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30/05/2024 | FRANCE | N°23/10337

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, Prpc jivat, 30 mai 2024, 23/10337


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :




PRPC JIVAT


N° RG 23/10337 - N° Portalis 352J-W-B7H-CZ74A

N° MINUTE :


Assignation du :
19 Juillet 2023















JUGEMENT
rendu le 30 Mai 2024
DEMANDEUR

Monsieur [K] [N]
représenté par Me Elsa CROZATIER, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #E1873



DÉFENDERESSE

FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D’INFRACTIONS ET D’ ACTES DE TE

RRORISME
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Patricia FABBRO, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0082




COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur LE LUONG, Premier Vice-Président
M...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

PRPC JIVAT


N° RG 23/10337 - N° Portalis 352J-W-B7H-CZ74A

N° MINUTE :

Assignation du :
19 Juillet 2023

JUGEMENT
rendu le 30 Mai 2024
DEMANDEUR

Monsieur [K] [N]
représenté par Me Elsa CROZATIER, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #E1873

DÉFENDERESSE

FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES D’INFRACTIONS ET D’ ACTES DE TERRORISME
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Patricia FABBRO, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0082

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Monsieur LE LUONG, Premier Vice-Président
Madame CHARLES, Première Vice-Présidente adjointe
Madame LE CHATELIER, Magistrate à titre temporaire

assisté de Romane BAIL, Greffier

DEBATS

A l’audience du 28 mars 2024, tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu le 30 mai 2024.

JUGEMENTS

- contradictoire,
- En premier ressort,
- Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par Monsieur LE LUONG, Président, et par Madame BAIL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Monsieur [K] [N], né le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 6] (69), de nationalité française, indiquait qu’il se trouvait sur la plage de [Localité 5] en Côte d’Ivoire le 13 mars 2016. Monsieur [N] déclarait que vers 12h, il entendait des tirs et un baigneur qui se trouvait dans l’eau à côté de lui était touché à la jambe.
Monsieur [N] se réfugiait par la suite dans un hôtel voisin et entendait d’autres coups de feu.
Monsieur [N] quittait la Côte d’Ivoire le 27 mai 2016 et rejoignait la France un mois plus tard.

Le 11 décembre 2019, son médecin traitant lui diagnostiquait un état de stress post-traumatique.

Le 17 décembre 2019, Monsieur [N] saisissait le Fonds de Garantie des victimes d’actes de Terrorisme et d’autres Infractions (ci-après désigné « le FGTI »).

Monsieur [N] déposait une plainte auprès du procureur de la République du tribunal judiciaire de Meaux par courrier du 27 février 2020, plainte transmise au parquet national anti-terroriste le 22 juillet 2020 aux termes de laquelle Monsieur [N] se constituait partie civile.

Le 4 janvier 2022, il était entendu par le juge d’instruction.

Le 29 avril 2022, une ordonnance de recevabilité de constitution de partie civile était rendue par le juge d’instruction à l’égard de Monsieur [N].

Le 8 novembre 2022, le FGTI indiquait au requérant, après différents échanges et plusieurs versions des faits relatées par Monsieur [N], qu’il ne pouvait réserver une suite favorable à sa demande.

Par assignation du 31 janvier 2023, Monsieur [N] saisissait la juridiction d’indemnisation des victimes d’attentats terroristes (ci-après désigné « JIVAT ») en référé.

Par ordonnance du 11 mai 2023, le juge des référés disait n’y avoir lieu à référé.

Par assignation délivrée le 19 juillet 2023 au FGTI, Monsieur [N] saisissait la JIVAT au fond.

******

Par conclusions signifiées par voie électronique le 6 septembre 2023, auxquelles il est référé expressément conformément à l’article 455 du code de procédure civile, Monsieur [K] [N] demande au tribunal de :
Le déclarer recevable à être intégralement indemnisé par le Fonds de Garantie des Victimes d’Infractions et des Actes de Terrorisme des préjudices subis à la suite de l’attentat dont il a été victime le 13 mars 2016 à [Localité 5], Ordonner une expertise médicale (mission ANADOC, amendée sur le préjudice d’agrément) confiée à un expert psychiatre afin de l’examiner,Condamner le Fonds de Garantie des Victimes d’Infractions et des Actes de Terrorisme à lui payer la somme de 25.000 € à titre de provision,Condamner le Fonds de Garantie des Victimes d’Infractions et des Actes de Terrorisme aux dépens.
Par dernières écritures récapitulatives régulièrement signifiées le 16 novembre 2023, auxquelles il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, le FGTI demande au tribunal de :
Juger que Monsieur [N] ne rapporte pas la preuve d’avoir été victime d’une des infractions constitutives d’un acte de terrorisme prévues par l’article 421-1 du Code Pénal. Dès lors,
Juger que Monsieur [N] ne peut prétendre au statut de victime directe de l’acte de terrorisme commis le 13 mars 2016 à défaut de rapporter la preuve de s’être trouvé directement exposé à un péril objectif d’atteinte à sa personne du fait de l’acte terroriste, ne rapportant pas la preuve d’avoir été directement et immédiatement exposé au risque de mort ou de blessures. Par conséquent,
Débouter Monsieur [N] de toutes ses demandes, fins et conclusions.

******

Les parties, régulièrement assignées, ont constitué avocat, le présent jugement étant susceptible d’appel, il sera statué par jugement contradictoire.

L’ordonnance de clôture était rendue le 23 novembre 2023.

L’audience de plaidoiries se tenait le 28 mars 2024 et la décision était mise en délibéré au 30 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

L’article L.126-1 du code des assurances, issu de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice, dispose que “les victimes d’actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l’étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou militaire, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, seront indemnisés dans les conditions définies aux articles L.422-1 à L422-3.”

Selon l’article 421-1 du code pénal, “constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les infractions suivantes et notamment les atteintes volontaires à la vie, les atteintes à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration”.

De plus, l’article L 217-6 du code de l’organisation judiciaire dispose que : « Le tribunal judiciaire de Paris a compétence exclusive pour connaître, en matière civile, à moins qu'ils n'échappent à la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire : 1° Des demandes formées par les victimes mentionnées à l'article L. 126-1 du code des assurances contre le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, après saisine de ce dernier, et relatives (…) »

Il est, ainsi, de jurisprudence constante que seules peuvent se prévaloir de la qualité de victime d’un attentat terroriste ouvrant droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale, les personnes ayant été exposées directement au danger généré par l’acte terroriste et que l’appréciation de la qualité de victime appartient à la présente juridiction.

En l’espèce, Monsieur [K] [N], qui se prévaut de la constitution de partie civile reçue par le juge d’instruction le 29 avril 2022, souhaite être reconnu comme une victime directe des attentats terroristes perpétrés à [Localité 5], le 13 mars 2016, alors qu’il se trouvait sur la plage de [Localité 5].

Le FGTI estime, pour sa part, que les déclarations de Monsieur [N] ont évolué au fil du temps, et qu’il ne justifie pas avoir déposé plainte à [Localité 4], ni s’être trouvé au nombre des parties civiles intervenues au procès conduisant au jugement du tribunal criminel d’Abidjan du 28 décembre 2022. De plus, Monsieur [N] n’a pas été référencé par le Parquet National Terroriste au nombre des victimes de l’attentat. Enfin, le FGTI considère que l’intégrité physique de Monsieur [N] n’a jamais été menacée, puisqu’il n’a pas été exposé directement à l’acte terroriste. Dès lors, le Fonds conclut qu’il n’est pas victime d’un acte de terrorisme au sens des textes précités, et n’a pas donc pas droit à indemnisation de ses préjudices.

Sur ce, il n’est pas contesté que Monsieur [N] avait loué un appartement sur la commune de [Localité 5] à compter du 24 décembre 2015 pour une durée de douze mois comme l’en atteste le contrat de location versé aux débats, indiquant que l’appartement de Monsieur [N] se situait au quartier BASSAM ESPOIR du lot n°2168 B de l’îlot n°218 dans la commune de [Localité 5].

Toutefois, Monsieur [N] a donné peu d’informations précises et circonstanciées concernant le lieu exact où il se trouvait au moment de l’attentat. Ainsi, il a fait évoluer son récit à l’occasion de ses différents échanges avec le Fonds de Garantie, donnant de nouveaux éléments au fur et à mesure de ses courriers.

Il ressort, ainsi, de son audition devant le juge d’instruction le 4 janvier 2022, soit quasiment six ans après les faits, les déclarations suivantes : « aux alentours de 12h alors que je me trouvais les pieds dans l’eau, seul, j’ai observé des mouvements de foule sur la plage. J’ai entendu que des tirs suivaient ce mouvement de foule et j’ai vu quelqu’un qui se trouvait dans l’eau à côté de moi, un baigneur que je ne connaissais pas, qui a été touché à la jambe. Il n’était pas loin de moi, il est clair que j’aurais pu prendre cette balle car je me trouvais à une distance approximative de 5 mètres. Les terroristes tiraient dans toutes les directions partout où il y avait des gens, vers la plage, mais aussi vers les restaurants. Ils tiraient partout où il y avait un mouvement de foule. J’ai eu la vie sauve lorsque les terroristes se sont dirigés vers les restaurants. J’ai suivi un mouvement de foule qui longeait la plage pour s’éloigner et se mettre à l’abri. Après avoir tiré en direction des restaurants, ils ont rebroussé chemin pour aller vers leur base c’est-à-dire par l’endroit duquel ils étaient venus. J’étais au sein d’une foule qui s’était regroupée sur la page, toujours à découvert mais désormais à distance des assaillants.
LE JUGE : Lorsque vous avez quitté l’eau, êtes-vous allé vers la droite ou vers la gauche ?
Je suis allé vers la gauche car les assaillants s’étaient dirigés à la droite de la plage, c’est-à-dire par là où ils étaient arrivés. Ce lieu est celui par lequel tout le monde arrive, celui où les taxis déposent les gens qui viennent à la plage. Pour quitter la plage, il y a plusieurs points d’entrée situés entre les restaurants mais le point d’entrée le plus proche pour regagner la ville, c’était celui par lequel était partis les terroristes. Petit-à-petit, nous nous sommes rapprochés du point de sortie et c’est là que j’ai vu les gendarmes français ».

Or, dans sa plainte déposée auprès du procureur de la République du tribunal judiciaire de Meaux par courrier du 27 février 2020, Monsieur [N] n’indique pas qu’un baigneur présent à côté de lui a été touché par une balle.
Il ne verse aucun élément supplémentaire au sujet du lieu où il se trouvait pendant l’attaque, qu’il s’agisse de témoignages de personnes présentes tel que le baigneur dont il mentionne l’existence, ou encore de photographies et cartographies des lieux, ne permettant ainsi pas de considérer qu’il était situé dans la trajectoire des tirs ou même dans la ligne de visée aléatoire des terroristes et, partant, exposé à un quelconque danger.
De plus, le requérant n’a versé aux débats aucun document médical avant fin 2019 attestant de son traumatisme et de son suivi psychologique suite aux attentats.
Concernant les attestations produites par Madame [O] [P], ressortissante belge présente sur la plage le jour de l’attentat, datées du 14 avril 2020 et du 2 décembre 2021, elles ne permettent pas plus d’appréhender le lieu exact où se trouvait Monsieur [N] lors de l’attaque, Madame [P] et le requérant s’étant retrouvés après les attentats.

Enfin, le requérant n’a pas déposé plainte en Côte d’Ivoire, et n’a pas été partie civile au procès ayant eu lieu à [Localité 4]. Ce n’est que tardivement que Monsieur [N] a saisi le Fonds plus de 3 ans après les faits, le 17 décembre 2019, et a déposé plainte en France le 27 février 2020 soit quasiment quatre ans après les faits.

Dès lors, s'agissant d'une condition restrictive d'exposition directe et effective au risque de mort ou de blessures recherché par les auteurs des faits, ni le fait d'avoir été déclaré recevable en sa constitution de partie civile par la cour d'assises, ni la proximité avec la « zone de danger » lors de l'attentat et ni la circonstance d'en avoir été le témoin ne suffisent, en soi, à conférer la qualité de victime indemnisable au titre de la solidarité nationale, ces éléments constituant de simples indices dans la démonstration de la qualité de victime.

Au regard de ces éléments, l’existence avérée d’un danger immédiat ou de l’exposition au risque n’est pas démontrée, Monsieur [N] était en effet a priori hors de la portée des tirs des terroristes.

En conséquence, il est constaté que Monsieur [K] [N] n’a pas la qualité de victime directe d’un acte de terrorisme et qu’il doit être déclaré irrecevable en toutes ses prétentions.

Les dépens seront laissés à la charge du Trésor public.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement, par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

DIT que Monsieur [K] [N] n’a pas la qualité de victime d'un acte de terrorisme commis le 13 mars 2016 à [Localité 5] en Côte d’Ivoire et qu'il ne relève pas des dispositions des articles L126-1 et L422-1 et suivants du code des assurances ;

DIT, en conséquence, que Monsieur [K] [N] est irrecevable en toutes ses prétentions ;

LAISSE les dépens à la charge du Trésor public ;

RAPPELLE que la présente décision bénéficie de l'exécution provisoire de droit ;

DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Fait et jugé à Paris le 30 Mai 2024

Le GreffierLe Président


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : Prpc jivat
Numéro d'arrêt : 23/10337
Date de la décision : 30/05/2024
Sens de l'arrêt : Déclare la demande ou le recours irrecevable

Origine de la décision
Date de l'import : 08/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-30;23.10337 ?
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