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03/06/2024 | FRANCE | N°22/03011

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 19eme contentieux médical, 03 juin 2024, 22/03011


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

19ème contentieux médical

N° RG 22/03011

N° MINUTE :

Assignations des :
15 et 16 Février 2022

CONDAMNE

SB




JUGEMENT
rendu le 03 Juin 2024

DEMANDEURS

Monsieur [E] [L]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Madame [B] [IP] épouse [L]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Madame [CP] [L]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Représentés par Maître Philippe LEBOIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0731

DÉFENDERESSES

L’ASSOCIATION [7] exerçant

sous l’enseigne HÔPITAL [17]
[Adresse 4]
[Localité 6]

Représentée par la SELAS JDS avocats, représentée par Maître Bettina FERREIRA HOUDBINE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P002...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

19ème contentieux médical

N° RG 22/03011

N° MINUTE :

Assignations des :
15 et 16 Février 2022

CONDAMNE

SB

JUGEMENT
rendu le 03 Juin 2024

DEMANDEURS

Monsieur [E] [L]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Madame [B] [IP] épouse [L]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Madame [CP] [L]
[Adresse 2]
[Localité 5]

Représentés par Maître Philippe LEBOIS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0731

DÉFENDERESSES

L’ASSOCIATION [7] exerçant sous l’enseigne HÔPITAL [17]
[Adresse 4]
[Localité 6]

Représentée par la SELAS JDS avocats, représentée par Maître Bettina FERREIRA HOUDBINE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0028

La Société TRAVELERS INSURANCE DESIGNATED ACTIVITY COMPANY, venant aux droits de la société TRAVELERS INSURANCE COMPANY LIMITED
[Adresse 8]
[Localité 11] / IRLANDE

Représentée par Maître Sophie WILLAUME de la SELAS BYRD SELAS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #E1819
Expéditions
exécutoires
délivrées le :

La CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE [Localité 15]
[Adresse 1]
[Localité 6]
Décision du 03 Juin 2024
19ème contentieux médical
RG 22/03011

Non représentée

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Géraldine CHARLES, Première Vice-Présidente adjointe
Madame Sabine BOYER, Vice-Présidente
Madame Sarah CASSIUS, Vice-Présidente

Assistées de Madame Erell GUILLOUËT, Greffière, lors des débats et au jour de la mise à disposition au greffe.

DEBATS

A l’audience du 25 Mars 2024 présidée par Madame Géraldine CHARLES tenue en audience publique, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 03 Juin 2024.

JUGEMENT

- Réputé contradictoire
- En premier ressort
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

EXPOSE DU LITIGE

Le 7 mars 1998, Mme [B] [IP] épouse [L] a accouché à la clinique des [9] à [Localité 16] d’une enfant prénommée [M], victime d’une encéphalopathie ischémique provoquée par une souffrance foetale aiguë durant l’accouchement.
L’enfant [M] a présenté des séquelles neurologiques en lien avec la souffrance foetale observée durant l’accouchement.

Procédures antérieures

Par actes délivrés les 20 et 27 décembre 2000, Mme [B] et M. [E] [L] ont fait assigner en référé tant en leur nom personnel qu’en leur qualité de représentants légaux des biens de leur fille mineure, la clinique des [9], le docteur [N] [R], gynécologue obstétricien, et la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 15].

Par ordonnance de référé en date du 19 janvier 2001, une expertise médicale a été ordonnée et confiée au professeur [V]. Ce dernier a procédé à ses opérations, s’est adjoint un sapiteur, le professeur [S] et a terminé son rapport le 31 décembre 2001.

Par jugement du 9 octobre 2006, le tribunal de grande instance de Paris, statuant après l’expertise médicale du docteur [V], a :
- constaté le désistement d’action de la société [20] International Insurance Company à l’encontre de la MACSF,
- déclaré la clinique des [9] - Hôpital des [14] entièrement responsable des conséquences dommageables subies à la suite de l’accouchement de Mme [L] le 7 mars 1998 tant en raison des fautes commises par ses salariées, que des manquements à ses propres obligations contractuelles,
- condamné la clinique des [9] - Hôpital des [14] in solidum avec la société [20] International Insurance Company à réparer l’intégralité de ces conséquences dommageables,
- dit qu’il n’est pas démontré que [ET] [C] et le docteur [N] [R], salariées de la clinique ont outrepassé les strictes limites de la mission qui leur avait été confiée par cet établissement,
- débouté en conséquence M. et Mme [L] agissant tant en leur nom personnel qu’en qualité de représentants légaux de leur fille mineure [M], de leurs demandes formées contre [ET] [C], le Sou Médical et le docteur [N] [R],
- prononcé la mise hors de cause de [ET] [C],
- débouté la société [20] International Insurance Company de son action récursoire formée contre le Sou Médical,
- ordonné une mesure d’expertise médicale de [M] confiée au professeur [S],
-condamné in solidum la clinique des [9] - Hôpital des [14] à payer à :
[B] et [E] [L] en qualité de représentants légaux de leur fille [M] la somme de 100 000€ à valoir sur la réparation de leur préjudice,[B] et [E] [L] en leur nom propre une provision de 30 000€ à valoir en réparation de leurs préjudices moral, matériel, économique,-sursis à statuer sur les demandes de la caisse primaire d’assurance maladie jusqu’à ce qu’il soit statué sur la liquidation des préjudices de [M] [L],
- ordonné l’exécution provisoire,
- condamné in solidum la clinique des [9] - Hôpital des [14] et la société [20] International Insurance Company à payer à [B] et [E] [L] tant en leur nom personnel qu’en leur qualité de représentants légaux de leur fille [M] la somme de 4 000€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société [20] International Insurance Company aux dépens résultant de la mise en cause de la MACSF,
- condamné in solidum la clinique des [9] - Hôpital des [14] et la société [20] International Insurance Company aux autres dépens de l’instance comprenant les frais de l’expertise du professeur [V]
- accordé le bénéfice de l’article 699 du code de procédure civile à Maître [JM] [K] et à Maître [A] [W].

Le docteur [D], désigné aux lieu et place du professeur [S], a procédé à sa mission le 18 décembre 2007 et a déposé son rapport le 10 mars 2008.

Par arrêt du 9 mars 2012, la cour d’appel de Paris :
- a confirmé le jugement déféré en ce qu’il a :
- condamné in solidum la clinique des [9] - Hôpital des [14] et la société [20] International Insurance Company à payer une provision à [B] et [E] [L] en leur nom personnel :
- ordonné l’exécution provisoire
- condamné in solidum la clinique des [9] - Hôpital des [14] et la société [20] International Insurance Company à payer sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile :
- à [B] et [E] [L] en leur qualité de représentants légaux de leur fille [M] la somme de 4000€,
- à la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 15] la somme de 1 000€,
- condamné in solidum la clinique des [9] - Hôpital des [14] et la société [20] International Insurance Company aux dépens, comprenant notamment les frais d’expertise

- infirmé le jugement pour le surplus et statuant à nouveau a :
-condamné in solidum la clinique des [9] - Hôpital des [14] et la société [20] International Insurance Company à payer à titre provisionnel à [B] et [E] [L] en leur qualité de représentants légaux de leur fille [M] :
- la somme de 30 000€ à valoir sur la réparation du préjudice corporel de l’enfant,
- la somme de 353 944,76€ au titre des frais de tierce personne depuis le 23 avril 2007 jusqu’au 31 août 2010,
- une rente trimestrielle de 25 091€ payable rétroactivement à compter du 1er septembre 2010, à terme échu et révisable chaque année conformément aux articles 1 et 2 de la loi 51-695 du 24 mai et dont le service sera interrompu en cas d’hospitalisation d’une durée supérieure à 45 jours,
- une indemnité d’un montant de 2 500€ en application de l’article 700 du code de procédure civile.
- condamné in solidum la clinique des [9] - Hôpital des [14] et la société [20] International Insurance Company à payer à titre provisionnel à la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 15] :
- la somme de 452 289€ avec intérêts au taux légal à compter du 20 janvier 2003 sur la somme de 46 240,94€, du 12 octobre 2007 sur celle de 2869,28€, du 14 février 2008 sur celle de 54 054€, du 30 avril 2008 sur celle de 26 598€ et du 21 novembre 2008 sur celle de 148,79€ et du prononcé de cet arrêt pour le surplus,
- une indemnité de 500€ au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
-donné acte à [B] et [E] [L] et à la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 15] de leurs réserves,
- rejeté toute autre demande,
- condamné la clinique des [9] - Hôpital des [14] et la société [20] International Insurance Company aux dépens, pouvant être recouvrés directement par les avocats qui en ont fait la demande.

Par ordonnance de référé du 26 mars 2016, une nouvelle expertise était ordonnée et confiée au docteur [D] avec la mission “Grand Handicap” habituelle.

L’expert a déposé son rapport le 23 octobre 2017. Il a conclu à la consolidation de l’état de santé de [M] à la date de ses opérations d’expertise le 11 octobre 2016 et a évalué les préjudices comme suit :
Sur le plan anatomique, les séquelles sont fixées irréversibles depuis leur constitution à la naissance. Leur expression clinique est désormais stabilisée, compte tenu de l’âge et du niveau de maturation neuropsychologique ainsi que de la fin de la croissance.
Des soins post-consolidation seront toutefois nécessaires.
Le taux d’AIPP intégrant les troubles neuro-moteurs, les difficultés psycho-intellectuelles, l’épilepsie lésionnelle potentielle, le retentissement psychologique du handicap est de 85 %.
Ce taux envisagé lors de l’expertise précédente est maintenu en raison du degré d’autonomie intellectuelle.
Le préjudice douloureux avant consolidation intégrant les contraintes de la rééducation et la souffrance morale est de 6/7.
Le préjudice esthétique lié à l’image de la personne et aux mouvements involontaires est de 6/7.
Il existe un préjudice sexuel majeur.
Il existe un préjudice d’agrément majeur.
Les troubles dans les conditions d’existence tant dans les activités personnelles que de loisirs sont extrêmement importants. Malgré la volonté de [M] de vivre « comme tout le monde », les difficultés dans les relations sociales et scolaires sont majeures.
L’état actuel nécessite l’assistance d’une tierce personne actuellement assumée par les deux parents et l’auxiliaire de vie.
Le besoin lorsque la jeune femme est au domicile familial est sans conteste de 24/24 heures pour la substitution, la stimulation, l’accompagnement et la surveillance.
Il n’apparaît pas utile de distinguer le temps actif du temps passif dans la mesure où [M] ne peut absolument pas rester seule.
Du fait, l’auxiliaire de vie est présente sans discontinuer du vendredi après-midi au lundi.
La nuit, les interventions sont ponctuelles.
Dans certaines situations, deux personnes peuvent être nécessaires (Transport, voyage, ...).
La tierce personne ne doit pas être nécessairement spécialisée, mais formée à la prise en charge du handicap neuro-moteur sévère. Le placement en structure spécialisée n’est pas médicalement justifié. Ce n’est pas le souhait personnel de la jeune femme.
Le suivi médical et les soins paramédicaux peuvent être réalisés en externe.
L’état neuro-moteur de [M] n’est pas susceptible de modification.
La rééducation, le suivi éducatif et la scolarité doivent être poursuivis.
Les complications orthopédiques intéressant les membres et le rachis sont patentes.
Elles pourront nécessiter des gestes chirurgicaux.
Une fixation rachidienne est envisagée dans les deux ans.

Au vu des conclusions de ce rapport, Mme [M] [L] a fait assigner par actes délivrés les 21, 22 juin 2018 et 6 juillet 2018 la clinique des [9], la société Travelers Insurance Company Limited anciennement [20] International Insurance Company et la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 15] et les Mutuelles du soleil, son actuel organisme de sécurité sociale, devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de se voir indemniser de ses préjudices corporels et matériels, tout en réservant ses droits relatifs à l’acquisition et l’aménagement de son logement, à ses pertes de gains futurs et à l’incidence professionnelle.

Par actes délivrés les 22 et 25 mars 2019, Mme [M] [L] a également fait assigner devant ce tribunal l’association [7], qui compte parmi ses établissements la clinique des [9] et l’Hôpital [17].

Par ordonnance du 9 septembre 2019, le juge de la mise en état a ordonné une consultation médicale confiée au professeur [X] [O], à la demande de l’association [7], avec mission d’apprécier l’existence éventuelle d’une perte de chance, et le cas échéant quantitativement la perte de chance de [M] [L] de voir son handicap actuel écarté ou amoindri si la souffrance foetale aiguë survenue pendant le travail de Mme [L] avait été prise à temps et avec toute l’attention et le soin qu’imposaient les données de la science en 1998.

Madame [M] [L] a interjeté appel de cette décision et par ordonnance du 27 novembre 2019, Monsieur le Président de la Cour d'Appel de PARIS a déclaré irrecevable ce recours, en ce que la mesure ordonnée ne constituait pas une expertise.

Par ordonnance du 8 juillet 2020, le Docteur [D] a été désigné en lieu et place du Docteur [O] et par ordonnance du 7 septembre 2020, Madame [I] [J] a été désignée en qualité d'expert judiciaire en gynécologie obstétrique.

Les docteurs [D] et [J] ont déposé leur rapport le 29 décembre 2020.
Ils ont conclu comme suit :

"L'arrêt de la surveillance du rythme cardiaque fœtal sur ce ralentissement est une faute; il fallait s'assurer que le rythme cardiaque récupère, ce d'autant plus qu'il était un peu oscillant, avec un ralentissement profond à 12h36.
Dès lors que le rythme était anormal, cette surveillance devait être continue."
"Les contractions utérines n'ont pas été enregistrées après 11h15, ce qui n'est pas conforme aux données de la science à l'époque des faits ; l'enregistrement des contractions est indispensable à l'interprétation des anomalies du rythme cardiaque fœtal."
"L'arrêt de l'enregistrement par la sage-femme à 13h44 est une faute. La sage-femme a été imprudente. De plus, elle devait avertir le Docteur [R] des ralentissements.
La sage-femme devait appeler le Docteur [R] à 14h40, ce d'autant plus qu'il n'y avait pas d'appareil de PH pour éliminer une acidose foetale, deux ralentissements profonds prolongés à 12h35 et 13h41 et 30 minutes de privation d'enregistrement ne permettant pas d'exclure d'autres anomalies du rythme, et stagnation de la dilation depuis 1h30.
Les ralentissements s'aggravent, deviennent à partir de 14h35 itératifs; très profonds à partir de 15h10 avec un rythme plat, jusqu'à la fin du tracé, soit 30 minutes d'asphyxie foetale ; 40 minutes avant la naissance."
"les ralentissements répétés, profonds, avec un rythme plat étaient à risque majeur d'acidose fœtale, justifiaient l'extraction fœtale instrumentale dès 15h, au maximum 15h20 pour soustraire le fœtus à l'asphyxie."
"aucun examen du Docteur [R] n'est noté sur le partogramme ou l'enregistrement du rythme cardiaque fœtal.
Le Docteur [R] s'est déplacé en salle de naissance à 15h15 mais n'a pas examiné la patiente ni décidé d'extraction fœtale instrumentale, alors que la dilation était complète et la tête engagée partie moyenne, donc d'extraction aisée, et ce malgré les anomalies de rythme depuis 14h20 et antérieurs, n'est pas restée en salle de naissance ; n'y est pas revenue, n'a pas été rappelée par la sage-femme. Le Dr [R] a commis une faute."
"les lésions cérébrales se sont essentiellement constituées dans la phase toute terminale de l'accouchement et la perte de chance de les éviter ne saurait être inférieure à 80 %."
"Au terme de l'analyse obstétrico-pédiatrique, la perte de chance d'écarter le handicap actuel de [M] [L] est estimée à au moins 80 % si la souffrance fœtale aigüe survenue pendant le travail de Madame [L] avait été prise à temps avec toute l'attention et le soin qu'imposaient les données de la science en 1998."

Par décision du 17 juillet 2023, rendue par le tribunal judiciaire de Paris (19ème chambre), les préjudices de [M] [L] ont été liquidés sur la base d’une perte de chance de 95%. Un appel est pendant devant la cour d’appel de Paris.

***

Procédure actuelle

Par actes délivrés les 15, 16 et 28 février 2022, Madame [B] [IP] épouse [L], (mère) Monsieur [E] [L] (père) et Madame [CP] [L] (sœur née le [Date naissance 3] 2005) ont fait assigner l’association [7] et son assureur, l’ONIAM, la CPAM de [Localité 15], devant ce tribunal aux fins de voir reconnaître son droit à indemnisation et de voir liquider ses préjudices.

Par conclusions du 07 juin 2022, ils se sont désistés de leur action à l’encontre de l’ONIAM qui a accepté ce désistement qui a été déclaré parfait.

Par conclusions récapitulatives signifiées le 4 octobre 2023, auxquelles il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, Madame [B] [IP] épouse [L], Monsieur [E] [L] et Madame [CP] [L] demandent au tribunal de :

- Constater la reprise d’instance de Madame [CP] [L], majeure depuis le 3 octobre 2023.
-Condamner in solidum l'Association [7] exerçant notamment sous l'enseigne Hôpital [17] et la Société Travelers Insurance Company Limited, à indemniser l'intégralité des préjudices économiques, matériels et moraux de Monsieur et Madame [L] et de Madame [CP] [L].
- Condamner in solidum l'Association [7] exerçant notamment sous l'enseigne Hôpital [17] et la Société Travelers Insurance Company Limited, à verser à Monsieur [E] [L] la somme de 5.060.985,00 euros (cinq millions soixante mille neuf cent quatre-vingt-cinq euros) au titre de la réparation de son préjudice matériel consécutif à l'impossibilité d'exercer une activité professionnelle.
- Condamner in solidum l'Association [7] exerçant notamment sous l'enseigne Hôpital [17] et la Société Travelers Insurance Company Limited, à verser à Madame [B] [L] la somme de 5.072.282,00 euros (cinq millions soixante-douze mille deux cent quatre-vingt-deux euros) au titre de la réparation de son préjudice matériel consécutif à l'impossibilité d'exercer une activité professionnelle.
- Condamner in solidum l'Association [7] exerçant notamment sous l'enseigne Hôpital [17] et la Société Travelers Insurance Company Limited, à verser à Monsieur et Madame [L] la somme de 150.000,00 euros (cent cinquante mille euros) pour chacun d'eux au titre de la réparation de leur préjudice moral et affectif.
- Condamner in solidum l'Association [7] exerçant notamment sous l'enseigne Hôpital [17] et la Société Travelers Insurance Company Limited, à verser à Madame [CP] [L] la somme de 80.000,00 euros (quatre-vingt mille euros) au titre de la réparation de son préjudice moral et affectif.
- Condamner in solidum l'Association [7] exerçant notamment sous l'enseigne Hôpital [17] et la Société Travelers Insurance Company Limited, à verser à Monsieur et Madame [L] et à Madame [CP] [L] la somme de 3.000,00 euros (trois mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner in solidum l'Association [7] exerçant notamment sous l'enseigne Hôpital [17] et la Société Travelers Insurance Company Limited aux entiers dépens, et ce dont distraction au profit de Maître Philippe LEBOIS, en application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
- Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.

Aux termes de ses conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 5 octobre 2023, auxquelles il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, l’Association [7] demande au tribunal de :

-RECEVOIR l’ASSOCIATION [7] en ses demandes, fins et conclusions ;
En conséquence,
-DEBOUTER Monsieur [L] de sa demande d’indemnisation au titre de son préjudice matériel et économique,
-DEBOUTER Madame [L] de sa demande d’indemnisation au titre de son préjudice matériel et économique,
-ALLOUER à Monsieur [E] [L] la somme de 32.000 euros au titre de son préjudice moral et affectif, avant déduction des provisions allouées par jugement du 9 octobre 2006 du tribunal de grande instance de PARIS et arrêt du 9 mars 2012 de la cour d’appel de PARIS et après application du taux de 80% en lien avec la perte de chance de [M] [L],
-ALLOUER à Madame [B] [L] la somme de 32.000 euros au titre de son préjudice moral et affectif, avant déduction des provisions allouées par jugement du 9 octobre 2006 du tribunal de grande instance de PARIS et arrêt du 9 mars 2012 de la cour d’appel de PARIS et après application du taux de 80 % en lien avec la perte de chance de [M] [L],
-ALLOUER à Mademoiselle [CP] [L] la somme de 12.000 euros au titre de son préjudice moral et affectif, après application du taux de 80% en lien avec la perte de chance de [M] [L],
-DECLARER inopposable à Monsieur [E] [L], Madame [B] [L] et Mademoiselle [CP] [L] le plafond de garantie stipulé au contrat
d’assurance de la compagnie TRAVELERS INSURANCE COMPANY LIMITED, anciennement [20] INTERNATIONAL INSURANCE COMPANY,
-DIRE n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,
-LAISSER les dépens à la charge de Monsieur et Madame [L],
-DÉCLARER le jugement à intervenir opposable à la société TRAVELERS INSURANCE COMPANY LIMITED, anciennement [20] INTERNATIONAL INSURANCE COMPANY,
-DÉCLARER le jugement à intervenir opposable à la CPAM de [Localité 15].

Aux termes de ses dernières écritures récapitulatives notifiées par voie électronique le 19 juin 2023, auxquelles il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, TRAVELERS INSURANCE DESIGNATED ACTIVITY COMPANY, demande au tribunal de :

- DEBOUTER Monsieur et Madame [L] de leurs demandes au titre de leur préjudice matériel et économique,
- RAMENER à de plus justes proportions l’indemnisation du préjudice moral des consorts [L] et le FIXER au maximum à :
40.000 euros pour chacun des parents de [M] [L],15.000 euros pour Mademoiselle [CP] [L],- FAIRE APPLICATION du taux de perte de chance de 80 % au préjudice moral des consorts
[L] et FIXER l’indemnisation de ce préjudice moral à :
32.000 euros pour chacun des parents de [M] [L],12.000 euros pour Mademoiselle [CP] [L],- En tout état de cause, [P] des condamnations éventuellement formulées au bénéfice de Monsieur et Madame [L] les provisions déjà versées pour l’indemnisation de leurs préjudices moral, matériel et économique en un montant de 50.000 euros chacun,
- JUGER que le plafond de garantie contenu dans la police d’assurance de la Clinique des [9] fait obstacle à la condamnation de la compagnie TRAVELERS à une somme supérieure à 9.146.941,04 euros, et donc à la somme de 9.128.650,09 euros, frais de défense engagés compris (à hauteur de 18.290,95 euros),
- [P] de toutes condamnations les sommes qui ont déjà été versées par la compagnie TRAVELERS et/ou toutes les sommes que la compagnie TRAVELERS aura été condamnée à payer, notamment à Mademoiselle [M] [L] dans le cadre de l’instance enregistrée sous le numéro de RG 18/08424 devant la 19ème chambre du Tribunal de céans, qui viendront en déduction de la limite de garantie disponible d’un montant de 9.128.650,09 euros.
- DEBOUTER les consorts [L] de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
- DIRE n’y avoir lieu à exécution provisoire ;
- STATUER ce que de droit sur les dépens

La CPAM de [Localité 15], quoique régulièrement assignée par acte remis à personne morale, n’a pas constitué avocat ; susceptible d'appel, la présente décision sera donc réputée contradictoire et lui sera déclarée commune.

La clôture de la présente procédure a été prononcée le 23 octobre 2023.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties quant à l’exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.

L'affaire a été mise en délibéré au 3 juin 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la responsabilité et la perte de chance

Il convient de rappeler que cette chambre du tribunal, par décision du 17 juillet 2023, a retenu les fautes du personnel médical de la clinique des [9] qui n’a pas pris la mesure de l’état de danger dans lequel se trouvait le foetus malgré les signaux d’alerte et n’a pas en conséquence procédé à une extraction en urgence à 15 heures, l’enfant étant né naturellement par voie basse à 15h50.
Constatant ce retard de 50 minutes au cours duquel, l’enfant était en asphyxie, l’état de mort apparente de [M] à la naissance qui a été ranimée et l’état des séquelles irréversibles, le tribunal a fixé le taux de perte de chance de [M] [L] d’échapper à l’infirmité motrice cérébrale résultant de cette asphyxie, à 95%, en relevant que la probabilité qu’elle ait souffert de dommages en étant extraite par césarienne à 15H10 était très faible au regard des données du rapport d’expertise notamment.

Nonobstant l’appel en cours, le tribunal n’entend pas modifier son appréciation de la perte de chance pour fixer le droit à indemnisation des proches de [M] [L] malgré la demande des défendeurs de fixer le taux à 80%.

Sur les préjudices des demandeurs

Le préjudice économique ou la perte de revenus des parents dit « préjudice matériel consécutif à l'impossibilité d'exercer une activité professionnelle »
Monsieur [E] [L] fait valoir qu’il avait été engagé par la société « Les Télécréateurs » le 1er janvier 1998 en qualité de réalisateur avec pour mission de répondre aux appels d’offres des chaines de télévision et d’assurer le suivi de toutes les étapes de fabrication en cas de sélection.
Il soutient avoir été contraint de démissionner au mois d’octobre 2000 afin de déménager en Suède pour les besoins de sa fille [M] lourdement handicapée.
Il précise avoir vécu en Suède entre 2001 et 2006 afin d’offrir à sa fille un cadre de rééducation bénéfique (sa belle-mère étant kinésithérapeute, scolarisation adaptée) et avoir pu réaliser quelques missions au cours de cette période pour la société, lui procurant des gains modestes.
Il prétend qu’il aurait pu espérer des revenus de 100 000 € bruts annuels (soit 78 000€ nets) sans l’accident médical et qu’un réalisateur sénior serait payé entre 150 000 € et 300 000 €.

Il demande la somme de 5 060 985 € sur la base d’un revenu médian annuel de 160 000€ nets hors primes, capitalisé à titre viager pour prendre en compte les pertes de droit à la retraite, et après prise en compte de l’incidence fiscale estimée à 2 500 000€ et des revenus perçus effectivement dans son activité en France et en Suède entre 2000 et 2015.

Madame [B] [L] fait valoir qu’elle est architecte diplômée depuis 1998, qu’elle a travaillé dans des agences prestigieuses de 1994 à 1995 et de 1999 à 2001 et que son travail a été récompensé par le prix Kasper Salin et le Swedish Design Award en 2018, et the Architectural Review House Awards en 2019.
Elle estime qu’elle aurait pu percevoir des gains annuels de 140 000€ au sein des ateliers [F] [BT] où elle a travaillé de 1999 à 2001, et sollicite la somme de 5 072 282 € après capitalisation à titre viager pour prendre en compte les pertes de droit à la retraite, et prise en compte de l’incidence fiscale estimée à 2 200 000 € et des revenus perçus en France et en Suède de 2000 à 2018.

Les défendeurs s’opposent purement et simplement à la demande en observant qu’elle s’apparente à une demande au titre de la perte de gains des victimes directes alors que le seul préjudice auquel ils pourraient prétendre est celui de la perte économique résultant de la contrainte d’assurer une présence constante auprès de la victime directe.
Ils observent encore que les arguments développés font surtout référence à une incidence professionnelle, dont l’indemnisation serait réservée à la victime directe.
Plus précisément, ils font valoir l’absence de causalité directe entre l’accident médical et le départ en Suède, ce dernier relevant d’un choix des parents.
Enfin, ils soutiennent qu’indemniser les parents de leurs pertes de gains conduirait à une double indemnisation au regard des sommes allouées au titre de la tierce personne à l’enfant, la présence de ses parents étant énoncée dans les demandes faites pour [M].

La compagnie TRAVELERS fait valoir qu’elle a versé 964 800,01 € au titre de la tierce personne temporaire et que depuis la consolidation de [M], elle verse une rentre trimestrielle de l’ordre de 27 543,48€, soit une somme cumulée de 781 824,60 € au 30 juin 2013.

***

Il convient de rappeler que le déficit fonctionnel permanent dont reste atteinte la victime du dommage peut engendrer une perte ou une diminution de revenus pour les autres membres de la famille.

Pour évaluer ce préjudice, il doit être démontré qu’en plus de la perte de revenus de la victime, déjà indemnisée directement, d’autres membres de la famille subissent une perte de revenus ; c’est notamment le cas lorsqu’ils sont obligés de modifier leur vie professionnelle pour assister la victime handicapée. L’indemnisation perçue par la victime directe au titre de l’assistance tierce personne doit être prise en compte en principe.

Pour appréhender le préjudice des proches, il convient de rechercher si le proche a été contraint d’abandonner son emploi pour s’occuper de la victime et si de ce fait, il a subi un préjudice économique personnel en lien direct avec l’accident consistant en une perte de gains professionnels et de droits à la retraite qui ne serait pas susceptible d'être compensée par sa rémunération telle que permise par l'indemnité allouée à la victime directe au titre de son besoin d'assistance par une tierce personne.

En l’espèce, compte tenu du handicap très grave de [M] à la naissance, il ne peut être sérieusement contesté que cela ait eu une incidence sur la carrière professionnelle de ses parents qui avaient 28 ans pour Madame [L] et 25 ans pour Monsieur [L]. Les répercussions économiques du dommage sont certaines car il a fallu qu’ils s’organisent pour assurer une présence constante auprès de leur fille ensemble ou en se relayant, outre l’aide de tiers et les prises en charge institutionnelles. La famille a déménagé durant quelques années en Suède, pour bénéficier de l’entourage familial maternel.
En effet, dans le rapport d’expertise du docteur [V] du 31 décembre 2001, le sapiteur pédiatre indique que l’enfant vit en Suède avec ses parents qui s’y sont installés depuis juillet 2001 en raison de l’origine de la maman et de son besoin d’être proche de sa famille pour s’occuper de sa fille, et que M. [L] a dû abandonner son travail.
Le sapiteur pédiatre indique : « les parents estiment que leur besoin de présence auprès de leur fille, afin de pouvoir la stimuler de façon adaptée, nécessite qu’ils travaillent chacun à 75% et que ce besoin s’ajoute à la tierce personne qui doit pouvoir effectuer les soins, l’encadrement et le soutien de l’enfant ».
Dès lors, le déménagement en Suède et ses suites sont en lien de causalité directe et certaine avec le dommage.

Une des difficultés pour calculer la perte économique réside dans le fait qu’ils débutaient leur carrière professionnelle et que les revenus perçus avant la naissance de l’enfant ne sont pas communiqués.
Cela étant, ils ont travaillé après la naissance de [M].
Ainsi, les revenus allégués par les époux [L] (corrigés avec les avis d’imposition) sont :

Années
Monsieur
Madame
2000 avis impôt
308 569 francs, 47 109€
108 571 francs, 16 667€
2001 avis impôt
46 482 €
19 791 €
2002 en Suède
54 836 €
19 648 €
2003 en Suède
49 857€
38 186 €
2004 en Suède
42 417€
44 164€
2005 en Suède
49 681€
49 120€
2006 en Suède
51 571€
44 000€
2007 en Suède
33 516€
35 076€
2008

33 604€
2009 avis impôt
72 709 €
0
2010 avis impôt
58 255€
0
2011 avis impôt
56 657€
1 449€
2012 avis impôt
55 878€
0
2013 avis impôt
67 619€
0
2014 avis impôt
49 063€
0
2015 avis impôt
37 340€
19 957€
2016 avis impôt
4 000€
10 000€
2017 avis impôt

3675€
2018 avis impôt

988€
2019 avis impôt

2 500€

Il est justifié que M. [L] a été embauché le 1er janvier 1998 par la SAS « Les Télécréateurs » dont le chiffre d’affaires était de 48 300 000 € en 2000, 8 300 000 € en 2002 et 16 800 000 € en 2006, en qualité de réalisateur d’habillages TV.
Il a démissionné en octobre 2000 et le président de la société, M. [Z], indique qu’il a effectué des missions en « free lance » pour la société de 2001 à 2006 et que s’il avait poursuivi son activité au sein de la société, sa rémunération aurait pu atteindre en 2008 les 100 000 € bruts annuels.
Le 21 octobre 2021, il indique que la rémunération d’un producteur exécutif sénior se situe entre 120 000€ et 160 000€, celle d’un réalisateur sénior, entre 150 000€ et 300 000€.

Il résulte d’une autre attestation de Mme [U] [H] de juin 2008 qu’il travaillait avec elle en 1995 pour la société de production Gédéon et qu’ils se sont croisés à diverses reprises à la société « Les Télécréateurs » notamment et qu’elle percevait à cette date une rémunération fixe de 87 000€ sans compter les primes et bonus.

S’agissant de Mme [L], il est produit son diplôme et une attestation (sans pièce d’identité de l’auteur) de Mme [T], directrice des ateliers [F] [BT], confirmant leur collaboration, sa démission en septembre 2001 et une possible rémunération de 140 000€ en qualité de directrice de studio si elle était restée dans l’entreprise.

En dehors des pièces susvisées et des documents suédois non traduits (revenus perçus en Suède), aucune autre pièce n’est produite (contrats de travail, fiches de paie, diplôme de M. [L], curriculum vitae, distinctions accordées à Mme [L]...) de sorte qu’il n’est pas possible de savoir quels ont été les parcours professionnels en Suède et en France des demandeurs pour expliquer les revenus indiqués ou l’absence de revenus.
Par ailleurs, les revenus perçus par les époux quand ils étaient en Suède ne sont pas négligeables et démontrent qu’ils ont au moins maintenu leur niveau de revenus perçus en France en 2000/2001, voire perçu un meilleur revenu s’agissant de Mme [L].

Toutefois, sur la période 2009 à 2016, après le retour de la famille en France et au regard des avis d’imposition qui permettent d’appréhender les revenus de manière fiable, il est manifeste que Mme [L] a subi un préjudice économique puisqu’elle n’a pas travaillé jusqu’en 2015.

Au regard du revenu perçu en 2001 qui est supérieur aux revenus perçus en 2000 ou 2002, il y a lieu de calculer son préjudice comme suit, et en prenant en compte une réactualisation sur la base du smic horaire en 2009 (8,82€) par rapport à 2001(6,67€), puis en 2016 (9,67€), il y a lieu de calculer sa perte ainsi :
19 791 € x 1,32 (8,82/6,67) = 26 124,12 € x 6 années = 156 744,72 € x 1,09 (9,67/8,82) = 170851,74€
dont à déduire1 449€ perçus en 2011, soit 169 402,74 €.

S’agissant de M. [L], la situation est plus difficile à appréhender d’autant qu’il a manifestement toujours travaillé pour faire vivre sa famille et qu’il a conservé son niveau de revenus de manière constante, certes sans augmentation significative comme il prétend que sa situation pouvait le laisser espérer. Toutefois, en l’absence de documentation sur son activité professionnelle depuis plus de 20 ans, une éventuelle perte économique n’est pas démontrée.
Sa rémunération de l’année 2000, 47 109€, ne permet pas, en tout cas, d’établir qu’il aurait doublé sa rémunération en 8 ans et que cela n’a pas été le cas en raison de la situation de sa fille alors qu’il ne donne pas le moindre élément sur sa situation professionnelle depuis son départ de la société « Les Télécréateurs ». Au demeurant, ses déclarations au docteur [Y] en 2015, selon lesquelles il travaillait chez lui avec un certain nombre de voyages, laissent supposer une activité occasionnant potentiellement des revenus, dont il ne fait pas état.

S’agissant des sommes perçues au titre de la tierce personne, il est fait mention des sommes allouées aux parents de [M] depuis la naissance en 1998, par l’arrêt de la cour d’appel du 9 mars 2012 : 353 944,76€ au titre des frais de tierce personne du 23/4/2007 (date d’admission pour la scolarité à l’institut national de médecine physique et de réadaptation en journée) au 31/8/2010 et rente trimestrielle de 25 091€ à compter du 1/9/2010.

Le jugement du 27 avril 2009 et l’arrêt d’appel du 9 mars 2012 ont rejeté la demande des parents relative à une assistance complémentaire pour l’aide simultanée de deux tierces personnes de 2h30 par jour.

Le rapport du docteur [Y] du 2 novembre 2015, qui s’est rendu au domicile, mentionne :
- que la famille a habité [Localité 15] de janvier 2008 à 2013, pour emménager à [Localité 10] à cette date,
- que [M] était prise en charge à [19] (hôpital de jour) puis à [18] (externat) à partir de 2010, et à [Localité 12] en 2013 (avec des nuits sur place progressivement),
- que depuis août 2015 la famille habite [Localité 13] (64), [M] est interne du lundi matin au vendredi soir et passe ses fins de semaine à la maison en présence d’une tierce personne.
Il est également indiqué que M. [L] travaille à domicile avec un certain nombre de voyages et que Madame [L] travaille à domicile et à [Localité 10].

Le jugement du 17 juillet 2023 a constaté que la décision citée avait vocation à s’appliquer jusqu’à la consolidation, soit le 11 octobre 2016. Le besoin avait été évalué à 24 heures par jour (hors scolarité) tandis que le rapport d’expertise du 23 octobre 2017 mentionne que l’assistance d’une tierce personne est assumée par les deux parents et l’auxiliaire de vie ainsi que la présence continue de l’auxiliaire de vie du vendredi après-midi au lundi. L’indemnisation s’est faite sur la base de 17 € et 11 € pour les heures actives et passives.
La somme de 964 800,01 € versée jusqu’à la consolidation de [M] a permis de prendre en compte les besoins de tierce personne assumés par les parents en grande partie, une partie ayant manifestement servi à financer une auxiliaire de vie.

Aucune facture n’est produite à l’instance pour justifier que cette somme a été employée pour un service prestataire ou direct. Dès lors, le préjudice de Mme [L] tel qu’il a été calculé ci-dessus est largement compensé par la somme allouée au titre de la tierce personne entre le 23/4/2007 et le 31/8/2010.

Dans ces conditions, les demandes sont rejetées de ce chef de préjudice.

Le préjudice moral ou extrapatrimonial des parents et de [CP]
Les proches de la victime directe peuvent solliciter l’indemnisation de leur préjudice moral consécutif au dommage subi par la victime, comprenant la confrontation à la souffrance de la victime, le retentissement psychique du handicap de la victime.
Ils peuvent encore demander l’indemnisation des troubles dans leurs conditions d’existence dès lors qu’ils justifient d’une communauté de vie effective et affective avec la victime directe pendant sa survie handicapée.

Les époux [L] ont subi un préjudice moral très important à la suite de la naissance de leur première fille. Leur vie a été bouleversée, ils se sont expatriés en Suède près de la famille maternelle pour lui apporter les meilleurs soins.
Outre l’impact sur leurs choix de lieu de vie, d’organisation du quotidien, et l’investissement conséquent dans la prise en charge de leur enfant, cela a affecté leurs carrières professionnelles qu’ils avaient tous deux investi avant la naissance de [M].

Le 3 octobre 2005, ils ont eu [CP] qui subit également un préjudice moral en raison du handicap sévère de sa sœur ainée, celui-ci ayant eu un impact majeur dans l’organisation de la vie effective et affective de la famille donc dans les conditions d’existence de leur seconde enfant.

Dans ce contexte, il y a lieu de leur allouer 90 000 € à chacun, et 40 000 € à [CP], soit 85 500€ et 38 000 €, après application du taux de perte de chance.

Sur la limitation de garantie

La compagnie Travelers considère que le plafond de garantie de la police d’assurance couvrant la clinique des [9] est opposable aux demandeurs qui le contestent comme l’association [7], et ce, en application de l’article L112-6 du code des assurances.

A cet égard, le tribunal maintient la position adoptée dans sa décision du 17 juillet 2023 concernant [M] [L] comme suit :
En vertu de l’article L112-6 du code des assurances, l’assureur peut opposer au porteur de la police ou au tiers qui en invoque le bénéfice, les exceptions opposables au souscripteur originaire.

La police d’assurance contractée par la clinique des [9] - Hôpital des [14], à l’origine auprès de la société “[20] International Insurance Company Limited” avec effet au 1/1/1998, prévoit un plafond de 60 000 000 Francs par année d’assurance pour les dommages corporels notamment. Elle s’applique à l’accident médical du 7/3/1998 et à ses conséquences.

Les arguments avancés par l’association [7] pour faire obstacle à la disposition contractuellement acceptée par elle, ne sont pas pertinents.

En effet, le principe de la réparation intégrale de la victime ne saurait permettre au responsable d’être garanti des conséquences dommageables dont il est responsable au mépris des dispositions contractuelles librement consenties.

Par ailleurs, l’article R1142-4 du code de la santé publique en sa rédaction issue de la loi de 2011, inapplicable au présent litige, qui fixe pour les seuls professionnels de santé exerçant à titre libéral des plafonds de garantie minimum de 8 millions d’euros par sinistre et 15 millions d’euros par année d’assurance, ne peut s’interpréter comme le suggère le responsable du dommage comme prohibant les plafonds de garantie pour les établissements de santé, une telle prohibition serait nécessairement précisée.
En effet, si l’article L1142-2 du même code issu de la même loi de 2011, oblige les professionnels de santé à souscrire une assurance destinée à les garantir de leur responsabilité civile susceptible d’être engagée en raison des dommages subis par des tiers résultant d’atteintes à la personne survenant dans le cadre de leur activité, ce texte précise qu’une dérogation à l’obligation d’assurance peut être accordée dans certaines conditions aux établissements de santé qui disposent des ressources financières leur permettant d’indemniser les dommages dans des conditions équivalentes à celles qui résulteraient d’un contrat d’assurance.
Il précise également que les contrats peuvent prévoir des plafonds de garantie dont le montant est fixé par décret du conseil d’Etat.
En tout état de cause, la première version de ce texte est issue de la loi du 4 mars 2002, inapplicable à l’espèce.

Dans ces conditions, le plafond de garantie est opposable au cas d’espèce et la compagnie Travelers sera condamnée à indemniser la victime dans la limite de ce plafond.

Sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile

L’Association [7] et TRAVELERS INSURANCE DESIGNATED ACTIVITY COMPANY, qui succombent en la présente instance, seront condamnés aux dépens.

En outre, ils devront supporter les frais irrépétibles engagés par les demandeurs dans la présente instance et que l'équité commande de réparer à raison de la somme de 3000 €.

Sur l’exécution provisoire

Rien ne justifie d'écarter l'exécution provisoire dont la présente décision bénéficie de droit, conformément aux dispositions des articles 514 et 514-1 du code de procédure civile, s'agissant en effet d'une instance introduite après le 1er janvier 2020.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire mis à disposition au greffe et rendu en premier ressort,

Vu le jugement du 17 juillet 2023 ;

Décision du 03 Juin 2024
19ème contentieux médical
RG 22/03011

CONSTATE que Mme [CP] [L] est désormais majeure et qu’elle a repris l’instance en son nom ;

RAPPELLE que les fautes de la clinique des [9] - Hôpital des [14], désormais appelée l’Association [7] exerçant sous l’enseigne Hôpital [17], lors de la prise en charge de sa naissance le 7 mars 1998, ont occasionné à Madame [M] [L] une perte de chance d’éviter les préjudices de 95 % ;

CONDAMNE in solidum l’Association [7] exerçant sous l’enseigne Hôpital [17] et la Société Travelers Insurance Designated Activity Company, cette dernière, dans la limite de sa garantie contractuelle, à réparer le préjudice des proches de Madame [M] [L] dans la proportion précitée ;

CONDAMNE in solidum l’Association [7] exerçant sous l’enseigne Hôpital [17] et la Société Travelers Insurance Designated Activity Company, cette dernière, dans la limite de sa garantie contractuelle, après application du taux de perte de chance, provisions non déduites, en deniers ou quittances, à payer à :
- Madame [B] [IP] épouse Madame [L] la somme de 85 500€ au titre du préjudice moral et extrapatrimonial,
- Monsieur [E] [L] la somme de 85 500€ au titre du préjudice moral et extrapatrimonial,
- Madame [CP] [L] la somme de 38 000€ au titre du préjudice moral et extrapatrimonial ;

REJETTE les demandes au titre du préjudice économique dit « préjudice matériel consécutif à l'impossibilité d'exercer une activité professionnelle » ;

DECLARE le présent jugement commun à la CPAM de [Localité 15] ;

CONDAMNE in solidum l’Association [7] exerçant sous l’enseigne Hôpital [17] et la Société Travelers Insurance Designated Activity Company, cette dernière, dans la limite de sa garantie contractuelle, aux dépens pouvant être recouvrés directement par Maître [JM] [G] pour ceux dont il a fait l’avance sans avoir obtenu provision conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE in solidum l’Association [7] exerçant sous l’enseigne Hôpital [17] et la Société Travelers Insurance Designated Activity Company, cette dernière, dans la limite de sa garantie contractuelle, à payer aux demandeurs la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que la présente décision bénéficie de l'exécution provisoire de droit ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Fait et jugé à Paris le 03 Juin 2024.

La GreffièreLa Présidente

Erell GUILLOUËTGéraldine CHARLES


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 19eme contentieux médical
Numéro d'arrêt : 22/03011
Date de la décision : 03/06/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 15/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-06-03;22.03011 ?
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