] [P], madame [N] [P], monsieur [GX] [P], madame [G] [E], monsieur [C] [E], monsieur [H] [J], monsieur [O] [P], monsieur [X] [P], madame [Z] [S], monsieur [B] [S], monsieur [D] [P] ainsi que messieurs [Y] et [T] [P], ci-après dénommés " les consorts [P] ", sollicitent du tribunal :
-qu'il déboute la locataire de ses demandes de dispense et de réduction de loyers,
-reconventionnellement, qu'il condamne la locataire à leur payer une somme de 435 359,41 € au titre des loyers, charges et accessoires impayés, assortie des intérêts au taux légal dans les conditions suivantes ;
-sur la somme de 277 809,03 € à compter de la signification de l'ordonnance rendue le 17 novembre 2020, intervenue le 14 janvier 2021,
-sur la somme de 100 000 € à compter de la signification de l'ordonnance rendue le 02 février 2022, intervenue le 23 février 2022,
-sur la somme de 57 550,38 € à compter de la signification du jugement à intervenir,
-qu'il condamne la locataire à leur payer une somme de 10 000 € au titre de leurs frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens, comprenant le coût du commandement de payer du 21 août 2020, avec distraction au profit de leur conseil.

Dans leurs dernières écritures du 05 septembre 2022, monsieur [F] [L], monsieur [R] [L], madame [A] [L] et madame [V] [L] épouse [I], ci-après dénommés " les consorts [L] ", sollicitent du tribunal :
-qu'il déboute la locataire de ses demandes,
-qu'il la condamne à leur payer une somme de 48 668,60 € en deniers ou en quittances au titre des loyers échus du 1er janvier au 30 septembre 2021,
-qu'il la condamne à leur payer une somme de 20 000 € au titre de leurs frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens, avec distraction au profit de leur conseil.

Pour un exposé exhaustif des prétentions des parties, le tribunal se réfère expressément à leurs écritures par application de l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture de la mise en état a été prononcée par ordonnance du 28 septembre 2022 et la date de l'audience de plaidoiries, initialement fixée au 14 septembre 2023, a été reportée au 07 mars 2024.

À l'audience de plaidoiries du 07 mars 2024, l’affaire a été mise en délibéré au 06 juin 2024 et le conseil de la locataire a été autorisé, en présence de celui des consorts [P], à adresser une note en délibéré pour actualiser sa dette en considération des derniers paiements intervenus, ce au plus tard le 21 mars 2024, les autres parties pouvant faire des observations jusqu'au 22 avril suivant.
Il a été précisé par le tribunal que la note en délibéré était autorisée malgré le temps dont les parties avaient disposé avant l'audience pour actualiser la créance (au besoin en sollicitant une révocation de l'ordonnance de clôture avec un maintien de l'audience de plaidoiries) compte tenu de l'ancienneté de la clôture de l'affaire, mais que les débats seraient réouverts ou qu'il n'en serait pas tenu compte en cas de litige sur les sommes dues.

Dans une note du 11 mars 2024, le conseil de la locataire a exposé :
-que selon décompte des consorts [P] au 10 octobre 2022, avec les intérêts et les frais de signification d'une ordonnance de référé, elle leur devait une somme totale de 413 575,35 €, laquelle avait été payée le 08 novembre 2022, de sorte que, les loyers courants étant régulièrement acquittés, cette dette était éteinte,
-que selon le dernier décompte établi par le gestionnaire des consorts [L], et après saisie-attribution d'une somme de 73 113,60 €, elle restait leur devoir une somme de 32 928,88 € au titre des loyers échus impayés jusqu'au 03 octobre 2022, laquelle est inférieure à la somme objet d'une saisie-attribution conservatoire qu'ils ont fait pratiquer le 19 octobre 2021, de sorte qu'il ne saurait lui être fait grief de ne pas l'avoir payée et étant précisé qu'elle est à jour des loyers postérieurs au 03 octobre 2022.

Par note du 12 mars 2024, le conseil des consorts [P] a confirmé la bonne réception, le 10 novembre 2022, du paiement de la somme de 413 575,35 €.

Le conseil des consorts [L], qui n'est pas venu à l'audience et n'a pas déposé son dossier, ce malgré un rappel du greffe à l'issue de celle-ci, n'a pas non plus répondu sur la note en délibéré.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de révision des loyers pour imprévision

La demanderesse sollicite en premier lieu une réduction de ses loyers au visa de l'article 1195 du code civil, exposant que les mesures de confinement de la population, l'interdiction d'ouverture frappant les restaurants et les sites touristiques, la fermeture des frontières et les restrictions de circulation prises par les autorités, françaises, européennes et étrangères dans le cadre de la gestion de la pandémie de Covid-19 ont incontestablement empêché l'exploitation de son commerce, que cette épidémie et ces mesures étaient totalement imprévisibles lors de la signature du bail, qu'elles ont provoqué une chute de son chiffre d'affaire la contraignant à fermer l'hôtel et perturbé fortement son activité pendant deux ans.

Elle fait valoir que si ce texte est issu d'une réforme postérieure au bail commercial dont elle bénéficie, le contrat doit être adapté au changement imprévisible de circonstances lié à l'épidémie de Covid-19, ainsi qu'aux mesures prises pour l'endiguer, et que la cour de cassation a admis de tenir compte de l'évolution du droit des contrats résultant de la réforme issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016.

Il lui est opposé en défense que les dispositions de l'article 1195 du code civil n'ont pas vocation à s'appliquer en l'espèce à un contrat datant de 2013, que la locataire a cessé d'exécuter ses obligations pendant la renégociation et que les bailleurs ne sont pas ses partenaires, de sorte qu'ils n'ont pas à supporter ses pertes, tout comme ils ne profitent pas de ses gains.

L'article 1195 du code civil dispose que " Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation. (…) À défaut d'accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe ".

L'article 9 de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, prévoit que ses dispositions entreront en vigueur le 1er octobre 2016, les contrats conclus avant cette date demeurant soumis à la loi ancienne, y compris pour leurs effets légaux et pour les dispositions d'ordre public.

En vertu de ce texte, toute application rétroactive de l'imprévision, même sous couvert d'interprétation du droit ancien à la lumière du droit nouveau, est constamment refusée.

Le bail, en l'espèce, étant daté du 02 juillet 2013, soit antérieurement à l'entrée en vigueur, le 1er octobre 2016, des nouveaux textes du code civil issus de l'ordonnance du 10 février 2016, il convient de constater que l'article 1195 du code civil, issu de cette réforme, n'est pas applicable en l'espèce.

Dès lors, la demande de révision des loyers pour imprévision sera rejetée.

Sur la demande subsidiaire de dispense ou de réduction de loyers fondée sur l'exception d'inexécution, la force majeure et la perte de la chose louée

La demanderesse sollicite une dispense ou une réduction de loyers en invoquant :
-au visa des articles 1219 et 1220 du code civil, l'exception d'inexécution liée à un manquement du bailleur à son obligation de délivrance de la chose louée, dont elle a été privée de la jouissance,
-subsidiairement, au visa de l'article 1218 du code civil, la force majeure,
-plus subsidiairement, au visa de l'article 1722 du code civil, la perte de la chose louée.

Les défendeurs répliquent qu'aucune des dispositions législatives ou réglementaire prises dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire ne contraignait les hôtels à fermer leur établissement, que la locataire a toujours eu la jouissance des locaux loués, que l'article 1218 du code civil n'est pas applicable rétroactivement aux baux antérieurs à son entrée en vigueur, que la force majeure n'est pas applicable à l'inexécution de son obligation de payer une somme d'argent, laquelle n'est imputable qu'à une décision unilatérale de la locataire, et qu'il ne saurait y avoir de perte de la chose louée alors que l'impossibilité d'exploiter du fait de l'état d'urgence s'explique par l'activité économique qui y est exercée et non par les locaux.

*Sur le moyen tiré d'une exception d'inexécution liée à un manquement du bailleur à son obligation de délivrance de la chose louée

L'article 1719 du code civil dispose que :
" Le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière :
1° De délivrer au preneur la chose louée, et s’il s’agit de son habitation principale, un logement décent. (...)
2° D’entretenir cette chose en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée ;
3° D’en faire jouir paisiblement le preneur pendant la durée du bail ; (...).”

Selon l'article 1219 du même code, " Une partie peut refuser d'exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l'autre n'exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave. "

Ce dernier texte, issu de la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, entrée en vigueur le 1er octobre 2016, n'est pas applicable aux contrats conclus avant cette date ; toutefois, l'exception d'inexécution pouvait être invoquée, sous l'empire du droit antérieur, sur le fondement de l'article 1184 du code civil.

Néanmoins, il est constaté que les locaux loués ont bien été mis à disposition de la locataire par le bailleur et que les mesures d'interdiction de recevoir du public et les restrictions d'exploitation dues aux mesures sanitaires qui ont pu affecter son activité d'hôtellerie sont le seul fait du législateur.

Il n'est donc pas justifié d'un manquement du bailleur à son obligation de délivrance justifiant que la locataire soit dispensée d'exécuter son obligation, en contrepartie, de payer les loyers.

Le moyen tiré de l'exception d'inexécution ne peut donc qu'être rejeté.

*Sur le moyen tiré de la force majeure

L'article 1218 du code civil, qui est également issu de la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, entrée en vigueur le 1er octobre 2016, n'est pas applicable aux contrats conclus avant cette date ; toutefois, la force majeure en matière contractuelle était déjà, auparavant, permise par l'ancien article 1148 du code civil, lequel dispose que :
" Il n'y a lieu à aucun dommage et intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit ".

Cependant, il est constant que le débiteur d'une obligation contractuelle de payer une somme d'argent ne peut s'exonérer en invoquant un cas de force majeure et que celle-ci ne profite pas au créancier d'une obligation qui n'a pu profiter de la contrepartie à laquelle il avait droit du fait d'un événement de force majeure ayant empêché son cocontractant de respecter ses engagements.

Le moyen fondé sur ce texte ne peut donc prospérer, dès lors que la demanderesse est débitrice d'une obligation de paiement de sommes d'argent et que ce n'est pas l'exécution de son obligation que la force majeure aurait empêchée mais la contrepartie qu'elle en attendait, la jouissance des lieux loués.

*Sur le moyen tiré de la perte de la chose louée

L'article 1722 du code civil dispose que :
" Si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, selon les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement. "

Il est admis que la perte peut ne pas être matérielle mais " juridique " et résulter de l'impossibilité dans laquelle se trouve le preneur de jouir de la chose conformément à sa destination.

Mais il est maintenant constant que les mesures d'interdiction de recevoir du public et les restrictions sanitaires, mesures de police administrative générales et temporaires, sont sans lien direct avec la destination contractuelle du local loué et ne peuvent donc être assimilées à la perte de la chose, au sens de l'article 1722 du code civil.

Le moyen tiré de la perte de la chose louée ne permet donc pas davantage d'exonérer, totalement ou partiellement, la locataire de son obligation de paiement des loyers.

En conséquence, le tribunal ne peut que constater que la locataire échoue à démontrer qu'elle n'était pas tenue de payer les loyers et charges.

Il convient, dès lors, de rejeter sa demande subsidiaire de dispense ou de réduction de loyer.

Sur les commandements de payer délivrés à la locataire

Celle-ci demande de juger que les commandements de payer des 31 juillet, 21 août 2020 et 09 novembre 2021 n'étaient pas justifiés et qu'il n'y a donc pas lieu à l'acquisition de la clause résolutoire ; toutefois, les sommes réclamées étant dues, et l'acquisition de la clause résolutoire n'étant en tout état de cause pas sollicitée, cette demande ne peut qu'être rejetée.

Sur la demande de délai de grâce

L'ancien article 1244-1, devenu l'article 1343-5 du code civil, prévoit que compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, le juge peut, dans la limite de deux années, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues ; par décision spéciale et motivée, il peut prescrire que les sommes correspondant aux échéances reportées produiront intérêt à un taux réduit qui ne peut être inférieur au taux légal ou que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital.

En l'espèce, force est de constater que la locataire a déjà bénéficié, de fait, des plus larges délais pour apurer sa dette.

En outre, il ressort des éléments produits en délibéré qu'elle justifie, au moins pour la créance des consorts [P], avoir déjà apuré sa dette, de sorte que cette demande est devenue en grande partie sans objet.

Il n'y a donc pas lieu d'accorder un délai de grâce à la demanderesse.

Sur les demandes reconventionnelles de paiement d'un arriéré locatif

Il y a lieu de constater que la demanderesse, qui a sollicité une révision, une dispense ou une réduction des loyers, n'a en revanche émis aucune contestation concernant le calcul et le fondement juridique de l'arriéré locatif, détaillés par les défendeurs dans leurs écritures.

Il convient dès lors de constater le bien-fondé et l'exactitude de leurs demandes à ce titre.

*Sur la demande au profit des consorts [P]

Dans la note en délibéré autorisée par le tribunal, l'avocat de la locataire a exposé qu'elle avait apuré tout l'arriéré locatif envers les consorts [P] en payant une somme de 413 575,35 € le 08 novembre 2022.

Le conseil des consorts [P] a confirmé la perception de cette somme par ses clients le 10 novembre 2022 dans sa note en délibéré.

Le décompte joint à la note en délibéré de la demanderesse, établi par le gestionnaire des consorts [P] et non contesté par leur conseil, permet de constater que le solde de leur dette était bien égal à la somme réglée, et donc que l'arriéré qui leur restait dû a été intégralement acquitté.

Il n'y a donc pas lieu de la condamner au paiement de l'arriéré, déjà acquitté.

*Sur la demande au profit des consorts [L]

Le respect du principe du contradictoire prévu par l'article 16 du code de procédure civile interdit au juge de statuer en considération d'éléments qui n'ont pas été soumis à la discussion des parties.

Or, le tribunal ne peut s'assurer que les consorts [L] ont été mis en mesure, sans réouverture des débats, de s'expliquer suffisamment sur les éléments concernant leur créance, communiqués après l'ordonnance de clôture de la mise en état et en cours de délibéré, alors que leur conseil n'a pas comparu à l'audience du 07 mars 2024 à laquelle l'envoi d'une note en délibéré a été autorisé et n'a pas donné d'avis ou d'explication à ce sujet.

Le tribunal ne statuera donc pas sur leur demande de paiement en considération des éléments envoyés en délibéré.

En tout état de cause, la saisie conservatoire évoquée par la demanderesse, destinée à garantir le règlement de la présente condamnation, ne vaut pas paiement, de sorte qu'il y a toujours lieu à condamnation à payer les sommes réclamées.

Cette condamnation sera prononcée en deniers ou en quittances.

Sur les demandes accessoires

La demanderesse, qui succombe, sera condamnée aux dépens de l'instance, ainsi qu'à payer une somme de 7 000 € aux consorts [P], et une somme de 5 000 € aux consorts [L], au titre de leurs frais irrépétibles.

Il est rappelé que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,

REJETTE toutes les demandes de la S.A.S. CENTAURUS DUCS DE BOURGOGNE,

CONSTATE que l'arriéré de loyer réclamé par Monsieur [HL] [P], Madame [N] [P], Monsieur [GX] [P], Madame [G] [E], Monsieur [C] [E], Monsieur [H] [J], Monsieur [O] [P], Monsieur [X] [P], Madame [Z] [S], Monsieur [B] [S], Monsieur [D] [P], Monsieur [Y] [P] et Monsieur [T] [P] a été apuré de sorte qu'il n'y a plus lieu à condamnation à ce titre,

CONDAMNE la S.A.S. CENTAURUS DUCS DE BOURGOGNE à payer à Monsieur [F] [L], Monsieur [R] [L], Madame [A] [L] et Madame [V] [L] épouse [I], une somme de quarante-huit-mille-six-cent-soixante-huit euros et soixante centimes (48 668,60 €) en deniers ou en quittances au titre des loyers échus du 1er janvier au 30 septembre 2021,
CONDAMNE la S.A.S. CENTAURUS DUCS DE BOURGOGNE aux dépens de l'instance, lesquels comprendront le coût du commandement de payer du 21 août 2020,

CONDAMNE la S.A.S. CENTAURUS DUCS DE BOURGOGNE à payer une somme de sept-mille euros (7 000 €) à Monsieur [HL] [P], Madame [N] [P], Monsieur [GX] [P], Madame [G] [E], Monsieur [C] [E], Monsieur [H] [J], Monsieur [O] [P], Monsieur [X] [P], Madame [Z] [S], Monsieur [B] [S], Monsieur [D] [P], Monsieur [Y] [P] et Monsieur [T] [P] en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la S.A.S. CENTAURUS DUCS DE BOURGOGNE à payer une somme de cinq-mille euros (5 000 €) à Monsieur [F] [L], Monsieur [R] [L], Madame [A] [L] et Madame [V] [L] épouse [I] en application de l'article 700 du code de procédure civile,

AUTORISE Maître [XB] [W], de la S.C.P. GAMBULI & RAMBERT, ainsi que Maître [M] [U], de la S.E.L.A.R.L. TCH AVOCATS, à procéder au recouvrement direct des dépens conformément à l'article 699 du code de procédure civile,

REJETTE le surplus des demandes de Monsieur [HL] [P], Madame [N] [P], Monsieur [GX] [P], Madame [G] [E], Monsieur [C] [E], Monsieur [H] [J], Monsieur [O] [P], Monsieur [X] [P], Madame [Z] [S], Monsieur [B] [S], Monsieur [D] [P], Monsieur [Y] [P] et Monsieur [T] [P] ainsi que de Monsieur [F] [L], Monsieur [R] [L], Madame [A] [L] et Madame [V] [L] épouse [I],

RAPPELLE que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Fait et jugé à Paris le 06 Juin 2024

Le GreffierLe Président
Henriette DUROLucie FONTANELLA


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 18° chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 20/09342
Date de la décision : 06/06/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-06;20.09342 ?
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