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30/05/2024 | FRANCE | N°21/13955

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre 1ère section, 30 mai 2024, 21/13955


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Expédition exécutoire délivrée à : Me JARROSSAY #C704
Copie certifiée conforme délivrée à : Me HUGOT #C2501




3ème chambre
1ère section

N° RG 21/13955
N° Portalis 352J-W-B7F-CVM3P

N° MINUTE :

Assignation du :
04 novembre 2021











JUGEMENT
rendu le 30 mai 2024



DEMANDEUR

Monsieur [X] [K]
[Adresse 4]
[Localité 3]

représenté par Me Jean-Philippe HUGOT, avocat au barreau de PARIS, vest

iaire #C2501


DÉFENDEURS

S.A.R.L. [C] [J]
[Adresse 1]
[Localité 3]

Monsieur [C] [J] - Intervenant volontaire
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentés par Me Cécile JARROSSAY de la SELEURL ARTICLE...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le :
Expédition exécutoire délivrée à : Me JARROSSAY #C704
Copie certifiée conforme délivrée à : Me HUGOT #C2501

3ème chambre
1ère section

N° RG 21/13955
N° Portalis 352J-W-B7F-CVM3P

N° MINUTE :

Assignation du :
04 novembre 2021

JUGEMENT
rendu le 30 mai 2024

DEMANDEUR

Monsieur [X] [K]
[Adresse 4]
[Localité 3]

représenté par Me Jean-Philippe HUGOT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C2501

DÉFENDEURS

S.A.R.L. [C] [J]
[Adresse 1]
[Localité 3]

Monsieur [C] [J] - Intervenant volontaire
[Adresse 1]
[Localité 3]

représentés par Me Cécile JARROSSAY de la SELEURL ARTICLE 6, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C704

Décision du 30 mai 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 21/13955
N° Portalis 352J-W-B7F-CVM3P

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Anne-Claire LE BRAS, 1ère Vice-Présidente Adjointe
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, Juge,

assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

A l’audience du 26 février 2024 tenue en audience publique, avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 16 mai 2024.
Le délibéré a été prorogé au 30 mai 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [X] [K] est un photographe professionnel. Il réalise notamment des photographies d’œuvres architecturales et de gastronomie. A la demande l’hôtel [11], situé [Adresse 2] à [Localité 10], M. [K] a réalisé les clichés suivants, à l’intérieur de l’Hôtel [11] et de ses restaurants “[9]” et “[8]”:

La SARL [C] [J] a pour objet social déclaré l’architecture d’intérieur, l’agencement design, le dessin, la scénographie, le graphisme, le stylisme, la création conception et la commercialisation de tout mobilier ou de tout objet de design. Elle édite, depuis le mois de janvier 2017, un site internet à l’adresse https://www.[05].fr, qui présente son travail. La société [J] est dirigée par M. [C] [J], qui est architecte d’intérieur diplômé de l’école [7],
M. [K] reproche à la société [C] [J] d’avoir reproduit sans son autorisation ses photographies. Par échange de courriels en date des 10 avril et 14 octobre 2019, les parties ont tenté, sans succès, de trouver une solution amiable. Par une mise en demeure du 22 novembre 2019, qui n’aurait pas atteint son destinataire, M. [K] a sollicité la réparation de son préjudice. Par un courrier recommandé du 2 décembre 2019, la société [C] [J] a reconnu avoir utilisé les photographies de l’hôtel [11] représentant les espaces publics du palace qu’elle a agencés en sa qualité d’architecte d’intérieur. Elle a indiqué retirer les photographies du site internet et proposé un dédommagement estimé insuffisant par M. [K].
C’est dans ce contexte que, par acte de commissaire de justice du 4 novembre 2021, M. [K] a fait assigner la société [C] [J] devant le présent tribunal, afin de voir cesser les actes de contrefaçon commis par celle-ci sur ses oeuvres et obtenir réparation du préjudice en résultant. Par conclusions notifiées par voie électronique le 12 avril 2022, M. [C] [J] est intervenu volontairement à l’instance.
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 mars 2023, M. [K] demande au tribunal, au visa des articles L. 111-1, L. 112-1, L. 112-2, L. 113-1, L. 121-1, L. 122-1, L. 122-4, L. 131-3, L. 3311-3, L. 335-2 du code de la propriété intellectuelle et des articles 1240 et 1358 du code civil de : Se déclarer incompétent pour statuer sur la fin de non-recevoir tirée du prétendu défaut de qualité à agir ; Le juger recevable et bienfondé en toutes ses demandes, fins et prétentions à l’encontre les défendeurs ; Juger qu’il est l’auteur des photographies objets du présent litige, que les photographies concernées sont originales et protégées par le droit d’auteur et qu’en reproduisant et en diffusant sans autorisation et sans mention de son nom, sur le site internet https://www.[05].fr/ à l’adresse https://www.[06]/, accessible depuis la France, les photographies réalisées par M. [K], les défendeurs ont violé ses droits patrimoniaux et moraux, ce qui constitue des actes de contrefaçon ; Condamner solidairement les défendeurs à lui payer la somme de : o 10.000 euros pour la violation de ses droits patrimoniaux ;
o 10.000 euros pour la violation de ses droits moraux ;
A titre subsidiaire, juger que les défendeurs ont commis des actes de parasitisme économique à son préjudice et les condamner en conséquence solidairement à lui verser : o 15.000 euros au titre des préjudices économiques (manque à gagner subi, dévalorisation des photographies) et moral (absence de mention nom) ;
o 5.000 euros au titre de l’enrichissement sans cause des défendeurs, aggravé par leur mauvaise foi patente.
Décision du 30 mai 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 21/13955
N° Portalis 352J-W-B7F-CVM3P

Juger irrecevables et malfondées les demandes reconventionnelles présentées par les défendeurs et les en débouter ; Condamner les défendeurs à lui payer la somme de 2.000 € en raison du caractère léger et abusif de leurs demandes reconventionnelles ; Les condamner aux entiers dépens et à lui verser la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 mai 2023, la société [C] [J] et M. [C] [J] demandent au tribunal, au visa des Livres I et III du code de la propriété intellectuelle, de : Débouter M. [K] de l’ensemble de ses demandes ; A titre reconventionnel, déclarer recevable l’intervention volontaire de M. [C] [J] ; Les déclarer recevables et bien-fondés en leurs demandes reconventionnelles ; Condamner le demandeur à verser:- à M. [C] [J] une somme de 2 000 euros au titre de la contrefaçon de ses droits moraux d’auteur ;
- à la société [C] [J] une somme de 2 000 euros au titre de la contrefaçon de ses droits patrimoniaux d’auteur ;
Condamner le demandeur aux entiers dépens et à payer à la société [C] [J] la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 30 mai 2023.

MOTIFS

A titre liminaire, il importe de déclarer recevable l’intervention volontaire à l’instance de M. [J], sur le fondement de l’article des articles 328 et suivants du code de procédure civile, qui n’est pas discutée par M. [K].
Sur la recevabilité de la société [C] [J] et de M. [J] en leur demande reconventionnelle

Moyens des parties

Rappelant que les photographies sont une oeuvre de commande, M. [K] conclut à l’irrecevabilité de la demande reconventionnelle en contrefaçon formée par les défendeurs. Il estime en effet que la société [C] [J] n’a pas qualité à agir, puisqu’est seul invoqué le droit moral de M. [J] sur une oeuvre d’architecture intérieure. Il souligne que le droit patrimonial d’auteur, à le supposer établi, a été cédé à l’hôtel [11], la société [C] [J] ne pouvant donc demander une indemnisation sur son fondement. Il ajoute qu’il n’a pas qualité à défendre dans la mesure où il n’est ni l’éditeur, ni l’auteur de l’ouvrage “[8]” publié chez Glénat en 2014, qui reproduirait, selon les défendeurs, des photographies de l’agencement intérieur de l’hôtel, qui serait protégé par le droit d’auteur.
M. [J] et la société [C] [J] soutiennent qu’en sa qualité de co-auteur du livre de [B] [R] “[8]”, M. [K] a signé à l’éditeur un bon à tirer avant l’impression qui valide la maquette définitive et la quadrichromie du livre impliquant les photographies qui y figurent. Il a donc une part de responsabilité dans l’édition de ce livre qui reproduit, selon elles, sans autorisation la salle du restaurant [8] ainsi que le bar.
Appréciation du tribunal

L'article 31 du code de procédure civile dispose que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. Par ailleurs, l’article 32 du même code précise qu’est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.
Or, en l’espèce, il ressort des éléments du dossier, à supposer que l’agencement architectural litigieux puisse être protégé par le droit d’auteur, que la société [C] [J] a cédé les droits patrimoniaux d’auteur à l’hôtel [11]. Si le contrat n’est pas produit aux débats, les défendeurs l’admettent toutefois en page 24 de leurs dernières écritures (“si les concluants ont cédé leurs droits patrimoniaux d’auteur à l’hôtel, en revanche, ils restent naturellement titulaires des droits moraux qui sont par nature incessibles”). La société [C] [J] n’est donc pas recevable à agir pour demander réparation d’une atteinte aux droits patrimoniaux d’auteur, au contraire de M. [J] qui demeure titulaire du droit moral.
Quant au moyen soulevé tiré d’un défaut de qualité à défendre de M. [K], il doit s’analyser comme un moyen de défense au fond et sera examiné comme tel par le tribunal.
Sur la protection des photographies au titre du droit d’auteur

Moyens des parties

M. [K] expose avoir été engagé par le directeur général de l’hôtel [11] pour réaliser les photographies de la façade et de l’agencement intérieur du palace. Il détient le support matériel de l’oeuvre, en particulier les fichiers numériques de chacune des photographies, ce qui lui permet d’établir sa paternité sur l’oeuvre. Dénonçant une contestation tardive et superficielle par les défendeurs, il ajoute que trois des clichés ont été divulgués sous son nom sur différents sites de presse.
M. [K] conclut ensuite à l’originalité de ses clichés, écartant tout grief de banalité. Rappelant que l’originalité tient au travail créatif du photographe, il se prévaut d’une recherche esthétique de positionnement, de cadrage, souligne la recherche de l’angle de la prise de vue, se prévaut d’un travail sur les lignes de fuite, un jeu entre horizontalité, diagonale et verticalité ou encore relatif au calibrage des couleurs et des contrastes. Il souligne qu’aucune directive précise ne lui a été imposée. Il estime que les défendeurs ne peuvent lui opposer utilement le fait d’avoir voulu représenter fidèlement le décor, alors qu’il a effectué des choix personnels et subjectifs pour obtenir le rendu souhaité.

M. [K] se prévaut ainsi, au cours de la phase préparatoire du travail, du choix de l’objectif utilisé, de la recherche de l’éclairage idéal ou encore de la profondeur du champ. Il note, au cours de la réalisation des photographies, le choix du cadre et de la composition de ses oeuvres (jeu sur le grand angle, la lumière, la netteté de l’image). Enfin, il souligne le travail de retouches et de colorométrie, pour créer une atmosphère plutôt contrastée. Il détaille ensuite pour chaque photographie, les différents éléments permettant, selon lui, de retenir leur originalité. Il conclut que les clichés sont le fruit d’une réflexion esthétique sur les espaces de l’hôtel et la perception qu’il s’en est faite, ce qui dépasse les seuls efforts techniques et la mise en oeuvre de compétences professionnelles.

M. [K] dénonce l’utilisation de ses photographies par les défendeurs, sans autorisation ni mention de son nom, à des fins promotionnelles.

Si la société [C] [J] et M. [J] admettent que M. [K] démontre bien avoir pris les photographies revendiquées, ils soutiennent qu’il ne prouve pas, en revanche, ses droits d’auteur sur les photographies, qui ne sont pas originales. Ils estiment qu’elles ne font que représenter fidèlement la réalité, ne mettant en oeuvre que des compétences techniques qui ne sont pas protégeables. Ils concluent que M. [K], qui procède uniquement par voie d’affirmations, ne fournit aucun élément permettant d’établir les choix qu’il dit avoir faits ou les efforts intellectuels qu’il allègue dans la réalisation de ces photographies destinées à la promotion d’un hôtel.
Rappelant que les clichés illustrent leur travail d’architecte d’intérieur, ils considèrent, s’agissant de la phase préparatoire, que l’atmosphère revendiquée par le photographe comme étant paisible et épurée, résulte uniquement de leur travail. Par ailleurs, ils soulignent que les sujets photographiés sont inanimés lors de la prise de vue et qu’il n’y a donc pas particulièrement de mise en scène avec des choix personnels et esthétiques autres que le leur. Quant au travail de post-production, ils soutiennent qu’il est purement technique et commun à tous les photographes. Ils soulignent que M. [K] ne justifie pas s’être affranchi de contraintes techniques ou avoir opté pour un traitement particulier des sujets traités. Ils rappellent que l’éventuelle notoriété et la compétence du photographe ne suffisent pas à qualifier d’originales ses photographies.

La société [J] et M. [C] [J] concluent que M. [K] n’a fait que retranscrire fidèlement la réalité de manière descriptive et objective, sans faire preuve de choix arbitraires, ne serait-ce que pour ne pas tromper le client sur la réalité des lieux. Ils en veulent pour preuve la ressemblance avec les photographies de l’hôtel réalisées ultérieurement par d’autres photographes. Ils concluent que leur réalisation ne relève pas de choix caractérisant un parti pris esthétique particulier de la part du photographe, tant et si bien que les photographies ne sont pas protégées par le droit d’auteur.

Appréciation du tribunal

Conformément à l'article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle, l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial. Selon l'article L.112-1 du même code, ce droit appartient à l'auteur de toute œuvre de l'esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.
Selon l'article L. 112-2, 9° du même code, sont considérées comme œuvres de l'esprit les œuvres photographiques et celles réalisées à l'aide de techniques analogues à la photographie.
Selon l'article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, la qualité d' auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'oeuvre est divulguée.Il est constant que l'exploitation non équivoque d'une oeuvre par une personne physique ou morale, sous son nom et en l'absence de revendication du ou des auteurs, fussent-ils identifiés, fait présumer à l'égard du tiers recherché pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l'oeuvre du droit de propriété incorporelle.

Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une œuvre sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. Néanmoins, lorsque l'originalité d'une œuvre de l'esprit est contestée, il appartient à celui qui se prévaut d'un droit d'auteur de définir et d'expliciter les contours de l'originalité qu'il allègue. Seul l'auteur, dont le juge ne peut suppléer la carence, est en mesure d'identifier les éléments traduisant sa personnalité et qui justifient son monopole.
L’article 6 de la directive 2006/116/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 relative à la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins, intitulé “Protection des photographies” dispose que les photographies qui sont originales en ce sens qu'elles sont une création intellectuelle propre à leur auteur sont protégées conformément à l'article 1er. Aucun autre critère ne s'applique pour déterminer si elles peuvent bénéficier de la protection. Les États membres peuvent prévoir la protection d'autres photographies.
Interprétant l’article 6 de la directive 93/98 du 29 octobre 1993 relative à l’harmonisation de la durée de protection du droit d’auteur et de certains droits voisins, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 1er décembre 2011, aff. C-145/10, Eva-Maria Painer contre Standard VerlagsGmbH ea) a dit pour droit “qu'une photographie est susceptible de protection par le droit d'auteur à condition qu'elle soit une création intellectuelle de son auteur, ce qui est le cas si l'auteur a pu exprimer ses capacités créatives lors de la réalisation de l'œuvre en effectuant des choix libres et créatifs et ce, de plusieurs manières et à différents moments lors de sa réalisation. Ainsi, au stade de la phase préparatoire, l'auteur pourra choisir la mise en scène, la pose de la personne à photographier ou l'éclairage. Lors de la prise de la photographie de portrait, il pourra choisir le cadrage, l'angle de prise de vue ou encore l'atmosphère créée. Enfin, lors du tirage du cliché, l'auteur pourra choisir parmi diverses techniques de développement qui existent celle qu'il souhaite adopter, ou encore procéder, le cas échéant, à l'emploi de logiciels. À travers ces différents choix, l'auteur d'une photographie de portrait est ainsi en mesure d'imprimer sa " touche personnelle " (point 92 de la décision) à l'œuvre créée.”
En d’autres termes, pour bénéficier de la protection au titre du droit d' auteur, une photographie doit être, intépendamment du sujet photographié ou de la destination du cliché, une création intellectuelle propre à son auteur, reflétant sa personnalité qui peut se révéler en premier lieu dans la phase de préparation de la prise de la photographie par ses choix dans le placement des objets à photographier ou en exprimant sa personnalité par l'éclairage choisi; qu'en second lieu le photographe peut imprégner la photographie de sa personnalité au moment de la prise de vue elle-même, par le cadrage, l'angle de prise de vue, le jeu des ombres et de la lumière; qu'enfin le photographe peut révéler sa personnalité en retravaillant la photographie, notamment à l'aide de logiciels professionnels dédiés à cet effet, par la modification des couleurs, la suppression d'éléments, le recadrage ou le changement des formats.
En l’espèce, M. [K] invoque la protection, au titre du droit d’auteur, de dix des photographies qu’il a réalisées à la demande de l’hôtel [11]. Il justifie de cette commande au moyen d’ une facture n°9750 du 16 avril 2013, d’un montant total de 26 000€HT pour l’ensemble des prises de vue réalisées. Si elle précise les lieux qui doivent être photographiés, elle ne fait état d’aucune directive artistique particulière. La titularité des photographies ne fait plus l’objet de contestation par les défendeurs, M. [K] produisant aux débats les fichiers numériques de création de chacun des clichés ainsi que la divulgation des clichés 1, 7 et 9, sous son nom, au moyen de captures d’écran de sites internet de journaux en ligne.
Il importe, dès lors, d’examiner si les photographies dont se prévaut M. [K] sont originales.
S’agissant des photographies n°1 à 4,

M. [K] relève avoir opté pour un objectif grand angle afin d’agrandir l’espace tout en ménageant l’effet de détail et la mise en valeur des matières. Il dit avoir travaillé sur les lignes et les formes afin de traduire une perspective qui structure les clichés. Il note s’être placé à hauteur des assises pour “inviter le spectateur à prendre place” et avoir travaillé sur une saturation des couleurs pour apporter de la chaleur à un intérieur froid et épuré. Il expose que, tout en restituant une image réaliste du lieu, il s’est efforcé de lui donner de la vie, ce qui traduit une approche très personnelle.
Ces photographies illustrent la salle de restaurant de l’hôtel [11], vide de tout client, ainsi, s’agissant de la photographie n°1, qu’une partie de la cuisine ouverte du restaurant. De fait, M. [K] n’a pas choisi le lieu photographié et ne démontre pas avoir fait des choix délibérés particuliers dans l’agencement du décor qui n’est que le fruit du travail de l’architecte d’intérieur qui a créé l’atmosphère particulière des lieux. S’il en fait état, M. [K] ne justifie pas de manière précise des choix qu’il dit avoir opérés, lors de la phase préparatoire,s’agissant des objectifs de l’appareil photographique ou de ses réglages. Quant à l’angle de vue au moment de la prise de vue, il ne traduit pas un choix esthétique particulier, étant davantage destiné à servir une reproduction fidèle des lieux. A ce titre, le fait que la photographie n°4 soit prise au niveau de la table s’avère d’une certaine banalité s’agissant de clichés destinés à représenter un restaurant. Il en est de même de l’éclairage, pour lequel il n’est pas justifié d’un travail particulier sur la lumière. Ces photographies, pour lesquelles l’originalité n’est pas démontrée, n’ouvrent pas de protection au titre du droit d’auteur.
S’agissant des photographies n°5 et 6

Pour réaliser les clichés n°4 et 5, M. [K] dit avoir opté pour un cadrage plus serré, concentré sur la lumière et le rendu de la matière. Il souligne que la photographie n°6 est prise en contre-plongée avec un angle choisi pour sublimer le drapé lumineux et le côté intime du lieu. Les contrastes ont, selon ses dires, été accentués pour rendre les lumières plus éclatantes et les matières plus vivantes.
La photographie n°5 est une représentation fidèle de la cuisine ouverte du restaurant “[8]” et la photographie n°6 un gros plan, en contre-plongée, du drapé de verre ciselé qui masque le système d’aération de la cuisine. M. [K] ne démontre pas avoir conféré aux clichés une physionomie particulière ou fait un effort créatif particulier, qui leur permettent de se distinguer d’autres photographies du même genre. L’usage de la contre-plongée s’agissant de la photographie n°6, n’est que l’emploi d’un savoir-faire technique, certes de qualité, au service de la reproduction. L’originalité n’est pas démontrée.
S’agissant des photographies 7 à 9

M. [K] souligne que la photographie n°7 est réalisée au grand angle afin de privilégier une vue globale et accentuer l’effet de symétrie et le jeu sur les lignes verticales, horizontales et diagonales, tandis que les deux suivantes, n°8 et 9, sont prises selon des angles plus serrés pour donner au lieu une dimension plus intimiste. Il entend en cela inviter le spectateur dans ce lieu de vie et de partage, baigné d’une lumière chaleureuse rendue possible par la colorimétrie. Il ajoute que les contrastes sont volontairement renforcés pour exploiter la palette de tons chauds.
Cependant, les photographies litigieuses n’apparaissent être qu’une reproduction fidèle du bar de l’hôtel [11], le photographe ayant fixé le réel en reproduisant à l’identique l’atmosphère qui se dégage des lieux. Le travail particulier sur la colorimétrie n’est du moins pas démontré. Les caractéristiques revendiquées par M. [K], relatives à la palette de tons chauds notamment, n’apparaissent être que la traduction du travail d’architecture d’intérieure. Le photographe ne justifie, s’agissant de ces clichés, que de la mise en oeuvre d’un savoir-faire technique au service d’une reproduction fidèle au réel. Ces photographies ne sont pas protégées par le droit d’auteur.
S’agissant de la photographie n°10

M. [K] souligne en particulier, s’agissant de ce cliché, un arrière plan légèrement flouté et des bords fondus pour donner l’impression d’un écrin traduisant l’intimité et la quiétude. Le premier plan est inondé de lumière et les chaises ont été légèrement éloignées de la table, prêtes à accueillir le spectateur.
La encore, M. [K] ne justifie pas d’un choix arbitraire particulier au stade préparatoire, dans la mise en scène du décor photographié. Le seul fait d’avoir éloigné les chaises de la table n’est pas suffisant pour refléter la personnalité de l’auteur de la photographie. Il ne démontre pas davantage un travail créatif sur la lumière, le cliché ne faisant que restituer la lumière naturelle qui innonde le patio d’où le cliché a été pris. Le choix du cadrage, au niveau de la chaise de même que le floutage de l’arrière plan ne sont que la mise en oeuvre d’un savoir-faire, certes avéré, et non d’une recherche d’effet esthétique et créatif particulier. Cette photographie n’est pas non plus protégée par le droit d’auteur.
Au regard de l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de considérer que les photographies, qui sont le fruit d’un travail technique maîtrisé et de qualité, ne sont toutefois pas protégées par le droit d’auteur dans la mesure où elles ne révèlent pas de choix créatifs ou de parti pris esthétiques particuliers témoignant de la personnalité de M. [K] et livrant au spectateur une représentation différente de la simple reproduction du site photographié. Les demandes fondées sur la contrefaçon ne peuvent donc prospérer et seront rejetées.
Sur le parasitisme

Moyens des parties

M. [K] expose que la société [C] [J] a sciemment et injustement profité de son travail et de son savoir-faire, en s’appropriant, sans bourse délier, les fruits de son travail. Il estime que ce détournement de ses efforts intellectuels et de son savoir-faire lui occasionne un préjudice qu’il convient de réparer. L’exploitation à des fins promotionnelles des clichés, qui sont un actif économique dont la valorisation représente l’essentiel de ses revenus, contribue, selon lui, à leur banalisation et à leur dévalorisation économique au regard de ses partenaires commerciaux et de ses prospects. Outre un préjudice matériel, il invoque également un préjudice moral alors que la société [C] [J] avait pleine connaissance de l’origine des photographies. Il demande, enfin, sans davantage de développements, le versement d’une somme complémentaire au titre de l’enrichissement sans cause.
La société [C] [J] et M. [J] concluent à l’absence de démonstration du parasitisme, M. [K] ne rapportant pas la preuve, selon eux, d’un usage volontaire, à titre lucratif et de manière injustifié des photographies, de l’existence d’une valeur économique particulière, d’un avantage concurrentiel que les défendeurs auraient eu à utiliser leurs images, ni du préjudice qui en aurait découlé. Rappelant avoir agi de bonne foi et avoir retiré les images dès réception de la mise en demeure, ils soulignent que les clichés ne sont que la représentation fidèle de leur travail d’architecture intérieure, sans aucune plu-value artistique et que la présentation de leur propre travail est une pratique commerciale normale. Ils soutiennent qu’ils n’avaient nullement l’intention, en cela, de se placer dans le sillage de M. [K] pour se procurer un avantage concurrentiel indu.
En tout état de cause, ils concluent à l’absence de démonstration d’un préjudice, soulignant que M.. [K] a perçu une rémunération pour réaliser les clichés. Outre le fait que la banalisation ou la dévalorisation allégués ne sont pas prouvées, ils rappellent que les photographies ne sont plus utilisées et que M. [K] ne subit plus aucun trouble.

Appréciation du tribunal

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Il est constant que celui qui ne dispose pas de droit privatif sur l'élément qu'il exploite dans le commerce ne peut trouver dans l'action en concurrence déloyale ou parasitaire une protection de repli lui permettant de faire sanctionner la simple exploitation non autorisée de cet élément. En outre, le simple fait de copier un produit qui n'est pas protégé par des droits de propriété intellectuelle ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale ou de parasitisme.
Est en revanche fautif le fait, pour un professionnel, de s'immiscer dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire particulier (Cass. Com., 26 janvier 1999, pourvoi n° 96-22.457 ; Cass. Com., 10 septembre 2013, pourvoi n° 12-20.933), ce qui constitue un acte de parasitisme. En outre, les agissements parasitaires peuvent être constitutifs d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil même en l'absence de toute situation de concurrence (Cass. Com., 30 janvier 1996, pourvoi n° 94-15.725, Bull. 1996, IV, n°32).
En l’espèce, si M. [K] démontre que les photographies qu’il a réalisées, fruits de son savoir-faire, constituent une valeur économique invidualisée, il importe de souligner qu’il a perçu une rémunération de l’hôtel [11] pour leur réalisation, et que ces clichés ne sont pas protégés par un droit privatif. Par ailleurs, les photographies litigieuses représentent, de manière fidèle, l’agencement intérieur de l’hôtel et de ses espaces de restauration, qui a été réalisé par les défendeurs. De ce fait, M. [K] ne peut se prévaloir d’un investissement, autre que celui nécessaire à la réalisation matérielle des clichés pour laquelle il a été rémunéré, et dont les défendeurs auraient indument tiré profit, s’agissant de la représentation de leur propre travail. En tout état de cause, M. [K] ne démontre pas le préjudice de banalisation et de dévalorisation qu’il allègue.
Les conditions du parasitisme économique n’étant pas remplies, M. [K] sera débouté de sa demande sur ce fondement.
Sur la demande reconventionnelle

Moyens des parties

M. [C] [J] dénonce le fait que M. [K] utilise des représentations de son oeuvre de décoration d’intérieur, à savoir l’agencement réalisé dans les espaces publics de l’hôtel [11], à des fins commerciales, sans son autorisation, pour illustrer le livre de [B] [R] intitulé “[8]”, publié chez Glénat en 2014. Rappelant que les oeuvres architecturales originales sont protégées par le droit d’auteur et donnent à l’auteur un droit exclusif d’exploitation et un droit de paternité, il conclut que les oeuvres ne pouvaient être reproduites par une photographie sans son autorisation. Il conclut à la caractérisation d’actes de contrefaçon et demande réparation pour l’atteinte à son droit moral.

Décision du 30 mai 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 21/13955
N° Portalis 352J-W-B7F-CVM3P

M. [K] souligne que l’originalité de l’oeuvre architecturale n’est pas caractérisée.
Appréciation du tribunal

L’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code. […] 

En application de l’article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle, sont considérés notamment comme œuvre de l’esprit au sens du présent code, […] 7° les œuvre de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie ; […].
Il est constant, en application de ces dispositions, que la protection d'une œuvre de l'esprit est acquise à son auteur sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale, en ce sens qu'elle porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et n'est pas la banale reprise d'un fonds commun non appropriable. Cependant, lorsque l'originalité d'une oeuvre de l'esprit est contestée, il appartient à celui qui revendique la protection au titre du droit d' auteur de caractériser l'originalité de l'oeuvre revendiquée, c'est à dire de justifier de ce que cette oeuvre présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur.
Or, en l’espèce, M. [C] [J] invoque la contrefaçon de l’agencement original des espaces publics de l’hôtel [11] qu’il a réalisé, sans préciser en quoi cette décoration intérieure est originale, alors que M. [K] souligne, dans ses écritures, l’absence de développement sur ce point.
M. [J] ne peut donc valablement prospérer en sa demande de dommages-intérêts fondée sur la contrefaçon de son droit d’auteur. Il en sera débouté.
Sur les demandes annexes

Succombant à titre principal, M. [K] sera tenu aux dépens de l’instance.
En équité, chacune des parties conservera la charge des frais irrépétibles qu’elle a exposés dans le cours de l’instance. Les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
La présente décision est exécutoire de droit par provision.

PAR CES MOTIFS,

LE TRIBUNAL,

DÉCLARE M. [J] [C] recevable en son intervention volontaire à l’instane;

DÉCLARE la société [C] [J] irrecevable en sa demande reconventionnelle;

DÉCLARE M. [C] [J] recevable en sa demande reconventionnelle;

DÉBOUTE M. [K] de ses demandes fondées sur la contrefaçon de droit d’auteur et sur le parasitisme;

DÉBOUTE M. [C] [J] de ses demandes fondées sur la contrefaçon de droit d’auteur;

CONDAMNE M. [K] aux dépens de l’instance;

LAISSE à chacune des parties la charge des frais irrépétibles exposés dans le cadre de l’instance et rejette les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile;

RAPPELLE que la présente décision est exécutoire de droit par provision.

Fait et jugé à Paris le 30 mai 2024

La Greffière La Présidente
Caroline REBOULAnne-Claire LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 3ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 21/13955
Date de la décision : 30/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à une partie des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-30;21.13955 ?
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