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30/05/2024 | FRANCE | N°22/10947

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre 1ère section, 30 mai 2024, 22/10947


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Expédition exécutoire délivrée à : Me DESCOURS #P209
Copie certifiée conforme délivrée à : Me DE MARCELLUS #A341




3ème chambre
1ère section

N° RG 22/10947
N° Portalis 352J-W-B7G-CXWNX

N° MINUTE :

Assignation du :
19 août 2022











JUGEMENT
rendu le 30 mai 2024
DEMANDERESSE

S.A.S. SYSTEM B
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]

représentée par Me Emmanuel DE MARCELLUS de la SELARL DE MARCE

LLUS & DISSER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0341


DÉFENDERESSES

S.A.S. TEKNER
[Adresse 6]
[Localité 2]

S.A.S. IKOMAA
[Adresse 6]
[Localité 2]

représentées par Me Benoît DESCOU...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Expédition exécutoire délivrée à : Me DESCOURS #P209
Copie certifiée conforme délivrée à : Me DE MARCELLUS #A341

3ème chambre
1ère section

N° RG 22/10947
N° Portalis 352J-W-B7G-CXWNX

N° MINUTE :

Assignation du :
19 août 2022

JUGEMENT
rendu le 30 mai 2024
DEMANDERESSE

S.A.S. SYSTEM B
[Adresse 3]
[Adresse 3]
[Localité 1]

représentée par Me Emmanuel DE MARCELLUS de la SELARL DE MARCELLUS & DISSER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #A0341

DÉFENDERESSES

S.A.S. TEKNER
[Adresse 6]
[Localité 2]

S.A.S. IKOMAA
[Adresse 6]
[Localité 2]

représentées par Me Benoît DESCOURS de la SELARL RAVET & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #P209 & Me Pierre-Lucas THIRION de l’AARPI LEXT AVOCATS, avocat au barreau de RENNES, avocat plaidant

Décision du 30 mai 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 22/10947
N° Portalis 352J-W-B7G-CXWNX

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Anne-Claire LE BRAS, 1ère Vice-Présidente Adjointe
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, Juge,

assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

A l’audience du 30 janvier 2024 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 25 avril 2024.
Le délibéré a été prorogé au 30 mai 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

La société System B se présente comme une entreprise spécialisée dans la conception, le développement et la commercialisation de solutions et d’outils à destination des métiers de la boucherie.
Elle commercialise un outil de mise en portion et de découpe des saucisses dénommé « Wheelinker », ainsi qu’une gamme de boyaux naturels permettant la fabrication de saucisses. Cette machine, utilisée par les rayons boucherie des grandes surfaces ou par les bouchers indépendants est vendue directement ou prêtée par la société System B en échange de commandes de boyaux.
Le 20 décembre 2016, la société System B a déposé un brevet européen EP 3 187 051 (ci après EP’051) désignant la France, ayant pour titre « appareil de mise en portion de saucisses s’enroulant autour d’une platine et doté d’un outil de coupe », sous priorité du brevet français FR 1 563 449, du 29 décembre 2015. Il a été délivré par l'Office Européen des Brevets le 28 novembre 2018.
La société Tekner se présente comme une société spécialisée dans la fourniture de machines et de systèmes pour le lavage industriel et systèmes de séchage, d’une part, et pour la transformation et le conditionnement des produits alimentaires, d’autre part. Elle commercialise notamment une machine dénommée « Turbo link » permettant la mise en portion de saucisses.
La société Ikomaa, dont la société Tekner est l’associée unique et présidente, est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de machines à destination de l’industrie agro-alimentaire. Elle commercialise une machine, dénommée « Turbolink » permettant la mise en portion et de découpe de saucisses ainsi qu’une gamme de boyaux, permettant la fabrication des saucisses et de produits de charcuterie. Décision du 30 mai 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 22/10947
N° Portalis 352J-W-B7G-CXWNX

La société System B a appris que la société Tekner fabriquait un appareil de mise en portion de saucisse, dénommé « Turbo link », offert à la vente par la société Ikomaa.
Estimant que cette machine reproduisait les caractéristiques du brevet EP’051, elle a, par lettre recommandée avec avis de réception du 1er juin 2022, mis en demeure la société Tekner de cesser, notamment, sa fabrication, son offre à la vente et sa commercialisation. Aucune solution amiable n’était trouvée.
La société Tekner contestant toute contrefaçon du brevet EP’051 dont elle jugeait, en outre, la revendication 1 dépourvue de nouveauté, la société System B a été autorisée par ordonnance du président du Tribunal judiciaire de Paris en date du 7 juillet 2022 à faire pratiquer une saisie-contrefaçon dans les locaux de cette société ainsi que de la société Ikomaa. Les opérations ont été diligentées le 25 juillet 2022.
Par une ordonnance du 1er août 2022, la société System B a également été autorisée à faire pratiquer une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Sodipons qui exploite un hypermarché E.Leclerc à [Localité 4]. Les opérations se sont déroulées le 8 août 2022.
C’est dans ces conditions que la société System B a, par actes d’huissiers du 19 août 2022, assigné les sociétés Tekner et Ikomaa devant le présent tribunal, en contrefaçon de son brevet européen EP’051.
Dans ses conclusions n°1 notifiées par voie électronique le 17 mai 2023, la société System B demande au tribunal, au visa des articles L. 611-1 et suivants, L. 613-1 et suivants, et plus particulièrement des articles L. 613-3 et L. 613-4 du Code de la propriété intellectuelle et L. 615-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, de : - Juger que la machine Turbo Link fabriquée, offerte à la vente et mise dans le commerce par les sociétés Tekner et Ikomaa reproduit les revendications 1 à 10 du brevet européen EP’051 de la société System B ;
- Juger qu’en fabriquant, en offrant à la vente et en mettant dans le commerce la machine Turbo Link , les sociétés Tekner et Ikomaa se sont rendues coupable de contrefaçon des revendications 1 à 10 du brevet européen EP 3 187 051 de la société System B ;
- Interdire en conséquence aux sociétés Tekner et Ikomaa de poursuivre les actes de contrefaçon du brevet EP 3 187 051 et ce, sous une astreinte de 2.000 euros par jour de retard in solidum, passé un délai d’un mois à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- Ordonner le rappel, la confiscation et la destruction par huissier des produits jugés contrefaisants, quelque soit leur dénomination commerciale, en quelques lieux et en quelques mains qu’ils se trouvent, aux frais des sociétés Tekner et Ikomaa , et ce sous astreinte de 2.000 euros par jour de retard in solidum, passé un délai d’un mois à compter de la signification du jugement à intervenir ;
- Ordonner aux sociétés Tekner et Ikomaa , d’avoir à communiquer, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard passé le délai de 30 jours suivant signification du jugement à intervenir, une attestation de son commissaire aux comptes précisant (au besoin dans le cadre d’un régime de confidentialité à déterminer) : les quantités de machines Turbo Link fabriquées et vendues depuis temps non prescrit et le chiffre d’affaires et la marge brute sur coûts directs réalisés du fait de la vente et de la distribution des produits contrefaisants ;
- Se réserver la liquidation des astreintes ordonnées ;
- Les condamner à réparer le préjudice subi par la société System B du fait des actes de contrefaçon, dont l’étendue sera fixée après communication par les sociétés Tekner et Ikomaa des informations relatives à la masse contrefaisante et aux bénéfices réalisés, et dès à présent la condamner à verser à la société System B , à titre de provision, la somme de 70.000 euros à parfaire ;
- Les condamner à payer à la société System B la somme de 40.000 euros en réparation du préjudice lié à l’atteinte à son brevet ;
- Ordonner la publication, par extraits, du jugement à intervenir dans au moins deux journaux ou revues au choix de la société System B, aux frais des sociétés Tekner et Ikomaa , la somme de chaque publication n’excédant pas dix-mille euros hors taxes ;
- Ordonner l’affichage sur le site Internet des sociétés Tekner et Ikomaa et leurs comptes LinkedIn, dans les quinze jours de la signification du jugement, en accès direct et en partie haute de la page d’accueil, pendant une durée d’un mois et sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard, d’un texte reprenant les condamnations judiciaires qui seront prononcées ;
- Les débouter de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;
- Les condamner aux entiers dépens et à lui verser la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs conclusions en réponse n°2 signifiées par voie électronique le 26 juin 2023, les sociétés Tekner et Ikomaa demandent au tribunal, au visa des articles L. 611-10 et suivants et L. 615-7 du code de propriété intellectuelle, de :A titre principal,
- Prononcer la nullité du brevet EP’051 dont la société System B est titulaire ;
- La débouter de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
A titre subsidiaire,
- La débouter de l’intégralité de ses demandes indemnitaires ;
A tout le moins,
- Ramener le montant du préjudice commercial subi à de plus justes proportions ;
- Débouter la société System B du surplus de ses demandes ;
En tout état de cause,
- La condamner aux entiers dépens et à leur verser à chacune une somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 27 juin 2023.
MOTIFS DE LA DECISION

1. - Présentation du brevet EP 3 187 051

L'invention concerne un appareil de mise en portion de saucisses à partir d'une saucisse continue qui est découpée en portions égales, avec la particularité que la saucisse ainsi découpée n'a pas besoin d'étre torsadée à ses extrémités, ni d'étre liée pour éviter que la chair ne s'échappe, grâce aux pinces de l’appareil qui exercent un mouvement transversal sur le boyau afin de l’étirer.
a) la portée du brevet

Etat de la technique (selon le brevet)

Les professionnels de l’agroalimentaire utilisent des appareils de mise en portion de saucisses afin de produire rapidement, à partir d’un boyau rempli de chair en grande quantité, des portions inviduelles.
L’état de la technique, décrit en page 2 de la description du brevet, paragraphes 2 à 6, vise des appareils de mise en portions pour la fabrication de produits de type saucisses, comprenant :- une ou plusieurs paires de pinces, qui se déplacent l’une vers l’autre, chaque paire étant décalée par rapport à l’autre de telle manière qu’en se déplaçant en position fermée elles se chevauchent à la manière d’une cisaille et pincent le boyau pour former les extrémités, le produit alimentaire se trouvant chassé de chaque côté du point de contraction ;
- une lame associée à la paire de pinces qui coupe le boyau lorsque les pinces sont en position fermée ;
- un système de fermeture des extrémités du boyau qui peut être soit un lien souple, noué bien serré, ou une agrafe métallique en forme de U, écrasée pour que les branches du U se chevauchent, soit un allongement de la longueur du boyau par des pinces plus épaisses pour former aux extrémités des queues d’enveloppe vidée ou une torsion exercée sur le boyau entre les pinces avant de le couper à ses extrémités qui restent torsadées pour maintenir le produit à l’intérieur.

Problème technique que propose de résoudre le brevet :

Il est rappelé dans la partie descriptive du brevet qu’un équipement de l’état de la technique susvisé est complexe à mettre en oeuvre et coûteux. En outre, le marché actuel de la saucisse concerne de plus en plus de fabricants qui ne peuvent se permettre d’acheter des équipements destinés à une grande production. Il est donc nécessaire de développer un appareil industriel qui soit peu coûteux et simple dans son fonctionnement pour produire, à partir d’un boyau rempli de produit alimentaire, des portions, en assurant à la fois une découpe de saucisse selon une longueur calibrée pouvant être modifiée rapidement et une fermeture des extrémités afin de maintenir le produit alimentaire à l’intérieur du boyau.
Solution apportée par le brevet / Objet de l’invention :

L’invention a pour objet un appareil et un procédé de mise en portion, à des cadences petites et moyennes et sans un coût trop élevé, d’une saucisse continue de différents diamètres, pour faire des saucisses dont la longueur varie grâce aux réglages qui équipent l’appareil et avec des extrémités qui maintiennent le produit alimentaire à l’intérieur.
A cette fin, l’appareil est équipé d’un dispositif de mise en portion constitué d’une platine rotative, autour de laquelle sont disposés de manière circulaire par rapport à l’axe de la platine des organes de serrage (pinces), composés d’au moins une paire de pinces disposées l’une en face de l’autre et animées par la rotation de la platine dans un mouvement de va et vient entre une position d’ouverture et une position de fermeture, la saucisse continue étant serrée entre les pinces qui se chevauchent dans la position de fermeture.
De cette manière, grâce au bord avant de chaque pince qui, en position de fermeture, se chevauchent complètement sur une bande de largeur non nulle de façon à exercer sur le boyau un déplacement transversal à l’axe longitudinal de la saucisse, le boyau est pincé et étiré sur une certaine longueur et subit un resserrement qui persiste lorsqu’il est coupé et qui permet de

maintenir le produit alimentaire à l’intérieur du boyau.

b. Les revendications

Le brevet EP’051 est composé des dix revendications suivantes :
Revendication 1

Dispositif de mise en portion de saucisses à partir d’une saucisse continue (7) formée d’un boyau souple contenant un produit alimentaire, tel que de la chair à saucisse, ledit dispositif comprenant une platine (2) rotative munie d’une succession d’organes de serrage disposés selon un cercle centré autour de l’axe de la platine, les organes de serrage (6) comportant au moins une paire de pinces (8, 16, 17) dont une pince au moins de chaque pince est mobile, les pinces étant animées par la rotation de la platine dans un mouvement de va-et-vient entre une position d’ouverture et une position de fermeture, la saucisse continue étant serrée entre les pinces (8, 16, 17) dans la position de fermeture et tirée par lesdites pinces pour s’enrouler autour de la platine lors de sa rotation, caractérisé en ce que chaque pince (8, 16, 17) possède un bord avant de pincement entrant en contact avec la saucisse continue, et en ce qu’en position de fermeture, les bords avant des deux pinces se chevauchent complétement sur une bande d’une largeur non nulle de façon à exercer sur le boyau un déplacement transversal à l’axe longitudinal de la saucisse continue.
Revendication 2

Dispositif de mise en portion de saucisses selon la revendication 1, caractérisé en ce que l’au moins une pince mobile (8, 16, 17) possède une embase se déplaçant en translation à l’aide d’une broche (19) formant palpeur du type à came, coopérant avec au moins une came (13,14).

Décision du 30 mai 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 22/10947
N° Portalis 352J-W-B7G-CXWNX

Revendication 3

Dispositif de mise en portion de saucisses selon la revendication 2, caractérisé en ce que ladite broche (19) s’insère dans une rainure pratiquée dans la paroi latérale de l’au moins une came (13,14) cylindrique bloquée en rotation sur l’axe (3) de la platine et dont l’axe longitudinal se confond avec cet axe (3) de la platine.
Revendication 4

Dispositif de mise en portion de saucisses selon l’une quelconque des revendications précédentes, caractérisé en ce qu’il comporte un organe de cisaillement (18) associé à au moins une paire de pinces (8, 16, 17) et se déplaçant en translation par la rotation de la platine, l’organe de cisaillement se déplaçant entre les pinces pour couper la saucisse continue lorsque les deux pinces sont en position de fermeture.
Revendication 5

Dispositif de mise en portion de saucisses selon l’une quelconque des revendications précédentes, caractérisé en ce que les bords avant de chaque pince (8, 16, 17) sont en forme de guillemets « » et « $gt; », les parties ouvertes des guillemets « » et « $gt; » se faisant face, les deux pinces étant décalées l’une par rapport à l’autre de sorte que, lors de leur déplacement vers la position de fermeture, les pinces se chevauchent, et forment par leur bord avant un passage dont la section diminue progressivement pour devenir nulle.
Revendication 6

Dispositif de mise en portion de saucisses selon la revendication 5, caractérisé en ce que les deux branches des guillemets « » et « $gt; » se coupent à angle droit, les bords avant possédant un trou oblong (27) pratiqué au niveau du point d’intersection des deux branches, les trous oblongs étant décalés en position de fermeture pour que la section du passage soit nulle.
Revendication 7

Dispositif de mise en portion de saucisses selon l’une quelconque des revendications précédentes, caractérisé en ce que les deux pinces (8, 16, 17) de l’organe de serrage (6) sont montées mobiles sur la platine et se déplacent l’une vers l’autre en translation.
Revendication 8

Dispositif de mise en portion de saucisses selon l’une quelconque des revendications précédentes, caractérisé en ce que la rotation de la platine entraînant le déplacement d’au moins une pince s’effectue par une manivelle maniée par un opérateur.
Revendication 9

Dispositif de mise en portion de saucisses selon l’une quelconque des revendications précédentes, caractérisé en ce que les pinces (8, 16, 17) sont formées d’une pluralité d’au moins trois plaques présentant des bords avant droits et décalés les uns des autres et destinées à s’imbriquer les unes dans les autres, de façon à faire subir au boyau au moins deux déplacements perpendiculaires et de sens opposé.
Revendication 10

Dispositif de mise en portion de saucisses selon l’une quelconque des revendications précédentes, caractérisé en ce que la platine comporte une pluralité de séries d’orifices (11) de fixation des organes de serrage (6), chaque série possédant le même nombre d’orifices, les orifices de chaque série étant alignés selon un rayon de la platine (2), tous les orifices d’une même série étant placés sur un cercle dont le centre se situe sur l’axe de rotation de la platine, deux orifices voisins d’un même orifice d’une même série étant à égale distance de façon à mettre en portion des saucisses de même longueur au cours d’une rotation complète de la platine.

2. - Sur la validité du brevet EP’051

Moyen des parties

Les sociétés Tekner et Ikomaa soutiennent que le brevet est dépourvu de nouveauté au regard de l’état de la technique antérieure et de la divulgation de la machine au public antérieurement à la date de dépôt de la demande de brevet. Elles exposent que les caractéristiques techniques de la machine coupeuse « cutting » Risco et de la machine « torsadeuse-coupeuse » Risco, seules ou en combinaison, sont de nature à divulguer ou suggérer les caractéristiques techniques objet des revendications 1 à 12 du brevet EP’051. Elles considèrent qu’à tout le moins le brevet est dépourvu d’activité inventive au regard de la machine Risco « Cutting ». Elles se prévalent des attestations du responsable boucherie et du directeur du Centre E.Leclerc pour soutenir que la société System B a divulgué l’objet de son brevet dès 2015, soit avant le dépôt de la demande de brevet.
La société System B oppose en substance que les revendications 1 à 10 du brevet sont nouvelles et inventives et qu’elle n’a pas divulgué l’objet de ces revendications avant le dépôt de la demande de brevet française de priorité du brevet EP’051 soit le 29 décembre 2015, faisant valoir que le dispositif testé n’était pas dans son état définitif lors des essais dans le laboratoire boucherie du Centre E.Leclerc et qu’aucune divulgation publique n’est par ailleurs établie.

Appréciation du tribunal

L’article 52 de la convention sur le brevet européen (ci-après CBE) dispose que les brevets européens sont délivrés pour toute invention dans tous les domaines technologiques, à condition qu’elle soit nouvelle, qu’elle implique une activité inventive et qu’elle soit susceptible d’application industrielle.
L’article 138, 1, a) de la CBE dispose que le brevet européen est déclaré nul par les tribunaux d’un État contractant si l’objet du brevet européen n’est pas brevetable en vertu des articles 52 à 57, parmi lesquels l’article 54 définit ainsi la nouveauté : une invention est considérée comme nouvelle si elle n’est pas comprise dans l’état de la technique, lequel est constitué par tout ce qui a été rendu accessible au public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen. Le public s'entend de toute personne non tenue au secret.
Il est ainsi constant que l'élément de l'art antérieur n'est destructeur de nouveauté que s'il renferme tous les moyens techniques essentiels de l'invention dans la même forme, le même agencement et le même fonctionnement en vue du même résultat technique : l'antériorité, qui est un fait juridique dont l'existence, la date et le contenu doivent être prouvés par tous moyens par celui qui l'invoque, doit être unique et être révélée dans un document unique dont la portée est appréciée globalement.
Pour détruire la nouveauté, l'antériorité doit être certaine quant à son existence, sa date et son contenu.
En outre, en cas de demande sous bénéfice du droit de priorité, la divulgation doit être appréciée à la date de priorité.
En l’espèce, le brevet EP’051 a été déposé sous priorité du brevet français FR 1 563 449, du 29 décembre 2015. Pour que la condition de nouveauté soit remplie, il est donc nécessaire que l’invention objet du brevet EP’051 ait été divulguée avant la date de dépôt de la demande de brevet prioritaire, soit le 29 décembre 2015.
La société Tekner et la société Ikomaa se prévalent de deux attestations qui ont été produites par la société System B dans le cadre d’un litige étranger à la présente instance. Aux termes de la première attestation établie par M. [F] [L], en sa qualité de responsable boucherie du magasin E.Leclerc sis à [Localité 5] remise le 3 mai 2021, la société System B a été « autorisée à utiliser le laboratoire saucisse du magasin pour y réaliser ses essais machine ». Il y est précisé que « dès 2015, [elle] est venue de manière régulière tester son matériel Wheelinker dans [les] ateliers afin d’en terminer le développement » ; qu’elle a « pu développer ce matériel à portionner et découper les saucisses sans les tourner et [lui] a donné la possibilité de faire des tailles de saucisse différentes adaptées à [ses] formats de barquettes, notamment grâce au système rapide, sans outils, donc allongement de position des pinces, un réel avantage comparé à [ses] méthodes à l’époque » ; que « cette solution manuelle, innovante et très simple d’utilisation, ne [lui] a jamais été proposée dans [son] atelier par [ses] différents fournisseurs de matériel ». Dans la seconde attestation, le directeur du magasin, M. [V] [M], confirme avoir « mis à disposition notre laboratoire boucherie dans les années 2015 et 2016 afin que la société System B puisse finaliser son invention de leurs machines Wheelinker ». Il ajoute qu’ « à l’issue de la validation de la Wheelinker, System B nous a proposé la mise à disposition à titre de prêt gratuit en contrepartie de la fourniture de boyaux naturels pour la fabrication de nos produits élaborés en saucisserie ».
Il résulte suffisamment de ces attestations, en premier lieu, que la machine « Wheelinker » présentée dans le laboratoire boucherie du magasin E.Leclerc et mise, à l’issue des essais, gratuitement à disposition de ce magasin en contrepartie de la fourniture de boyaux naturels, est celle mettant en oeuvre le brevet en litige, nonobstant le fait qu’au début la machine nécessitait encore des essais. En tout état de cause, la société System B se borne à soutenir que le dispositif testé dans les locaux du magasin n’est pas celui de l’invention, sans produire aux débats le moindre document technique ou contractuel, pourtant en sa possession, de nature à étayer ses dires et à démontrer la teneur des modifications qui auraient été apportées à l'issue de la période d'essais.
En second lieu, la machine a été présentée dans le courant de l’année 2015, soit avant le dépôt de la demande de priorité en date du 29 décembre 2015, à au moins deux personnes, le responsable du rayon boucherie et le directeur du magasin E.Leclerc, dont il n’est pas démontré par la société System B que ces personnes étaient tenues à une obligation de confidentialité. Celle-ci, d'interprétation stricte, ne saurait résulter implicitement du fait que la machine était un prototype qui ne restait jamais sur place, ni n’était, lors des essais, dans son état définitif : même si un écrit n'est pas nécessaire pour parvenir à un accord de confidentialité, la preuve d'entretiens ou de contacts verbaux qui auraient eu un tel objet n'est pas fournie, ni même alléguée par cette dernière.
Enfin, la machine a été installée pour des essais dans le laboratoire boucherie du magasin E. Leclerc. Elle était donc accessible, ce qui n’est pas contesté par la société System B, au personnel du magasin, mais aussi aux différents fournisseurs de matériel qui se présentent dans l’atelier boucherie pour proposer leurs machines, évoqués par M. [L] dans son attestation. Les essais du prototype dans le laboratoire du magasin E.Leclerc sont donc des essais publics, constitutifs d’une divulgation.
En conséquence, l’ensemble des caractéristiques du brevet, permettant à l’homme de métier de les reproduire, ont été divulguées par la société System B avant la date de dépôt de la demande de brevet prioritaire. Le brevet EP’051 doit être annulé pour défaut de nouveauté, sans qu’il y ait lieu d’examiner le moyen tiré du défaut d’activité inventive.
Le brevet allégué de contrefaçon étant nul, la société System B sera déboutée de ses demandes subséquentes en contrefaçon, réparation de ses préjudices et prononcer de diverses mesures d’interdiction, destruction, rappel des produits et publication.

Sur les autres demandes

Succombant, la société System B sera condamnée aux dépens de l’instance.
Supportant les dépens, elle sera condamnée à payer à la société Tekner et à la société Ikomaa, chacune, la somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La présente décision est exécutoire de droit par provision.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL,

DIT NULLE la partie FR du brevet EP 3 187 051 pour défaut de nouveauté ;

DÉBOUTE la société System B de l’ensemble de ses demandes ;

ORDONNE la transmission de la présente décision, une fois passée en force de chose jugée, au directeur de l’INPI aux fins d’inscription au registre national des brevets, à l’initiative de la partie la plus diligente;

CONDAMNE la société System B aux dépens de l’instance ;

CONDAMNE la société System B à payer à la société Tekner et à la société Ikomaa, chacune, la somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;

ORDONNE l’exécution provisoire de la décision, sauf en ce qui concerne la mesure de publication sur les registres.

Fait et jugé à Paris le 30 mai 2024

La Greffière La Présidente
Caroline REBOUL Anne-Claire LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 3ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 22/10947
Date de la décision : 30/05/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-30;22.10947 ?
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