TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :
■
PRPC JIVAT
N° RG 22/11239
N° Portalis 352J-W-B7G-CXSWV
N° MINUTE :
Assignation du :
JUGEMENT
rendu le 30 Mai 2024
DEMANDEURS
Monsieur [F], [G] [I]
représenté par Maître Aurélie COVIAUX de la SELEURL Cabinet Aurélie Coviaux, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire L.71
Madame [A] [N] épouse [I]
représentée par Maître Aurélie COVIAUX de la SELEURL Cabinet Aurélie Coviaux, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire L.71
Madame [H], [M] [I] Représentée par ses parents, tuteurs légaux, monsieur [F] [I] et madame [A] [I]
représentée par Maître Aurélie COVIAUX de la SELEURL Cabinet Aurélie Coviaux, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire L.71
DÉFENDERESSES
Fonds de Garantie des Actes de Terrorisme et d’aut res Infractions
[Adresse 6]
[Localité 8]
représenté par Maître Diane ROUSSEAU de la SELARL FABRE & ASSOCIEES, Société d’Avocats, avocats au barreau de PARIS, avocats plaidant, vestiaire #P0124
La Caisse Primaire d’Assurance Maladie du VAR
domiciliée : chez Secteur RCT
[Adresse 4]
[Localité 7]
défaillant
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Monsieur LE LUONG, Premier Vice-Président
Madame CHARLES, Première Vice-Présidente adjointe
Madame LE CHATELIER, Magistrate à titre temporaire
assisté de Romane BAIL, Greffier
DEBATS
A l’audience du 28 mars 2024, tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu le 06 octobre 2023.
JUGEMENTS
- Réputé contradictoire,
- En premier ressort,
- Prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par Monsieur LE LUONG, Président, et par Madame BAIL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Monsieur [F] [I], né le [Date naissance 2] 1976 et sa fille, [H] [I] née le [Date naissance 3] 2007 ont été victimes de l’attentat survenu [Date décès 1] 2016 à [Localité 10] dans les circonstances suivantes : alors qu’il faisait du roller avec sa fille sur la chaussée sud de la [Adresse 11], entre le [Adresse 9] et le HI BEACH ([Adresse 5]), il a entendu des cris et a vu arriver vers lui un camion blanc, feux éteints et roulant « à un fort régime moteur ».
Au moment du passage du camion, il a eu le temps d’attraper sa fille dans ses bras et de se jeter sur la droite de la voie de circulation pour éviter le choc.
Puis ils se sont relevés, se sont assis sur un banc et sont rentrés chez eux en prenant la [Adresse 11] - trottoir nord - en évitant de regarder les corps.
Le statut de victime d'acte de terrorisme a été reconnu à Monsieur [F] [I] et le 10 octobre 2016, une provision de 10 000 € lui a été versée par le Fonds de Garantie des victimes d'actes de Terrorisme et d'autres Infractions (ci-après désigné « le FGTI »).
Le 23 août 2016, Monsieur [F] [I] portait plainte.
Une expertise médicale contradictoire amiable a été mise en place par le FGTI et confiée au docteur [Z] [B] en présence du docteur [E] [S], médecin conseil du demandeur, dont les conclusions en date du 21 septembre 2018 sont les suivantes :
Il sera retenu comme en relation avec l’attentat du [Date décès 1] 2016 :Un traumatisme initial constitué par une dolorisation et la déstabilisation d’un état antérieur lombaire connu et majeur ayant nécessité une infiltration un mois auparavant avec disparitions des douleurs,Un syndrome post-traumatique avéré avec angoisse de mort initiale (proximité du camion, peur pour sa propre vie et la vie de sa fille, vision des corps).DFT : classe II du 14.07.2016 au 03.11.2016Classe I du 04.11.2016 au 14.07.2017
Date de la consolidation : 14 juillet 2017ATP : non retenueDSA : séances d’EMDRPréjudice d’agrément : retenue jusqu’à la consolidation,Pas de préjudice esthétiquePréjudice sexuel : non justifié,Souffrances endurées : 3/7PAMI : importantDFP : atteinte à l’intégrité psychique et physique : 6%,IP : néant.
Le FGTI ne conteste pas le droit à indemnisation de Monsieur [F] [I] qui est entier.
Le 28 novembre 2018, le FGTI a adressé une offre d’indemnisation ainsi que les 13 août 2019 et le 16 mars 2022. Ces trois offres n’ont pas été acceptées.
Monsieur [F] [I] a reçu, à titre de provision, une somme totale de 39 103 €.
Par acte signifié les 7 et 8 septembre 2022, Monsieur [F] [I], Madame [A] [N] épouse [I] et [H] [I] ont assigné devant ce tribunal le Fonds de Garantie des actes de Terrorisme et autres Infractions (FGTI) ainsi que la CPAM du Var aux fins de voir reconnaître le droit à indemnisation et de voir ainsi liquider les préjudices de Monsieur [F] [I] ainsi que ceux de Madame [A] [N] épouse [I] et de Mademoiselle [H] [I].
Dans ses conclusions récapitulatives n°2 signifiées par voie électronique le 15 novembre 2023, auxquelles il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, les consorts [I] demandent au tribunal de :
CONDAMNER le FGTI à payer à Monsieur [F] [I], la somme totale de 146 837,80 € (provisions à déduire) décomposée comme suit, au titre de la réparation intégrale des préjudices qu’il subit des suites de l’attentat de [Localité 10] ;
LIBELLES
Montants
Créance tiers payeurs
Solde pour la victime
Dépenses de santé
1 525,08 €
981,28 €
543,80 €
Frais divers
1 850 €
1 850 €
Préjudice d’angoisse
30 000 €
30 000 €
Dépenses de santé futures
2 048 €
1 206,83 €
841,17 €
Déficit fonctionnel temporaire
1 596 €
1 596 €
Souffrances endurées
50 000 €
50 000 €
Déficit fonctionnel permanent
67,14 €
67,14 €
Préjudice d’agrément
10 000 €
10 000 €
Préjudice permanents exceptionnels
30 000 €
30 000 €
Préjudice d’affection (vi [H])
10 000 €
10 000 €
Préjudice d’accompagnement (vi [H])
5 000 €
5 000 €
CONDAMNER le FGTI à payer aux victimes indirectes les sommes suivantes :
• Mme [A] [N] épouse [I] :
– Au titre du Préjudice d’affection : 10 000 €
– Au titre du Préjudice d’accompagnement : 15 000 €
• L’enfant [H] [I]
– Au titre du Préjudice d’affection : 10 000 €
– Au titre du Préjudice d’accompagnement : 5 000 €
CONDAMNER le FGTI à payer à Mr [F] [I] la somme de 3 000 € et la somme de 500 € à chacune des victimes indirectes sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
DIRE que le FGTI devra régler les dépens distraits au profit de Maitre Coviaux, Avocat au Barreau de Paris sous sa due affirmation de droit.
ORDONNER l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 6 septembre 2023, auxquelles il est référé expressément conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) demande au tribunal de :
ALLOUER à Monsieur [F] [I] les indemnités suivantes :
- Dépenses de santé actuelles : réservé
- Frais divers : réservé
- Dépenses de santé futures : rejet
- Déficit fonctionnel temporaire : 1.338,75 €.
- Souffrances endurées : 8.000 €
- Préjudice d’angoisse : 15.000 €
- Déficit fonctionnel permanent : 9.840 €.
- Préjudice d’agrément : rejet.
- Préjudice exceptionnel spécifique des victimes de terrorisme : 30.000 €.
DEDUIRE du montant des indemnisations les provisions versées au profit de Monsieur [F]
[I] à hauteur de 39.109 €.
DEBOUTER Monsieur [F] [I] du surplus de ses demandes plus amples ou contraires.
DEBOUTER Madame [A] [I] et Madame [H] [I] représentée par ses parents de leurs demandes au titre du préjudice d’affection
DEBOUTER Madame [A] [I] et Madame [H] [I] représentée par ses parents de leurs demandes au titre du préjudice d’accompagnement.
DEBOUTER Madame [A] [I] et Madame [H] [I] représentée par ses parents du surplus de leurs demandes plus amples ou contraires.
LIMITER l’exécution provisoire au montant des offres contenues dans le corps des présentes.
DEBOUTER Monsieur [F] [I] Madame [A] [I] et Madame [H] [I] représentée par ses parents de leurs demandes fondées sur les dispositions des articles 699 et 700 du Code de Procédure Civile.
La caisse primaire d’assurance maladie du Var, quoique régulièrement assignée, n’a pas constitué avocat ; susceptible d’appel, la présente décision sera donc réputée contradictoire à l’égard de tous.
La clôture de la présente procédure a été prononcée le 23 novembre 2023.
L'affaire a été entendue le 28 mars 2024 et mise en délibéré au 30 mai 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
SUR L’ETAT ANTERIEUR DE MONSIEUR [F] [I]
Le FGTI fait valoir qu’avant l’attentat, Monsieur [F] [I] présentait des troubles du rachis lombaire avérés et que c’est ainsi que l’expert a retenu « une dolorisation » en lien avec l’attentat.
Madame [B] indique également « l’évolution avec intervention sur les disques L4-L5 et S1 ne sera pas retenue, étant en relation avec un état antérieur majeur ».
L’expert judiciaire a pris le soin de préciser que cette décision avait été prise « après discussion avec le docteur [S], médecin conseil du blessé ».
Monsieur [F] [I] conteste aujourd’hui cette position et fait valoir que l’expertise n’a pas été réalisée par un médecin expert ce qui, en 2018, n’était pas obligatoire, les dispositions de l’article R422-7 du code des assurances ayant été modifiées depuis le 29 novembre 2020. Il demande que l’intervention chirurgicale qu’il a subie le 22 février 2018 soit imputable à l’attentat.
Il est acquis depuis longtemps qu’en droit commun, ne doit être indemnisé que ce qui est la conséquence directe du fait dommageable à l’exclusion de ce qui est imputable à un état pathologique antérieur. Ce principe a été progressivement nuancé et ce n’est que lorsque l’état antérieur pathologique entraînait déjà des effets néfastes avant le fait dommageable que l’indemnisation peut être réduite en raison de cet état antérieur.
Il est constant que l’état antérieur de Monsieur [F] [I] était déjà présent puisqu’il avait subi une infiltration un mois avant l’attentat suite « à des douleurs invalidantes », qu’il souffre d’une « pathologie dégénérative inflammatoire » depuis plusieurs années ainsi que des lombalgies anciennes avec irritation sciatique bilatérale.
C’est ainsi qu’en l’état du dossier le tribunal ne retiendra que le syndrome douloureux et constatera que cette « dolorisation » a été prise en compte par l’expert au terme de ses conclusions.
I. SUR LES DEMANDES DE LA VICTIME DIRECTE
A. Sur le droit à indemnisation
Aux termes de l’article L 126-1 du code des assurances, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou tout militaire, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L 422-1 à L 422-3.
Selon l'article 421-1 du code pénal, "constituent des actes de terrorisme, lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, les infractions suivantes et notamment les atteintes volontaires à la vie, les atteintes à l'intégrité de la personne, l'enlèvement et la séquestration".
Il n'est pas contesté et il résulte en tout état de cause de l'analyse de la procédure que Monsieur [F] [I], né le [Date naissance 2] 1976 a été victime, le [Date décès 1] 2016, de l'attentat survenu à [Localité 10], et plus précisément au niveau de la [Adresse 11] entre le [Adresse 9] et le [Adresse 5].
Par conséquent, le FGTI sera condamné à indemniser Monsieur [F] [I] des conséquences dommageables de l’attentat.
B. Sur l'évaluation du préjudice
Bien que réalisé dans un cadre amiable le rapport d’expertise ci-dessus évoqué présente un caractère complet, informatif et objectif.
Au vu de l'ensemble des éléments versés aux débats, le préjudice subi par Monsieur [F] [I] né le [Date naissance 2] 1976 et âgé par conséquent de 41 ans lors de l'attentat, 42 ans à la date de consolidation de son état de santé, et 47 ans au jour du présent jugement, et exerçant la profession d’informaticien (adjoint technique 2ème classe) au Conseil Régional Provence Alpes Côte d’Azur lors des faits, sera réparé ainsi que suit, étant observé qu'en application de l'article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, d'application immédiate, le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge.
Il convient en l'espèce d'utiliser le barème de capitalisation publié dans la Gazette du Palais du 31 octobre 2022, le mieux adapté aux données sociologiques, financières et économiques actuelles compte tenu de la situation internationale et alors que l’économie américaine a renoué avec un fort dynamisme, à savoir, celui fondé sur les tables d'espérance de vie définitive de 2017-2019 publiées par l'INSEE et sur un taux d'intérêt de 0 %. En effet, malgré une augmentation du coût de la vie se traduisant par un taux d’inflation de l’ordre de 4,9 % en 2023, les taux de rémunérations des placements financiers qui varient entre 3 % et 8 %, sont de nature à compenser la perte de valeur liée à l’inflation et dont l’atterrissage est envisagé par les économistes.
I. Préjudices patrimoniaux
- Dépenses de santé avant consolidation
Les dépenses de santé sont constituées de l’ensemble des frais hospitaliers, de médecins, d’infirmiers, de professionnels de santé, de pharmacie et d’appareillage en lien avec l’accident.
L’expert a précisé que « Monsieur [I] sera pris en charge par le docteur [C], psychiatre, à compter du 2 novembre 2016 avec prescription médicamenteuse d’un anti dépresseur qui sera pris jusqu’à la fin du mois d’avril 2017 (dernière prescription pour un mois du 06.04.2017). Il sera également suivi par Madame [J], avec séances d’EMDR, qui auraient été à hauteur d’une dizaine, mises en place à compter du 19.01.2017 (à documenter).
Au terme de son rapport, l’expert précise :« les séances d’EMDR sont à documenter si elles restaient à la charge du blessé (semblent avoir été prises en charge par les organismes sociaux) » »
Monsieur [F] [I] sollicite l’allocation de la somme de 1 083,80 € au titre des dépenses de santé restées à sa charge sans pour autant faire la distinction entre les frais liés à l’attentat et les frais liés au trouble du rachis lombaire, alors même que cette distinction est indispensable.
Les documents qu’il verse aux débats ne permettent pas d’établir si les frais pris en charge par la CPAM du VAR et par la MGEN sont intégralement imputables à l’attentat ou s’ils concernent, pour partie, la pathologie lombaire.
C’est ainsi que ce poste de préjudice sera réservé.
- Frais divers
L'assistance de la victime lors des opérations d'expertise par un, ou des, médecin conseil en fonction de la complexité du dossier, en ce qu'elle permet l'égalité des armes entre les parties à un moment crucial du processus d'indemnisation, doit être prise en charge dans sa totalité. De même, ces données peuvent justifier d'indemniser les réunions et entretiens préparatoires. Les frais d'expertise font partie des dépens.
Monsieur [F] [I] sollicite la somme de 650 € au titre des honoraires médecin conseil.
Le FGTI s’accorde sur ce montant sous réserve qu’il lui soit démontré que ce montant n’a pas été pris en charge par la protection juridique de Monsieur [I].
Le poste frais divers sera donc fixé au montant de 650 €.
- Assistance tierce personne provisoire
Il convient d'indemniser les dépenses destinées à compenser les activités non professionnelles particulières qui ne peuvent être assumées par la victime directe durant sa maladie traumatique, comme l'assistance temporaire d'une tierce personne pour les besoins de la vie courante, étant rappelé que l’indemnisation s'entend en fonction des besoins et non en fonction de la dépense justifiée. Le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne saurait être subordonné à la production de justificatifs des dépenses effectives.
En l'espèce, il ressort du rapport d'expertise ce qui suit s'agissant de l'assistance tierce-personne provisoire : « Monsieur [I] sera pris en charge par sa femme pour les courses, le ménage et les déplacements et la prise en charge de sa fille, âgée maintenant de 11 ans pendant un mois post-opératoire.
La tierce personne nécessaire en post-opératoire ne sera pas prise en compte du fait de la non imputabilité de l’intervention ».
Monsieur [I] sollicite une somme de 1 200 € considérant que l’intervention chirurgicale est en lien avec l’attentat.
Le FGTI fait valoir qu’il n’y a pas lieu d’indemniser Monsieur [F] [I] à ce titre
L’imputabilité de l’indication opératoire à l’attentat n’ayant pas été retenue par l’expert compte tenu de l’importance de l’état antérieur de Monsieur [F] [I], la demande, au titre de ce poste de préjudice, sera rejetée.
- Dépenses de santé futures
En l'espèce, il ressort du rapport d'expertise ce qui suit : « Actuellement il n’y a plus de soins de pratiqué au niveau psychologique ».
Monsieur [F] [I] sollicite un montant de 2 048 € au titre de ce poste de préjudice : il indique qu’il est constant que la CPAM a accepté d’indemniser, a minima, 2 ans de soins psychiatriques et qu’il serait donc inéquitable de lui refuser la prise en charges des soins de psychologue qu’il a exposé soit 540 €. Par ailleurs, il sollicite que soient pris en compte les frais liés à l’intervention chirurgicales qu’il a subie.
Le FGTI sollicite que les demandes soient écartées.
Le tribunal, constatant que la pièces (G6) fournie à l’appui de la demande de Monsieur [F] [I] pour ce qui concerne le suivi psychologique, concerne les soins suivis par sa fille [H], et qu’aucune autre pièce n’est fournie, rejettera ainsi la demande formée à ce titre.
II. Préjudices extra-patrimoniaux
- Déficit fonctionnel temporaire
Ce poste de préjudice indemnise l'invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique. Le déficit fonctionnel temporaire inclut pour la période antérieure à la date de consolidation, l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d'hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique.
En l'espèce, il ressort du rapport d'expertise ce qui suit s'agissant du déficit fonctionnel temporaire :
Classe II du 14.07.2016 au 03.11.2016
Classe I du 04.11.2016 au 14.07.2017
Monsieur [F] [I] sollicite une indemnisation sur la base d’un taux journalier de 30 € et le FGTI propose 25 €
Sur la base d’une indemnisation de 27 € par jour pour un déficit total, adaptée à la situation décrite, il sera alloué la somme suivante :
dates
30,00 €
/ jour
indemnisation
début de période
14/07/2016
taux déficit
total
due
fin de période
03/11/2016
113
jours
25%
847,50 €
fin de période
14/07/2017
253
jours
10%
759,00 €
1 606,50 €
1 606,50 €
- Souffrances endurées
Il s'agit de toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, c'est-à-dire du jour de l'accident à celui de sa consolidation. A compter de la consolidation, les souffrances endurées vont relever du déficit fonctionnel permanent et seront donc indemnisées à ce titre.
En l'espèce, elles sont caractérisées par le traumatisme initial, les traitements subis, et le retentissement psychique des faits s’agissant notamment de la vision des victimes. Elles ont été cotées à 3/7 par l’expert.
Monsieur [F] [I] sollicite une somme de 50 000 € au titre de ce poste de préjudice et il est offert 8 000 €.
L’offre faite au titre de ce poste de préjudice apparaît comme étant satisfaisante.
- Préjudice d'angoisse de mort imminente
L'angoisse liée à une situation ou à des circonstances exceptionnelles résultant de la commission d'un acte de terrorisme soudain et brutal provoquant chez la victime, pendant le cours de l'événement, une très grande détresse et une angoisse dues à la conscience d'être confrontée à la mort caractérise une souffrance psychique spécifique. Cette souffrance est, par ailleurs, spécifique du fait du contexte collectif de l'infraction subie qui a amplifié ce sentiment d'angoisse, notamment du fait du nombre de personnes impliquées, de leurs réactions, ainsi qu'en raison de l’importante couverture médiatique en temps réel de cet acte de terrorisme.
En l'espèce, Monsieur [F] [I] s’est retrouvé dans une véritable scène de guerre. En outre, il a vu le camion se dirigeant droit sur lui à vive allure, puis passé à quelques centimètres de sa fille et de lui-même, il a été confronté à la vision des corps percutés sous ses yeux, des cris et des plaintes des blessés, de la foule paniquée.
Ce poste a été évalué par l’expert comme étant « important retenant la vision du camion se dirigeant vers la victime et sa fille avec un sentiment d’effroi et conduite d’évitement initial »
Il est demandé 40 000 € dans le corps de la discussion et 30 000 € dans le dispositif et est offert 15 000 €
Dans ces conditions, la gravité de ce traumatisme sera réparée à hauteur de 15 000 €.
- Déficit fonctionnel permanent
Ce préjudice a pour composante les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, les douleurs qui persistent depuis la consolidation, la perte de la qualité de la vie et les troubles définitifs apportés à ces conditions d'existence.
Il comporte en conséquence une part du préjudice dont il est demandé l'indemnisation au titre du préjudice d'agrément temporaire et qui sera réparé ici.
La méthodologie dont il est demandé l’application, basée sur une indemnisation journalière en fonction du taux de déficit retenu et de l’espérance de vie de la victime, comme pour le déficit fonctionnel temporaire, ne tient pas compte du fait que ce poste est un poste permanent qui est distinct des autres préjudices permanents comme le préjudice d’agrément et le préjudice sexuel, qui font l’objet d’un examen autonome, ce qui n’est pas le cas du poste de déficit fonctionnel temporaire qui englobe ces préjudices temporaires.
Dès lors, il convient d’écarter la méthodologie appliquée par le demandeur et d’apprécier ce préjudice en fonction de l’âge de la victime au jour de la consolidation, des séquelles décrites et du taux de déficit retenu.
La victime souffrant d’un déficit fonctionnel permanent évalué à 6 % par l’expert compte-tenu des séquelles relevées (dolorisation d’un état antérieur lombaire et un syndrome de stress post traumatique persistant avec reviviscence et flash lors de mise en situation, petite conduite d’évitement et hypervigilance) et étant âgée de 42 ans lors de la consolidation de son état, il lui sera alloué une indemnité de 10 800 € (valeur du point retenue 1 800 €).
- Préjudice d'agrément
Ce préjudice vise à réparer le préjudice spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs ainsi que les limitations ou difficultés à poursuivre ces activités. Ce préjudice particulier peut être réparé, en sus du déficit fonctionnel permanent, sous réserve de la production de pièces justifiant de la pratique antérieure de sports ou d’activités de loisirs particuliers.
En l'espèce, il convient de noter que l’expert a retenu ce préjudice jusqu’à la consolidation pour le tir à l’arc et la moto étant précisé que selon les propos même de la victime « le tir à l’arc et la moto ont pu être repris à partir de juin 2018 », c’est ainsi que, tel que cela a été indiqué ci-dessus, le préjudice d’agrément temporaire a été indemnisé dans le cadre du déficit fonctionnel temporaire.
Monsieur [F] [I] indique que son préjudice d’agrément est également constitué par le fait qu’il a un comportement d’évitement de la [Adresse 11] et des lieux remplit de foule.
Il sera cependant relevé que la victime n'a versé aux débats aucune pièce s'agissant de cette conduite d’évitement et que par ailleurs les difficultés alléguées ont été prise en compte dans le déficit fonctionnel permanent
Dans ces conditions, la demande formulée à ce titre ne pourra qu'être rejetée.
- Préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme
Ce poste de préjudice exceptionnel est destiné à prendre en compte la spécificité de la situation des victimes d'un acte de terrorisme et notamment l'état de stress post traumatique et les troubles liés au caractère de cet événement, en raison des circonstances particulières de commission des faits et de leur résonance.
En l’espèce, l’acte de terrorisme du [Date décès 1] 2016 a été commis dans des circonstances particulières de volonté affirmée et revendiquée par les terroristes d’intimidation et de terreur d’une Nation entière afin de porter atteinte à l’État français et à ses citoyens dans leur ensemble. Ces faits dramatiques ont, en outre, eu une résonance importante dans l’opinion publique et dans les médias de façon durable.
Ces faits à la dimension nationale et même internationale causent à la victime de manière permanente un préjudice moral exceptionnel lié au caractère collectif de l’acte subi, aux motivations de ses auteurs, à la médiatisation des faits et ont eu une résonance particulière pour elle du fait de sa présence sur les lieux de l’attentat.
Il sera ainsi alloué à Monsieur [F] [I] une somme de 30 000 € en réparation de ce chef de préjudice, somme offerte par le FGTI, que Monsieur [F] [I] accepte.
-Autres demandes de Monsieur [F] [I]
Au terme du dispositif Monsieur [F] [I] sollicite que le tribunal lui accorde 10 000 € en indemnisation de son préjudice d’affection et 5 000 € au titre de son préjudice d’accompagnement pour sa fille [H], en qualité de victime de l’attentat.
Il convient de noter Madame [H] [I] intervient dans la présente instance en qualité de victime indirecte et qu’ainsi Monsieur [F] [I] n’a pas qualité pour agir en tant que victime indirecte de sa fille.
Par ailleurs, ses demandes ne sont appuyées par aucun argument dans le corps de ses écritures, elles ne sont pas motivées et seront donc rejetées.
II – SUR LES DEMANDES DES VICTIMES PAR RICOCHET
L'article L 126-1 du code des assurances dispose que "les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou tout militaire, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L 422-1 à L 422-3."
Les dispositions susmentionnées ne distinguent pas la victime directe de la victime du dommage par ricochet.
Par analogie avec le droit commun des victimes d’infractions pénales recevables devant la commission d’indemnisation des victimes d’infractions pénales, les victimes par ricochet d'un acte terroriste peuvent prétendre à une indemnisation par la solidarité nationale.
Il s'agit donc pour la partie en demande se prévalant de la qualité de victime par ricochet de démontrer qu'elle a subi un préjudice personnel en lien direct et certain avec le préjudice corporel subi par la victime directe et qu’elle entretenait avec celle-ci un lien affectif spécifique constant et singulier.
- Préjudice d’affection
Il s’agit du préjudice moral causé par le décès, les blessures, le handicap, les souffrances de la victime directe. Il doit être indemnisé même s’il n’a pas un caractère exceptionnel. Son montant est fixé en fonction de l’importance du dommage corporel de la victime directe et sa réparation implique l’existence d’une relation affective réelle avec le blessé.
Madame [A] [N] était la compagne de Monsieur [I] au moment de l’attentat et elle n’était pas sur la [Adresse 11]. Elle n’a été informée des faits que par l’appel de son compagnon, devenu depuis son mari, une fois l’attentat passé, puis de sa famille qui demandait des nouvelles.
Par ailleurs, Madame [H] [I] est une victime directe des attentats de [Localité 10] et son préjudice ne saurait être indemnisé dans le cadre de la présente procédure, pendant l’attentat, elle était avec son père. Elle ne justifie pas d’un retentissement pathologique de la situation de son père en lien avec l’attentat.
C’est ainsi que la demande tant de Madame [A] [I] que de Madame [H] [I] sera rejetée au titre de ce poste de préjudice.
- Préjudice d’accompagnement.
Il s’agit de réparer un préjudice moral, dont sont victimes les proches de la victime directe pendant la maladie traumatique de celle-ci jusqu’à son décès.
Ce poste de préjudice a pour objet d’indemniser les bouleversements que le décès de la victime directe entraîne sur le mode de vie de ses proches au quotidien.
Madame [A] [N] épouse [I] et Madame [H] [I] sollicite un préjudice d’accompagnement lié à l’intervention chirurgicale que leur mari et père a subi. Or cette intervention a été écartée des préjudices subis en lien avec l’attentat.
C’est ainsi que la demande tant de Madame [A] [I] que de Madame [H] [I] sera rejetée au titre de ce poste de préjudice.
III. SUR LES AUTRES DEMANDES
Les intérêts des sommes allouées courront à compter du jugement en vertu de l’article 1231-7 du code civil.
Le FGTI prendra à sa charge les dépens de l’instance.
En outre, il sera condamné à payer à Monsieur [F] [I] une somme de 1 500 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, alors qu’une aide juridictionnelle peut être demandée par la victime en la matière sans condition de ressources.
En application de l’article 514 du code de procédure civile en vigueur au jour de l’assignation, l’exécution provisoire est de droit.
PAR CES MOTIFS
LE TRIBUNAL,
Statuant publiquement, par jugement mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en premier ressort,
DIT que Monsieur [F] [I] a été victime d'un acte de terrorisme le [Date décès 1] 2016 à [Localité 10] et qu'il relève des dispositions des articles L126-1 et L422-1 et suivants du code des assurances ;
CONDAMNE le Fonds de Garantie des victimes d'actes de Terrorismes et d'autres Infractions à payer à Monsieur [F] [I] les sommes suivantes en réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, provisions non-déduites :
Frais divers : 650 €Déficit fonctionnel temporaire : 1 606,50 €Souffrances endurées : 8 000 €Préjudice d’angoisse de mort imminente : 15 000 €Déficit fonctionnel permanent : 10 800 €Préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme : 30 000 €
Ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ;
RÉSERVE les dépenses de santé actuelles,
REJETTE les demandes formées par Monsieur [F] [I] au titre de l’assistance tierce personne temporaire, des dépenses de santé futures, du préjudice d’agrément, du préjudice d’accompagnement et du préjudice d’affection ;
REJETTE les demandes formées par Madame [A] [N] épouse [I] et Madame [H] [I], au titre de leur préjudice d’affection et de leur préjudice d’accompagnement ;
DÉCLARE le présent jugement commun à la Caisse Primaire d'Assurance-Maladie du Var ;
CONDAMNE le FGTI aux dépens de l’instance ;
CONDAMNE le FGTI à payer à Monsieur [F] [I] la somme de 1500€ en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que la présente décision bénéficie de l'exécution provisoire de droit ;
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Fait et jugé à Paris le 30 Mai 2024.
Le GreffierLe Président