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30/05/2024 | FRANCE | N°21/06232

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 3ème chambre 1ère section, 30 mai 2024, 21/06232


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le:
Expédition exécutoire délivrée à : Me MERGUI #R0275, Me RATTALINO #C1352
Copie certifiée conforme délivrée à : Me DE LAMMERVILLE #K0112




3ème chambre
1ère section

N° RG 21/06232 -
N° Portalis 352J-W-B7F-CULO2

N° MINUTE :

Assignation du :
27 avril 2021












JUGEMENT
rendu le 30 mai 2024





DEMANDERESSES

Société EUROPE WATCH GROUP II BV
Danzigerkade 16 E+G
1013 AP AMSTERDAM (PAYS-BA

S)

représentée par Me Michèle MERGUI, avocat au barreau de PARIS,vestiaire #R0275

Société EUROPE WATCH GROUP BV
Danzigerkade 16 E+G
1013 AP AMSTERDAM (PAYS-BAS)

représentée par Me Diane RATTALIN...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Le:
Expédition exécutoire délivrée à : Me MERGUI #R0275, Me RATTALINO #C1352
Copie certifiée conforme délivrée à : Me DE LAMMERVILLE #K0112

3ème chambre
1ère section

N° RG 21/06232 -
N° Portalis 352J-W-B7F-CULO2

N° MINUTE :

Assignation du :
27 avril 2021

JUGEMENT
rendu le 30 mai 2024

DEMANDERESSES

Société EUROPE WATCH GROUP II BV
Danzigerkade 16 E+G
1013 AP AMSTERDAM (PAYS-BAS)

représentée par Me Michèle MERGUI, avocat au barreau de PARIS,vestiaire #R0275

Société EUROPE WATCH GROUP BV
Danzigerkade 16 E+G
1013 AP AMSTERDAM (PAYS-BAS)

représentée par Me Diane RATTALINO, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #C1352 & Me François PONTHIEU de la SELARL PONTHIEU AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

DÉFENDERESSES

S.A.R.L. AMAZON EU
[Adresse 2]
[Localité 1])

S.A.R.L. AMAZON EUROPE CORE
[Adresse 2]
[Localité 1])

Décision du 30 mai 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 21/06232
N° Portalis 352J-W-B7F-CULO2

S.A.R.L. AMAZON SERVICES EUROPE
[Adresse 2]
[Localité 1])

S.A.S. AMAZON FRANCE LOGISTIQUE
[Adresse 3]
[Localité 4]

S.A.S. AMAZON FRANCE SERVICES
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentées par Me Diego DE LAMMERVILLE du PARTNERSHIPS CLIFFORD CHANCE EUROPE LLP, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant et plaidant, vestiaire #K0112 & Me Dan ROSKIS du LLP EVERSHEDS SUTHERLAND (FRANCE), avocat au barreau de PARIS, avocata plaidant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Anne-Claire LE BRAS, 1ère Vice-Présidente Adjointe
Madame Elodie GUENNEC, Vice-présidente
Monsieur Malik CHAPUIS, Juge,

assistés de Madame Caroline REBOUL, Greffière

DEBATS

A l’audience du 03 octobre 2023 tenue en audience publique, avis à été donné aux avocats que la décision serait rendue 11 janvier 2024.
Le délibéré a été prorogé en dernier lieu au 30 mai 2024.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

1. Les sociétés de droit néerlandais Europe Watch Group II BV (ci-après dénommée « Europe Watch II ») et Europe Watch Group BV (ci-après dénommée « Europe Watch ») (ci-après dénommées ensemble « sociétés Europe Watch ») se présentent comme spécialisées dans la conception, la fabrication et la commercialisation de montres et bijoux.
 
2. A ce titre, la société Europe Watch II est titulaire des marques de l’Union européenne suivantes :
 
-la marque verbale « CLUSE », déposée le 6 mai 2014 et enregistrée sous le numéro 12849361 pour des produits en classe 14 et des services en classe 35 ;
 
-la marque semi-figurative déposée le 15 septembre 2016 et enregistrée sous le numéro 15833858 pour des produits en classe 14 ;

-la marque verbale « CLUSE », déposée le 2 juin 2017 et enregistrée sous le numéro 16800195 pour des produits en classes 3, 9, 14, 18 et 25.
 
3. La société Europe Watch est licenciée non exclusive des marques précitées selon un contrat de licence, décrit comme oral dans un premier temps, puis formalisé par écrit à compter du 9 mars 2020.
 
4. Les sociétés Amazon EU SARL, Amazon Services Europe SARL, Amazon Europe Core SARL, Amazon France Logistique SAS, Amazon France Services SAS (ci-après dénommées ensemble « les sociétés Amazon ») se présentent comme spécialisées dans la vente de divers biens et services commercialisés pour ce qui concerne les boutiques européennes, soit par des vendeurs tiers, soit directement par la société Amazon EU SARL.
 
5. Les sociétés Europe Watch exposent avoir constaté, en juillet 2018, la présence de produits porteurs des marques « CLUSE » offerts à la vente sur les plateformes amazon.fr, amazon.it, amazon.de, amazon.co.uk et amazon.es, les offres émanant soit directement des sociétés Amazon, soit de vendeurs tiers.
 
6. Par courriers des 12 et 23 novembre 2018, les sociétés Europe Watch ont mis en demeure les sociétés Amazon de retirer les produits porteurs des marques « CLUSE » de la plateforme ainsi que leur destruction sans que les échanges intervenus ultérieurement entre les parties ne permettent de mettre fin au litige.
 
7. Par ordonnance du 31 juillet 2019, le président du tribunal de commerce de Marseille a ordonné sous astreinte aux sociétés Amazon de faire cesser la commercialisation des produits litigieux en France par le biais de plateformes française, allemande, anglaise, italienne et espagnole. Par arrêt du 19 novembre 2020, la cour d’appel de Paris a infirmé l’ordonnance du 31 juillet 2019 au motif que les sociétés Europe Watch n’apportaient pas la preuve de l’existence d’un réseau de distribution sélective dans les pays visés par leurs demandes.
 
8. Par acte d’huissier du 8 juin 2020, la société Europe Watch a fait assigner les sociétés Amazon devant le tribunal de commerce de Paris arguant de la violation par ces dernières de son réseau de distribution. Par jugement du 27 septembre 2022, le tribunal de commerce de Paris a débouté la société Europe Watch de ses demandes.
 
9. Par acte d’huissier du 27 avril 2021, les sociétés Europe Watch ont fait assigner les sociétés Amazon en contrefaçon et en concurrence déloyale devant le tribunal judiciaire de Paris.
 
10. La clôture de l’affaire a été prononcée par ordonnance du 14 avril 2022 avant d’être révoquée par ordonnance du 10 novembre 2022 sur demande des sociétés Amazon en raison du jugement du 27 septembre 2022 précité, susceptible d’avoir une incidence sur les demandes et défenses dans le présent litige.
 
11. Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 décembre 2022, la sociétés Europe Watch demandent au tribunal de :
 
-SE DECLARER compétent,
 
-JUGER recevables et bien fondées les sociétés DEMANDERESSES en toutes leurs demandes, moyens, fins et prétentions,

-DIRE ET JUGER que les sociétés AMAZON EU SARL, AMAZON EUROPE CORE SARL, AMAZON SERVICES EUROPE SARL, AMAZON FRANCE LOGISTIQUE SAS et AMAZON FRANCE SERVICES SAS « (sous réserve de l’appréciation du tribunal s’agissant de la responsabilité des sociétés AMAZON EUROPE CORE SARL, AMAZON FRANCE LOGISTIQUE SAS et AMAZON FRANCE SERVICES SAS) » (sic.) ont commis des actes de contrefaçon en (i) reproduisant les MARQUES d’EUROPE WATCH II sur des produits identiques a ceux désignés par l’enregistrement, et en (ii) mettant sur le marché européen des produits portant les MARQUES d’EUROPE WATCH II sans le consentement de cette dernière,
 
-DIRE ET JUGER que les sociétés AMAZON EU SARL, AMAZON EUROPE CORE SARL, AMAZON SERVICES EUROPE SARL, AMAZON FRANCE LOGISTIQUE SAS et AMAZON FRANCE SERVICES SAS « (sous réserve de l’appréciation du tribunal s’agissant de la responsabilité des sociétés AMAZON EUROPE CORE SARL, AMAZON FRANCE LOGISTIQUE SAS et AMAZON FRANCE SERVICES SAS) » (sic.) ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société EUROPE WATCH en commercialisant des PRODUITS CONTREFAISANTS, lui causant ainsi un préjudice commercial et un préjudice d’image et moral,
 
En conséquence :
-CONDAMNER « conjointement et solidairement » (sic.) les sociétés AMAZON EU SARL, AMAZON EUROPE CORE SARL, AMAZON SERVICES EUROPE SARL, AMAZON FRANCE LOGISTIQUE SAS et AMAZON FRANCE SERVICES SAS a verser a EUROPE WATCH « (sous réserve de l’appréciation du tribunal s’agissant de la responsabilité des sociétés AMAZON EUROPE CORE SARL, AMAZON FRANCE LOGISTIQUE SAS et AMAZON FRANCE SERVICES SAS) » (sic.) au titre des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société EUROPE WATCH en commercialisant des PRODUITS CONTREFAISANTS, lui causant ainsi un préjudice commercial et un préjudice d’image et moral, :
-la somme de 1.000.000 euros, sauf a parfaire, au titre de son préjudice commercial,
-la somme de 250.000 euros au titre de son préjudice d’image et moral,

CONDAMNER « conjointement et solidairement » (sic.) les sociétés AMAZON EU SARL, AMAZON EUROPE CORE SARL, AMAZON SERVICES EUROPE SARL, AMAZON FRANCE LOGISTIQUE SAS et AMAZON FRANCE SERVICES SAS « (sous réserve de l’appréciation du tribunal s’agissant de la responsabilité des sociétés AMAZON EUROPE CORE SARL, AMAZON FRANCE LOGISTIQUE SAS et AMAZON FRANCE SERVICES SAS) » (sic.) a verser la somme de 510.000 euros, sauf a parfaire, a Europe Watch Group II au titre de l’atteinte portée a ses MARQUES et au titre du préjudice moral subi du fait de la contrefaçon en (i) reproduisant les MARQUES d’EUROPE WATCH II sur des produits identiques a ceux désignés par l’enregistrement, et en (ii) mettant sur le marché européen des produits portant les MARQUES d’EUROPE WATCH II sans le consentement de cette dernière, ,
 
-ORDONNER aux sociétés AMAZON EU SARL, AMAZON EUROPE CORE SARL, AMAZON SERVICES EUROPE SARL, AMAZON FRANCE LOGISTIQUE SAS et AMAZON FRANCE SERVICES SAS « (sous réserve de l’appréciation du tribunal s’agissant de la responsabilité des sociétés AMAZON EUROPE CORE SARL, AMAZON FRANCE LOGISTIQUE SAS et AMAZON FRANCE SERVICES SAS) » (sic.) de supprimer de la PLATEFORME toutes les offres concernant des produits portant les MARQUES, et ce sous astreinte de 150 euros par infraction constatée huit jours après la signification du jugement a intervenir, chaque infraction étant entendue comme la vente d’un seul produit,
 
-ORDONNER aux sociétés AMAZON EU SARL, AMAZON EUROPE CORE SARL, AMAZON SERVICES EUROPE SARL, AMAZON FRANCE LOGISTIQUE SAS et AMAZON FRANCE SERVICES SAS « (sous réserve de l’appréciation du tribunal s’agissant de la responsabilité des sociétés AMAZON EUROPE CORE SARL, AMAZON FRANCE LOGISTIQUE SAS et AMAZON FRANCE SERVICES SAS) » (sic.) d’envoyer, a leurs frais, tous les produits portant les MARQUES en leur possession, ou en la possession des VENDEURS TIERS, a la société EUROPE WATCH aux fins de destruction,
 
-RAPPELER le caractère exécutoire de droit du jugement a intervenir,

-CONDAMNER conjointement et solidairement les sociétés AMAZON EU SARL, AMAZON EUROPE CORE SARL, AMAZON SERVICES EUROPE SARL, AMAZON FRANCE LOGISTIQUE SAS et AMAZON FRANCE SERVICES SAS (sous réserve de l’appréciation du tribunal s’agissant de la responsabilité des sociétés AMAZON EUROPE CORE SARL, AMAZON FRANCE LOGISTIQUE SAS et AMAZON FRANCE SERVICES SAS) a verser aux DEMANDERESSES la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
 
12. Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 14 décembre 2022, les sociétés Amazon demandent au tribunal de :
 
-Déclarer irrecevables les demandes formées a l'encontre des sociétés Amazon Europe Core SARL, Amazon France Logistique SAS et Amazon France Services SAS en ce qu'elles sont dépourvues de qualité a défendre ;
 
-Déclarer irrecevables les demandes d'Europe Watch Group BV et Europe Watch Group II BV relatives a la responsabilité d'Amazon Services Europe SARL au titre de la prétendue commercialisation de produits contrefaisants par des vendeurs tiers sur la boutique amazon.fr ;
 
-Déclarer irrecevables, a raison de l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 27 septembre 2022 du Tribunal de commerce de Paris (RG n°2020022191), les demandes d'Europe Watch Group BV et Europe Watch Group II BV relatives (i) aux actes de contrefaçon allégués par mise sur le marché européen des produits dont l'approvisionnement ne proviendrait pas de l'Espace Économique Européen et (ii) a la responsabilité d'Amazon Services Europe SARL au titre de la prétendue commercialisation de produits contrefaisants par des vendeurs tiers sur la boutique amazon.fr ;
 
-Déclarer nuls les procès-verbaux de constats d'huissier en date du 24 juillet 2018 ;

-Mettre hors de cause les sociétés Amazon Europe Core SARL, Amazon France Logistique SAS et Amazon France Services SAS ;
 
-Débouter Europe Watch Group BV et Europe Watch Group II BV de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

-Écarter l'exécution provisoire du jugement a intervenir ;
 
-Condamner Europe Watch Group BV et Europe Watch Group II BV a payer aux sociétés Amazon EU SARL, Amazon Services Europe SARL, Amazon Europe Core SARL, Amazon France Logistique SAS et Amazon France Service SAS la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
 
13. L’affaire a été clôturée par ordonnance du 15 décembre 2022.

13.1 A titre liminaire, il est relevé que les demanderesses et les défenderesses ont chacune adressé une note en délibéré non autorisées à l’audience pour, réciproquement, apporter des précisions sur des éléments de fait et demander le rejet de cette note. Les notes en délibéré n’ayant pas été autorisées à l’audience, il convient de les rejeter.

SUR CE

Sur les fins de non-recevoir

Moyens des parties

14. Les sociétés Amazon soulèvent trois fins de non-recevoir :

15. La première est tirée de l'absence de qualité à défendre des sociétés Amazon Europe Core SARL, Amazon France Logistique SAS et Amazon France Services SAS car elles sont respectivement chargées de détenir la propriété intellectuelle d'Amazon en Europe, de l'activité de support logistique, de prestataire de service marketing, administratif, juridique financière et technique.

16. La deuxième tirée de ce que le tribunal de commerce de Paris, selon jugement du 27 septembre 2022 a jugé que le réseau de distribution sélective de Cluse est illicite, qu'Amazon n'a donc pas commis une faute délictuelle en étant complice d'une violation de la règle interdisant à un revendeur agréé de revendre des montres à un tiers au réseau et qu'en tout hypothèse Amazon n'est pas susceptible d'avoir commis une faute puisqu'elle s'est régulièrement approvisionnée auprès de revendeurs non agréés dans des pays où le réseau de distribution n'existait pas.

17. La troisième tirée de ce que les faits de contrefaçon dénoncés ne sont pas démontrés, ne peuvent être fondés sur les constats d'huissier dont la nullité est, selon elle, acquise et qu'il « n'est pas démontré » qu'ils ont été mis sur le marché des produits européens depuis un pays hors de l'espace économique européen.

18. Les sociétés Europe Watch répliquent à ces différents moyens mais lors de l'examen des demandes au fond. Elles ne présentent pas une argumentation spécifique sous le qualificatif de fin de non-recevoir ou « d'irrecevabilité ».

Sur ce :

19. Aux termes de l'article 789 du code de procédure civile « lorsque la demande est présentée postérieurement à sa désignation, le juge de la mise en état est, jusqu'à son dessaisissement, seul compétent, à l'exclusion de toute autre formation du tribunal, pour : (…) 6° Statuer sur les fins de non-recevoir. / Lorsque la fin de non-recevoir nécessite que soit tranchée au préalable une question de fond, le juge de la mise en état statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Toutefois, dans les affaires qui ne relèvent pas du juge unique ou qui ne lui sont pas attribuées, une partie peut s'y opposer. Dans ce cas, et par exception aux dispositions du premier alinéa, le juge de la mise en état renvoie l'affaire devant la formation de jugement, le cas échéant sans clore l'instruction, pour qu'elle statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir. Il peut également ordonner ce renvoi s'il l'estime nécessaire. La décision de renvoi est une mesure d'administration judiciaire. / Le juge de la mise en état ou la formation de jugement statuent sur la question de fond et sur la fin de non-recevoir par des dispositions distinctes dans le dispositif de l'ordonnance ou du jugement. La formation de jugement statue sur la fin de non-recevoir même si elle n'estime pas nécessaire de statuer au préalable sur la question de fond. Le cas échéant, elle renvoie l'affaire devant le juge de la mise en état. / Les parties ne sont plus recevables à soulever ces fins de non-recevoir au cours de la même instance à moins qu'elles ne surviennent ou soient révélées postérieurement au dessaisissement du juge de la mise en état ».

20. Selon l'article 791 du même code « le juge de la mise en état est saisi par des conclusions qui lui sont spécialement adressées distinctes des conclusions au sens de l'article 768, sous réserve des dispositions de l'article 1117 ».

21. Par conclusions du 17 novembre 2021, les sociétés Amazon soulèvent deux demandes tendant à déclarer la demande partiellement « irrecevable » au titre de l'absence d'actes de contrefaçon d'une part, et de l'absence de qualité à défendre des sociétés Amazon Europe Core SARL, Amazon France Logistique SAS et Amazon France Services SAS.

22. Par conclusions du 21 octobre 2022, portant demande de rabat de clôture, les sociétés Amazon soulèvent la question de l'autorité de la chose jugée de certains des motifs du jugement du tribunal de commerce du 27 septembre 2022.

23. A aucun moment les sociétés Amazon n'ont adressé de conclusions au juge de la mise en état pour le saisir de ces fins de non-recevoir.

24. Ces fins de non-recevoir sont donc irrecevables comme présentées devant le tribunal pour la première fois.

Sur la régularité des procès-verbaux de constats d'huissier

Moyens des parties

25. Les sociétés Amazon soulèvent trois moyens justifiant selon elles, d'une part, la nullité des procès-verbaux de constat et, d'autre part, la nécessité de les écarter des débats, fondés sur l'article L. 716-4-7 du code de la propriété intellectuelle et le principe de loyauté de la preuve.

26. Le premier moyen repose sur la présence lors de l'exécution des constats de tiers liés aux sociétés Amazon, en particulier M. [B], représentant de la société Cluse et Madame [R] mandatée par cette société, ce qui serait contraire selon elles aux articles 6.1 de la CEDH et 9 du code de procédure civile. Elles ajoutent que ces personnes ont directement pris part aux opérations de l'huissier en ouvrant les cartons réputés reçus.

27. Le deuxième moyen est fondé sur l'absence d'impartialité de l'huissier sur le fondement de l'article 1er de l'ordonnance du 2 novembre 1945 selon laquelle les constatations sont exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit pouvant en résulter. Or, l'huissier reprend selon elles les arguments des demanderesses en soulignant l'existence d'une « lettre D » ou « l'impression peu soignée » du livret devant révéler la contrefaçon.

28. Le troisième moyen qualifie le procès-verbal de « saisie-contrefaçon déguisée » non autorisée par un juge qui aurait empêché que l'huissier ne retranscrive sous la dictée d'un technicien.

29. Les sociétés Europe Watch répliquent que les constats d'huissier sont réguliers. Elles soulignent qu'ils ont une force probante alors que les montres acquises via Amazon selon elles, ne sont pas pourvues de numéros d'authentification permettant de vérifier leur authenticité et accompagnées d'un fascicule de piètre qualité. Elles disent que le principe de loyauté s'applique mais que les jurisprudences citées par Amazon ne s'appliquent pas car elles ne visent pas des situations de saisie-contrefaçon. Les constats, selon les sociétés Europe Watch, se contentent de rappeler les faits, examiner et décrire les boîtes comme intactes et jamais ouvertes ainsi que leur contenu. Elles arguent que la présence de leur représentant auprès de l'huissier ne modifie pas ses constatations et n'en affecte pas la neutralité ; que ses constatations sont purement matérielles sans qu'il donne son avis et que les constats ne sont pas des saisies-contrefaçons déguisées alors que la contrefaçon peut se prouver par tous moyens ; qu'à ce titre un huissier ouvrant un carton n'est pas déloyal selon elles.

Appréciation du tribunal

30. Le droit à un procès équitable, consacré par l'article 6.1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, commande que la personne présente sur les lieux avec l'huissier instrumentaire lors de l'établissement d'un procès-verbal de constat soit indépendante de la partie requérante.

31. Les procès-verbaux de constat du 24 juillet 2018 sont exécutés en présence de Monsieur [B] représentant de la société Cluse et de Madame [R], mandatée par cette société. Ces personnes assistent à l'ensemble des opérations du premier procès-verbal qui constate l'apparence de cartons fermés réputés adressés à Madame [R] par Amazon. Elles assistent, et participent s'agissant de Monsieur [B], aux opérations du deuxième constat portant sur une montre.

32. La lecture du détail des constatations de l'huissier démontre en outre qu'il n'a pas acheté les produits, dont la provenance ne peut être prouvée, et a laissé Madame [R] et Monsieur [B] exécuter les opérations de constat en ouvrant l'emballage et le boitier de la montre.

33. Il en résulte que le constat n'est pas réalisé dans des circonstances permettant de garantir l'impartialité de l'huissier ni l'objectivité de ses constatations. Ils méconnaissent le principe de loyauté dans l'administration de la preuve.

34. L'annulation de ces procès-verbaux est par conséquent prononcée.

Sur la contrefaçon

35. Les sociétés Europe Watch fondent leur action sur les articles 9, paragraphe 2, 17, 129 et 130 du règlement 2017/1001 du 14 juin 2017 ainsi que sur les articles L. 716-4 et L. 713-2 du code de la propriété intellectuelle.

36. Elles soutiennent, selon un premier moyen, que les sociétés Amazon ont commercialisé des montres identiques aux leurs par leur aspect visuel, leur étuis et sont accompagnées d'un fascicule de moindre qualité dans le but, selon leur argument, de tromper le consommateur ; qu'un code de référence secret et un marquage comportant la lettre D dans le boitier démontrent que les produits ne sont pas originaux ; que les emballages et codes barre démontrent que ce sont bien les sociétés Amazon qui ont vendu les montres achetées pour les besoins de la cause.

37. Elles soutiennent, selon un deuxième moyen, que l'article 15 du règlement précité conditionne l'épuisement du droit des marques à une mise sur le marché des produits par le titulaire de la marque ou avec son consentement exprès et exprimé positivement ou par un sujet qui lui est économiquement lié ; que la preuve de l'épuisement du droit des marques incombe à celui qui l'allègue ; que les sociétés Amazon ne justifient pas de leur autorisation ; que les sociétés Amazon ne prouvent pas l'origine des produits vendus et, par voie de conséquence, ne démontrent pas l'épuisement du droit des marques ; que deux des auteurs des factures produites par Amazon sont des contrefacteurs, selon l'argument des sociétés Europe Watch.

38. En réponse au moyen tiré de la qualité d'hébergeur des sociétés Amazon, elles estiment que ces sociétés sont pleinement responsables au titre des ventes réalisées directement ; que s'agissant des vendeurs tiers le statut d'hébergeur doit être écarté alors que 60% des ventes réalisées sur ces plateformes le sont par des vendeurs tiers et qu'en sécurisant la transaction par Amazon Payment, en assistant les vendeurs dans la présentation des offres par un algorithme et en participant à leur promotion, elles ont un rôle actif permettant de les qualifier d'éditeur (citant Cass. 1er juin 2002, n°20-21.744).

39. Les sociétés Amazon répliquent que les demanderesses ne démontrent pas d'actes de contrefaçon sur le fondement des articles 9, paragraphe 2, du règlement 2017/1001 du 14 juin 2017 et les articles L. 713-2 et L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle.

40. Elles contestent le caractère contrefaisant des produits en cause et soutiennent que les procès-verbaux de constat sont nuls ; qu'ils sont dénués de force probante en raison de l'utilisation de codes d'identification non communiqués contradictoirement et du manque de rigueur de l'huissier ; que le code d'identification secret des demanderesses conduit à inverser la charge de la preuve de la contrefaçon qui incombe au demandeur qui s'en prévaut ; qu'aucun élément ne permet de connaître l'origine des produits.

41. Elles contestent une mise sur le marché des produits en dehors de l'espace économique européen et soutiennent que l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du tribunal de commerce du 27 septembre 2022 démontre qu'elle s'est approvisionnée dans l'espace économique européen ; qu'en tout état de cause elle produit 141 factures dont 53 concernent la France pour établir l'origine de ses produits ; que le nombre réduit de factures s'explique s'agissant d'achats en gros.

Sur ce :

42. Aux termes de l'article 9 « Droit conféré par la marque de l'Union européenne » du règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 « 1.   L'enregistrement d'une marque de l'Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif. / 2.   Sans préjudice des droits des titulaires acquis avant la date de dépôt ou la date de priorité d'une marque de l'Union européenne, le titulaire de cette marque de l'Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d'un signe pour des produits ou services lorsque: / a) ce signe est identique à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée; / b) ce signe est identique ou similaire à la marque de l'Union européenne et est utilisé pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services pour lesquels la marque de l'Union européenne est enregistrée, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public; le risque de confusion comprend le risque d'association entre le signe et la marque (...)3.   Il peut notamment être interdit, en vertu du paragraphe 2: (…) b) d'offrir les produits, de les mettre sur le marché ou de les détenir à ces fins sous le signe, ou d'offrir ou de fournir des services sous le signe; / c) d'importer ou d'exporter les produits sous le signe; (...) ».

43. Selon l'article 15 « Épuisement du droit conféré par la marque de l'Union européenne » du règlement (UE) 2017/1001 du 14 juin 2017 : « 1.   une marque de l'Union européenne ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis sur le marché dans l'espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement. / 2.   Le paragraphe 1 n'est pas applicable lorsque des motifs légitimes justifient que le titulaire s'oppose à la commercialisation ultérieure des produits, notamment lorsque l'état des produits est modifié ou altéré après leur mise dans le commerce ».

45. En l'espèce, il n'est pas contesté par la société Amazon EU SARL que celle-ci met dans le commerce des produits revêtus de la marque litigieuse. Des factures sont produites par les demanderesses démontrant l'achat par leur préposée de plusieurs montres le 28 juin 2018 sur la plateforme amazon.fr par la société Amazon EU SARL. Un procès-verbal de constat de Maître [Z], huissier de justice du 30 mars 2019 établit que peuvent être achetées depuis la France des montres sous les marques litigieuses depuis les plateformes amazon.fr, amazon.it, amazon.de, amazon.co.uk, amazon.es.

46. Les parties débattent du caractère contrefaisant des montres ainsi reçues, les sociétés Amazon estimant qu'il s'agit de produits originaux alors que les sociétés Europe Watch les qualifient de copies altérées ne comportant pas leur numéro secret d'identification et un livret de mauvaise qualité.

47. Ainsi qu'il précède, les procès-verbaux de constat du 24 juillet 2018 sur lesquels les demanderesses appuient leur démonstration sont nuls. Aucun autre élément de preuve ne permet d'établir que des montres altérées ou reproduisant celles des sociétés Europe Watch sont commercialisées par les défenderesses ou par l'intermédiaire de leurs plateformes.

48. Il est toutefois constant que des montres sont vendues sous la marque Cluse sur ces plateformes. Les marques verbales Cluse comme la marque semi-figurative sont reproduites sur les titres des annonces et les photographies des montres proposées à la vente.

49. Les sociétés Europe Watch expliquent n'avoir pas donné leur accord pour cet usage des marques dans la vie des affaires et démontrent l'avoir interdit expressément par mise en demeure et messages adressés pour plusieurs annonces sur les plateformes.

1. L'épuisement du droit des marques

49. Ces usages de la marque ne peuvent être qualifiés de contrefaisants en cas d'épuisement du droit des marques au sens de l'article 15 du règlement qui précède.
Décision du 30 mai 2024
3ème chambre 1ère section
N° RG 21/06232
N° Portalis 352J-W-B7F-CULO2

50. S'agissant des ventes réalisées par les sociétés amazon, en particulier la société Amazon Europe Core Sarl, il appartient à ces sociétés, qui s'en prévalent, de rapporter la preuve que les conditions de ce texte sont réunies.

51. Or, ainsi qu'il précède, les sociétés Amazon produisent plusieurs dizaines de pièces comptables (pièce 51) justifiant d'une provenance de produits Cluse vendus par des grossistes situés en Lituanie, Espagne, Croatie, Belgique et au Royaume-Uni avant sa sortie de l'espace économique européen. Ces pièces intitulées « invoice » sont des factures indiquant pour destinataire la société Amazon EU SARL. Elles précisent un numéro d'identification dit ASIN propre aux sociétés Amazon, un numéro ISBN et un numéro de modèle décrit par un code sous la forme de cinq chiffres précédés des lettres « CL » pour Cluse.

52. Ces pièces ne mentionnent aucune information sur l'origine des produits vendus par ces sociétés de sorte qu'il n'est pas possible de vérifier que ces produits ont été mis sur le marché dans l'espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement. Il est relevé en particulier qu'aucun instrumentum des contrats dont seraient issues ces factures n'est produit, il n'est donc pas possible de vérifier l'existence d'une clause de garantie d'origine.

53. Les droits de marque dont les sociétés Europe Watch se prévalent ne sont donc pas épuisés.

54. S'agissant des produits vendus par des vendeurs tiers sur Amazon, il appartient aux sociétés amazon, qui se prévalent de l'épuisement du droit des marques, d'établir de la même manière que les conditions de l'article 15 précité sont réunies.

55. Or, aucune pièce ne permet de déterminer le contenu de ces annonces ni la provenance de ces produits.

56. Les droits de marque dont les sociétés Europe Watch se prévalent ne sont donc pas épuisés.

2. Les actes de contrefaçon

57. Le constat d'huissier établi le 30 mars 2019 par Maître [L] [Z] confirme que les plateformes amazon.fr, amazon.it, amazon.de, amazon.co.uk et amazon.es sont accessibles depuis la France et permettent de passer des commandes destinées à être reçues en France. Le constat établit que le mot « Cluse » aboutit respectivement à 3000 résultats (.fr), 157 résultats (.it), 1000 résultats (.de), 191 résultats (.co.uk), et 673 résultats (.es). Le constat décrit une vingtaine d'annonces pour chaque site, figurant principalement des montres présentées comme portant la marque et des articles de bijouterie ou des bracelets de montres.

58. Il résulte des factures précitées (pièce 51), dont il n'est pas contesté qu'elles ont donné lieu à des ventes sur les plateformes Amazon selon détail précisé par les demanderesses (pièce 40), que des milliers de montres portant la marque Cluse ont été vendues en 2018 et 2019, y compris après la mise en demeure.

59. Les sociétés Amazon produisent plusieurs dizaines de pièces comptables (pièce 51) démontrant qu'elles s'approvisionnent en produits Cluse et les vendent sur leurs plateformes. Le contenu des annonces de vendeurs tiers n'est en revanche pas établi, leur caractère contrefaisant n'est pas démontré par les société Europe Watch qui s'en prévalent. .

60. En l'état des pièces produites il est donc acquis que plusieurs milliers de montres ont été vendues selon factures (pièce 51) directement par la société Amazon Europe Core Sarl. La contrefaçon est donc établie la concernant pour ces actes.

60.1. Les sociétés Amazon EU Sarl et Amazon France Logistique SAS, qui distribuent les produits vendus sur les plateformes ont également commis des actes de contrefaçon.

60.2 Il n'est pas démontré en demande que la société Amazon Service Europe SARL a un rôle qui dépasse celui d'assistant à des vendeurs tiers, comme elle le soutient, ni que la société Amazon France Service SAS a un autre rôle qu'un support marketing, administratif, juridique, financier et technique. Les demandes dirigées contre ces sociétés sont donc rejetées.

Sur les mesures de réparation

Moyens des parties :

61. Les sociétés Europe Watch réalisent une démonstration commune de leurs différents préjudice au titre de la contrefaçon et de la concurrence déloyale. Elles soutiennent qu'une évaluation de leur directeur financier indique des dépenses de 15 204 165 euros pour une période de trois ans de 2018 à 2020 au titre du la force de vente et son support, des commissions des agents commerciaux, des dépenses juridiques de protection de leurs marques et des dépenses marketing.

62. Elles estiment que la société Europe Watch subit un détournement de clientèle, une perte de chiffre d'affaires et un préjudice moral et d'image. Elle estime à 10 000 le nombre de produits vendus à 100 euros en moyenne pour demander une réparation à hauteur de 1 000 000 d'euros outre 250 000 euros au titre du préjudice moral en raison de la mauvaise qualité des produits vendus.

63. Elles disent que la société Europe Watch subit un préjudice en sa qualité de licenciée qu'elle décline selon les termes de l'article L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle. En l'absence de justificatifs comptables, elle calcule les conséquences économiques négatives à 1% des montants devant lui revenir au titre de son contrat de licence, soit 10 000 euros, son préjudice moral à 250 000 euros à titre « forfaitaire », et les bénéfices réalisés par le contrefacteur à 250 000 euros à titre « forfaitaire ».

64. Les sociétés Amazon répliquent que la contrefaçon n'est pas établie ; qu'en tout état de cause, le demandeur a un choix alternatif entre la liquidation du préjudice ou son appréciation forfaitaire, fondements qui ne peuvent pas se cumuler ; que la preuve du préjudice pèse sur le demandeur ; que la méthode d'évaluation du préjudice n'est pas déterminée par les demanderesses qui refusent de communiquer leurs éléments financiers ou comptables pertinents au titre du secret des affaires ; qu'il en va de même des sommes forfaitaires et du préjudice d'image non étayés selon elles ; que si les produits Cluse se vendent entre 89 et 119 euros généralement le prix unitaire de 100 euros n'est pas démontré ; que les investissements attestés par le directeur financier mentionne des dépenses de frais et dépenses opérationnels incompatibles avec son mode de distribution sur ses plateformes.

Appréciation du tribunal :

65. Selon l'alinéa 1er de l'article L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle : « pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d'investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon ».

65.1 Selon l'article L. 716-4-11 du code de la propriété intellectuelle : « en cas de condamnation civile pour contrefaçon, la juridiction peut ordonner, à la demande de la partie lésée, que les produits reconnus comme produits contrefaisants et les matériaux et instruments ayant principalement servi à leur création ou fabrication soient rappelés des circuits commerciaux, écartés définitivement de ces circuits, détruits ou confisqués au profit de la partie lésée. / La juridiction peut aussi ordonner toute mesure appropriée de publicité du jugement, notamment son affichage ou sa publication intégrale ou par extraits dans les journaux ou sur les services de communication au public en ligne qu'elle désigne, selon les modalités qu'elle précise. / Les mesures mentionnées aux deux premiers alinéas sont ordonnées aux frais du contrefacteur ».

66. En l'espèce, les conséquences économiques négatives de la contrefaçon sont déduites du nombre de montres vendues attesté par les factures produites par les sociétés Amazon pour leur approvisionnement faisant état de 32 669 produits (pièces Amazon 25 et conclusions page 37). Les consommateurs qui ont acheté les produits proposés sur Amazon ont nécessairement renoncé à les acquérir directement auprès de Cluse ou de ses revendeurs, dont Amazon Europe Core Sarl ne fait pas partie. Il convient de relever en outre un prix minimal admis généralement par les société Amazon à 89 euros.

67. Le préjudice moral allégué repose sur la mauvaise qualité des produits qui porterait atteinte à l'image de marque des sociétés Europe Watch. Or, cette mauvaise qualité n'est pas démontrée en l'état des éléments de la cause et des procès-verbaux de constat annulés.

68. Les bénéfices réalisés par le contrefacteur peuvent, de la même manière que pour les conséquences économiques négatives, être appréciés en retenant le nombre de 32 669 produits et d'un prix de 89 euros.

69. Aucune pièce ne permet toutefois d'établir le taux de marge qui sera fixé de façon minimale à 10%. Tenant compte de ces éléments, les sociétés Amazon EU SARL, Amazon Europe Core SARL, Amazon France Logistique SAS seront condamnées à payer à la société Europe Watch II, titulaire des marques, la somme de 290 754 euros en réparation des actes de contrefaçon.

70. La société Amazon Europe Core Sarl est condamnée comme ayant vendu les objets contrefaisants par l'intermédiaire des différentes plateformes. Les sociétés Amazon EU Sarl et Amazon France Logistique SAS, qui distribuent les produits vendus sur les plateformes sont également condamnées.

71. Il n'est pas possible de savoir si les demanderesses demandent une condamnation solidaire alors qu'elles formulent également une demande de condamnation conjointe. Il convient de lire cette prétention comme sollicitant principalement une condamnation solidaire et, en tout état de cause, une condamnation conjointe. Responsables des mêmes préjudices, les défenderesses condamnées le seront donc in solidum.

72. La contrefaçon étant démontrée, il apparaît justifié de prévenir son renouvellement en faisant droit aux demandes d'interdiction et de remise pour destruction sollicitées dans les conditions du dispositif. La suppression des annonces ne peut toutefois s'étendre aux vendeurs tiers proposant à la vente des produits revêtus des marques en litige et ne s'applique donc qu'à la société Amazon Europe Core SARL qui a émis les annonces contrefaisantes.

Sur la concurrence déloyale

73. Les demanderesses soutiennent que la société Europe Watch bénéficie d'une action connexe à celle en contrefaçon en sa qualité de licenciée fondée sur les articles 1240 du code civil et L. 716-5 du code de la propriété intellectuelle. Elles estiment que des produits endommagés sont vendus sur « la plateforme » et que leur image est atteinte car ils sont vendus avec des couches pour bébés, des outils de jardinage et de la nourriture pour animaux.

74. Les sociétés Amazon répliquent que la contrefaçon n'est pas démontée et que le préjudice est déjà indemnisé par le jugement du tribunal de commerce.

Sur ce :

75. Aux termes de l'article 1240 du Code civil « tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

76. L'exploitant d'une marque est fondé à obtenir la réparation de son préjudice propre, peu important que les éléments sur lesquels il fonde sa demande en concurrence déloyale soient matériellement les mêmes que ceux pour lesquels le titulaire de la marque a obtenu une condamnation pour actes de contrefaçon.

76. En l'espèce, la société Europe Watch Group BV justifie de sa qualité de licenciée.

77. En réponse à son moyen, il n'est pas établi que les plateforme Amazon organisent un affichage des produits de la société Europe Watch portant atteinte à leur image. Le moyen est donc écarté.

78. Il est en revanche démontré par l'examen du moyen fondé sur la contrefaçon que 32 669 produits pour lesquels la société Europe Watch Group BV est licenciée ont été vendus à un prix moyen minimal de 89 euros. Aucune pièce ne permet toutefois d'établir le taux de marge qui sera fixé de façon minimale à 10%.

77. Il sera donc fait droit à la demande de la société Europe Watch Group BV. Le quantum de la somme due est toutefois incertain, les demanderesses expliquant ne pas avoir de données comptables permettant de le chiffrer. De la même manière, l'étendue du réseau de distribution sélective et des autres licenciés ne sont pas connus ce qui justifie d'apprécier sa demande indemnitaire à hauteur de 15 000 euros.

Sur les demandes accessoires

78. Les sociétés Amazon EU, Amazon Europe Core, Amazon France Logistique, parties perdantes, sont condamnées aux dépens et à payer aux sociétés Europe Watch la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, somme appréciée en équité à défaut d'accord des parties sur son montant ou de justificatif.

79. Il n'y a pas lieu d'écarter l'exécution provisoire du jugement qui est de droit.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

REJETTE les notes en délibéré du 23 octobre 2023 et du 27 octobre 2023 ;

DÉCLARE IRRECEVABLES les fins de non-recevoir présentées par les sociétés Amazon EU, Amazon Services Europe, Amazon Europe Core, Amazon France Logistique, Amazon France Services tirées de l'absence de qualité a défendre et de l'autorité de la chose jugée,

DÉCLARE la demande recevable,

ANNULE les deux procès-verbaux de constats de Maître [C], huissier de justice en date du 24 juillet 2018,

CONDAMNE les sociétés Amazon EU, Amazon Europe Core, Amazon France Logistique, à payer à la société Europe Watch Group II BV la somme de 290 754 euros en réparation de leur préjudice au titre des actes de contrefaçon de marques,

CONDAMNE les sociétés Amazon EU, Amazon Europe Core, Amazon France Logistique, à payer à la société Europe Watch Group BV la somme de 15 000 euros au titre des faits connexes de concurrence déloyale,

ORDONNE à la société Amazon Europe Core de supprimer des plateformes amazon.fr, amazon.it, amazon.de, amazon.co.uk et amazon.es toutes les offres concernant des produits portant les marques « Cluse » numéros 15833858, 12849361 et 16800195, et ce sous astreinte de 150 euros par infraction constatée huit jours après la signification du jugement a intervenir, chaque infraction étant entendue comme l'existence d'une annonce de la société Amazon EU sur ces sites,

ORDONNE aux sociétés Amazon EU, Amazon Europe Core, Amazon France Logistique d’envoyer, a leurs frais, tous les produits appartenant à la société Amazon EU revêtus des marques « Cluse » portant les numéros 15833858, 12849361 et 16800195 a la société EUROPE WATCH II aux fins de destruction,

DÉBOUTE les sociétés Europe Watch Group II BV et Europe Watch Group BV de leurs demandes dirigées contre les sociétés Amazon France Services et Amazon Services Europe,

DÉBOUTE les sociétés Europe Watch Group II BV et Europe Watch Group BV du surplus de leurs demandes,

CONDAMNE IN SOLIDUM les sociétés Amazon EU, Amazon Europe Core, Amazon France Logistique à payer aux sociétés Europe Watch Group II BV et Europe Watch Group BV la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 30 mai 2024

La Greffière La Présidente
Caroline REBOULAnne-Claire LE BRAS


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 3ème chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 21/06232
Date de la décision : 30/05/2024
Sens de l'arrêt : Fait droit à l'ensemble des demandes du ou des demandeurs sans accorder de délais d'exécution au défendeur

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-30;21.06232 ?
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