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30/05/2024 | FRANCE | N°20/10499

France | France, Tribunal judiciaire de Paris, 18° chambre 2ème section, 30 mai 2024, 20/10499


TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] C.C.C.F.E + C.C.C.
délivrées le :
à Me ARENE (B0164)
C.C.C.
délivrée le :
à Me MESSECA (C1157)




18° chambre
2ème section


N° RG 20/10499

N° Portalis 352J-W-B7E-CTB2B

N° MINUTE : 1

Assignation du :
22 Octobre 2020












JUGEMENT
rendu le 30 Mai 2024

DEMANDERESSE

Madame [E] [X]
[Adresse 3]
[Localité 2]

représentée par Me Carole MESSECA, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant

, vestiaire #C1157, Me Philippe HILAIRE LAFON, avocat au barreau de NIMES, avocat plaidant



DÉFENDERESSE

Madame [T] [K]
[Adresse 4]
[Localité 5]

représentée par Me Caroline ARENE, avocat au barreau de...

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] C.C.C.F.E + C.C.C.
délivrées le :
à Me ARENE (B0164)
C.C.C.
délivrée le :
à Me MESSECA (C1157)

18° chambre
2ème section


N° RG 20/10499

N° Portalis 352J-W-B7E-CTB2B

N° MINUTE : 1

Assignation du :
22 Octobre 2020

JUGEMENT
rendu le 30 Mai 2024

DEMANDERESSE

Madame [E] [X]
[Adresse 3]
[Localité 2]

représentée par Me Carole MESSECA, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire #C1157, Me Philippe HILAIRE LAFON, avocat au barreau de NIMES, avocat plaidant

DÉFENDERESSE

Madame [T] [K]
[Adresse 4]
[Localité 5]

représentée par Me Caroline ARENE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #B0164

Décision du 30 Mai 2024
18° chambre 2ème section
N° RG 20/10499 - N° Portalis 352J-W-B7E-CTB2B

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Lucie FONTANELLA, Vice-présidente
Maïa ESCRIVE, Vice-présidente
Cédric KOSSO-VANLATHEM, Juge

assistés de Henriette DURO, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 18 Janvier 2024 tenue en audience publique.

Après clôture des débats, avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 04 Avril 2024 prorogé au 30 Mai 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement
Contradictoire
En premier ressort

Sous la rédaction de [S] [J]

EXPOSÉ DU LITIGE

Par acte sous signature privée du 15 octobre 2018, Madame [T] [K] a cédé à Madame [E] [X] un fonds libéral d'infirmier pour un prix de 20 000 €.

Madame [E] [X] a payé à Madame [T] [K] le prix de cession du fonds et lui a réglé mensuellement une somme de 500 € puis de 400 €.

Un litige est né entre les parties concernant le droit au bail portant sur les locaux sis [Adresse 1] à [Localité 6], dans lesquels se situait le cabinet infirmier, la cessionnaire reprochant à la venderesse une tromperie, consistant à lui avoir cédé en apparence le fonds tout en continuant d'y exercer son activité, de lui avoir cédé un bail susceptible de résiliation par le bailleur qui n'a pas donné son autorisation et de lui avoir concédé une sous-location qui n'était pas permise.

Madame [E] [X] a en conséquence réclamé à Madame [T] [K] le remboursement de toutes les sommes qu'elle lui avait versées dans le cadre de cette vente.

Par acte du 22 octobre 2020, Madame [E] [X] a assigné Madame [T] [K] devant le tribunal judiciaire de PARIS.

Par ordonnance du 12 août 2021, le juge de la mise en état a rejeté la demande de Madame [T] [K] tendant à la communication forcée de pièces par Madame [E] [X], estimant que son bien-fondé n'était pas établi en l'absence de ses conclusions au fond, permettant de vérifier l'utilité de ces pièces au soutien de ses prétentions.

Dans ses dernières écritures du 25 février 2022, Madame [E] [X] sollicite du tribunal :
-qu'il prononce la résolution de l'acte de cession du 15 octobre 2018 aux torts de Madame [K], pour manquement à ses obligations de délivrance et de garantie,
-la condamnation de Madame [K] à lui payer :
*une somme de 20 000 € à titre de remboursement du prix de cession du fonds d'infirmière, avec intérêts au taux légal à compter du 16 octobre 2019,
*une somme de 4 100 € au titre des loyers de sous-location qu'elle a réglés à compter de l'acte de cession, avec intérêts au taux légal à compter du 16 octobre 2019,
*les frais de téléphone, avec intérêts au taux légal à compter du 16 octobre 2019,
*une indemnité de 20 000 € pour exécution déloyale des conventions,
*une somme de 10 000 € au titre de ses frais irrépétibles,
-le rejet des demandes reconventionnelles de madame [K],
-sa condamnation aux dépens,
-le rappel de l'exécution provisoire de droit.

Dans ses dernières écritures du 17 mars 2022, Madame [T] [K] sollicite :
-à titre principal, le rejet de ses demandes de résolution de la cession et de paiement, ainsi que sa condamnation à lui payer une indemnité de 20 000 € pour exécution fautive et déloyale de la cession,
-subsidiairement, si le tribunal prononçait la résolution de la cession, sa condamnation à lui payer une somme de 173 000 € à titre de restitution des fruits de l'exploitation de la patientèle et que la compensation entre les sommes réciproquement dues soit ordonnée,
-en tout état de cause :
*la condamnation de la demanderesse à lui payer une indemnité de 20 000 € pour préjudice moral,
*sa condamnation à lui verser une somme de 7 000 € au titre de ses frais irrépétibles, outre les dépens,
*le rejet de toutes ses demandes.

Pour un exposé exhaustif des prétentions des parties, le tribunal se réfère expressément à leurs écritures par application de l'article 455 du code de procédure civile.

La clôture de la mise en état a été prononcée par ordonnance du 27 juin 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de résolution de la cession de fonds libéral d'infirmier

La demanderesse fait valoir, à l'appui de cette demande, que l'acte de cession du fonds prévoyait la cession du bail portant sur les locaux dans lesquels le cabinet était installé, mais qu'au lieu de bénéficier dudit bail, elle s'est vu proposer par leur propriétaire la conclusion d'un nouveau contrat avec un loyer trois fois plus cher et l'exigence d'une caution bancaire pour deux ans de loyer.

Elle relate que le bailleur n'a jamais été informé de la cession et n'y a pas consenti, de sorte que le bail n'a pu lui être transféré, et qu'elle a payé des loyers à Madame [K], au titre d'une sous-location du cabinet qu'elle n'a jamais occupé, plus élevés que le loyer réglé par la cédante.

Elle ajoute que celle-ci a continué d'exploiter son activité dans le local pendant deux ans, a conservé le téléphone portable du cabinet, n'a pas averti l'ordre des infirmiers de la cession du fonds, ne lui a pas transmis les dossiers des clients et ne lui a que très partiellement présenté la clientèle cédée.

Elle lui reproche en conséquence un manquement à ses obligations de délivrer la chose vendue et d'en assurer la jouissance paisible, ainsi qu'une réticence dolosive d'information concernant le défaut de transmission du bail, ajoutant qu' " elle avait déjà tenté, par deux fois, la même chose avec deux autres infirmiers libéraux. "

La défenderesse conclut au rejet de ces demandes, répliquant qu'elle a respecté ses obligations, la cession litigieuse ne portant pas sur le bail.

Elle précise que la cession a été conclue pour son départ à la retraite, que Madame [X], bien plus jeune, qui a proposé de s'occuper de tout, a traité directement avec le bailleur, de sorte qu'elle était parfaitement informée des conditions posées par celui-ci et du défaut de transmission du bail, élément purement facultatif et éventuel de ladite cession, qu'elle a signée en connaissance de cause afin d'acquérir la clientèle, qui seule l'intéressait.

Elle explique que la cessionnaire avait besoin de temps pour obtenir la garantie demandée par le vendeur, ce qui supposait l'exploitation de la patientèle pour augmenter son chiffre d'affaires, et qu'il a été convenu que la cédante conserverait le bail à son nom, moyennant une participation de 500 €, puis de 400 € par mois à toutes les charges du cabinet et qu'elles travailleraient en collaboration le temps de trouver des solutions.

Elle indique lui avoir bien transmis le fichier de la patientèle et lui avoir bien présenté celle-ci, que les appels téléphoniques étaient tous et systématiquement redirigés vers le téléphone mobile de Madame [X], relevant en outre que la demande de résolution de la cession n'a été précédée d'aucune mise en demeure de délivrer.

Enfin, elle relate que la demanderesse, qui n'était pas intéressée par la patientèle reçue dans les locaux à partir de 17 heures mais par celle visitée à domicile, a, au bout d'un an, renoncé définitivement à reprendre le bail, lui a proposé de garder les créneaux de consultation au cabinet, s'est domiciliée dans le cabinet de Monsieur [B], ancien collaborateur qui cherche à lui nuire, puis, lorsqu'elle a été assurée que la patientèle lui était attachée, lui a réclamé un remboursement et une indemnisation tout en continuant d'exploiter la clientèle acquise.

L'article 1603 du code civil dispose que le vendeur " a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend. "

L'article 1604 dudit code précise que " La délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur. "

Il est constant que la charge de la preuve de la délivrance incombe au vendeur.

Selon les articles 1610 et 1611 du même code :
- " Si le vendeur manque à faire la délivrance dans le temps convenu entre les parties, l'acquéreur pourra, à son choix, demander la résolution de la vente, ou sa mise en possession, si le retard ne vient que du fait du vendeur. "
- " Dans tous les cas, le vendeur doit être condamné aux dommages et intérêts, s'il résulte un préjudice pour l'acquéreur, du défaut de délivrance au terme convenu. "

L'acte de cession du 15 octobre 2018 stipule que :
" Ce fonds cédé comprend l'ensemble des éléments incorporels et corporels ci-après désignés.

1) Les éléments incorporels :
100%....% de la patientèle à laquelle le cédant dispense des soins à la date de la cession, sous réserve du droit du patient de choisir librement son infirmier libéral;
S'il s'agit d'une cession totale la cession peut également s'accompagner de la cession d'autres éléments notamment :
-le droit pour le temps qui reste à courir au bail ci-après énoncé portant sur les locaux où le fonds vendu est exploité ;
(…). "

Un " Article 2 : nature et énonciation du droit au bail " indiquait que :
" Le cédant déclare que les locaux où le cabinet est exploité lui ont été donnés à bail par …... (le propriétaire) aux termes d'un acte, dont une copie demeurera annexée aux présentes.

Ce bail, soumis aux dispositions de l'article 57 A de la loi du 23 décembre 1986 a été consenti et accepté pour une durée de 6 ANS qui a commencé à courir le ..20/12/1999. Bail tacitement reconduit pour la même durée.

Il porte sur des locaux ainsi désignés : surface, nombre de pièces, salle d'attente, salle de soins, etc.

Moyennant un loyer mensuel de ..388 EUROS payable d'avance. Le bail a été reconduit tacitement et en dernier lieu le 01/01/2018

Révisable selon les modalités suivantes : ..1 AN....

Le cédant, en sa qualité de preneur dudit bail, a versé au bailleur un dépôt de garantie de ..3200 FRANCS (487,84 EUROS)

Ledit bail est stipulé cessible dans les conditions ci-après littéralement relatées : ..ARTICLE VII alinéa 12.... (il y a lieu de vérifier l'existence d'une clause de cessibilité en cas de bail professionnel, l'opposabilité de la cession du fonds au bailleur, mais également la présence ou non d'une clause de solidarité). "

Il était également stipulé une clause :
" Article 2.2 : Intervention du bailleur

Aux présentes est à l'instant intervenu : le syndic de copropriété VVB, en sa qualité de représentant du propriétaire, mentionné dans le contrat de bail : MME [D] propriétaire des locaux ci-dessus désignés

Le bailleur déclare :
-consentir à la cession de droit au bail qui résulte des présentes (…). "

Il était, enfin, stipulé que " Le cédant déclare qu'il n'existe aucune procédure ni difficulté avec le propriétaire des lieux loués " et que " Le cessionnaire s'engage expressément au paiement des loyers et accessoires ".

Le tribunal a repris en lettres grises les parties du contrat qui étaient déjà en italiques ; il s'agit visiblement de mentions qui figuraient dans le modèle de contrat de cession utilisé, et qui ont été laissées dans l'acte par les parties, qui l'ont établi sans l'aide d'un professionnel.

Cet acte contient différentes informations sur le bail des locaux dans lesquels le fonds d'infirmier était exploité par la venderesse et l'une des mentions, en italiques, indique une éventuelle cession de bail ; en revanche, aucune mention ne prévoit expressément la cession dudit bail.

Ce contrat porte également mention de l'intervention à l'acte du bailleur, qui n'y est en réalité pas intervenu et ne l'a pas signé, celui-ci n'ayant jamais consenti à la cession du bail.

D'ailleurs, la demanderesse produit elle-même un courrier daté du 11 octobre 2018 que le mandataire du bailleur, le cabinet VVB, lui a adressé par mail et qui commence par les termes suivants " Pour faire suite à nos divers échanges dans le cadre de la location du local professionnel, lot n°3, actuellement occupé par Madame [K] (...) " ; ce courrier lui confirme son accord pour la conclusion d'un bail professionnel moyennant un loyer mensuel de 900 € et lui rappelle que cet accord était subordonné à l'obtention d'une caution bancaire représentant deux ans de loyers et charges.

La défenderesse communique un mail du 23 octobre 2018 par lequel Madame [X] répond à celui-ci :
" J'ai bien reçu votre mail avec les conditions de reprise. Toutefois, nous étudions avec ma banque et le service juridique la réponse la mieux adaptée face aux honoraires et garanties demandées. Le loyer mensuel de 950 € est d'ores et déjà validé. Je reviens vers vous au plus tôt. En attendant, j'assure une collaboration avec Madame [K]. "

Ces éléments démontrent que la cessionnaire a directement négocié un nouveau bail avec le propriétaire des lieux à l'époque de la signature de la cession du fonds d'infirmier et ne pouvait donc croire que la cession incluait le bail consenti par celui-ci à la cédante.

Madame [K] produit également les deux attestations suivantes :
-attestation de Madame [W] [N], du 25 février 2020, qui témoigne notamment de ce que :
" Je connais Mme [K] en tant que consoeur depuis une trentaine d'années. En octobre 2018, Mme [K] m'a présenté Mme [X] qui devait reprendre la clientèle de son cabinet car elle souhaitait prendre sa retraite. Mme [X] nous a confié avoir des difficultés personnelles (…). Afin de l'aider au mieux Mme [C] et moi-même l'avons souvent remplacée (…). Assez rapidement, Mme [X] m'a confié ne pas vouloir travailler le soir (…) la permanence du soir au cabinet n'était financièrement " pas intéressante ". Par ailleurs, elle se heurtait à des problèmes de bail et avait demandé à Mme [K] de conserver le bail à son nom et de travailler en collaboration avec elle, le temps de trouver des solutions (…) aucun accord n'a pu être trouvé entre Mme [X] et le bailleur. Mme [X] s'est alors tournée vers moi (mai 2019) afin que je la domicilie à mon propre cabinet. Elle a confié ne plus vouloir travailler au cabinet de Mme [K] (…). ",
-attestation de Madame [U] [C] du 26 février 2020, qui témoigne notamment de ce que :
" Je suis infirmière libérale remplaçante depuis 4 ans de Mme [K] puis de Mme [X] après la reprise du cabinet (…) J'ai assisté à plusieurs conversations entre Mme [K] et Mme [X] à la suite de la cessation (sic) de la patientèle Le bailleur était d'accord pour un loyer à 950 € par mois ce qui convenait à Mme [X] mais il lui a également demandé 2 ans de loyer en garantie (…) il lui était difficile de disposer de 2 ans de loyer en garantie. C'est la raison pour laquelle Mme [X] a demandé à Mme [K] de conserver le bail en son nom et de continuer à travailler en collaboration. D'un commun accord, Mme [K] travaillerait quelques jours par semaine, le temps de permettre à Mme [X] de justifier d'un bilan comptable satisfaisant (…) La répartition était la suivante Mme [K] s'occupe de recevoir les patients au cabinet (ce qui représente environ 30% du chiffre d'affaire) et que Mme [X] prend en charge la patientèle à domicile en réglant à Mme [K] une participation aux loyers et charges du cabinet (…) La ligne téléphonique du cabinet était transférée sur le portable de Mme [X] puisque le changement du titulaire de la ligne n'a pas pu se faire à cause du problème de bail (...) ".

Enfin, Madame [K] produit une photographie d'un SMS dont Madame [X] ne conteste pas être l'auteur, du 16 septembre 2019, lui écrivant :
" (…) après une année de fonctionnement j'arrête mes permanences au cabinet. Si tu souhaites récupérer les créneaux. Je ne m'engagerai pas avec VVB pour une reprise du bail. Donc tu peux reprendre le bail. Je ne reviendrai pas sur ma décision. Merci pour ta carte postale et bonne journée ".

Ces divers éléments confortent la version de Madame [K] qui explique que la cessionnaire a, en parfaite connaissance de cause, accepté une cession n'incluant pas le droit au bail et n'a pas payé un loyer dans le cadre d'une sous-location comme elle le prétend, mais une contribution aux frais de fonctionnement du cabinet pendant une période au cours de laquelle la cédante a continué partiellement son activité pour lui en permettre la reprise.

Par ailleurs, la défenderesse produit également une liste de patients qu'elle dit avoir cédés à la demanderesse ainsi que huit attestations de personnes (dont le tribunal n'estime pas nécessaire de donner le détail) témoignant de ce qu'elle leur a présenté Madame [X].

S'il est exact que, comme le soutient cette dernière, il appartient au vendeur de justifier de la délivrance de la chose vendue, qu'il n'est pas établi que la liste de patients a effectivement été donnée avec l'acte de cession signé et que seuls quelques-uns des nombreux patients y figurant ont témoigné de leur présentation à la cessionnaire, le tribunal peut, cependant, se convaincre de la réalité de la délivrance, qui est un fait juridique dont la preuve peut être apportée par tout moyen, en constatant, comme le relève pertinemment la défenderesse qui lui oppose qu'elle ne lui a pas adressé de mise en demeure de délivrer, que celle-ci n'a pas reçu de réclamation à ce sujet avant la présente procédure judiciaire.

En effet, il est éloquent d'observer que le conseil de Madame [X] qui les 16, 24 et 29 octobre 2019, a adressé à Madame [K], puis à son conseil, des mises en demeure se plaignant d'un défaut de cession régulière du bail, et a certes évoqué, dans la dernière lettre, un maintien de l'activité de la cédante dans le cabinet (situation expliquée par les éléments vus ci-avant) ainsi qu'une rétention du téléphone professionnel (point qui sera traité ci-après) n'a jamais fait état d'un défaut de transmission de la clientèle, qui pourtant constitue l'obligation principale d'une vente de fonds libéral d'infirmier.

Or, il ne fait aucun doute que si la demanderesse avait été privée d'une part importante de la clientèle cédée, elle s'en serait plainte dès ses premières réclamations, sans attendre les débats devant le tribunal.

En outre, Mesdames [N] et [C], témoins directs des circonstances de la cession, attestent de la transmission de la clientèle, la première indiquant que Madame [X] bénéficie d'une " excellente patientèle cédée à un prix dérisoire " " depuis plus de seize mois " et la seconde qu'elle a pris en charge la patientèle à domicile et que la ligne téléphonique du cabinet a été transférée sur son portable.

Dans ces conditions, il convient de relever que le défaut de délivrance reproché à la défenderesse n'est aucunement caractérisé.

Le manquement à l'obligation de garantie du vendeur, qui consisterait d'après la demanderesse à l'avoir privée de la jouissance des éléments du fonds libéral cédé, n'est pas davantage établi.

Pour répondre plus complètement à l'argumentation de la demanderesse, qui se prévaut également d'un dol ainsi que de deux témoignages relatifs à une précédente tentative de cession qui aurait mal tourné (attestations de Monsieur [O] [B] et de Madame [F] [G], non datées), le tribunal relèvera encore qu'elle ne tire pas les conséquences du grief du dol, puisqu'elle ne sollicite pas l'annulation de la cession litigieuse pour vice du consentement, et qu'il ne peut être tiré de conséquence de témoignages afférents à une opération avec des tiers, dont il est d'ailleurs justifié que l'un a vu la procédure engagée en référé échouer (ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de PARIS du 18 novembre 2016 rejetant les demandes de Monsieur [B] contre Madame [K]) et que l'autre lui est associée.

En conséquence, la demande de résolution de la cession de fonds libéral du 15 octobre 2018, dont il n'est pas justifié du bien-fondé, sera rejetée.

Sur les demandes de restitution de sommes payées et d'indemnisation

Les demandes de restitution et d'indemnisation, subséquentes à la demande de résolution pour inexécution qui ne prospère pas, seront également rejetées.

Sur les demandes reconventionnelles d'indemnités pour exécution déloyale de la convention de cession et en réparation d'un préjudice moral

La défenderesse sollicite en premier lieu une indemnité de 20 000 € sur le fondement de l'article 1104 du code civil, faisant valoir que la demanderesse se prévaut de sa propre turpitude, qu'elle a signé la cession n'incluant pas le bail en connaissance de cause, qu'elle a obtenu d'elle, alors qu'elle était âgée de 70 ans, qu'elle continue de recevoir des patients au cabinet le temps de trouver une solution, alors qu'elle exploitait et fidélisait sa patientèle à domicile, pour finalement l'informer que le bail et la permanence au cabinet ne l'intéressaient plus, qu'elle a exécuté de mauvaise foi les accords passés, est revenue dessus et a demandé le remboursement du prix de cession et diverses indemnités tout en continuant d'exploiter la patientèle.

La demanderesse réplique que cette demande est sans fondement et que la demanderesse voudrait faire reposer sur les autres ses propres carences.

La défenderesse sollicite en second lieu une indemnité pour préjudice moral de 20 000 € sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil, subsidiairement, pour le cas où le tribunal prononcerait la résolution de la cession, sur son article 1240, exposant qu'âgée de 70 ans, pensant avoir trouvé une infirmière de confiance à laquelle céder sa patientèle et prendre une retraite bien méritée après plusieurs dizaines d'années d'un travail fatigant, elle s'est retrouvée à devoir conserver le bail, payer toutes les charges du cabinet, continuer à recevoir les patients le soir, qu'elle a restitué le bail en 2021 à l'âge de 73 ans, que le prix de cession s'est trouvé absorbé dans les charges, que pour y faire face elle a dû poursuivre son activité et s'est retrouvée dans une situation critique.

La demanderesse ne réplique pas à cette prétention.

Selon l'article 1104 du code civil :
" Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. "

Il est constant que celui qui réclame la réparation d'un préjudice doit prouver tant celui-ci que la faute qui en est à l'origine et le lien de causalité entre ceux-ci.

Il convient de préciser que le tribunal ne saurait sanctionner un comportement, même fautif, par l'allocation d'une indemnité, sans déterminer quel préjudice, résultant de ce comportement, ladite indemnité est destinée à réparer.

Or, à l'analyse des deux demandes d'indemnisation de la défenderesse, il apparaît :
-qu'à l'appui de sa première demande, elle détaille les fautes reprochées à la demanderesse, mais n'expose aucunement en quoi consiste le dommage au titre duquel elle réclame une indemnité de 20 000 €,
-qu'au soutien de sa seconde demande d'indemnité, elle fait état d'un préjudice moral sans évoquer une faute distincte de celles déjà évoquées.

Ainsi, il apparaît qu'elle demande une indemnité pour faute et une indemnité en réparation d'un dommage, prétentions qui ne peuvent prospérer séparément.

En revanche, il y a lieu, en rapprochant les moyens développés au soutien des deux demandes reconventionnelles d'indemnisation, de constater que la demanderesse, qui a voulu revenir sur l'acte du 15 octobre 2018, qui a demandé le remboursement du prix de cession et diverses indemnités tout en continuant d'exploiter la patientèle, en se prévalant d'un défaut de cession de bail qu'elle avait accepté en parfaite connaissance de cause, a fait preuve de mauvaise foi dans l'exécution de la cession et, de toute évidence, causé un préjudice moral à sa cocontractante qui n'a pas pu prendre sa retraite dans les conditions tranquilles qu'elle pouvait espérer.

Il est néanmoins observé que la poursuite de son activité dans les suites immédiates de la signature de la cession ne résulte ni d'une négociation de mauvaise foi, au demeurant non caractérisée, ni d'une inexécution de l'acte litigieux, ni encore du fait que la demanderesse est revenue sur ses engagements, mais d'un accord avec celle-ci à une époque où rien ne permet de considérer qu'elle n'espérait pas réellement reprendre le cabinet d'infirmier.

En outre, la défenderesse ne produit aucun élément justifiant de la " situation critique " dont elle fait état, de la nécessité de travailler jusqu'à 73 ans pour faire face à des charges qui auraient absorbé le prix de cession, étant encore relevé qu'elle avait déjà dépassé l'âge de la retraite lorsqu'elle a signé la cession avec la demanderesse, ce qui n'est aucunement imputable à cette dernière.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient de constater que le préjudice, purement moral, de la défenderesse, partiellement démontré et partiellement imputable à la demanderesse, justifie la condamnation de cette dernière à lui payer une indemnité qu'il y a lieu de fixer à 3 000 € et de rejeter le surplus des demandes d'indemnisation.

Sur les demandes accessoires

La demanderesse, qui succombe, sera condamnée aux dépens de l'instance ainsi qu'à payer une somme de 5 000 € à la défenderesse au titre de ses frais irrépétibles et sera déboutée de sa demande au même titre.

Il est rappelé que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire rendu en premier ressort,

DÉBOUTE Madame [E] [X] de toutes ses demandes à l'encontre de Madame [T] [K],

CONDAMNE Madame [E] [X] à payer à Madame [T] [K] une indemnité de trois-mille euros (3 000 €) à titre d'indemnisation de son préjudice moral,

CONDAMNE Madame [E] [X] aux entiers dépens ainsi qu'à payer à Madame [T] [K] une somme de cinq-mille euros (5 000 €) en application de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE le surplus des demandes de Madame [T] [K],

RAPPELLE que l'exécution provisoire de la présente décision est de droit.

Fait et jugé à Paris le 30 Mai 2024

Le GreffierLe Président
Henriette DUROLucie FONTANELLA


Synthèse
Tribunal : Tribunal judiciaire de Paris
Formation : 18° chambre 2ème section
Numéro d'arrêt : 20/10499
Date de la décision : 30/05/2024
Sens de l'arrêt : Déboute le ou les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;tribunal.judiciaire;arret;2024-05-30;20.10499 ?
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