TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
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N° RG 24/50521 - N° Portalis 352J-W-B7I-C3Y2A
N° : 5
Assignation des :
16 et 18 Janvier 2024
[1]
[1] 3 Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 29 mai 2024
par Maïté GRISON-PASCAIL, 1er Vice-président au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Fanny ACHIGAR, Greffier.
DEMANDERESSE
S.A.S. MILDER
[Adresse 1]
[Localité 6]
représentée par Maître Mélanie ROUX-GERMANEAU de la SELARL ROUX & AZOUAOU, avocats au barreau de PARIS - #P0295
DEFENDERESSES
S.A.S. ALJOTATO
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Maître Thomas MLICZAK de la SELEURL THOMAS MLICZAK SELARL, avocats au barreau de PARIS - #D0653
E.U.R.L. AVM
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Maître Antoine TIREL de la SELAS LARRIEU ET ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS - #J0073
DÉBATS
A l’audience du 24 Avril 2024, tenue publiquement, présidée par Maïté GRISON-PASCAIL, 1er Vice-président, assistée de Fanny ACHIGAR, Greffier,
Nous, Président,
Après avoir entendu les conseils des parties,
Suivant devis signé le 13 janvier 2023, la société Aljotato a confié à la société Milder des travaux en vue de la transformation d’un restaurant coffee shop situé [Adresse 3] à [Localité 4], moyennant le prix de 416 400 euros TTC, ramené à la somme de 347 000 euros après remise commerciale.
La société AVM est intervenue en qualité de maître d’oeuvre.
Les travaux ont été réceptionnés le 6 juin 2023 avec réserves, les parties s’opposant sur la liste des réserves.
Par courrier en date du 4 août 2023, la société Milder a sollicité le paiement du solde du marché à hauteur de 90%.
Le 30 novembre 2023, elle a adressé une mise en demeure à la société Aljotato pour réclamer le paiement de la somme globale de 129 424,26 euros TTC correspondant au solde du marché et aux travaux supplémentaires réalisés.
En l’absence de règlement, par acte en date du 16 janvier 2024, elle a fait assigner en référé la société Aljotato et la société AVM sollicitant de :
“Vu les articles 1103 et 1104 du Code civil,
Vu l’article 835 du Code de procédure civile ;
Vu l’article 145 du Code de procédure civile ,
Vu les pièces communiquées,
0 DIRE ET JUGER la société MILDER recevable et bien fondée en ses demandes ;
0 CONDAMNER la société ALJOTATO à verser à la société MILDER à titre provisionnel, la somme globale de 83 280,04 euros TTC, correspondant au montant des deux factures suivantes: la facture n°02303098 du 29 mars 2023 de 41 642,34 euros TTC et la facture n°02304074 du 26 avril 2023 de 41 637,70 euros TTC ;
0 ORDONNER la désignation d’un expert judiciaire, avec pour mission :
- De se rendre au sein du restaurant coffee shop situé [Adresse 3] à [Localité 4] dénommé 1e café BLONDIE, après convocation des parties ;
- De se faire remettre et de prendre connaissance de toutes pièces utiles ;
- De constater et lister les travaux supplémentaires réalisés par la société MILDER au regard du devis initial signé par les parties et du devis établi par la société MILDER le 24 avril 2023 (ref: JCM999-B, Pièce n°2) ;
- De constater au vu des pièces fournies et des explications apportées, de la commande de ces travaux en cours du chantier auprès de la société MILDER;
- De constater les observations respectives de la société MILDER et de la société ALJOTATO relatives aux réserves à lever, et constater les réserves qui sont ou non justifiées ;
- De déterminer les travaux propres à y remédier en évaluant leur coût et leur durée;
- De répondre aux dires des parties ;
- Avant de rédiger son rapport final, d’établir un pré-rapport en laissant aux parties un délai suffisant pour y répondre ;
De rédiger un rapport et, plus largement, de fournir à toute juridiction éventuellement saisie au fond tout élément susceptible de lui permettre de se prononcer sur les responsabilités encourues.
0 STATUER ce que de droit en matière de consignation des frais d’expertise ;
0 RESERVER les dépens.
0 CONDAMNER la société ALJOTATO à verser à la société MILDER la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.”
Dans ses écritures déposées et développées oralement à l’audience, la société Milder maintient ses prétentions, y ajoutant, sollicite :
- d’écarter l’exception d’incompétence soulevée,
- de condamner à titre subsidiaire la société Aljotato à lui verser, à titre provisionnel, la somme globale de 38 755,24 euros Ttc, correspondant à la différence entre la somme globale restant due du marché initial (83 280,04 euros TTC) et le montant des travaux de reprise avancé par la société Aljotato ( 44 524,80 euros TTC),
- de débouter la société Aljotato de ses prétentions,
portant sa demande d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile à la somme de 3 000 euros.
Dans ses écritures déposées et développées oralement à l’audience, la société Aljotato sollicite de :
“Vu les articles 73, 76 et 973 du code de procédure civile,
Vu l’article 721-3 du code de commerce,
Vu les articles 1104, 1231-1, 1792-6 du code civil,
In limine litis :
- déclarer le président du tribunal judiciaire de Paris incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris,
- renvoyer l’affaire devant le tribunal de commerce de Paris à qui il appartiendra de convoquer les parties ou fixer une date d’audience,
- renvoyer les parties à mieux se pourvoir,
A défaut,
- déclarer le président du tribunal judiciaire de Paris incompétent au profit du tribunal de commerce de Paris pour statuer sur la demande de provision ;
- renvoyer l’affaire devant le tribunal de commerce de Paris à qui il appartiendra de convoquer les parties ou fixer une date d’audience,
- renvoyer les parties à mieux se pourvoir,
A titre principal,
- recevoir l’intégralité des moyens, demandes, fins et prétentions de la société Aljotato France;
En conséquence et y faisant droit,
- débouter la société Milder de l’intégralité de ses demandes ;
A titre subsidiaire,
- ajouter à la mission de l’expert judiciaire les chefs de mission suivants :
* examine si les travaux supplémentaires facturés étaient nécessaires à la réalisation de l’ouvrage;
* examine si les travaux supplémentaires facturés auraient pu être prévus dès la signature du marché de travaux.
En tout état de cause,
- condamner la société Milder à verser à la société Aljotato la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Milder aux dépens.”
La société AVM formule protestations et réserves sur la demande.
Conformément aux articles 446-1 et 455 du code de procédure civile, pour plus ample informé de l’exposé et des prétentions des parties, il est renvoyé à l'assignation introductive d’instance et aux conclusions déposées par les parties.
MOTIFS DE LA DECISION
Au soutien de l’exception d’incompétence soulevée, la société Aljotato fait valoir que le maître d’ouvrage et l’entreprise en charge des travaux sont des sociétés commerciales qui exercent des activités commerciales ; que l’article L.721-5 du code de commerce invoqué par la demanderesse pour affirmer la compétence du tribunal judiciaire est inopérant en l’espèce, dès lors que la société AVM qui exerce la profession d’architecte est une société à responsabilité limitée, commerciale par la forme, et non constituée conformément à la loi du 31 décembre 1990, ce qui est repris dans ses statuts.
La société Milder soutient que le tribunal de commerce se déclare incompétent quand un architecte est dans la cause ; que selon un arrêt de la cour d’appel de 2020, si une société commerciale d’architecture est constituée en respectant la loi de 1990, le tribunal judiciaire est compétent, ajoutant qu’en aucun cas, le litige est divisible.
L’article L.723-1 du code de commerce dispose :
“Les tribunaux de commerce connaissent :
1° Des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre artisans, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux ;
2° De celles relatives aux sociétés commerciales ;
3° De celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes.”
Sont commerciales par leur forme et quel que soit leur objet, les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite simple, les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions.
L’article L.721-5 du même code énonce :
“ Par dérogation au 2° de l’article L.721-3 et sous réserve des compétences des juridictions disciplinaires et nonobstant toute disposition contraire, les tribunaux civils sont seuls compétents pour connaître des actions en justice dans lesquelles l’une des parties est une société constituée conformément à la loi n°90-1258 du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés de professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, ainsi que des contestations survenant entre associés d’une telle société.”
L’article 1 de la loi n°90-1258 du 31 décembre 1990 énonce :
“Il peut être constitué, pour l'exercice d'une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, des sociétés à responsabilité limitée, des sociétés anonymes, des sociétés par actions simplifiées ou des sociétés en commandite par actions régies par la les dispositions du livre II du code de commerce, sous réserve des dispositions du titre Ier de la présente loi. (...)”.
L’article 2 de la même loi prévoit : “La dénomination sociale de la société doit être, immédiatement, précédée ou suivie, selon le cas, soit de la mention " société d'exercice libéral à responsabilité limitée " ou des initiales " S.E.L.A.R.L. ", soit de la mention " société d'exercice libéral à forme anonyme " ou des initiales " S.E.L.A.F.A. ", soit de la mention " société d'exercice libéral par actions simplifiée " ou des initiales " S.E.L.A.S. ", soit de la mention " société d'exercice libéral en commandite par actions " ou des initiales " S.E.L.C.A. " ainsi que de l'indication de la profession exercée et de son capital social. (...).”
Au cas d’espèce, la société AVM est une société à responsabilité limitée à associé unique ayant pour activité l’exercice de la profession d’architecte, régie par les dispositions de l’article L.223-1 et suivants du code de commerce, dont les statuts mentionnent la forme de société à responsabilité limitée, “régie notamment par le livre II du code de commerce et les articles L.223-1 et suivants”, inscrite au registre du commerce et des sociétés.
Ainsi indépendamment de son objet qui a trait à l’exercice de la profession d’architecte, ayant opté pour un exercice professionnel sous la forme d’une société à responsabilité limitée et non d’une société d’exercice libéral à responsabilité limitée, elle est régie par le code de commerce.
N’ayant pas été constituée conformément à la loi du 31 décembre 1990 relative à l’exercice sous forme de sociétés des professions libérales, l’article L.721-5 du code de commerce qui prévoit la compétence exclusive des tribunaux civils n’est pas applicable.
En conséquence, l’exception d’incompétence soulevée au profit du tribunal de commerce de Paris est bien fondée, le litige opposant des sociétés commerciales par leur forme.
Il n’y a pas lieu en l’état de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Les dépens de l’instance seront réservés.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire en premier ressort,
Nous déclarons incompétent rationae materiae pour connaître du présent litige,
Renvoyons l’examen du dossier au président du tribunal de commerce de Paris statuant en référé,
Disons qu’à défaut d’appel, le dossier sera transmis sans délai par le greffe au tribunal de commerce de Paris, avec une copie de la décision de renvoi,
Laissons les dépens de l’instance à la charge de la partie demanderesse.
Fait à Paris le 29 mai 2024
Le Greffier,Le Président,
Fanny ACHIGARMaïté GRISON-PASCAIL